Frédéric LE
V A V A S S E U R 1811 – 1882
Abbaye de Langonnet – 2 Février 2011
par Paul Uzel
Cette
année, les Spiritains célèbrent le deuxième
centenaire de la naissance du Père
Frédéric Le Vavasseur. Il fut
le treizième Supérieur Général de la
Congrégation du Saint-Esprit. Il eut surtout le mérite
d’être, avec Eugène Tisserant, l’initiateur
du projet de l’Œuvre des Noirs
et le coopérateur de la Fondation
des Filles de Marie à la Réunion.
En ce 2 Février 2011, jour béni de la mémoire du
Vénérable Père Libermann, nous nous faisons une
joie de nous rappeler le souvenir d’un des plus chers de ses
fils.
J e u n e s s e
Frédéric
Le Vavasseur naît à la Réunion, île
Bourbon, perle de l’Océan Indien, le 25 Février
1811, de Jacques Le Vavasseur et de Sidonie de Sigoyer. Il est
baptisé à St-Denis.
A cette époque, après la Révolution, l’état
religieux est assez déplorable. Né dans une famille peu
pratiquante, Frédéric ne reçut pas d’éducation
religieuse. Il grandit en contact du monde des esclaves et fut
sensible à leur domesticité au sein de sa famille.
L’enfant, quoique doué, se laisse aller à la
facilité et à l’indiscipline. A l’image de
son pays, il fait montre d’un tempérament riche,
sensible et volcanique avec lequel il aura toute sa vie du fil à
retordre.
Heureusement, la première
grâce du ciel fut son éducation
au Collège Royal de St-Denis où
il est pensionnaire. M. Gallet assure son éducation
religieuse. Non seulement il se montre un bon élève,
mais il excelle dans la piété. A 14 ans, Frédéric
est admis à la première communion : prenant au
sérieux sa foi, il fait montre de franchise et de générosité.
Il faut faire ici le parallèle
avec John Henry Newman qui, en1816, vécut une telle grâce.
Voici ce que dit Irène Fernandez de l’Assentiment du
jeune homme : « On sait
combien l’engagement radical du Moi dans la vie de foi était
vital pour un homme, convaincu depuis l’âge de quinze ans
de la « lumineuse » existence de deux êtres :
son créateur et lui. « Myself and my Creator » :
cette expression célèbre ne signifie pas qu’il se
croit seul au monde, mais que le face-à-face de l’amour
est le secret fondement de la foi ».
On ne saurait trop insister sur la nature centrale ou
fondatrice de cette grâce pour Frédéric :
cette expérience de Dieu n’est pas séparable de
l’expérience de soi. Son assentiment à la foi,
comme certitude absolue et instantanée, devient la boussole
intérieure ou l’étoile polaire pour toute sa
vie. Ainsi, dans sa profession de foi, Frédéric
fait de manière passionnée l’expérience
mystique de la véracité de la foi.
Ses progrès dans la piété le poussent à
convertir sa sœur et à catéchiser les esclaves de
ses parents. Il s’esquive des réunions mondaines, au
grand dam de son père.
Départ en métropole
En 1829, la
famille envoie le jeune homme en France poursuivre ses études.
Frédéric rêve de
devenir un grand savant. En outre, il
tient beaucoup à sa foi et garde une pratique religieuse
exemplaire, fidèle aux sacrements et à la lecture de la
Bible. Il fréquente la paroisse St-Louis à Paris, tout
en suivant les cours à l’Ecole Polytechnique.
Mais il se dit « à
quoi bon ces études par rapport aux bontés de Dieu ? ».
On comprend qu’un jour l’idée de la prêtrise
lui vienne, ce que lui confirme l’évêque de
Versailles. Mais sa famille s’y oppose : un ami lui
conseille de choisir la médecine, métier de dévouement,
ce qui rassure son père. A l’occasion des examens de fin
d’années, Frédéric fait du surmenage
intellectuel qui le conduit à l’échec.
1
En 1830, une
Sœur Rosalie le reçoit à Paris et le met en
rapport avec les Jésuites. Il poursuit des études de
droit. Il apprend la ruine de ses parents et continue de penser à
la prêtrise. En 1831, le P. Génesseau le fait entrer au
Collège Stanislas où il donne des cours et prépare
un Baccalauréat ès Lettres : puis il fait part à
ses parents de sa décision irrévocable. Ceux-ci,
rapprochés de la religion depuis leur faillite, acceptent.
Leur fille vient d’épouser un Boyer de la Girodais qui
les sauve de leur mauvaise situation.
Retour à Bourbon
Admis au séminaire, Frédéric
retourne au pays natal, en 1835, revêtu de la soutane. Cela lui
donne une dignité dont les parents sont fiers. Mais il
impressionne surtout ses deux cousines qui sont d’une grande
piété, Aimée et Anne-Marie Pignolet de Fresnes :
il les encourage. En 1834, les esclaves de l’Ile Maurice sont
affranchis : cela travaille le cœur du jeune séminariste.
Après quelques mois, il reprend le bateau pour la France.
Chez les Sulpiciens d’Issy-les–Moulineaux
En 1836, Frédéric
Le Vavasseur reçoit la tonsure : il est confié à
M. Libermann qui anime les groupes de spiritualité et fait de
la direction spirituelle. C’est là que M. Eugène
Tisserant de St-Domingue et M. Le Vavasseur de Bourbon le consultent
à propos d’un projet : « l’œuvre
des Noirs » pour l’évangélisation des
nègres en pays créoles.
En 1837, Libermann part à
Rennes pour la reprise du Noviciat des Eudistes qui cherche un Père
Spirituel. Il garde le contact avec les deux séminaristes
créoles. Frédéric ira passer les vacances de
1838 à Rennes.
MM. Le
Vavasseur et Tisserant ont d’ailleurs pris contact avec
l’Archiconfrérie de Notre-Dame
des Victoires où l’Abbé
Desgennettes fait prier pour le projet : le 1er
Février 1839. Le projet est maintenant dans les mains de Marie
en laquelle Libermann a d’ailleurs une confiance filiale.
Cependant, à Rennes, la Providence éprouve son
serviteur qui est repris par son épilepsie et passe surtout
par un calvaire intérieur.
Tandis que les liens se détériorent
avec le Supérieur des Eudistes, le projet de l’Oeuvre
des Noirs prend une place plus grande dans le cœur de
Libermann. Devant sa nullité
intérieure, Libermann prend la décision de quitter
Rennes. Libéré de toute attache, le
28 Octobre 1839, il décide envers
et contre tout d’aller porter à Rome le projet de
l’œuvre : il est pris pour un fou, mais sa confiance
en Dieu est totale.
Sur le chemin de Rome, il s’arrête
à Lyon et prie aux pieds de
Notre-Dame de Fourvières. A Rome,
il est rejoint par M. de la Brunière, mais peu après,
celui-ci l’abandonne. Libermann passe à Rome près
d’une année. La Propagande est impressionnée par
le projet, mais voudrait que le pauvre Libermann reçoive la
prêtrise. Tandis que les affaires traînent, Libermann
écrit, dans sa mansarde, un Commentaire
de l’évangile de St-Jean.
Libermann entreprend un pèlerinage
à Lorette où il reçoit
une grâce intime : il a la conviction que la fondation du
projet lui est confiée. Puisque Dieu travaille pour lui, il
revient à Rome en toute confiance. Il écrit d’ailleurs
au curé de Notre-Dame des Victoires que, refusant toute
intrigue près des autorités romaines, il est heureux
que le Saint-Cœur de Marie ait tout mené à bon
terme. D’ailleurs, contre toute espérance, le diocèse
de Strasbourg lui propose de l’ordonner. L’horizon se
dégage et il reçoit le diaconat en Octobre 1850. Là
il fait connaissance avec les frères Schwindenhammer, Jérôme
et Ignace, qui rejoindront le Saint-Coeur de Marie dès leur
ordination.
2
La fondation du Saint-Cœur de Marie
Le 20 Septembre 1841, Libermann est
ordonné par l’évêque d’Amiens :
le 27 Septembre, il célèbre une messe d’action
de grâce à Notre-Dame des Victoires,
tandis que Le Vavasseur est ordonné le 28. Puis s’ouvre
le Noviciat de la Neuville-lès-Amiens que rejoint Frédéric.
Pour ce dernier, l’installation trop luxueuse et non conforme à
l’esprit de pauvreté.
Deux tempéraments vont se
polir et s’affronter : la mansuétude et la douceur
de Libermann avec la fougue de la nature riche et indomptée de
Frédéric, ici victime de son perfectionnisme. De
Pinterville arrive l’abbé Jacques
Désiré Laval, médecin
devenu prêtre dans le diocèse d’Evreux. Il se
présente pour la mission et dès 1842, il est le premier
missionnaire du St-Cœur de Marie à partir pour l’Ile
Maurice.
Mais au Noviciat, la brouille se fait
entre le Supérieur et Frédéric : celui-ci
va faire retraite à N.D. des Victoires. Mais la ferveur
généreuse triomphe de la hargne caractérielle de
l’ardent prêtre qu’est Frédéric.
Cette tempête mémorable se termine par une
réconciliation qui honore l’humilité fondamentale
de notre cher Frédéric.
Le Séjour à Bourbon
Est-ce la sagesse
du P. Libermann ? En tout cas, en Février 1842, le P. Le
Vavasseur s’embarque sur « La Sarcelle »
pour l’Ile Bourbon où il séjourne 7 ans. A
Bourbon, on s’attendait à
l’émancipation des esclaves noirs.
L’Apôtre arrivait exalté et devra faire bien des
efforts pour affronter les événements.
Il fallait se dévouer à
l’instruction des noirs. L’implantation d’une
Congrégation pour l’Oeuvre des Noirs ne va pas sans
créer de difficultés avec le clergé séculier
et surtout avec les autorités civiles qui voient Le Vavasseur
non agréé et sans permission de l’Etat. Avec sa
fougue habituelle, le Père se débat et en appelle au
Vicaire Apostolique. Frédéric entre dans une crise
intérieure et entretient avec Libermann une correspondance
houleuse.
En 1843, les Pères Collin et
Blampin sont envoyés à Bourbon. On fait la guerre aux
missionnaires pour les rendre dépendants des Curés. Le
P. Le Vavasseur doit répondre à des réquisitoires
du directeur de l’Intérieur. Cependant l’Œuvre
des Noirs se continue. L’émancipation allait chavirer
bien des oppositions. On attendait les Pères de St-Alban et
Jérôme Schwindenhammer. La lenteur du courrier usait
aussi le tempérament de Frédéric qui entre en
conflit avec Libermann avec l’intention d’entrer chez les
Jésuites : mais après une retraite, il demande
humblement pardon au Vénéré Père.
En 1846, le P. Le Vavasseur fait une
visite à Maurice où le P. Laval était toujours
seul. Cela lui fait le plus grand bien. Des femmes de Maurice,
désireuses de servir l’Eglise, désirent une
formation spirituelle et l’on suggère la création
d’une congrégation locale pour satisfaire à la
demande de ces vocations possibles. La perspective de l’émancipation
des noirs est dans l’air du temps : elle est réalisée
à Maurice depuis 1834. Le Père revient à Bourbon
encouragé et édifié par le travail de l’Apôtre
de Maurice.
Pour le Saint-Cœur de Marie se
préparait la fusion avec les Messieurs du St-Esprit dont le
nombre était de plus en plus réduit. Mais 1848, c’est
l’effondrement de la Monarchie de Juillet avec la révolution
en Février. Or le 4 Mars 1848, le nouveau gouvernement décide
l’abolition de l’esclavage, dont Victor Schoelscher reste
une figure de proue. A Paris, la fusion entre les deux instituts se
réalise et permet de garder les liens avec le ministère
des Colonies. Le P. Le Vavasseur est d’abord très
sceptique sur ce qu’il redoute comme une « confusion ».
Encore une fois, son esprit d’obéissance le sauve.
A Bourbon,
les missionnaires se font un devoir de prévenir les noirs pour
que les choses se passent au mieux. L’influence de l’Abbé
Monnet contre balance les mauvaises volontés. Le
8 Juin 1848, la
République fut proclamée à
Saint-Denis et Bourbon prend le nom de La
Réunion. Le P. Le Vavasseur fut élu
en tête d’un Conseil de Notables, mais il refuse un
honneur, car il redoute un piège qui aurait pu le compromettre
aux yeux des noirs. La promulgation de la
libération des esclaves est
décidée pour le 20 décembre
1848.
L’arrivée providentielle
du Frère Vincent, de retour d’une mission qui a échoué
en Australie, permet de lancer une école agricole à la
Rivière des Pluies. Cela provoque des jalousies, mais les
protestations du P. Le Vavasseur lui attirent la bienveillance du
nouveau Commissaire de la République qui le félicite de
son réalisme.
La fondation des Filles de Marie
Depuis
1835, date du premier retour à Bourbon de Frédéric,
l’Esprit travaillait le cœur d’une âme
d’élite, Marie Françoise Aimée Pignolet de
Fresnes, née le 2 Juin 1810. La perspective de la libération
des esclaves l’avait motivée à entreprendre
l’instruction et l’éducation chrétienne des
futurs émancipés. De 1846 à 1849, Le P. Le
Vavasseur préparait avec ardeur la fondation des Filles de
Marie.
Depuis son retour de Maurice, le P. Le Vavasseur
engageait Aimée et Anne-Marie dans la folle entreprise de la
nouvelle congrégation. Le rayonnement du Saint-Cœur de
Marie pouvait susciter l’éclosion des Filles de Marie
dont Aimée, sous le nouveau nom de Marie
Magdeleine de la Croix, devenait la fondatrice.
Ainsi, sans prévenir l’autorité civile, la
fondation eut lieu le 19 Mai 1849, soit cinq mois après
l’émancipation officielle des esclaves noirs. La
fondatrice, la première, prononça ses vœux entre
les mains du Père.
C’est
dans l’esprit de pauvreté et d’humilité que
les Filles de Marie de la Réunion allaient se mettre à
évangéliser les pauvres. Le Commissaire Général,
M. Sarda Garriga, par intérêt pour sa réputation,
en courage favorablement l’instruction et la moralisation des
affranchis. Si la libération s’était passée
au mieux à la Réunion et en Martinique, il n’en
fut pas de même à la Guadeloupe.
En 1852, M. Hubert Delisle facilita
l’acquisition de terrains près de St-Denis en vue de
l’établissement d’un hôpital où l’on
soignerait même les lépreux. La tâche de la
nouvelle congrégation était ardue. Cette même
année les premiers vœux était prononcée.
Marie-Anne ne fit ses vœux qu’en 1853 et prit le nom de
Marie-Thérèse de Jésus. Chez les Filles de
Marie, il n’y avait pas de
distinction de races et ce témoignage
de catholicité était fort.
Les Filles de Marie devaient
connaître une forte expansion : à Maurice, à
Madagascar, au Zanzibar. C’est dans un héroïsme
absolu que la Mère Marie Magdeleine de la Croix gouverna sa
congrégation pendant 40 ans, avec la même abnégation
que le P.Laval. Ses épreuves de santé rappellent le
chemin de croix du Vénérable Libermann : il y a
vraiment une parenté entre les Spiritains et les Filles de
Marie. Elle devait mourir en 1889, tandis que la Sœur
Marie-Thérèse de Jésus avait déjà
rejoint la maison du Père en 1868. Son biographe, M. Prosper
Eve, nous dit : « Accablée
par les épreuves de la souffrance, Mère Marie
Magdeleine de la Croix, femme de conviction, d’action et de
passion, débordant d’audace, d’énergie
autant que d’amour, est une missionnaire marquante de l’Eglise
de la Réunion. Au lendemain de l’abolition de
l’esclavage, à l’heure où les affranchis
sont encore couverts d’opprobre par la plupart des anciennes
personnes libres, elle ose aller à contre-courant des idées
et des moeurs de son temps, en prônant l’égalité
au sein de la congrégation religieuse qu’elle fonde. Ce
n’est pas son seul mérite. Cette visionnaire innove en
conduisant des actions caritatives non seulement dans son île
natale, mais aussi dans la zone de l’Océan
Indien. »
4
Retour en France du P. Le Vavasseur
En Juin 1849, le P. Le Vavasseur
rejoint la France et laisse au P. Collin le soin des Filles de Marie.
Il trouve le P. Libermann très éprouvé au plan
de la santé. Il le rejoint à la rue Lhomond où
il exerce les fonctions de Supérieur Général.
Chargé du Séminaire du St-Esprit, Frédéric
veut entreprendre la réforme de celui-ci avec une ardeur
excessive.
Libermann se trouve engagé
dans l’érection des futurs
diocèses coloniaux. Dans ces pays,
l’autorité ecclésiastique est trop à la
remorque de l’autorité civile. Dès la fusion, en
1848, Libermann comprend ce qui manque dans les colonies :
l’établissement d’une hiérarchie
régulière, liée au
St-Siège, hors du cadre de
l’ordonnance de 1781 alors en cours.
En 1850, la Réunion, la
Martinique et la Guadeloupe sont enfin érigés en
diocèses sous la juridiction de l’Archevêché
de Bordeaux : ils ont respectivement comme évêques
Mgr. Duprez, Mgr. Le Harpeur et Mgr. Lacarrée. Le succès
de l’opération est dû à la diplomatie du
doux et patient Libermann. C’est ce que le P. Le Vavasseur
écrit au P. Blampin.
Auprès du Père Libermann
Frédéric
remplace le P. François qui peut enfin partir en mission. Il
se trouve chargé du Séminaire
des Colonies dont il poursuit la réforme.
Il doit faire un travail pénible de recrutement dans les
diocèses. La réputation du « St-Esprit »
n’est pas oubliée, mais la fusion avait ses opposants
dans le clergé, notamment un M. Hardy qui avait été
exclu du séminaire.
La maladie étreint de plus en
plus celui que l’on appelait déjà le « Vénéré
Père ». Au
début de 1852, Libermann s’arrête. F. Le Vavasseur
devient son garde-malade, filialement dévoué. La
gravité du mal est révélée :
Libermann vit ses derniers jours. Frédéric, égal
à lui-même, lui annonce : « Cher
Père, le Bon Dieu vous appelle : il faut partir, c’est
l’avis du médecin » - « Dieu soit
béni », répond le
mourant.
Une pensée obsède le P.
Le Vavasseur : Qui succèdera au bon Père ?
Craignant d’être obligé de lui succéder, il
interroge Libermann : « Abandonnez-vous
à la volonté de Dieu ».
Frédéric insiste : « Laissez-moi
deux jours de réflexion et de prière ».
Le 28 Janvier, Libermann voit le P. Schwindenhammer : « C’est
vous qui devez vous sacrifier ».
Soulagement pour Frédéric, mais résignation pour
l’autre : respectueuse et unanime soumission par la
Famille Religieuse.
Le 2 Février
1852, pendant le chant du Magnificat, le
Vénéré Père remet son âme au
Seigneur après avoir dit : « Pauvre
Guinée » - « Dieu,
c’est tout : l’homme, c’est rien »
- « Ferveur – Charité – Sacrifice, mais
surtout la charité ».
Frédéric Le Vavasseur a le privilège douloureux
de lui fermer pieusement les yeux.
Avec le T.R.P. Ignace Schwindenhammer
Dans l’existence du P. Le
Vavasseur se poursuit l’union de deux natures opposées.
Ignace Schwinderhammer, né en 1818, est un homme au
tempérament froid et réservé, sans manquer de
jugement et de charité. Frédéric va d’abord
le remplacer à Notre-Dame du Gard au Noviciat des clercs et
des frères.
Le projet de Sœurs
Missionnaires le hantait pour répondre aux familles
chrétiennes des colonies, à l’attente et à
la formation de sœurs indigènes. Il entretient des
relations avec les Sœurs de l’Immaculée
Conception, les Sœurs Bleues de Castres,
mais sans suite immédiate. Il reste en lien avec les Sœurs
de Cluny et les Filles de Marie de la Réunion. La Providence
fait surgir un Institut des Soeurs Missionnaires du St-Esprit avec
ses statuts, mais sans lien avec les Spiritains.
5
L’
Assistant Général, dont
nous connaissons la nature ardente et généreuse,
reste exubérant et volcanique :
sa vie spirituelle le garde dans l’obéissance.
D’ailleurs la charge s’alourdit. De retour à
Paris, il est nommé Provincial et Visiteur des Maisons de
France. Le Père complète bien le P. Schwinderhammer par
ses qualités plus avenantes. Il est aussi chargé de
recueillir les documents pour une vie du Vénéré
Père. C’est à Dom Pitra que l’on confie le
soin de rédiger la première Vie du P. Libermann. Il
fait aussi les dépositions au procès de béatification
du Fondateur. Bref, Le P. Le Vavasseur s’avère un homme
de relations à la sensibilité chaleureuse.
Vers l’Abbaye de Langonnet
En vue de
la formation des Frères, le P. Le Vavasseur contacte à
Ploërmel l’Institut de Jean-Marie Lammenais qui a déjà
envoyé des Frères au Sénégal et aux
Antilles. M. Collin s’aperçoit que la Bretagne pouvait
être une terre de vocations. Or il y avait à Gourin un
Abbé Maupied, ex professeur en Sorbonne. Il y avait fondé
un petit collège dont il voulait se défaire. Après
pourparlers avec la Société de Sainte-Marie de Gourin,
les Pères du Saint-Esprit obtiennent le droit de préemption
sur l’Abbaye de Langonnet.
Aussitôt
le P. Le Vavasseur est chargé de l’affaire. Le Haras de
chevaux qui occupait l’Abbatiale serait transféré
à Hennebont. D’accord avec l’Abbé Maupied
et la Préfecture de Vannes – car Langonnet est dans le
Morbihan – l’affaire commencée en 1854 se termine
en 1857 par un Décret Impérial autorisant la
Congrégation à s’installer à l’Abbaye
de Langonnet.
La Congrégation ouvre un
collège donnant suite à celui de Gourin, que l’on
appellera « école
apostolique ». On y installe aussi
le Scolasticat de Philosophie et le Noviciat des Frères. Puis
vint l’acquisition de la ferme Kerlorois, l’hôtel
Tourne-Bride, l’Etang de Priziac et la colline de Kermainguy,
lieu du futur Saint-Michel.
Le Pénitencier de Saint-Ilan
En 1855, Le P. Le Vavasseur était
déjà sur l’affaire du pénitencier de
Saint-Ilan. Les Frères Léonistes qui en avaient la
charge acceptent de s’intégrer aux Spiritains. Le
Ministère de l’Intérieur est impressionné
par la réputation du Père dont la compétence en
matière de réforme de l’enfance coupable étonne.
On le fait même siéger à la Commission des
Colonies Pénitentiaires. Notons que plus tard, le pénitencier
aura une annexe à St-Michel de Priziac.
Le P. Le
Vavasseur n’oublie pas son île de la Réunion pour
laquelle il obtient pour un contrat de 25 ans l’ouverture d’un
pénitencier et d’une école professionnelle, au
Quartier Butor à St-Denis. Mais des émules de
l’anticléricalisme pillèrent l’œuvre.
Le Père intenta en vain un procès à
l’Administration. La Congrégation porta l’affaire
au Conseil d’Etat et la Colonie fut condamnée :
mais l’œuvre ne se relèvera pas.
Les Missions et les Oeuvres
Dans les
années 1852-1854, La Maison-Mère a des démêlés
avec Mgr. Kobés, Vicaire Apostolique de Dakar. Celui-ci porte
son effort uniquement sur la mission, sans se soucier de la vie
communautaire des missionnaires et de l’obéissance
qu’ils doivent à la Congrégation. Cela avait été
la cause de la fameuse lettre de Libermann en 1847 à la
communauté de Dakar : « Faites
vous nègres avec les nègres pour les gagner à
Jésus-Christ ». Car si l’on
sacrifiait la vie de la communauté à l’action
apostolique, il y aurait un péché originel.
Le P. Schwindenhammer était
préoccupé d’assurer l’autorité du
Supérieur Général. Le P. Le Vavasseur fut mêlé
à ces malentendus : Mgr. Kobès s’obstinait
dans son point de vue et les rapports étaient de plus en plus
tendus.
6
Il fallait fortifier la Congrégation
en France et en Europe, former de nouveaux membres tout en respectant
ses fins apostoliques. En 1850, Le P. Le Vavasseur s’occupe de
la mission de Guyane qui commence par un échec : le
premier spiritain meurt de la fièvre jaune sitôt arrivé.
On voit s’ouvrir St-Pierre et Miquelon, le Collège de
Port-au-Prince, le Collège St-Charles de la Réunion et
celui de Maurice. En France, s’ouvre l’orphelinat de
Cellule (Puy de Dôme) auquel s’ajoute un Noviciat des
Frères et une école apostolique.
En 1868, le P. Schwinderhammer tombe
gravement malade. Et pendant quelques mois, Frédéric
doit assurer la charge. En 1870, la guerre franco-allemande vient
compliquer les choses avec l’évacuation de Chevilly –
acquis depuis 1864 - vers la Bretagne. Le 4 Septembre, c’est la
proclamation de la III° République. Durant la Commune, il
y a perquisition de la Maison-Mère : Mgr. Darbois est
exécuté avec quarante prêtres.
Le P. Le Vavasseur aura donc eu, en
France, une activité débordante. Quoi qu’il en
soit de son caractère, son humilité et son obéissance
sont à louer : la grâce compose toujours avec la
nature. Notons aussi que le Père prêcha beaucoup de
retraites pour ne pas oublier son don d’exceptionnel orateur.
Il ne reverra ni Bourbon, ni l’Afrique, mais son zèle
est aussi éloquent.
Vers une éternité de bonheur
En Octobre 1880, le sursis accordé
au P. Schwindenhammer s’achève après 28 ans de
loyaux services. Avec lui, l’Institut fondé par le
Vénérable Libermann est devenue une Congrégation
Religieuse avec les trois vœux de pauvreté, chasteté
et obéissance.
Le 11 Janvier 1881, il reçoit
l’extrême-onction et il meurt le 6 Mars. Dès le 10
Mars, l’élection de P. Le Vavasseur se fait à
l’unanimité, confirmée par Rome au mois d’Août
suivant. Les PP. Collin et Emonet, son futur successeur, sont ses
Assistants.
Mais dès Octobre 1881, la
maladie terrasse le nouveau Supérieur Général.
On lui confère l’extrême onction avant Noël :
« Je meurs content et heureux »,
dit-il. Le 27 Décembre, on lui apprend le décès
de sa chère maman qui vivait à Maurice. Son agonie dure
jusqu’à la mi-janvier et il exhorte encore la
communauté : « Voilà
le véritable amour de Dieu : amour du sacrifice, amour de
la croix.. »
Dans la
nuit du 16 au 17 Janvier 1882, le Très Révérend
Père Le Vavasseur entre dans son repos éternel. Sa
dépouille mortelle rejoindra à Chevilly celles du
Vénéré Père et de son prédécesseur.
Comme les trois disciples, François Libermann, Ignace
Schwindenhammer et Frédéric Le Vavasseur ont gravi le
Mont de la Transfiguration par la ferveur, la charité et le
sacrifice. Nous, leurs fils, nous en rendons grâce en attendant
de les retrouver dans la gloire : Dieu en soit loué à
Jamais.
P.
Paul UZEL.
B
i b l i o g r a p h i e
Mgr. Alexandre LE
ROY : Le T.R.P. Frédéric Le Vavasseur.
Père Albert
DAVID : Notre-Dame de Langonnet. (Vermault – 1936)
Professeur Prosper
EVE : Du torchis à la pierre.
:
Mère Marie Magdeleine de la Croix.
: Dialogue
avec Marie Françoise Aimée.
: Le
Chemin de Perfection (Notes intimes)