Paris le 29 Décembre 2010
Chères amies, chers amis,
Lors de la session justice et paix de la
province spiritaine de France, nous avons décidé, à
la suite de l’appel du père René Soler, de
proposer de faire du 12 Janvier 2011 un jour de mémorial pour
Haïti. Ce dossier reprend un article dans la revue Eglise en
Ille et Vilaine n° 190 du 20 décembre 2010. Le
temps de prière est largement inspiré de la prière
mensuelle de Taizé.
Les spiritains, présents depuis
Eugène Tisserant (1814-1845) sont une vingtaine dans 3
paroisses (Pont Sondé, Carrefour, Furcy) et le collège
Saint Martial à Port-au-Prince. Les spiritaines, arrivées
en 1977, ont deux communautés de 4 sœurs (Jacmel et
Montagne Lavoute). En ce 12 Janvier 2011, puissions-nous unir nos
prières pour ce peuple durement éprouvé.
Christian Thuet,
au nom du
comité d’animation Justice
et Paix Intégrité
de la création.
HAÏTI,
UNE ÉGLISE CONVALESCENTE
Depuis un an, Haïti, l’un
des pays les plus pauvres de la planète, survit en dépit
des catastrophes successives :
le tremblement de terre du mois de janvier qui a fait des milliers de
victimes, la tempête tropicale et maintenant une épidémie
de choléra. En dépit des victimes humaines, des
problèmes politiques et des destructions matérielles
massives, le peuple d’Haïti ne baisse pas les bras. Où
puise-t-il sa force ? Quel est le rôle de l’Église
catholique dans la reconstruction morale et matérielle du
pays ? Le père Jean-Yves Urfié, un spiritain en
poste sur place, et Chedly, un séminariste des Pères de
Saint-Jacques arrivé en septembre dernier, proposent un
éclairage.
Les dégâts causés
par le séisme se font sentir chaque jour.
Au niveau du personnel d’abord : des dizaines de prêtres,
religieux, religieuses et séminaristes ont été
tués. De nombreux laïcs engagés aussi. Quant aux
pertes matérielles, elles sont visibles à chaque
carrefour de Port-au-Prince et des autres villes sinistrées :
écoles et séminaires écrasés, églises
disparues, messes célébrées sous les tentes,
etc. La tâche de reconstruction s’avère longue et
coûteuse. On ne peut guère attendre des fonds publics
puisque les bâtiments de l’administration publique ont
également été lourdement touchés :
ministères, hôpitaux, lycées, collèges,
écoles primaires…
L’Église d’Haïti
lutte pour retrouver son unité : Le
cas de Jean-Bertrand Aristide a beaucoup divisé le corps
ecclésial. Avec une hiérarchie hostile – mis à
part Mgr Romélus, évêque de Jérémie
– et les communautés ecclésiales de base,
majoritairement favorables au prêtre-président, la
rupture a été si profonde qu’il faudra des années
pour panser les plaies encore ouvertes. Du coup, la
hiérarchie catholique est devenue très timide dans ses
prises de position, car le pays est meurtri.
Et ce ne sont pas les élections récentes qui vont
arranger les choses. Dans un tel contexte, l’Église –
du moins la hiérarchie hésite à parler,
peut-être paralysée par la peur d’augmenter les
fossés et les divisions internes. Peut-être aussi
divisée entre certains évêques ouvertement
critiques, et d’autres qu’on n’entend jamais
prendre la parole.
Présente auprès
des plus pauvres : Il
n’en reste pas moins que l’Église
est la seule institution présente dans les coins les plus
inaccessibles du pays.
Haïti est un pays montagneux, à plus de 80 %, et les
prêtres et religieuses sont parfois les seuls à
construire des dispensaires et des écoles dans des endroits où
les matériaux de construction doivent être acheminés
à dos d’homme ou bien sur des chevaux ou des ânes.
L’État, extrêmement centralisé à
Port-au-Prince, ne s’intéresse pas au sort des paysans
isolés. Seule l’Église peut être remarquée
dans ces endroits abandonnés. L’histoire ancienne de
l’évangélisation d’Haïti est pleine
d’exemples de ces missionnaires zélés qui
marchaient des jours entiers pour atteindre des lieux jugés
inaccessibles. Un exemple : en 1881, les spiritains,
responsables de la paroisse de Pétionville, ont visité
un lieu appelé Lamarck, dont ils ne connaissaient même
pas encore l’existence. Les paysans se mobilisèrent pour
avoir une chapelle ; tous les matériaux nécessaires
furent acheminés par les paysans, hommes, femmes, enfants, à
pied. Distance de Pétionville à Lamarcq : 40
kilomètres, sur des hauteurs atteignant jusqu’à 1
800 mètres.
Cette histoire ancienne de
l’évangélisation explique la foi profonde de ces
Haïtiens.
« Foi
du charbonnier » ?
C’est vrai. Religiosité populaire ? C’est
vrai. Mais foi réelle, qui permettra sans doute à
beaucoup d’Haïtiens de traverser le désert
post-séisme afin de reconstruire, de se reconstruire aussi,
car les traumatismes sont profonds et dureront longtemps encore.
Beaucoup de journalistes étrangers ont été
surpris par la réaction des sinistrés qui ont pris la
rue ensemble et spontanément, dans les heures suivant le
séisme, pour remercier Dieu d’être vivants.
L’Europe est
tellement a-chrétienne maintenant qu’elle peut
difficilement comprendre et apprécier une manifestation
religieuse spontanée.
Sans porter un jugement de valeur, notons simplement que ce sont deux
formes de culture différentes, héritées de deux
histoires, de deux évolutions différentes.
Un rôle de substitution :
Ce n’est
pas seulement en tant qu’institution religieuse que l’Église
est présente auprès des plus abandonnés. C’est
aussi pour y assumer
un rôle de substitution devant l’absence de l’État.
L’encyclique « Populorum
Progressio »
de Paul VI - largement rédigée par un breton, le Père
Lebret
a eu un grand retentissement dans le
tiers-monde. En Haïti, de nombreux groupes d’Église
se sont formés pour mettre en pratique son enseignement. J’en
donnerai trois exemples :
La
Congrégation haïtienne des Frères et Sœurs
de l’Incarnation, fondée par le Frère Armand,
vouée au développement rural, l
L’œuvre
du Développement Communautaire Chrétien, créée
par un Breton, le Père Robert Rio, et l
Les
Petits Frères et Sœurs de Sainte Thérèse.
Dans cette même ligne, la
branche haïtienne de Caritas s’efforce de lutter contre
les racines de la misère. Car ce qui unit toutes ces œuvres
séparées géographiquement, c’est qu’elles
ne cherchent pas à soulager la misère par la charité
– toujours nécessaire en cas de catastrophes –
mais qu’elles cherchent à mobiliser et à
conscientiser les victimes, afin qu’elles deviennent sujets, et
non plus objets de leur histoire, pour reprendre l’expression
de Paolo Freire.
Le peuple haïtien est
courageux et regorge de ressources morales. Nul doute que la foi des
chrétiens sortira renforcée de cette année
d’épreuves : séisme le 12 janvier, épidémie
de choléra importée par les soldats asiatiques de
l’ONU, cyclone Thomas les 4 et 5 novembre, élections
frauduleuses le 28 novembre. Il n’y a pas eu d’année
pire dans l’histoire d’Haïti. Apparemment, il en
faut plus pour que les Haïtiens baissent les bras.
« Je
crois fermement que Dieu est toujours à nos côtés »
Église
en Ille-et-Vilaine : Quels souvenirs gardez-vous du séisme ?
Chedly : J’étais
dans la cour d’une institution dans laquelle j’étais
en stage, et tout d’un coup les arbres se sont mis à
trembler. J’ai tout de suite compris de quoi il s’agissait.
Le temps que je me dirige vers la maison, une deuxième
secousse avait mis les bâtiments par terre, et l’eau
contenue dans le sol remontait à la surface, inondant tout. À
Léogâne, tout a été détruit :
les écoles, les églises, les bureaux, les maisons…
Qu’avez-vous
ressenti ?
À 13h, il y a eu une
nouvelle secousse très forte. Je me suis dit : c’est
la fin, nous allons tous mourir. Je sais que les tremblements de
terre sont des phénomènes naturels, mais celui-ci
dépassait de loin tous ceux que l’île a vécus
dans le passé. J’ai
regretté que les autorités n’aient pas éduqué
la population.
Comment
auraient-elles pu le faire ?
Elles auraient dû inciter
la population à ne pas bâtir n’importe comment, à
prendre des précautions.
L’Église, les écoles, les médias auraient
pu relayer ces informations.
Étant
sur place, vous avez participé aux secours …
Oui, bien sûr ! J’étais
très choqué car je n’avais aucune nouvelle de ma
famille ni des Pères de Saint-Jacques. Le
lendemain, j’ai pu aller à Port – au - Prince en
motocyclette. Tout au long de la route, les cadavres étaient
empilés aux carrefours comme des marchandises.
C’était terrible ! J’ai demandé à
Dieu de me donner la force d’affronter la situation et
éventuellement la perte des miens. En arrivant j’ai
retrouvé ma famille, mais un de mes confrères, de la
même promotion que moi, avait été tué par
la chute d’un bloc de béton.
Après
le séisme, il y a eu une tempête tropicale et le
choléra. Comment peut-on survivre à de telles
épreuves ?
Le peuple a tout perdu, mais il
lui reste l’essentiel : la foi en Dieu.
Il continue à prier, à louer Dieu, à espérer
en Lui, dans la foi que Lui seul peut les aider à sortir de
cette situation dramatique. Leur attitude face à cette
situation me fait dire que c’est l’Esprit de Dieu qui
parle en eux.
Vous
avez dû partir continuer vos études en France. Comment
vivez-vous l’éloignement à ce moment dramatique
de l’histoire de votre peuple ?
Ce ne fut pas facile de laisser
ma famille, mon peuple et mon pays. Je les porte dans mon coeur et
dans ma prière chaque jour. Avec
eux et comme eux, je crois fermement que Dieu est toujours à
nos côtés.
VOIR AUSSI :
Message
de Noël pour Haïti, par Mgr Stenger,
Evêque de Troyes
:
http://www.eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/message-de-noel-pour-haiti-par-mgr-stenger-10459.html
Noël
en direct de Port-au-Prince avec RCF :
http://catholique-rennes.cef.fr/?Noel-en-direct-de-Port-au-Prince
Matinée
spéciale Haïti avec le Jour du Seigneur le 9 janvier
sur France 2 :
http://www.lejourduseigneur.com/Programmation/
%28chaine_en_cours%29//%28semaine_suivante%29/1/%28ts_debut_semaine%29/1293404400