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L’INCULTURATION

Notes prises au cours d’une émission à la télévision sur ce thème

Qu’est-ce que l’inculturation ? Le mot inculturation comprend deux parties : « in » et « culture ». (In), cela veut dire (dans). L’inculturation c’est donc faire entrer quelque chose dans la culture. Pour nous chrétien, l’inculturation c’est faire entrer l’Evangile dans les cultures pour les éclairer à partir de la Parole de Dieu. Dans l’Eglise, l’inculturation va dans les deux sens. Il s’agit d’enraciner l’Evangile dans la culture. Mais aussi d’éclairer et de transformer la façon de vivre l’Evangile à partir des valeurs culturelles, dans un milieu déterminé. Enrichir la façon de vivre l’Evangile par les cultures locales.


Qu’est-ce que la culture ? La culture c’est plus que les coutumes ou les façons de vivre d’un peuple ou d’une société. C’est le but de la vie, et le sens que l’on donne à ce que l’on vit, et aussi la conception de la mort. Cela est marqué par la façon de vivre ensemble et surtout par les valeurs. Ainsi, il y a ce qu’on appelle les valeurs traditionnelles : le sens de l’honneur, le sens de la communauté, l’accueil de l’étranger, etc.C’est donc tout l’ensemble des idées qui font la vie en société, ce que l’on peut appeler aussi la civilisation.


Le fondement de l’inculturation c’est Jésus Christ lui-même. Jésus a été un homme de son peuple, un vrai juif, respectant non seulement sa religion mais aussi sa culture et même ses coutumes traditionnelles. Mais en même temps, quelqu’un qui a transformé en profondeur la culture à partir de l’Evangile. Il n’a pas eu peur d’affirmer : « les anciens vous ont dit, moi je vous dis ». Et de donner un sens beaucoup plus profond aux dix commandements de Dieu, dans le Discours sur la montagne (Matthieu 5 à 7). Et aussi par exemple pour retrouver le vrai sens du mariage, dans sa discussion avec les pharisiens (Matthieu 19). Les pharisiens lui disent : Moïse a permis à l’homme d’écrire une lettre de divorce, pour renvoyer sa femme. Jésus défend la dignité et le respect de la femme. Et Il le fait en renvoyant aux origines donc aux valeurs traditionnelles en disant : « Au commencement, il n’en était pas ainsi ». Il revient donc à la Parole de Dieu depuis le début du monde. Et à ce que Dieu a voulu pour le mariage. La nouvelle façon que Jésus propose de vivre toutes les cultures, ce sont bien sûr les Béatitudes (Matthieu de 5 à 12). Jésus nous appelle donc à être des hommes et des femmes pleinement de notre peuple, vivant le mieux possible notre culture mais dans l’esprit de l’Evangile. Et en cherchant ce que Dieu a voulu profondément pour nous.


-Une question : Est-ce que la culture est une bonne terre, pour la Parole de Dieu ? Oui bien sûr, puisque c’est Dieu qui a créé l’homme. Et Il a créé l’homme pour vivre en société. La culture vient donc de Dieu. Mais la société est marquée par le péché. C’est pourquoi, l’homme a besoin de se convertir, de changer son cœur et sa façon de vivre. Et la culture a besoin d’être transformée en profondeur par l’Evangile.


Comment vivre les valeurs traditionnelles dans le monde actuel ? Et pour les chrétiens, en vivant le mieux possible l’Evangile. En effet, nous ne vivons plus comme autrefois. Le problème c’est de voir d’abord comment vivre nos valeurs culturelles dans le monde moderne actuel. Par exemple, pour l’hospitalité et la dimension communautaire. Lorsqu’on habitait au village on avait de la place, on avait une grande cour, on pouvait accueillir une cinquantaine de personnes sans problème. Mais lorsqu’on habite au 4ème étage dans un deux pièces cela n’est plus possible. De même, un proverbe dit : « Quand tu reçois un étranger ou un parent, tu le nourris le premier jour. Le deuxième jour, tu lui donnes une houe pour qu’il vienne travailler au champ avec toi ». Cela était possible autrefois, lorsque tout le monde était paysan. Mais si maintenant tu es par exemple chirurgien, tu ne peux pas amener ton neveu avec toi pour faire des opérations à l’hôpital : il va tuer tout le monde. Pourtant, nous ne pouvons pas vivre sans avoir une culture, et il est essentiel de garder les valeurs traditionnelles qui sont les nôtres. Alors comment garder, par exemple, l’hospitalité, le respect de l’étranger et le sens communautaire dans le monde actuel ? Comment être de vrais sénégalais qui garaent nos valeurs traditionnelles, mais des sénégalais modernes, ouverts aux valeurs actuelles. Et en même temps des sénégalais chrétiens, lorsque c’est le cas. Nous n’avons pas de solution toute faite. Autrefois, il suffisait de vivre comme ceux qui nous avaient précédés, il n’y avait plus de problème. Mais maintenant le monde a changé, on ne peut plus vivre comme autrefois. Alors, que faire ? Il nous faut chercher ensemble. Nous n’avons pas de modèle à suivre. C‘est pourquoi beaucoup de gens se sentent perdus, et ne savent plus comment vivre.Ce sont d’ailleurs plutôt des valeurs rurales. Elles étaient vécues également dans les autres continents, dans le monde rural. Ce serait donc important de vivre cette recherche, ensemble avec les autres pays du monde.
Une première étape, c’est déjà de vivre ensemble nos valeurs traditionnelles africaines. Car, par exemple au Sénégal, il y a plusieurs cultures, une propre à chaque ethnie : diola, sérère, ouolof, toucouleur, mancagne, peulh, bambara etc. Mais il y a quand même une base commune, des valeurs qui sont reconnues par chacun, et des proverbes que l’on rencontre dans ces différentes ethnies. Il est donc possible de vivre ensemble des valeurs que l’on appelle africaines. Pour vivre ensemble les valeurs des différentes cultures du pays, l’un des premiers moyens pour les chrétiens c’est la CEB, la Communauté Ecclésiale de Base. En effet, dans la communauté chrétienne de quartier, on retrouve des gens des différentes ethnies qui se retrouvent ensemble, prient ensemble et cherchent ensemble à répondre à la volonté de Dieu. Il y a là une base très importante pour vivre nos valeurs traditionnelles inter africaines dans la foi. Mais cela demande bien sûr le respect de l’autre, dans sa culture et dans sa différence.
Nous ne pouvons pas rester enfermés dans notre culture particulière. Car maintenant nous vivons au niveau international, aux dimensions du monde. Nous sommes marqués par le monde extérieur,avec tout ce qui nous arrive par la radio, la télévision, les artistes mais aussi le développement économique. Il y a deux choses à faire. D’abord faire un tri, voir ce qu’il y a de positif et de valable pour nous, pour l’accueillir. Mais rejeter ce qui nous semble négatif, et peut nous ramener en arrière ou casser notre culture. Cela demande un effort de réflexion important. Dans une deuxième étape, voir comment vivre ces valeurs dans notre société à nous,selon notre propre culture, donc à notre manière. Il ne s’agit pas de copier matériellement, et même bêtement les façons de vivre de l’Europe, de l’Asie ou de l’Amérique. Mais très souvent, pour raisons de facilité, par laisser aller ou par soif du pouvoir et de l’argent, on a souvent tendance à prendre dans les autres cultures, non pas ce qu’il y a de meilleur car c’est exigeant, mais ce qu’il y a de moins bon. C’est dans ce sens que j’ai parlé de tri, sur ce qui vient de l’extérieur. Il est donc important de rentrer en soi-même. Cela est vrai en particulier pour les jeunes, spécialement au moment de l’adolescence. Ils tendent à copier ce qui vient de l’extérieur : les manières de s’habiller, de chanter, de danser et de vivre. Il s’agit de réfléchir sérieusement, de descendre en profondeur jusqu’au fond de notre cœur pour nous demander, qu’est-ce que nous cherchons vraiment ? Et qu’est-ce qui va nous rendre vraiment heureux ?


Il n’est pas question de faire de l’ »anthropologie » ou du retour en arrière, pour vouloir vivre comme autrefois. D’ailleurs la vie moderne a beaucoup d’avantages, dont il est important de profiter. Il ne faut pas non plus rêver, ou idéaliser le monde traditionnel. Ainsi, on dit souvent qu’en Afrique on respecte la vie. Mais on voit qu’actuellement, il y a de nombreux avortements et même des infanticides. De même, on disait que la femme était respectée, mais il y a beaucoup de violences contre les femmes, et de viols sur les jeunes filles, et même les femmes mariées. On ne peut donc pas se contenter d’incantations et de grands discours sur les sociétés traditionnelles, il s’agit de chercher comment éduquer, responsabiliser et conscientiser les gens : qu’ils vivent ces valeurs traditionnelles dans le monde actuel et luttent contre tout ce qui tend à tuer ces valeurs traditionnelles. Pourtant, ces valeurs restent au fond de notre cœur, c’est le désir profond de ce que nous cherchons. Ce qu’il faut c’est les réveiller, et voir comment les vivre aujourd’hui.


Pour les chrétiens, c’est là que nous retrouvons l’importance de la prière. Non seulement réciter des prières, mais écouter le Saint-Esprit dans notre cœur. Et Lui demander de nous montrer comment vivre en homme de notre temps, mais aussi en homme de notre peuple, et en vrai chrétien d’aujourd’hui, comme Il le désire. Jésus disait : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jean 14,6). EtIl ajoutait : « La Vérité vous rendra libre »(Jean 8,2).Prenons un seul exemple. Dans la société traditionnelle, les rêves ont une très grande importance. Faut-il tenir compte de ces rêves, et comment les interpréter ? Paul nous en donne les moyens quand il parle des fruits de l’esprit (Galates 5, 22) : « ce que l’Esprit Saint produit c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la fidélité, la douceur et la maîtrise de soi. » Si je fais un rêve, je me demande : est-ce que ce rêve m’apporte la paix ? Ce qu’il me demande, est-ce l’amour ? Est-ce qu’il me donne la maîtrise de moi-même, ou au contraire il me conduit dans la peur, les accusations des autres ou des mauvaises choses ? S’il me demande l’amour, et m’apporte la paix et la maîtrise de moi, il vient de Dieu. Je cherche alors à faire ce à quoi ce rêve m’appelle, en essayant de l’interpréter selon la volonté de Dieu. Mais s’il m’enlève la paix et la maîtrise de moi, s’il me demande des choses qui sont contre l’amour, alors ce rêve ne vient pas de Dieu. C’est ainsi que dans les différents domaines, la Parole de Dieu nous permet de faire la vérité, d’éclairer notre culture et de savoir comment nous conduire.

Inculturer nos communautés chrétiennes : Depuis le Concile Vatican 2, on parle de l’inculturation. Le Pape Jean Paul II en particulier y a beaucoup insisté, mais en faisant remarquer qu’il faut beaucoup de sagesse pour y arriver, et beaucoup de temps. Car c’est un chemin difficile. Jusqu’à maintenant,l’inculturation se limite trop souvent aux chants et aux danses dans la liturgie. Est-ce qu’on ne doit pas aller plus loin ? L’inculturation doit se vivre d’abord dans la CEB, la communauté chrétienne de quartier. Il est important de tenir nos réunions, comme les anciens nous l’ont appris dans le palabre, en donnant la parole à tous, en donnant leur place aux sages et aux conseillers, et en organisant l’animation de la CEB. C’est ainsi que nous avons mis en place une équipe d’animation de la CEB composée de quatre personnes, et non pas seulement un président. Quelles sont ces quatre personnes ? Ce sont un homme et une femme, un jeune homme et une jeune fille. Pourquoi cela ? Pour respecter l’organisation traditionnelle en classe d’âge, et aussi la séparation sexuelle traditionnelle des hommes et des femmes. Pour que chaque groupe puisse apporter ses propositions et s’organiser pour prendre ses responsabilités.
Pour en revenir à l’Eucharistie, j’ai connu au Congo la mise en place de ce qu’on a appelé ensuite le rite zaïrois, c’est-à-dire la célébration de l’Eucharistie en suivant la démarche de la rencontre traditionnelle au village, et en famille. Dans les rencontres traditionnelles au village, d’abord on se salue, puis on se donne les nouvelles, ensuite on se réconcilie. C’est seulement ensuite que l’on offre le sacrifice traditionnel aux ancêtres, et que l’on mange ensemble l’animal sacrifié. Les rites zaïrois et congolais reprenaient cette démarche. D’abord l’accueil au début de l’Eucharistie, avec le « Je crois en Dieu », pour se rappeler notre foi et pourquoi on est là. Ensuitele partage de la Parole de Dieu. Et seulement après, la prière pénitentielle, la réconciliation, à partir de cette Parole de Dieu que l’on a entendu. Lorsqu’on s’est réconcilié, alors on peut offrir le sacrifice.
Au Congo, j’ai également participé à la mise en place des scholas populaires. Qu’est-ce que c’est ? Il ne s’agit pas de chorale chantant à la messe des chants polyphoniques, mais des chorales populaires composées de gens pour la plupart analphabètes. Ils chantent tous ensemble par cœur, des chants composés spécialement pour animer les rites de naissance, les mariages traditionnels, les veillées mortuaires, les levées de deuil, et autres cérémonies traditionnelles. Cela dans le but d’évangéliser. Et de remplacer, par exemple, les chants traditionnels au moment de la mort, qui étaient des chants d’accusation pour rechercher les coupables de cette mort, par des chants de confiance, de paix et de foi. Ces scholas populaires ont énormément travaillé pour le changement de mentalités, l’évolution de la culture, et l’évangélisation. Et pour faire grandir la foi.


Dans les CEB, il est important également de faire un véritable partage de la Parole de Dieu. Alors que trop souvent ce que l’on appelle partage d’évangile est remplacé par un discours ou une conférence du président, faite en français. Ce dont il s’agit, c’est que chacun puisse dire ce qu’il comprend de la Parole de Dieu du jour, quel que soit son âge. Et dans sa propre langue, s’il ne possède pas bien le français. Là aussi se situe le problème. Par exemple, je ne comprends pas qu’à Dakar il n’y ait pratiquement pas de messe en wolof. On ne peut pas célébrer la messe dans les différentes langues du Sénégal,mais le wolof est devenu la langue populaire de tout le monde, alors que beaucoup de gens ne possèdent pas vraiment le français. Pourquoi continue-t-on à célébrer les messes seulement en français ?


Et pas seulement les messes, mais aussi les sacrements. Ainsi on célèbre les baptêmes, les mariages et les enterrements non seulement en français, mais avec le rituel français, en oubliant, et donc en méprisant totalement nos rites et nos traditions, et toutes nos richesses culturelles. Alors que des choses très simples pourraient déjà se faire. Ne serait-ce qu’au lieu de mettre un tissu noir sur le cercueil, mettre un pagne mandjaque, si c’est quelqu’un de cette ethnie. Mais nous restons à l’extérieur des choses. C’est pour cela que souvent, au moment des enterrements même chrétiens, on passe d’abord à la maison. On y fait un sacrifice traditionnel où l’on tue un animal, lorsque ça ne va pas jusqu’aux accusations et à la recherche de celui qui est le responsable de la mort, avant de venir à l’église. Que signifie alors notre célébration ? Après l’enterrement, les gens viennent aux condoléances. Et quand ils ont fini de manger, ils s’en vont en laissant la famille non seulement très appauvrie à cause de toutes ces dépenses énormes, mais aussi abandonnée à elle-même. Comme si ces chrétiens ne faisaient pas partie de la famille chrétienne, qu’est la CEB. Et ce sont souvent là aussi les disputes pour l’héritage, les souffrances imposées aux veuves, les enfants qui sont renvoyés, etc. Nous avons demandé à nos CEB d’envoyer l’une ou l’autre personne chaque jour après l’enterrement, pour prier, parler et consoler les personnes en deuil. Pour qu’elles puissent vivre ce deuil dans le respect de leurs traditions, mais en rejetant ce qui est contre l’amour et la paix. Et en vivant ce deuil comme l’Evangile nous le demande. Cette réflexion n’est pas vraie seulement pour les CEB, mais pour tous les groupes et mouvements chrétiens. Ainsi, nous avons lancé un groupe de réflexion au sujet des veuves, en lien avec le Conseil Paroissial et l’Association des Femmes Catholiques (malheureusement, il n’y a pas d’Association des Hommes Catholiques !). Car même si les coutumes sont différentes d’après les ethnies, dans la plupart des ethnies on fait souffrir les veuves. Il est important de christianiser et de faire évoluer ces coutumes.


De même, au moment du mariage, nous demandons à chaque famille d’introduire les futurs mariés un par un dans l’Eglise, mais aussi de leur donner des conseils et ensuite leur donner la bénédiction traditionnelle dans leur propre langue. Pour bien montrer qu’ils acceptent ce mariage et qu’ils vont le soutenir. Car le mariage ce n’est pas seulement l’union d’un homme et d’une femme, c’est l’union de deux familles. Il est important que l’alliance traditionnelle faite au moment du mariage coutumier soit reconnue, valorisée et évangélisée, et donc bénie et consacrée, au moment du sacrement de mariage. De même à l’offertoire, nous demandons au mari de remettre une calebasse à sa femme, avec un certain nombre d’objets qu’il a mis dedans, pour montrer sa volonté de prendre en charge sa femme et de l’aimer. Et ensuite, la femme va déposer cette calebasse au pied de l’autel, pour montrer qu’ils veulent vivre leur mariage dans la foi. Il y a ainsi de nombreux gestes simples et rites traditionnels pleins de sens, que l’on peut reprendre. Et qui enrichiraient énormément notre liturgie et lui donneraient un sens beaucoup plus profond, et plus parlant à tous (voir l’autre document).


C’est pour cela que nous avons composé également un livre de célébration pour la naissance, le mariage coutumier et les fiançailles, les prières pour les malades, les enterrements, les prières pour les veuves, etc. Car la plupart de temps, les chrétiens célèbrent la naissance selon les rites traditionnels de leur ethnie, sans même lire une Parole de Dieu, et sans une prière chrétienne. Et sans inviter la famille chrétienne du quartier (la CEB). Pourtant nos évêques aux cours des 2 synodes spéciaux pour l’Afrique ont bien insisté, en disant que l’Eglise est une famille, la famille des enfants de Dieu. On attend le baptême pour prier pour l’enfant, alors que parfois il a déjà trois à quatre ans, et qu’il n’a été ni béni à la naissance, ni éduquer dans la foi. C’est la même chose pour le mariage traditionnelle : il n’y a pas de rencontre chrétienne, la CEB n’est pas présente, ni même au moment des fiançailles. Il n’y a pas de prières, ni d’enseignement à partir de la Parole de Dieu, Les fiancés vivent selon leurs coutumes. Et c’est seulement quand ils seront prêts à faire le mariage religieux, souvent après plusieurs années, qu’on va voir comment christianiser leur vie de couple et leur vie de famille. C’est trop tard, ils ont déjà pris leurs habitudes.

A cause de ce manque d’inculturation, les chrétiens ne comprennent pas non plus le sens du sacrifice de la messe. Alors que le sacrifice a une place très importante dans la religion et la vie traditionnelle. Pourtant l’épître aux Hébreux est claire à ce niveau-là. Dans le sacrifice traditionnel on tuait un animal, on offrait le sang aux ancêtres parce que la vie vient des ancêtres, et on mangeait l’animal ensemble en signe de communion. N’est-ce pas important que les chrétiens comprennent que manger le poulet, la chèvre ou la vache sacrifiée ensemble peut remplir notre ventre, mais que ce qui peut nourrir notre cœur et notre vie, c’est seulement le Corps du Christ. Et que c’est seulement le Corps du Christ, qui peut mettre une vraie communion entre nous. De même que le sang qui était versé dans les sacrifices traditionnels, comme d’ailleurs dans les sacrifices d’Israël juif autrefois, ce sang-là ne peut pas nous laver de nos péchés. Mais seulement le sang que le Christ a versé sur la croix. Le sacrifice qui nous sauve c’est le sacrifice de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, l’Eucharistie. Mais faut-il encore comprendre que l’Eucharistie est un sacrifice, et le sacrifice de Jésus lui-même. Pour beaucoup de chrétiens, la messe c’est seulement une prière, où certains privilégiés reçoivent la communion. Ce n’est pas un sacrifice.


L’enseignement de l’Eglise : Pour une véritable inculturation, il serait important de voir comment vivre la Doctrine Sociale de l’Eglise, à la fois dans notre culture traditionnelle et dans notre société africaine actuelle. Et ne pas se contenter de citer des textes venus de Rome, sans les adapter, les inculturer et les enraciner. Cela est vrai d’abord pour la catéchèse, surtout lorsqu’elle est enseignée dans les écoles avec des interrogations et des compositions, comme une matière scolaire semblable au français ou à la géographie. Alors que la catéchèse doit être une initiation, dans une classe d’âge, et une découverte de Jésus Christ pour l’aimer et vivre avec Lui. C’est bien pour cela que le Concile Vatican 2 a rétabli les étapes du baptême. Encore faudrait-il chercher comment les valoriser davantage, et les vivre dans notre culture, pour que la catéchèse soit une véritable initiation, qui était essentielle dans nos cultures et la vie de la société. Et non pas comme un simple enseignement et une simple connaissance. Cela suppose bien sûr que la CEB soit responsable de cette initiation, et pas le catéchiste tout seul, comme un enseignant. L’initiation était vécue par toute la communauté traditionnelle. L’initiation chrétienne doit être vécue dans la CEB, les catéchumènes participant aux réunions de CEB, étant conseillés et soutenus par les membres de la CEB, et en particulier les parents, les parrains et les marraines. Et ce sont les membres de la CEB qui doivent aussi les admettre aux étapes et aux sacrements. Et non pas les catéchistes seuls, à partir d’une interrogation écrite. Etant bien évident que les parents et les parrains participent aussi à la vie et aux activités de cette CEB.
Bien sûr, encore une fois il y aura des choses à changer et à faire évaluer, et surtout à évangéliser. Par exemple, les bénédictions sont traditionnelles dans le monde culturel africain. C’est le signe d’une certaine confiance en Dieu, mais qui peut aller jusqu’au manque de responsabilité. Trop souvent on dit : « si Dieu le veut », ou bien : « c’est Dieu qui l’a voulu ». Mais même dans la culture traditionnelle, il y a des choses sur lesquelles nous pouvons nous appuyer, pour sortir du fatalisme ou de la passivité. Un proverbe ouolof dit : « Ne te contente pas de demander à Dieu, cultive ton champ ». Et un autre dit : « Si tu veux que l’on t’aide, on doit te trouver au travail ». De même souvent, dans nos mouvements et nos associations, c’est un seul qui veut diriger en disant : je suis le chef. Mais dans la culture traditionnelle, le chef ne commandait jamais tout seul. Il était toujours entouré d’un conseil des anciens, dont il tenait compte. Ce sont des choses comme cela qui sont importantes, et qu’il faut retrouver dans l’Eglise, pour éviter le cléricalisme. Pas seulement des prêtres, mais aussi de certains catéchistes, et responsables de CEB ou de mouvements. Il y aurait encore beaucoup trop de choses à dire. A chacun de continuer sa réflexion en communauté, avec les autres.


Enracinement et ouverture,dont parlait le président Senghor. Prenons quelques exemples : au niveau de l’amitié, des jeunes dès le CM2 cherchent à avoir leur copain et leur copine. D’un côté, cela permet de découvrir une amitié mixte, et donc de se préparer à une vie de couple vécue dans un véritable échange entre mari et femme : partage des idées et soutien dans les actions. Mais d’un autre côté, limiter ses relations à un copain ou une copine au moment de l’adolescence, n’est-ce pas un appauvrissement et une perte de la dimension communautaire, qui est tellement importante dans le reste de la vie. C’était la raison des classes d’âge.Beaucoup de jeunes actuellement utilisent Face Book. C’est un progrès, cela permet des relations et une ouverture au monde. Mais pourquoi trop souvent l’utilisent-ils ? Je ne parle pas ici de pornographie, mais c’est trop souvent pour envoyer des messages superficiels : salut, comment ça va, j’aime, amen, sois béni etc. Et non pas pour un véritable partage des idées. Ou simplement pour faire passer des photos, où l’on se montre comme des stars pour avoir l’air le plus beau possible, et se faire admirer. Avec comme réponse, des commentaires admiratifs absolument faux et creux. Les réseaux sociaux peuvent être une opportunité très bonne, à condition que l’on sache les utiliser aussi pour un enrichissement, et en gardant nos valeurs. De même pour l’éducation sexuelle. Actuellement on parle partout de la sexualité,sans rien cacher et même souvent sans respect. Dans la société traditionnelle, par respect justement, on ne parlait pas de ces choses-là. Ne faudrait-il pas unir les deux attitudes : donner une véritable éducation sexuelle, pas seulement une information, et qu’elle se fasse dans le respect, comme dans la tradition. Bien sûr, cette éducation sexuelle se faisait au niveau de l’initiation, dans les classes d’âge. Et aussi souvent dans la famille par les oncles, les tantes ou les grands-parents, pas par le père et la mère. Il faut qu’ils s’y mettent ! Il y a certainement là quelque chose de nouveau à chercher.Il y aurait encore beaucoup trop de choses à dire. A chacun de continuer sa réflexion en communauté, avec les autres. A la lumière de l’Esprit Saint.

Père Armel Duteil




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