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Sida, urgence extrême

Jeudi 7 Juillet 2005: Elle s'appelle Félicité Feissona. Sur l'ordonnance qu'elle me donne, j'ai lu son âge, 30 ans. Il y a aussi, écrit sur le papier: « triomune, deux par jour », le médicament qui peut la sauver.

Félicité est à bout; d'ailleurs les résultats d'analyses récentes sont catastrophiques; son CD4 est à 16. (Le CD4 monte jusqu'à 1600 pour les personnes saines, mais en dessous de 300, 250, il y a danger)

Félicité m'apparaît, petite, fragile, très vulnérable. Elle est accompagnée d'un garçon de 7 ou 8 ans qui est sans doute son fils, il la suit du regard, et d'une femme plus âgée qui est peut être la Grand' Mère.

Il reste encore un petit espoir, la mettre au plus vite sous trithérapie ; l'ordonnance lui donne l'aval d'un médecin et le nom du médicament. Quand je lui fais remarquer qu'il y a urgence, elle me dit seulement «je n'ai pas d'argent ». Quand on a devant soi, non pas un cas abstrait mais une petite femme malade bien concrète, il y a de quoi être troublé. La vie de Félicité pour un peu d'argent et quelques initiatives en urgence. On a l'impression qu'il y a une invitée, la mort, qui se croit déjà chez elle, et qu'il faut débusquer.

Un mot pour Sœur Irène notre infirmière; justement, Sœur Monique, de la même communauté, est avec moi; elle entre dans le jeu et se déplacera pour me rapporter dès cet après-midi une boite du médicament tant attendu. Depuis le temps que j'en entends parler, je n'ai encore jamais tenu une boite de triomune entre les mains. Quel étrange pouvoir représentent ces quelques comprimés!

Au téléphone Sœur Irène me pousse à l'action : « mais oui, Félicité peut revivre! Il faut tout faire. » Je leur ai donné rendez-vous demain. Attendons! »

Vendredi 8 Juillet: Il est 9 heures, mes trois visiteurs sont devant ma porte. Oui le garçon est son fils, l'autre femme plus âgée sa Maman. Je donne la triomune et un rendez-vous avec le Groupe Espoir pour lundi. Il faut commencer le traitement dès aujourd'hui. La boite dans la main; le sourire revient et L'avenir se teinte d'espoir.

Le 31 Août: la mauvaise nouvelle tombe, Félicité était vraiment trop loin, elle nous a quittés et Sœur Irène l'annonce sans éclat, et même avec un tout petit temps d'hésitation et puis elle ajoute, « elle a pourtant bien lutté! » Et moi, je pleure.


Chimène

Depuis des années il vient me voir, il arrive à l'instant le plus inattendu, et parfois au plus mauvais moment. Bertrand, très jeune, a voyagé avec son père, qui est mort depuis longtemps, mais ce contact avec l'Europe a laissé des traces, il en rêve; d'ailleurs plusieurs de ses frères sont installés en France. Quant à lui, il n'a pas réussi à quitter Bangui, où il se bat pour survivre. Il m'a parfois raconté des tas d'histoires, plus ou moins vraies, pour essayer de me tirer quelque argent. Il y eut dans sa maison une première femme, un premier enfant, puis il y eut Chimène, une autre Maman. Il y a un peu plus de deux ans, elle lui a donné son second fils.

Il y a quinze jours Bertrand venait, tout heureux, m'annoncer qu'il partait en Province avec femme, enfants et quelques bagages, comme compagnon d'un ami menuisier qui lui offrait logement et 25.000 francs par mois. C'était comme un faible rayon de soleil au moment où tout allait au p1us mal avec ses logeurs du quartier à Bangui. Mais, aujourd'hui, trop peu de temps après sa précédente visite, le voici à nouveau et le ton est complètement différent, il me lance, tout de go, « ma vie est en train de s'écrouler » Comment? « Oui Chimène, ma femme, a bu de la soude caustique, et elle vient de se tuer ».

Je reste quelque peu abasourdi, et lentement, Bertrand m'explique: Chimène se savait séropositive. Quand elle a vu mourir du Sida celui qui l'avait fréquentée et contaminée, elle ne l'a pas supporté; Elle a bu la soude caustique, elle s'est suicidée. Mort particulièrement difficile à accepter, ça fait mal. Lentement avec Bertrand, nous évoquons Chimène. Elle avait vingt-quatre ans... Elle était baptisée, mais ne fréquentait plus les messes dominicales, par contre elle faisait partie d’un groupe de prières, elle communiquait très peu; elle ne lui a pas dit un mot de son projet. Quel drame a pu se jouer au plus intime de sa tête et de son cœur? Quel terrible gâchis. Je suis consterné et, je puis dire, habité d'une certaine colère; elle n'a trouvé personne pour lui dire qu'on peut vivre normalement tout en étant séropositive. Mais elle-même n'a rien dit, aucune main n'a pu se tendre pour la sauver, aucune parole réconfortante et fraternelle n'a pu la détourner de son effroyable décision.

Sous ce choc, j'ai été envahi par la pensée, et comme par la présence, de toutes les malades du «Groupe Espoir» ; Chimène n'est-elle pas la sœur tragique de toutes ces mamans, sa mort semble mettre brutalement en relief ce que ce groupe a de dramatique et de merveilleux.

De dramatique, car comment évaluer ce qui se passe au cœur de toutes ses femmes, ce qu'elles peuvent ressentir lorsqu'elles se reconnaissent séropositives, et qu'elles se trouvent soudain situées dans l'ombre de la mort, avec l'angoisse de l'abandon des enfants.

Et disons-le aussi, merveilleux, car, pour la très grande majorité d'entre elles, voila que grâce au traitement et soutenues par l'ensemble du groupe, elles peuvent en vérité se tourner à nouveau vers l'avenir et vers la vie.

Chimène n'est pas entrée dans ce courant très terrestre de salut, mais son désespoir a certainement rencontré l'immense miséricorde du Seigneur.

Y.G.

Bangui, octobre 2005



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