Aujourd'hui, ce
premier flash, « Extrêmes », évoque le
contact de deux mondes; c'est dur. !
Le second, «
Fraternité Saint Joseph », est une page de la vie de
l'Eglise; c'est tout simple!
FLASH
Extrêmes
Depuis les temps
anciens se dresse à Bangui, « le rocher », une
masse de robustes granits plantés dans l'Oubangui. Ils forment
l'extrême pointe des « Rapides de Bangui ». Comme
une lame, ils avancent dans le fleuve, et les flots, lancés
d'Est en Ouest, leur obéissent et dévalent désormais
vers le Sud.
Il y a presque un
siècle, des militaires venus d'un autre continent, en firent
le « rocher de l'artillerie ». Ils envisageaient
peut-être d'ajouter à la puissance des eaux celle de
leurs canons. Une gloire vite abandonnée, car des années
durant quelques bâtiments tristes et inactifs gardaient seuls
la place. On les remarquait peu; on les oubliait même devant la
beauté du fleuve.
Puis vinrent les
années 60, le temps des promoteurs, et à la même
époque l'éclosion des pays neufs. Un pareil site ne
pouvait que susciter des projets...et il est là, sous nos
yeux, celui qui a été réalisé: un hôtel
tout en hauteur qui occupe le coude du fleuve, qui accroche
irrésistiblement la vue, mais permet aux rares privilégiés
qui prennent domicile en ses étages de jouir d'une vue
magnifique, particulièrement nuancée et captivante au
coucher du soleil.
Bien fixé sur
son rocher cet hôtel fait partie de 1a liste des Grands,
Safaris puis Sofitel, il a tout une histoire. Il a même coûté
quelques milliards de rénovation après des pillages et
un court moment d'abandon. Il est, comme ses frères des
Grandes Chaînes de bien d'autres pays, le fleuron d'un univers
organisé pour les riches. La nuit coûte 55.000 fr en
chambre, une suite revient à 85.000 fr. La puissance de
l'argent se dresse sur le rocher, difficile à pénétrer,
dure, sans aucun sentiment.
André en fait
la rude expérience. Il a 28 ans. Il a bien marché dans
ses études puisque malgré trois années blanches,
il termine un diplôme supérieur en comptabilité,
il cherche un stage. Pas facile à trouver dans notre capitale
en cette fin de siècle où ne subsiste qu'une toute
petite vie économique à moitié moribonde et où
ce qu'on appelle « le secteur informel », aux règles
économiques plus que simplifiées, grandit chaque jour
et n'offre aucune occasion de stage. Le Sofitel est l'un des rares
établissements qui répond aux critères exigés
pour ce mois de stage et André a eu la chance d'être
admis, heureux que les responsables l'acceptent.
Mais André,
s'il est employé pour quelques jours au service de hôtel,
reste au dehors de ce système de richesses. Il est même
passé ce matin me demander une toute petite avance pour ses
trajets car il habite au Kilomètre 5, il aimerait aussi
pouvoir acheter un casse-croûte matinal avant son travail en
ces jours de fin de stage. Il me parle aussi de sa petite fille de 3
ans qu'il a laissée chez les parents de sa maman et, comme je
le questionne, il évoque le dédale de ses autres
problèmes financiers.
Naïf, je l'ai
questionné sur sa situation au Sofitel et je lui demande
combien il touchera pour son stage où il rend quelques vrais
services. La réponse est simple: non pas question de salaire,
il ne touchera rien, ce n'est pas prévu. Aura-t-il au moins
une petite indemnité pour les déplacements si pénibles
à Bangui et particulièrement pour lui, André,
qui a un long trajet de sa petite case jusqu'au Sofitel ? Non, pas
question non plus, il ne touchera aucune prime de transport. Donc au
total, pas un « pata », et comme sa caisse personnelle et
familiale est complètement vide; c'est à moi qu'il
recourt.
Curieuse et brutale
confrontation de l'extrême richesse et de l'extrême
pauvreté. Chacun dans sa logique. J'ai beau connaître
les données du problème, j'en reste abasourdi. Comment
justifier et provoquer le petit geste qui sur le budget d'un. Sofitel
ne serait absolument rien mais qui pour une famille changerait tout.
L'argent n'a pas la même valeur dans chacun des systèmes.
Confronté à cette dure réalité, comment
en sortir ni aigri, ni envieux?
En fait, il reste
encore un espoir, que le stage se termine par une embauche! Alors ce
serait la pleine lumière et désormais André
aurait la pointe d'un pied dans le système du Sofitel, et
l'eau lui semblerait plus claire dans les Rapides, entre les rochers.
Y.G.