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UNE EGLISE SANS EUCHARISTIE ?

On enseigne que l'eucharistie est le sommet de la vie chrétienne. Et que les chrétiens ont besoin de la messe et de la communion.
Mais pourtant on connaît des communautés chrétiennes (des Eglises) qui ont maintenu leur foi pendant des siècles sans prêtres et sans eucharistie, par exemple en Corée ou au Japon.
Moi-même, en 1996, j'ai été appelé à rouvrir la grande paroisse de Mongo dans la Guinée forestière qui était restée sans prêtre pendant 30 ans, suite à l'expulsion des missionnaires par Sékou Touré en 1967. Ce sont les catéchistes et les autres laïcs qui ont soutenu la vie des communautés chrétiennes pendant tout ce temps-là.
Même dans des situations plus normales, nous nous sommes souvent retrouvés à 2 prêtres dans des secteurs étendus où les conditions de déplacement étaient très difficiles, chargés d'une cinquantaine de communautés chrétiennes de villages. Il n'était évidemment pas question de célébrer 50 eucharisties chaque dimanche dans des endroits très distants. Dans chaque communauté regroupant environ une dizaine de villages, c'était le catéchiste qui animait la prière du dimanche, de même que la catéchèse et la préparation aux sacrements, au sein d'une équipe de responsables qui assuraient la bonne marche de la communauté et son engagement dans la vie sociale. C'était la situation de presque tous les prêtres travaillant en secteur rural en Afrique noire, et cela continue jusqu'à aujourd'hui. Personnellement, j'ai connu cela aussi bien en secteur rural à Linzolo et Kindamba au Congo Brazzaville, à Tambacounda et dans les Terres Neuves au Sénégal, ou dans les camps de réfugiés en Guinée Conakry.
Ce sont ces communautés animées par les laïcs, qui ont fait vivre et grandir l'Eglise et permis sa participation au développement des différents pays, en particulier depuis les indépendances.
Bien sûr cela a demandé une organisation sérieuse et des formations solides des différents responsables avec des sessions et des rencontres. On ne pouvait pas passer plus d'une fois par trimestre dans chaque communauté. Mais à chaque fois, c'était l'occasion non seulement de célébrer l'eucharistie, de confesser, de baptiser et de célébrer les mariages, mais aussi d'assurer un temps de formation de l'ensemble des chrétiens et catéchumènes souvent la nuit en veillée, et le matin après l'eucharistie une évaluation de la vie de la communauté et la préparation des mois à venir, tous ensemble puis d'une façon plus précise avec les responsables. Et on prévoyait une grande rencontre festive par secteur à l'occasion de Noel, Pâques et la Pentecôte.
Cela a été vécu simplement dans la vie de chaque jour, sans faire de grands discours. Mais je suis très heureux que cette question de l'eucharistie soit posée d'une façon officielle et approfondie suite au synode sur l'Amazonie et la publication de Querida Amazonia.
-L'arrivée du Coronavirus a posé cette question d'une façon nouvelle dans les pays occidentaux. La réponse souvent apportée est celle de la prière en famille et de la communion spirituelle. Ce qui me frappe c'est l'absence de communautés chrétiennes de base (CCB). Si la vie paroissiale est impossible, il ne reste plus que la famille et la prière personnelle. A mon avis, c'est une conséquence des oppositions passées entre chrétiens, en particulier adeptes de l'action catholique et des groupes charismatiques. Et les deux sont en perte de vitesse. Il manque la présence et la vie de ces CCB regroupant localement dans un quartier ou un village tous les chrétiens : enfants, jeunes et adultes, point de départ d'une vraie communion entre tous. Bien sûr, cela demande de lutter contre le cléricalisme : que les prêtres ne cherchent pas à tout diriger, mais donnent leur place et leurs responsabilités aux laïcs. Mais aussi chercher la décléricalisation des laîcs : qu'ils ne se déchargent pas de leurs responsabilités sur les prêtres en attendant tout d'eux, mais qu'ils s'engagent et s'organisent en communautés agissantes et responsables.
On parle aussi beaucoup de communion spirituelle. C'est important, mais ce n'est finalement qu'une prière. Elle a toute sa valeur. Mais il ne faudrait pas oublier la communion vécue dans la communauté. Jésus disait : " quand 2 ou 3 sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux ". La prière et le pardon, la miséricorde et la réconciliation sont ainsi vécues dans la communauté. Mais aussi la correction fraternelle et la recherche de la brebis égarée, et donc la conversion et l'évangélisation (Mat 18, 12-22). C'est tout cela qui a permis la vie et l'action de l'Eglise dans le passé, et aujourd'hui encore dans de nombreux pays.
Face à ce problèmes de manque de prêtres et donc de célébrations, la solution prise par plusieurs évêques occidentaux a été de faire appel à des prêtres d'Afrique, d'Amérique du sud ou d'Asie. Ce ne peut pas être une solution à long terme. D'ailleurs elle est en train de s'épuiser. C'est à chaque Eglise de prendre ses responsabilités et de chercher des solutions à ses problèmes adaptées et efficaces selon la culture et la situation locale.
Pendant la croissance de la pandémie, il y a eu comme une distinction dans l'Eglise, entre les prêtres qui continuaient à célébrer l'eucharistie et à communier, de même qu'un certain nombre de communautés religieuses où les aumôniers continuaient à venir célébrer, et les chrétiens laïcs qui n'avaient pas cette possibilité. Il ne faudrait pas que cette pandémie amène une séparation et une différentiation dans l'Eglise, mais au contraire que la fin de la pandémie soit l'occasion de resserrer les liens en valorisant la vocation de chacun pour construire le Royaume de Dieu avec tous.
L'arrivée du coronavirus est une grâce pour l'Eglise, pour prendre conscience de cela et d'en tirer les conclusions nécessaires.
P. Armel Duteil




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