[inédit]
(Entretien avec
Placide Mandona)
S’ENRACINER
EN DIEU POUR VIVRE HEUREUX
Foi
et parcours missionnaire en Dieu, par Dieu et
pour Dieu
L’
Harmattan
PENSEE
D’OUVERTURE :
« Quand
j’ignore Dieu, je vieillis, mais quand je m’accroche
à Lui, je me rajeunis de plus. Telle est
ma conviction la plus intime et la plus évidente, bref, ma
théologie sans quiproquo»
Placide
Mandona
Liminaire
Missionnaire
incontestable, serviteur infatigable, prêtre disponible,
affranchi des banalités quotidiennes, tels pourraient être
les expressions à utiliser lorsqu’on veut parler du père
Armel Duteil. Oui, il s’agit d’un
prêtre catholique, d’un missionnaire claquemuré en
Dieu et en sa Bonne Nouvelle, d’un personnage religieux
atypique, d’une aventure missionnaire hétérogène
où s’entrecroise un programme de vie et
de foi fondé en Celui qui donne à chaque être son
essence et son existence. Voilà le résumé d’une
vie pleinement consacrée à Dieu et à son peuple,
voilà ce que j’ai toujours entendu dire lorsque je
fréquentais, jadis, et fréquente ce religieux
missionnaire, voilà ce que d’aucuns tenteraient de dire,
à chaque instant qu’ils voient ce missionnaire usé
par un vélo qui date (…). Cela pour exprimer avec
virulence l’enracinement en Dieu.
Certes,
lorsqu’on prend Dieu au sérieux, tout donne l’impression
d’avoir vaincu les guerres à venir, les attaques
farfelues, la crise de la foi comme toutes les autres formes de
crise. Armel le sait si bien et tente de le vivre malgré ses
infirmités de tout homme faillible, de tout homme qui vit non
seulement pour Dieu, mais aussi en Dieu et par Dieu. Pourrait se
manifester ici un schéma exégétique du chemin,
de la vérité et de la vie au sens faible de
l’entendement. La véritable vie ne se trouve qu’en
Dieu, il est le commencement sans commencement, le commencement de
tout commencement, la fin sans fin, bref, la vie dans sa plénitude,
la gloire dans sa célébrissime expression, l’amour
dans son sens plénier. Aimer Dieu, c’est aussi accepter
l’autre comme visage (Lévinas), l’autre comme
frère, l’autre dans sa posture indigente, l’autre
dans ses doutes et sa foi. C’est une des leçons
pratiques que connaissent ceux qui fréquentent ce vaillant
prêtre de Dieu qui se refuse tout le luxe mondain pour se
consacrer à son vieux vélo pastoral dans les rues et
ruelles de son Sénégal, de sa Guinée, de son
Libéria, de son Congo et de sa France natale qu’il
revoit rarement. S’enraciner en Dieu pour vivre heureux, c’est
proclamer la confiance en cette acclamation solennelle de Saint
Paul : « Qui pourra nous séparer de l’amour
de Dieu ? ». Rien ! Absolument rien ! En
tout nous sommes vainqueurs grâce à ce Jésus
voie, vérité et vie. C’est sur la base de cette
confiance que ce français quittera son pays pour des aventures
africaines en République du Congo pour une pastorale en
profondeur, au Libéria pour une pastorale auprès des
milliers des réfugiés, en Guinée pour la
promotion de la justice sociale, de la paix et du développement,
au Sénégal pour le dialogue islamo-chrétien, la
pastorale de la prison mais aussi pour la quête du
développement de ceux qui vivent en dessous du seuil de
pauvreté et peut être demain au ciel pour rendre gloire
à Dieu ad vitam aeternam.
Missionnaire, c’est cela. « Soyez missionnaire, rien
que cela » (Charles Cardinal Lavigerie). L’essence
de la vie missionnaire c’est, redire Dieu autrement et
simplement, sans tintamarre ni brouhaha, mais avec le cœur de
Dieu, les yeux compatissants de la très Sainte Vierge Marie,
le regard bienveillant de Jésus et la protection permanente de
l’Esprit Saint. Convaincu de cela, la vie missionnaire ne
pourra qu’être rose en dépit des soubresauts et
opprobres de notre existence avec ses limites et ses calculs.
S’enraciner
en Dieu revient également à annoncer le règne de
Dieu terrestre dans l’attente du pas encore-là, c’est
tout cela que notre foi catholique nous enseigne. Armel missionnaire
spiritain l’aurait déjà compris, d’où
le sens de cette élection de Dieu comme prêtre
missionnaire auprès de ses sœurs et frères
africains. La force et la puissance de Dieu s’arrange et se
faufile dans chaque être humain prêt à accueillir
Dieu. Il fallait ce livre, il le fallait à tout le moins, il
le fallait au moment voulu. Il le fallait parce que je trouvais en
cet homme-prêtre quelqu’un d’enraciné en
Dieu et en ses paroles : les Saintes Ecritures. Depuis près
de deux années, j’ai eu la chance de nouer avec Armel
Duteil des liens de tendre, de fidèle et respectueuse
affection qui m’ont profondément enrichi,
spirituellement, intellectuellement et, mieux encore, moralement
parlant : des leçons d’élégance, de
tolérance, de dignité face aux épreuves de la
vie, voire des leçons de la vie aussi. Il y aurait tant à
dire sur la vie dans son sens plénier ! Si j’ai eu
l’honneur de le rencontrer pour ce livre, je reconnais ses
encouragements, son sens de la vérité, mais aussi la
profondeur dans sa façon de procéder. Pour le dire
honnêtement, c’est, par estime pour l’homme autant
que par admiration pour sa vie menée pauvrement, que j’ai
tenu à réaliser cette œuvre spirituelle, ce que
tu lis en cet instant, c’est la vie dans son expérience
du temps existentiel, dans son expérience de Dieu, dans son
expérience essentielle. Bref la vie dans sa brièveté
en Dieu, par Dieu et pour Dieu du
militaire
devenu prêtre de Dieu.
Un
prêtre heureux, parfaitement, un missionnaire pour l’Afrique !
Comment s’étonner de l’intérêt qu’il
manifesta très vite pour la République populaire du
Congo (République du Congo Brazzaville), à qui il
consacra, dès les années 60, un premier apostolat et
quelques livres didactiques. Il serait téméraire de
l’affirmer : Armel Duteil est bien ce prêtre au sens
fort et exact d’autant plus qu’il n’oublie rien de
son passé, de ses blessures mais aussi de son infidélité.
Mais peut-être c’est l’homme unifié qui m’a
parlé, qui me parlait et qui parle encore. Peut-être
est-ce un écrivain unifié qui nous partage sa vie
missionnaire à cœur ouvert. Je veux l’espérer.
Nous allons l’espérer. Ainsi peut commencer ce long
entretien sur la vie dans ses diverses facettes de ce baobab français
de nature mais sénégalais dans son enracinement.
Placide
Mandona
Dakar,
le 03 juillet 2016 en la fête de Saint Thomas apôtre
PREMIERE
PARTIE : A L’ORIGINE DU
SENS
«Tout
Homme a ses racines, Armel Duteil aussi. »
SES
SOUCHES
Placide
Mandona : Commençons par vos racines. Qui êtes-vous ?
Je
suis originaire d’une île de Bretagne sud, l’île
de Houat. La plupart de mes parents sont donc des marins ou des
pécheurs. Cela veut dire des gens qui ont la culture des
peuples de la mer, et une culture internationale ouverte au monde. La
plupart de mes grands-parents et grands oncles, ont non seulement
fait plusieurs fois le tour du monde, mais ont travaillé de
nombreuses années au Sénégal, au Congo, en Côte
d’Ivoire, à Madagascar, en Afrique du Nord, dans les
Terres Neuves, Saint Pierre et Miquelon ou ailleurs encore. Mon
propre frère était marin, il faisait les lignes
d’Amérique du Sud, et ensuite du Pérou aux
Philippines. Un autre frère, après avoir travaillé
en Egypte et en Arabie Saoudite, est à la retraite maintenant.
Il est retourné à l’île de Houat, où
il a recommencé la pêche. Même si suite à
la vie moderne et surtout aux difficultés actuelles de la
pêche et du métier de marin, beaucoup de mes cousins ne
sont plus marins ou pécheurs, ils vivent à l’étranger,
en Australie, aux Etats-Unis, en Angleterre… ou ailleurs. Mon
père était fils d’un officier de marine qui avait
fait les campagnes du Rif au Maroc, d’Abyssinie et de Somalie
et du Tonkin (Vietnam) pour terminer en Algérie. C’est
ce qui explique que mon père soit né et ait grandi en
Algérie et qu’il ait tenu à revenir travailler en
Afrique. Il était électricien à l’arsenal
de la marine de Dakar. Et plusieurs de mes oncles ont travaillé
également à la marine de Dakar. C’est ainsi que
moi-même j’ai passé toute ma jeunesse au Sénégal
Placide Mandona : Quel
serait le sens de votre nom : DUTEIL et pourquoi pas
Durand, Lustiger ou Ricœur? Mon
nom DUTEIL, n’est pas un nom breton. Car celui de mon
grand-père paternel venant de la région de Nantes. Par
contre ma mère a un nom typiquement breton, SCOUARNEC.
Placide Mandona : Pourquoi
le prénom chrétien Armel et non pas André,
Jean-Claude, Blaise-Pascal, Jacques ou Philippe ?
Mon prénom
Armel est aussi breton, surtout pour les garçons. Il signifie
« Prince Ours » (Arzel). Et beaucoup de
villages en Bretagne s’appellent Saint Armel, Ploharmel,
Plouarnel, Ploëmel…Plou signifie village en breton.
Un de mes grands oncles maternels s’appelait Armel. Et c’est
ma grand-mère qui a demandé qu’on me donne son
nom. Il est mort en mer comme beaucoup de mes parents et amis.
Jusqu’à maintenant dans notre île de Houat, le 15
Août, nous avons une grande prière pour tous les marins
et pécheurs péris en mer. Pas seulement pour ceux qui
sont originaires de l’île, mais pour tous les pécheurs
morts dans l’exercice de leur métier si difficile et si
dangereux. Et aux marins, en particulier au moment de la guerre, des
attaques des pirates ou d’autres circonstances. Le bateau de
mon grand père été torpillé par un
sous-marin allemand au large de Madagascar, au cours de la 1°
guerre mondiale. Actuellement, même si les conditions de
travail ne sont plus aussi dangereuses, il y’a encore beaucoup
de gens qui meurent noyés dans la mer. Et bien sûr,
maintenant, à notre prière du 15 Août, nous
prions spécialement pour tous les émigrés qui
partent en Europe et qui se noient en Méditerranée et
dans toutes les autres mers du monde.
Armel était
un moine irlandais missionnaire, venu évangéliser la
Gaule. Il était conseiller du roi à Paris, avant de
devoir s’exiler en Bretagne. Moi-même, je suis devenu
majeur un vendredi saint. Ma mère me l’a aussi souvent
rappelé, me disant que c’était un signe pour un
futur religieux missionnaire
Je suis un prématuré
du sixième mois né au cours d’un bombardement
pendant la deuxième Guerre Mondiale. Et j’ai été
aussitôt baptisé par mon père, avant d’être
ondoyé à l’Eglise où ma mère m’a
souvent raconté que, dès que nous sommes entrés
à l’Eglise j’ai tourné ma tête vers
le vitrail de Saint Armel de cette église. Je dis souvent en
riant qu’il faut donc me pardonner si je n’ai toujours
pas une théologie traditionnelle, car j’étais
baptisé par un laïc !
Placide
Mandona : La vie, l’expérience,
le royaume d’enfance. Comment voudriez-vous les aborder ?
J’ai grandi à
Dakar. Mon milieu familial s’est donc limité à
mon père et à ma mère, avec mes 3 jeunes frères
et ma sœur, tous les autres membres de nos deux familles étant
dispersés dans le monde entier. Mes parents formaient un
couple uni et aussi très ouvert aux autres. Nous recevions
souvent des gens à la maison, en particulier des nouveaux
venus qui venaient travailler au Sénégal. Mon père
avait été longtemps responsable de la JOC et cela
l’avait beaucoup marqué. Bien qu’éloignés
de nos parents, notre grande famille a toujours été
très importante pour nous. Nous rentrions en Bretagne tous les
trois ans pour les congés…par bateau bien sûr !
Et à chaque fois nous étions heureux de retrouver notre
famille. Comme mes frères par la suite, je m’embarquais
pendant ces vacances sur un bateau de pêche, généralement
un sardinier, car sur ces bateaux l’ambiance était très
bonne : nous étions entre seize à dix-huit membres
d’équipage à bord pour pouvoir tirer les grands
filets (la bolinge) à la main, avant que les bateaux de pêche
ne soient modernisés et mécanisés. Cette
modernisation a d’ailleurs entrainé le pillage des fonds
marins, ce qui cause tous les problèmes actuels de la pêche,
la disparition des poissons et le chômage de pécheurs.
Il n’y a plus de sardiniers dans la zone de Houat car la
sardine a disparu de cette région. Même quand j’ai
été grand séminariste, puis prêtre j’ai
toujours tenu à m’embarquer pendant mes séjours
dans mon île, soit pour la pêche aux casiers, au filet ou
au chalut (la plus dure), soit à la ligne (celle que j’aime
le moins). C’est ce qui m’a permis quand j’étais
à Saint-Louis les années 1980 à 1996 d’avoir
de très bonnes relations avec les pécheurs de
Guèt-Ndar, et de participer à leur réflexion
dans le syndicat des pêcheurs et les groupements de pêche.
Ces bonnes relations m’ont permis aussi de faire embarquer sur
des pirogues des enfants de la rue, pour les aider à avoir un
travail, et en même temps sortir de la drogue.
La famille a toujours été considérée
comme le lieu par excellence de la transmission des valeurs, de la
définition du pèlerinage terrestre, bref, le moule
indispensable pour une croissance psychologique intégrale(…)
Quel serait l’influence de votre milieu familial sur votre
éducation et sur l’éclosion de la foi en un Dieu
Un et Trine ?
Mes parents étaient
croyants et pratiquants, mais ils ne m’ont pas poussé à
être prêtre. En effet, mon père a eu une enfance
très difficile : il était encore à l’école
primaire quand son père est mort, et sa mère était
paralysée. Troisième et dernier garçon de la
famille, le médecin familial lui avait appris à faire
les injections et à s’occuper de sa mère malade
(ce qu’il a continué de faire quand nous étions
nous-mêmes malades). A cause de cela il a du abandonner les
études aussitôt après le certificat d’étude,
pour entrer comme apprenti électricien à l’arsenal
de la marine de Lorient en Bretagne (avant de partir pour le
Sénégal). Cette enfance difficile a beaucoup marqué
mon père. C’est grâce à l’organisation
interne de la marine qu’il a pu passer ouvrier, technicien,
puis ingénieur au cours des années. Ayant réussi
à s’en sortir, il voulait que ses enfants continuent
leurs études pour aller le plus loin possible, le dépasser
et réussir leur vie professionnelle. Avec ma mère, ils
ont fait de gros efforts pour cela. C’est pourquoi, quand j’ai
été reçu au BAC au lycée Van VollenHoven
de Dakar mon père a tenu à ce que je commence d’abord
par travailler, avant d’entrer au grand séminaire. J’ai
donc travaillé dans la société d’électricité
Jeumont. Mon père étant électricien, il m’a
trouvé cette place facilement. Déjà il avait
refusé que j’entre au petit séminaire, préférant
que je fasse mes études en restant en famille, d’abord
au collège des Maristes à Hann puis au lycée Van
VollenHoven (actuel lycée Lamine GUEYE), pour que je connaisse
la vie en société, comme les autres jeunes, et que je
puisse décider librement de mon avenir, sans m’engager
trop jeune. En effet, pendant son apprentissage et quand il était
ouvrier, mon père a été très marqué
par un camarade qui, après plusieurs de travail à
l’arsenal, était entré au séminaire des
ainés et était devenu ensuite prêtre ouvrier. Ce
prêtre m’a d’ailleurs beaucoup marqué par la
suite, étant resté un ami de la famille. Dans son souci
de me voir heureux et à l’aise dans la société,
mon père me disait souvent : « il vaut mieux
être un bon travailleur plutôt qu’un mauvais
prêtre ». Ce à quoi je lui répondais :
« mais il vaut mieux être un bon prêtre,
plutôt qu’un mauvais travailleur » Il me
disait aussi : « si tu fais l’école
polytechnique, tu auras de nombreux amis bien placés, et des
relations qui pourront t’aider ensuite quand tu seras prêtre,
par exemple pour construire des églises ». C’est
pourquoi, pendant mes études à Dakar, mon père
m’a fait rencontrer le directeur de l’arsenal et
plusieurs ingénieurs pour me convaincre. Mais ils n’ont
pas pu le faire, et j’ai continué à vouloir être
missionnaire. En voyant ma décision bien arrêtée,
mon père a finalement accepté, et je suis donc entré
au noviciat des Spiritains en septembre 1957 en France. En effet, les
missionnaires présents au Sénégal étaient
des spiritains (religieux de la Congrégation du Saint Esprit).
Je les connaissais bien pas seulement comme prêtres de la
paroisse, mais aussi parce que j’étais souvent parti
avec toute la famille dans de ombreuses missions où mon père
se chargeait avec des ouvriers qu’il entraînait avec lui
de refaire les installations électriques des églises ou
des presbytères. Et à l’occasion des camps
scouts, j’avais aussi découvert leur façon de
travailler sur le terrain. J’avais bien rêvé être
jésuite et missionnaire en Chine, mais les frontières
s’étaient fermées. Et l’aumônier de
notre collège m’avait convaincu qu’il valait
mieux, vue ma jeunesse passée en Afrique, rester travailler
dans ce continent.
Quelle
place nécessaire accordez –vous
à vos frères, à vos sœurs et à tous
les autres membres de votre famille ?
Pouvez-vous nous parler de votre parcours
scolaire ?
Pour l’école
primaire, mon père nous avait inscrits avec mes 2 jeunes
frères à l’école Saint Michel. Nous
n’étions que quatre français (avec un autre
élève). Cela m’a beaucoup aidé à
connaître les différentes cultures du Sénégal,
et bien sûr à commencer à parler le wolof. Je me
suis fait de très nombreux amis sénégalais, et
cette amitié dure encore. Il m’arrive de rencontrer
encore aujourd’hui des camarades de l’école
primaire, avec qui nous avons fait nos études. J’ai fait
ensuite mes études au collège de Hann, tenu par les
pères Maristes, un collège vraiment international. Cela
m’a ouvert au monde en m’apportant aussi une culture
religieuse importante, ouverte aux autres religions. Pendant ces
années, j’ai lancé et pris la responsabilité
d’un groupe de prière, et je participais à des
partages d’évangile. En même temps, j’étais
scout, comme mes frères et sœurs. Cela nous a apporté
une éducation et nous a surtout appris à travailler
avec les autres. J’ai franchi toutes les étapes depuis
louveteau à routier (compagnon) et même assistant au
chef de troupe, la dernière année. Avoir le même
type de formation et d’engagement nous a beaucoup unis entre
frères et soeur. Même si chacun d’entre nous a
ensuite suivi sa voie. Mais surtout cela nous a appris à nous
engager et à agir ensemble.
Que voulez-vous
dire ?
Je ne vais pas
développer ce qu’est le scoutisme, ce mouvement
d’éducation est suffisamment connu. Cela m’a
permis d’être ensuite aumônier scout jusqu’à
maintenant. Et quand le mouvement était interdit, par exemple
au Congo après la révolution, j’ai pu utiliser la
méthode scoute, pas seulement dans la catéchèse
et les groupes paroissiaux qui subsistaient, mais aussi avec les
jeunes de la JMNR, la Jeunesse du Mouvement National de la
Révolution, en secteur rural où je me trouvais alors.
C’est aussi
dans le scoutisme que j’ai appris la mixité, beaucoup
plus qu’à l’école. En effet, il y avait une
très bonne collaboration entre les scouts et les guides,
beaucoup d’entre eux étant d’ailleurs frères
et sœurs. Cela m’a beaucoup aidé pour être à
l’aise ensuite avec les jeunes filles et les femmes dans mes
différentes responsabilités. Et à chercher à
chaque fois à leur donner la place qui leur revient…ce
qui n’est pas toujours facile dans la pratique jusqu’à
maintenant, malgré les grandes déclarations sur la
parité et la libération de la femme. Il reste encore
beaucoup à faire dans ce domaine.
Cette amitié
et ce soutien se sont continués jusqu’à
maintenant. Ainsi quand après 50 ans, ma sœur s’est
retrouvée avec ses anciennes camarades guides dans une
rencontre de retrouvailles et qu’elle leur a expliqué ce
que je faisais dans les camps de réfugiés en Guinée,
ils se sont organisés pour nous soutenir, en particulier pour
les jardins d’enfants, l’aménagement des sources
et les petits projets de développement. Et quand je suis venu
à Dakar, ils ont continué à me soutenir,
spécialement pour mon travail dans les prisons, en nous
envoyant par conteneur de la nourriture, du matériel médical,
des outils pour les ateliers que vous voulions lancer et des
ordinateurs pour la formation des détenus.
Pour en revenir aux
études, ensuite j’ai continué au lycée
public Van VollenHoven. Ce qui a été une nouvelle étape
pour moi, me permettant de sortir du milieu religieux catholique.
C’est dans ce lycée que j’ai passé le Bac
en série scientifique (maths élèm). Avec le
futur cardinal Hyacinthe Thiandoum alors jeune prêtre, nous
avons cherché à lancer la JEC au lycée. Et je
participais comme ma sœur aux activités de l’aumônerie,
avec les dominicains qui venaient d’arriver dans le diocèse
(en 1956).
Placide Mandona : Pouvez-vous
expliquer un peu plus en quoi ce temps vous a marqué et
formé ?
Au temps de l’école
primaire, j’ai commencé à être enfant de
choeur à la Cathédrale. J’ai suivi les
différentes étapes jusqu’à devenir
cérémoniaire, quand j’étais au lycée.
En même temps, j’étais CV-AV (Coeur-Vaillant-Ame
Vaillante : le mouvement d’Action Catholique des enfants).
Ce fut ma première formation à un engagement chrétien
ouvert à tous, dans la vie sociale. Je faisais aussi partie de
la chorale des enfants lancée par maître Sorano, un
grand serviteur du pays au temps de la colonisation, avant
l’indépendance. C’est pourquoi, en reconnaissance,
on a donné son nom au grand théâtre national de
Dakar. Il nous a donné le goût du chant et de la
musique. Ensuite, chez les scouts nous chantions beaucoup. Et
c’étaient des chants éducatifs nous soutenant
dans nos engagements, nous donnant un sens moral et nous confortant
dans notre idéal. Cela m’a beaucoup soutenu. Et m’a
aidé tout au long de mon apostolat, pour mettre de l’animation
et de la joie dans les différents groupes avec lesquels j’ai
travaillé Ce n’étaient pas seulement des danses
ou des chants de divertissement, comme trop souvent maintenant. Entré
au grand séminaire, je me suis initié au solfège
et j’ai appris à jouer de l’harmonium. Je me suis
formé au chant grégorien et suis devenu maître de
chœur. Parti étudier la théologie en Suisse, j’ai
appris à jouer de l’orgue et j’ai même donné
des concerts. Et quand je suis parti au Congo comme militaire, tout
en étant dans l’escadron blindé (les anciens
chars de la 2° DB du maréchal Leclerc que l’on avait
ramené à Brazzaville), j’étais dans la
musique militaire. De retour au grand séminaire, j’ai eu
la grande chance de faire partie de la chorale du père Deiss,
un compositeur spiritain très connu, avec qui nous avons
enregistré plusieurs disques de chants religieux. Mais je me
suis aperçu que la musique me demandait beaucoup de temps.
Aussi, tout en continuant de chanter et faire chanter, j’ai
décidé de ne plus être maître de chœur
et de ne plus jouer de l’orgue ou de l’harmonium, me
contentant de la guitare. Ne voulant pas limiter mon apostolat à
la liturgie et la chorale, mais cherchant à m’engager
davantage dans la société.
Placide Mandona : Qui de
papa et de maman semble important dans votre vie ? La question
peut se comprendre comme choix : qui est-ce que vous aimez plus
entre papa et maman ?
On ne m’a
jamais demandé de choisir entre mon père et mère
et cette idée ne m’est jamais venue à l’esprit.
Ils formaient un couple uni, d’autant plus que ma mère
était assez effacée et discrète, et donc soumise
à son mari (dans le bon sens), comme l’étaient la
plupart des épouses de ce temps. A cette époque, on ne
parlait pas encore beaucoup de la libération de la femme. Pour
moi, mon père et ma mère allaient ensemble, même
si je me suis aperçu, par la suite en grandissant, que ma mère
trouvait que mon père était parfois trop dur envers
moi, et qu’elle en souffrait. Etant l’ainé, mon
père voulait que je marche droit, pour montrer le bon chemin à
mes jeunes frères et sœur.
II.
LE CHOIX DE DIEU OU LA FOI EN UN DIEU TRINITAIRE
Placide Mandona : La foi,
qu’est-ce ?
Pour moi, la FOI
c’est la confiance dans l’amour. C’est connaître
quelqu’un, Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme, ami
de tous et de chacun, que j’aime et en qui je fais confiance. A
ce moment-là, j’essaie de vivre avec Lui dans toute ma
vie, et d’agir comme Lui.
Les gens disent mordicus que vous êtes humble,
je m’en vais vous poser une question : qu’est-ce qui
fait que l’humilité soit au cœur de votre façon
de procéder, mieux, de votre ontos comme le dirai le
métaphysicien en colère? Il y a plus. La foi est-elle
l’élément moteur de votre sens d’humilité ?
L’humilité ?
Je ne saurais pas dire si je suis vraiment humble, mais j’essaie
de l’être le plus possible, et de résister à
ma tendance naturelle qui me pousserait à dominer et à
commander.
L’Eglise
nous enseigne un Dieu en trois hypostases, est-ce rationnel
Un Dieu en trois
hypostases : Ce n’est pas rationnel, c’est un
mystère. Dieu dépasse largement notre capacité
de le comprendre et de le saisir. Ce n’est pas rationnel, mais
ce n’est pas idiot (irrationnel). C’est Jésus
lui-même qui nous la fait connaître. Pas par des
théories, mais en appelant Dieu son Père, et en nous
envoyant le Saint-Esprit. Il nous les a fait connaître par ses
paroles, mais surtout par toute sa vie.. Cela veut dire que Dieu est
Amour, ouverture et don total de soi aux autres. Et que Dieu est une
famille. Amour et esprit de famille (de communauté), c’est
la base pour une vie heureuse et réussie. C’est ce qui
me soutient et m’entraine dans la vie, comme le dit
Jésus : « il ‘y a pas de grand
amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ».
Je respecte les réflexions des théologiens, pour
chercher à faire « comprendre » la
Trinité. Mais pour moi, l’essentiel c’est de
chercher à vivre avec Jésus, mon grand Frère et
mon ami, en fils du Père, au souffle du Saint Esprit.
N’avez-vous
jamais douté de Dieu ?
C’est Dieu qui
m’a appelé, que ce soit pour la vie chrétienne ou
pour ma vie sacerdotale, religieuse et missionnaire. J’ai
souvent été fatigué, inquiet devant les
difficultés de la vie, et déçu par mes propres
fautes et erreurs. Le comportement de certains chrétiens m’a
fait parfois beaucoup souffrir. Mais je n’ai jamais douté
de Dieu et de son Amour. Heureusement, car je ne sais pas comment je
l’aurais vécu.
Quelle sorte de foi avez-vous : celle naturelle
ou surnaturelle ?
Je pense
effectivement que l’homme est naturellement religieux, mais que
le laïcisme tend à supprimer cette orientation profonde.
Le laïcisme athée, et non pas la laïcité qui
est une bonne chose. Beaucoup d’enfants en Occident ne sont
plus éduqués dans la Foi chrétienne, ni dans
aucune religion. Mais même si tout le monde a des sentiments
religieux au fond de lui, il n’est pas pour autant « un
chrétien qui s’ignore », comme on l’a
dit parfois. Cela c’est de la récupération. C’est
annexer les gens, au lieu de respecter la liberté de leur
choix, ou de leurs opinions (car ce n’est pas toujours un choix
réfléchi). Il est essentiel de reconnaître la Foi
des autres dans ce qu’elle est, et les différents
chemins qui conduisent vers Dieu. Pour moi, la foi chrétienne
reste un don gratuit de Dieu, sans aucun mérite de notre part.
Et pour lequel nous n’aurons jamais fini de dire merci.
N’êtes
–vous jamais passé à un certain moment de votre
vie et suite à une certaine difficulté existentielle de
passer inopinément de l’incroyance la plus tranquille à
la foi la plus entêtée ?
J’ai
grandi dans une famille Catholique, j’ai été
croyant dès mon enfance. Mais bien sûr ma Foi s’est
approfondie au fur et à mesure avec la catéchèse,
mais surtout mes engagements comme servant de messe à la
Cathédrale et comme scout, et ensuite comme aumônier de
la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), par l’exemple
et le témoignage de laïcs chrétiens engagés
et également des amis musulmans avec qui j’ai vécu
et agi. Pour moi dans la Foi, ce qui est important ce n’est pas
le dogme, c’est la personne de Jésus Christ qui m’a
ébloui, qui continue de m’attirer et que j’essaie
de connaître de mieux en mieux en méditant son Evangile,
pour vivre davantage avec Lui et comme Lui. Et c’est un chemin
de Joie qui ne sera jamais fini.
J’ai
appris en philosophie chez les Jésuites (Saint Pierre
Canisius-Kimwenza / Kinshasa) que l’on peut dire de
l’homme qu’il est « religieux par nature »,
ou de l’âme humaine qu’elle est naturellement
chrétienne surtout celle de l’Africain (Luka Lu ne
NKuka, sj), mais il reste à déterminer le rapport entre
la foi et la religiosité naturelle : la foi en tant que
réponse personnelle à la Parole de Dieu vivant,
exprimée finalement et définitivement au Seigneur.
Comment vous retrouvez-vous dans cette affirmation ?
Je
suis d’accord avec cela. Mais je ne suis pas d’accord
quand on dit (pour se rassurer ?) qu’en Afrique il n’y
a pas d’athées. C’est insulter ceux qui se disent
sincèrement athées, même s’ils ne sont pas
nombreux.
Voudriez-vous nous parler des vertus théologales
et cardinales ? Quel est le fondement de la foi catholique ?
Les vertus
théologales c’est ce qui nous permet de vivre la Foi en
Dieu Père, Fils et Saint-Esprit : Foi, Amour, et
Espérance. Ce qui est important ce n’est pas de les
connaître, mais de les vivre avec nos frères et nos
sœurs, comme Jésus la fait. Encore une fois, le
fondement de la Foi Catholique c’est Jésus-Christ. Je
crois en Dieu, tel que Jésus-Christ nous la fait connaître.
Les vertus
cardinales sont importantes pour une vie morale, mais ce n’est
pas ma priorité. J’aime beaucoup cette parole de Saint
Augustin : « aime et fais ce que tu veux »…à
condition de bien la comprendre bien sûr. Paul nous dit (Gal
5,13) : « Vous
avez été appelés à la liberté.
Mais que cette liberté ne se tourne pas en prétexte
pour la chair ». Dans
l’Eglise Catholique, la morale est basée sur les vertus
théologales. Ou plutôt sur Jésus Christ et son
Evangile. Et je souffre de voir que certains catéchistes se
contentent trop souvent d’enseigner une morale pour « gagner »
les sacrements, et pas assez à faire connaître et aimer
Jésus, pour vivre avec Lui. Car si on L’aime, on cherche
à vivre comme Lui. De même, certaines homélies se
limitent à la morale, et sont même très
moralisantes. J‘ai entendu des homélies où on ne
citait même pas une fois le nom de Jésus ! Dans
les autres religions et chez les non-croyants, il y a des gens qui
vivent une vraie vie morale. Le fondement de la foi catholique, c’est
Jésus. Ce n’est ni un Livre comme chez les musulmans, ni
une morale comme dans la religion traditionnelle. Ce ne sont pas les
missionnaires qui ont fait connaître les dix commandements aux
gns des religions traditionnelles africaines, ils les connaissaient
déjà dans leur cœur. Et ils croyaient déjà
en Dieu.
Etes –vous chrétien du berceau (comme
disent les anglo-saxons) ou chrétien de l’’après
berceau ?
Je suis chrétien
depuis ma naissance comme je l’ai expliqué.
Ancien membre sous l’uniforme de l’armée
française. Pourriez-vous nous expliquer ce passage sérieux
de votre vie ?
Comme tout citoyen
français, je devais faire le service militaire. Etant
étudiant, j’avais obtenu un sursis. C’était
la fin de la guerre d’Algérie, en 1962. J’étais
en deuxième année de théologie à
l’Université de Fribourg en Suisse. Mais je ne voulais
pas rester enfermé dans une caserne en France. Aussi j’ai
cassé mon sursis, et je me suis engagé dans
l’infanterie de marine (c’était normal pour moi)
« par devancement d’appel pour un service
outre-mer », selon la formule EVSLOM (Engagé
Volontaire pour le Service Légal Outre-Mer). Ainsi j’étais
sûr de partir à l’étranger. Après la
formation militaire (les classes) au bataillon africain de Fréjus
(Puget sur Argens), j’ai été envoyé au
Congo. Malgré de nombreuses pressions de l’armée
qui cherchait des officiers, j’ai refusé de faire
l’Ecole des Officiers de Réserve (EOR), voulant faire de
ce service militaire une expérience pour mieux connaître
la vie des gens et la réalité des choses à la
base, comme simple soldat. Je me suis donc retrouvé à
Brazzaville dans l’escadron blindé : les anciens
chars du Général Leclerc pendant la deuxième
Guerre Mondiale, que l’on avait ramenés au Congo, et
dans la musique comme je l’ai expliqué plus haut.
Heureusement, je n’ai pas eu à me battre, ni à
tuer des gens. Au moment de la révolution congolaise (13-15
Aout 1963) j’encadrais une colonie de vacances de plus d’une
centaine d’enfants au sud du pays à Pointe Noire (en
effet j’avais passé mes diplômes nécessaires
pour cela pendant mes études au séminaire de
philosophie). Nous avons eu très peu, mais n’avons subi
aucun dommage, grâce à Dieu. En effet, l’Archevêque
avait demandé au général de me donner un ordre
de mission, pour travailler à l’éducation des
jeunes dans les quartiers nord de Brazzaville, en particulier à
la paroisse de Muleke tenue alors par l’abbé Emile
Biayenda qui sera par la suite cardinal, puis assassiné pour
des motifs politiques. Je lui suis très reconnaissant de
l’amitié et de la confiance qu’il m’a
accordées, et j’ai tressé des liens très
profonds avec sa sœur religieuse et toute sa famille, ayant
servi ensuite à Kindamba-Vinza, sa région d’origine.
Cet apostolat m’a beaucoup intéressé, m’a
permis d’apprendre le lingala, de connaître la culture
congolaise et de travailler avec les mouvements de jeunes. Jusqu’au
moment où ces mouvements ont été supprimés
et remplacés par la J.M.N.R (Jeunesse unique du Mouvement
National Révolutionnaire congolais). Pendant une deuxième
année, j’ai donc vécu une expérience tout
à fait nouvelle : celle de la naissance de la République
Populaire du Congo, un régime marxiste avec toutes les
difficultés que cela a comporté : accusations,
arrestations, et même torture de certains prêtres et de
nombreux militants chrétiens en particulier des syndicalistes
de la C.A.T.C (Confédération Africaine des Travailleurs
Chrétiens). Les chrétiens ont donc été
amenés à choisir leur camp et à témoigner
de leur foi au milieu des persécutions. Pour ceux et celles
qui ont tenu le coup, cela leur a demandé d’approfondir
leur foi et de s’engager plus profondément. Pour nous
chrétiens, il n'était plus possible de nous appuyer sur
nos œuvres traditionnelles : les écoles catholiques
étaient nationalisées, tous les mouvements de jeunes et
d’adultes interdits. Il nous a fallu revenir à
l’essentiel et au témoignage de la foi dans la vie de
chaque jour. Car on nous empêchait de parler, mais on ne
pouvait pas nous empêcher de vivre notre foi au milieu du
peuple, et cela se voyait. Bien sûr les contacts et les
relations d’amitié que j’avais noués la
première année m’ont beaucoup aidé, et
permis de continuer à soutenir jeunes et adultes. Pas
seulement pour qu’ils pratiquent leur religion, mais qu’ils
s’engagent dans les organisations du pays, même si elles
étaient officiellement marxistes, pour continuer à se
mettre au service de la population, et maintenir le plus possible
l’esprit chrétien dans ce qu’ils faisaient.
A cette époque,
il y avait plusieurs missionnaires laïcs venus travailler pour
quelques années au service de l’Eglise, en particulier
dans les écoles, les dispensaires et les mouvements. Ils ont
dû quitter le pays après la révolution, mais nous
sommes restés en relation. Ainsi, 35 ans plus tard, une
enseignante est venue en Guinée m’aider à lancer
des jardins d’enfants dans les camps de réfugiés
et les villages, et ensuite pendant plusieurs années, assurer
la formation continue des éducateurs.
Ayant terminé
mon service militaire, j’ai quitté avec grand regret le
Congo en Août 1964, pour continuer mes études de
théologie.
Dans une allocution à l’Académie
française, Jean-Luc Marion disait à peu près
ceci : « La parole précède, donc elle
appelle. Et ici tout s’éclaire. Car ce qui vaut de la
parole telle que l’Académie l’entend, celle des
hommes, vaut plus encore de la Parole de Dieu, telle que l’Église
l’entend ». La question est ainsi : quelle
importance théorique et pratique accordez-vous à la
parole de Dieu ?
La Parole de Dieu
est absolument essentielle à notre foi. Elle remplit notre
cœur et nous éclaire. Nous croyons en Dieu Père,
tel que Jésus-Christ nous l’a fait connaître. J’ai
toujours cherché à comprendre, à méditer
et à partager cette Parole de Dieu, déjà quand
j’étais scout et élève. C’est
pourquoi j’ai beaucoup aimé les études de
théologie, surtout à mon retour du service militaire
dans notre séminaire de la banlieue sud de Paris, à
Chevilly Larue. Car à Fribourg, les cours étaient très
théoriques et en latin, préparant à des diplômes
universitaires. Ce qui ne m’intéressait pas, ayant peur
d’être retenu par la suite pour enseigner dans un grand
séminaire, au lieu de travailler sur le terrain. Au contraire,
à Chevilly, les cours étaient beaucoup plus pratiques
et nous préparaient au travail missionnaire. J’exerçais
mes activités pastorales dans un bidonville de Villejuif où
s’étaient réfugié de nombreux nord
africains musulmans, à cause de la guerre d’Algérie,
et des jeunes portugais fuyant le pays pour ne pas être envoyés
au Mozambique, en Angola ou en Guinée Bissao faire la guerre
contre les mouvements luttant pour l’indépendance. J’y
ai été formé et souvent bousculé par un
prêtre absolument extraordinaire et très proche des
pauvres : le père Christian Roussin. Un livre-témoignage
a été écrit sur lui : « les
pauvres à la porte », que j’ai beaucoup
médité. Cela dans un quartier très populaire,
avec une équipe de prêtres très dynamiques,
proches de la population. C’est là que j’ai appris
à lire et à comprendre la Parole de Dieu à
partir de la vie, grâce à ma participation à la
JOC et ensuite à l’ACO (Action Catholique Ouvrière).
C’est pourquoi, je ne suis pas un théologien, mais
simplement un pasteur. Et les réponses que je donne ne sont ni
des paroles d’Evangile, ni des réponses officielles de
l’Eglise. C’est seulement la façon dont je vois
les choses, à partir de ce que Dieu m’a donné la
grâce de vivre. Mais c’est peut être cela être
théologien : discerner dans la vie de la communauté
dont on partage les activités, les appels que l‘Esprit
Saint nous adresse. Pour moi, on ne peut pas être théologien
en chambre.
A la fin de mes
études en théologie, j’ai participé à
un stage intensif sur les langues africaines, ce qui m’a permis
ensuite d’apprendre plus facilement les différentes
langues africaines des régions où j’ai servi, et
d’enseigner et de traduire la Parole de Dieu dans ces
différentes langues. Et de composer des livrets dans ces
langues au Congo, puis en Guinée. En 2.010 pendant mes congés,
j’ai rencontré une éditrice qui m’a proposé
d’imprimer des livres contenant mes commentaires de la Parole
de Dieu pour chaque jour.
Déjà,
j’avais enregistré ces commentaires, et d’autres
émissions pour la radio en langues différentes selon
les pays où je me trouvais. Ce que je continue encore
actuellement au Sénégal en Français et en
Wolof. Ce qui me vaut aussi des invitations dans différentes
télévisions du pays.
Mais ce qui est
essentiel dans tout cela, c’est la personne de Jésus
Christ lui-même : l’Evangile, c’est la Bonne
Nouvelle de Jésus Christ. Pour moi vivant en milieu musulman
c’est important. L’Islam c’est la religion du livre
et pour nos amis musulmans, le Coran est sorti de la bouche même
de Dieu. Pour nous ce qui est à la base de notre Foi ce n’est
pas un livre, c’est une parole vivante, le Verbe de Dieu, Jésus
Lui-même qui s’est fait homme. Et dont la Parole a été
d’abord vécue et méditée dans différentes
communautés chrétiennes, avant d’être
écrite dans les quatre évangiles et les épîtres..
La foi catholique a toujours été
accusée d’être celle des images et de beaucoup de
symboles. Pourquoi prier devant les statues ?
C’est une
question qui revient sans cesse. Sans arrêt, les catholiques
sont accusés à ce sujet, surtout par les gens des
sectes. Pourtant, pour moi la question est simple : nous
n’adorons pas le morceau de bois ou de plâtre qui est
devant nous. Mais nous sommes des êtres humains avec un corps,
nous avons besoin de voir et de sentir les choses. La statue d’un
saint nous permet de nous rappeler comment il a vécu. C’est
un encouragement à faire nous-mêmes ce qu’il a
vécu.. Actuellement dans la grande paroisse de la banlieue où
je me trouve, beaucoup de chrétiens n’ont pas eu la
chance d’aller à l’école. Ils ne savent pas
lire : les statues et les images les aident à vivre leur
foi plus personnellement, plus concrètement et plus
profondément. Le statues ne sont pas pour nous des idoles qui
nous sauvent. Et nous avons besoin de symboles pour vivre. Même
si j’admire l’intensité et la profondeur de la foi
des musulmans qui m’entourent, et qui refusent toute
représentation de Dieu, du prophète Muhammad et même
de toute personne humaine. C’est important d’apprendre à
nous accepter différents pour nous compléter et
progresser ensemble.
L’approche christocentrique emporte sur
l’approche de Dieu Père ? Pourquoi cette
discrimination des trois hypostases ?
Personnellement je
ne fais pas de séparation entre le Christ et Dieu Père.
Jésus se présente toujours comme Fils du Père.
Et le Père c’est celui qui nous a donné le Fils
pour nous sauver. D’ailleurs la liturgie nous fait prier sans
cesse le Père dans le Fils et le Saint Esprit. Jésus le
dit clairement dans sa prière avant de mourir : « Père,
tout ce qui est à toi est à moi. Et tout ce qui est à
moi est à toi ».
Et c’est ensemble qu’ils nous envoient le Saint Esprit.
Jésus est le chemin vers le Père qui nous faire vivre
dans sa vérité, comme Il l’a dit Lui-même
(Jean 14,6)
Est-ce possible de concilier la foi et nos cultures ?
C’est
une grande question à laquelle il n’est pas possible de
répondre en quelques lignes. C’est ce qu’on
appelle dans l’Eglise l’inculturation. Il s’agit
d’enraciner la Foi dans chacune de nos cultures et d’enrichir
notre Foi par les valeurs de chaque culture. On parle beaucoup de
l’inculturation aujourd’hui, mais il faut bien
reconnaître qu’elle se limite souvent à la
liturgie et aux processions d’offertoire. Alors qu’il
s’agit de vivre sa Foi dans sa culture, dans la vie de tous les
jours, de construire les communautés chrétiennes sur le
modèle et la base des communautés traditionnelles de
villages, d’animer les réunions de communauté
selon le schéma des rencontres familiales, et surtout de voir
comment christianiser nos coutumes à partir de nos valeurs.
C’est chercher à construire notre société
dans l’esprit de l’Evangile, en voyant en même
temps comment vivre nos valeurs traditionnelles dans le monde
moderne, à la manière de Jésus-Christ Lui-même.
Car Jésus a été vraiment juif, profondément
enraciné dans son peuple, sa culture et sa religion. Mais il
est clair que la plupart des Eglises africaines sont encore très
marquées, et même dominées par l’Occident.
Ainsi dans le diocèse où je travaille, on continue de
célébrer les sacrements selon le rituel français,
sans aucune adaptation. C’est incroyable ! Et en ville,
presque toutes les messes sont célébrées en
français, alors qu’il y a une langue populaire, qui
n’est pas la langue maternelle des différents chrétiens,
mais que pratiquement tous comprennent, le ouolof. Les traditions
liturgiques ont été faites et approuvées, mais
on ne les utilise pas. Et l’une de mes grandes souffrances,
c’est de voir que nos jeunes confrères qui viennent
travailler au Sénégal n’apprennent ni le ouolof
ni les autres langues locales. Contrairement aux anciens
missionnaires. C’est absolument inadmissible, et un vrai retour
en arrière.
C’est
tout à fait possible de concilier la foi et nos cultures.
Encore faut-il le vouloir et faire les efforts nécessaires
pour cela. Pour ma part, partout où j’ai travaillé,
j’ai toujours cherché à intégrer les rites
et les symboles de la culture locale dans nos célébrations,
malgré parfois les réticences de certains confrères
et de chrétiens occidentalisés…ou prétendant
l’être.
Quel est le degré de votre foi ?
C’est Dieu qui
le sait. Peut-être que les autres peuvent aussi en juger d’une
certaine manière, à partir de ma façon de vivre.
Je réponds donc comme Jeanne d’arc : «
si j’ai la Foi, que Dieu m’y garde; si je ne l’ai
pas, qu’il m’y mette ». Mais je pense que la
Foi ne se mesure pas par des degrés, c’est un chemin et
une vie avec le Christ, avec ses hauts et ses bas, ses avancées
et ses retours en arrière, ses assurances et ses doutes. On
n’a pas la foi comme on achète une chemise !
Foi et culture traditionnelle ou religions
traditionnelles africaines, est-ce possible ?
C’est sûr
que si je suis chrétien, je respecte mes ancêtres, mais
que mon seul sauveur c’est Jésus-Christ. Je respecte la
religion traditionnelle, parce que c’est un moyen d’aller
vers Dieu. Mais maintenant nous sommes dans la nouvelle Alliance. Et
le sacrifice qui nous sauve, ce ne sont pas les sacrifices
traditionnels mais le sacrifice de Jésus-Christ.
Mais cela ne
m’empêche pas de vivre ma foi dans ma culture bretonne
des gens des iles, transformée et enrichie par mes partages
avec les différentes cultures africaines, dans lesquelles j’ai
eu la grâce de vivre. Et j’essaie d’aider les
chrétiens dont j’ai la responsabilité à
vivre leur foi enracinée dans leur culture traditionnelle,
mais ouverte aux autres cultures et d’une façon
dynamique adaptée au monde actuel.
Etre appelé prêtre, c’est être
configuré au Christ. Pourquoi renvoyer d’autres
candidats au sacerdoce ? Qui a le don de trafiquer l’appel
de Dieu ?
Pourquoi refuse-t-on
certains candidats ? Je n’aime pas ce terme de
« trafiquer » l’appel de Dieu. Il s’agit
de discerner ensemble cet appel, voir ensemble avec le candidat s’il
a les dispositions nécessaires pour être prêtre,
et s’il est non seulement décidé mais capable
d’en vivre les exigences. C’est un discernement très
délicat et très difficile. Il ne suffit pas que
quelqu’un ait envie d’être prêtre pour
pouvoir être accepté. C’est une vocation, un appel
de Dieu et non pas un désir personnel, auquel il faut répondre
de façon satisfaisante. Et cette vocation est vécue
dans l’Eglise et pour le monde. C’est donc aux
responsables de l’Eglise de juger de son authenticité.
On n’a pas la vocation comme on a un diplôme : c’est
un appel de Dieu dans l’Eglise.
Comment voyez-vous les vocations en Afrique en
général, et au Sénégal en particulier ?
Les vocations au
Sénégal sont nombreuses, mais elles tendent à
diminuer, surtout en ville. Cela est dû en particulier à
l’évolution de la société. Autrefois, les
séminaristes étaient parmi les mieux formés du
pays, et être prêtre c’était un progrès
social. Le prêtre était un notable. Maintenant avec le
développement des universités et de la société,
il n’en est plus de même. Par ailleurs, la société
actuelle a tendance à devenir plus matérialiste et
individualiste, et elle n’encourage pas donc les vocations
sacerdotales qui demandent beaucoup de désintéressement.
Le sacerdoce chrétien demande un engagement à vie et le
plus profond possible, alors que la société pousse au
changement continu et au provisoire. Tout cela est bien connu.
D’hier
à aujourd’hui, comment prévoyez-vous la fin de la
vocation au sacerdoce dans un monde très matérialisé ?
Je
ne vois absolument pas la fin de la vocation sacerdotale. Bien sûr,
la façon de vivre le sacerdoce évoluera avec les
changements de la société, des mentalités et des
conditions de vie. Sans doute que l’on ordonnera des hommes
mariés et des femmes. Ce qui est tout à fait autre
chose que de permettre à des prêtres qui se sont engagés
librement et après une formation sérieuse au célibat,
de se marier. De toute façon, l’Eglise aura toujours
besoin de religieux et de prêtres célibataires. Pas
seulement pour des missionnaires, qui doivent partir au loin et ne
peuvent donc prendre en charge le suivi régulier d’une
famille. Mais parce que l’Eglise à besoin de cette
vocation et de ce désir de vivre un amour total et définitif
envers le Christ et les hommes, dans le célibat. Mais cela ne
devrait pas empêcher d’ordonner des hommes ou des femmes
mariés. Au contraire cela apporterait une complémentarité
et serait une richesse. Mais ce n’est pas à moi d’en
décider. Je fais confiance à l’Eglise pour cela.
L’histoire de chaque vocation consiste en un
appel et une réponse sans cesse recommencés. Quelle est
l’essence de la vocation au sacerdoce ?
L’essence de
la vocation au sacerdoce c’est l’amour du Christ et la
volonté de continuer son travail d’évangélisation,
en lien avec tous les autres disciples, dans la communion de
l’Eglise.
Sans
le vouloir, sinon sans le savoir, je pose une question. Le prêtre
aujourd’hui est-il indispensable ?
Le prêtre est
responsable de la communion dans les deux sens : le sacrement de
l’Eucharistie, et la communion entre les fidèles et avec
tous les hommes. Et pour cela, l’Eglise aura toujours besoin de
prêtres, en lien et en complémentarité avec le
sacerdoce des fidèles.
Vous vivez comme le furent les pères de
l’Eglise, toujours occupés par leurs charges de pasteurs
pour écrire en auteurs et accompagner le peuple de Dieu.
Est-ce vraiment facile de vivre comme prêtre dans un monde sans
panache ?
Le
panache ne m’intéresse absolument pas. Il y en a
beaucoup trop dans la société, et aussi dans l’Eglise.
Ce qui m’intéresse c’est l’amitié de
ceux avec qui je travaille, et les efforts et les avancées des
hommes, chrétiens ou non, dont le Christ m’a confié
la responsabilité. Je suis souvent dans l’admiration de
ce qu’ils font. C’est ce qui fait ma joie et j’en
rends grâce à Dieu.
Votre devise comme prêtre ? Et votre
devise comme missionnaire ?
Ma devise de prêtre,
comme de religieux et de missionnaire est la même, car je n’ai
jamais séparé ces 3 dimensions de ma
vocation : « cherchez d’abord le Royaume
de Dieu et sa justice » (Mat 6,33)
Que signifie croire à l’Evangile ?
Croire à
l’Evangile c’est d’abord croire au Christ, et vivre
avec Lui et comme Lui, grâce à Lui..
Est-ce possible d’aimer l’homme comme
Dieu ?
Bien sûr je ne
peux pas aimer l’homme, comme Dieu l’aime. J’essaie
simplement d’aimer mes frères et mes sœurs le
mieux possible, avec l’aide de Dieu.
Seul Dieu peut tout. Quelle place accordez-vous à
l’homme ?
Dieu peut tout, mais
Il n’agit pas sans l’homme ni en dehors de lui, comme le
dit un proverbe : « Dieu est bon, mais Il ne
donne rien à celui qui reste couché ». Et un
autre proverbe oolof dit : « ne te contente pas
de prier Dieu, cultive ton champ ». Souvent l’action
de Dieu est limitée, ou même refusée, par la
liberté de l’homme. Mais quand l’homme répond
à l’appel de Dieu et qu’il se laisse conduire par
le Saint-Esprit, il peut faire des choses extraordinaires. Nous le
voyons tous les jours.
OBEISSANCE,
PAUVRETE ET CHASTETE, OU L’EPREUVE DE L’EVANGILE
OBEISSANCE
Quel est le fondement doctrinal de l’obéissance ?
Le fondement
doctrinal de l’obéissance, là aussi c’est
le Christ. Comme le dit Saint Paul « le Christ s’est
fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la
croix » (Phil 2,8), c’est-à-dire jusqu’à
la mort des esclaves.
Quels soucis avez-vous de l’obéissance ?
Mon souci, c’est
que ce n’est pas toujours facile d’être obéissant
comme le Christ. Il ne s’agit pas seulement d’obéir
au supérieur religieux. Il s’agit de chercher ensemble
en communauté, dans la foi et l’écoute du Saint
Esprit, ce à quoi Dieu nous appelle. Et cela, en écoutant
les conseils que les autres nous adressent, en voyant s’ils
vont dans le sens de ce que Dieu veut. Cela suppose un discernement.
Et également de savoir lire les signes des temps, pour
découvrir les appels que l’Esprit Saint nous adresse
dans la vie du monde. Même les non croyants et les gens des
autres religions nous parlent au nom de Dieu, et nous devons savoir
les écouter, les accueillir et leur obéir. C’est
cela qui donne un sens à notre vie.
Quels sont vos modèles en matière du
vœu d’obéissance ?
Encore une fois mon
modèle c’est le Christ. Et aussi nos fondateurs des
spiritains le Père Poullart des Places et le Père
François Marie Libermann. Mais d’abord le Christ. Et
aussi saint Pierre dans l’Evangile quand Jésus lui
dit : » Tu étendras les mains et c’est
un autre qui te ettra la ceinture, pour t’amener là où
tu ne voudrais pas aller ». Ou saint Paul « quand
le Saint Esprit les empêche d’annoncer la Parole en
Asie » (Ac 16,6-10)
Obéir
à la volonté d’un individu, quoique supérieur,
est-ce humainement et spirituellement facile ?
Si j’obéis
à un supérieur ce n’est pas à un simple
individu, mais à quelqu’un qui a la responsabilité
de me proposer un appel du Christ. Cela demande que je l’accueille
dans la Foi, mais aussi dans un dialogue spirituel avec lui. A ce
moment-là, l’obéissance devient beaucoup plus
facile
Quelle différence établissez-vous entre
obéir pour obéir et obéir parce qu’il
faut obéir ?
Je ne fais aucune
différence parce qu’aucune de ces formules ne me
satisfait. J’obéis dans la confiance pour mieux répondre
aux appels de Dieu, sur moi et sur mes frères et sœurs.
Quelles sont les pesanteurs qui rongent l’obéissance
en Afrique ?
Les pesanteurs qui
rendent l’obéissance difficile sont les mêmes en
Afrique, en Europe et dans le reste du monde, c’est
l’individualisme et l’orgueil qui sont en nous tous
depuis Adam et Eve. Même si selon les différentes
cultures, il y a des difficultés spécifiques. Par
exemple en Afrique, c’est surtout que la famille a un très
grand poids avec ses avantages mais aussi ses limites, par rapport à
l’Evangile et au Royaume de Dieu. Il est clair que certains
parents interdisent à leurs enfants de répondre à
l’appel du Christ. Et on a traditionnellement l’habitude
d’obéir trop passivement au chef, au lieu de chercher à
comprendre et réfléchir ensemble.
Qui
de l’Africain religieux et de l’européen religieux
respecte plus ce vœu compliqué ?
Je
n’aime pas ces comparaisons. A chacun de répondre le
mieux possible à l’appel de Dieu. Cela ne dépend
ni de la langue ni du lieu de naissance. . Mais de la docilité
envers l’Esprit de Jésus. Et à ce moment-là,
ce n’est pas compliqué.
Thérèse d’Avila, Jean de la
Croix, Ignace de Loyola, Saint Jean Bosco sont-ils ou non des
illustrations du vœu d’obéissance défraichies ?
Il ne s’agit
pas de recopier matériellement ce que les saints ont vécu
de leur temps, mais d’en saisir l’esprit, pour voir
comment les vivre aujourd’hui. Et donc de nous nous demander :
s’ils vivaient aujourd’hui qu’est-ce qu’ils
feraient ? Et cela est vrai aussi pour l’Evangile :
Je me demande à quoi Jésus m’appelle dans les
conditions actuelles dans ma vie. S’il était là
qu’est-ce qu’il ferait ? Et puis, il faut chercher à
comprendre ce qu’ils ont voulu dire. Par exemple, ce qu’a
voulu saint Ignace de Loyola quand il a demandé « d’être
obéissant comme un cadavre ». Cette expression a
souvent été très mal comprise et complètement
déformée.
Observant
plusieurs fois votre tempérament qui est sans nul doute
fougueux, je me demande comment vous arrivez à réussir
à obéir ?
Mon
tempérament fougueux : Il
suffit d’être à la fois obéissant aux
appels de Dieu et décidé à les mettre en
pratique avec fougue, comme vous dîtes. Ce n’est
absolument pas contradictoire : il s’agit de mettre sa
volonté au service du Royaume de Dieu. Et pour cela d’abord
de prier, et d’écouter le Saint-Esprit auquel je suis
consacré en tant que spiritain. Non seulement pour savoir à
quoi il m’appelle, mais pour lui demander le courage et le
désintéressement pour le faire.
Quel
est votre secret pour parvenir à l’obéissance ?
C’est
aussi de croire que le responsable qui me demande de faire quelque
chose a lui-même réfléchi, qu’il a demandé
conseil, qu’il est aussi intelligent que moi et qu’il me
parle au nom de Dieu. Si je ne comprends pas, je lui demande des
explications. Si je ne suis pas d’accord, je lui explique
pourquoi. Mais c’est lui qui a le dernier mot : c’est
sa responsabilité, et ce n’est pas facile pour lui. Je
ne voudrais pas être à sa place.
Y a-t-il possibilité d’appliquer
l’injonction du fronton de Delphes « Connais-toi
toi-même » pour obéir religieusement ?
Chacun cherche à
répondre à l’appel de Dieu d’après
ce qu’il est. C’est pourquoi il est important de
connaître la volonté de Dieu, mais aussi de se connaître
soi-même, avec ses possibilités et ses limites. Par
exemple ses réactions instinctives et de ses peurs face à
l’autorité, à partir en particulier de
l’éducation reçue et de ce qu’on a vécu
dans le passé. Pour pouvoir les dépassés. Ainsi
pour moi-même, ayant eu un père exigeant et autoritaire,
mon premier réflexe face à l’autorité,
c’est la crainte. Je le sais et j’en tiens compte quand
on me demande de faire quelque chose. Mais « connais-toi
toi-même » cela ne suffit pas et ne peut pas être
le principe de base de l’obéissance religieuse.
Placide Mandona : « En
m’écoutant, ce n’est pas à moi qu’on
obéit, mais à Dieu, tout comme moi, j’obéis
à Dieu si je [...] parle de façon juste et légitime
», disait solennellement un érudit cardinal français
aux racines juives. L’homme qui prend l’intérim de
Dieu dès lors qu’il parle de façon juste et
légitime. Comment saisir ce langage au sens de comprendre ?
Je dirais plutôt :
« je lui obéis à cause de Dieu, et par amour
pour Dieu ». De même que la femme obéit à
son mari, « comme l’Eglise se soumet au Christ »
(Eph 5,25) par amour et confiance. Et Paul commence par dire :
« Par
respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres »(21).
Dieu parle effectivement par les hommes, à condition que ces
hommes parlent vraiment d’une façon juste et légitime.
Il ne parle pas seulement par la voix des supérieurs et des
responsables religieux, mais par la voix de tous, y compris des gens
des autres religions et des non croyants. Comme Jésus Lui-même
a écouté la cananéenne, qui lui disait que les
petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table (Marc
7,26). Et cela l’a poussé à aller annoncer
l’Evangile aux gens des autres contrées et des autres
religions. De même, Jésus a écouté le
centurion qui lui demandait de venir guérir son serviteur,
alors que c’était un officier de l’armée
coloniale qui avait envahi le pays, et certainement tué un
certain de nombre de concitoyens de Jésus. Et Jésus l’a
donné comme modèle de foi à vivre à ses
propres co-religionnaires. Mais il ne suffit pas que le supérieur
et celui dont il est responsable obéisse chacun de son coté
séparément, à cause de Dieu. Il faut qu’ils
se parlent et cherchent ensemble la volonté de Dieu. Dieu est
présent dans le dialogue, comme le disait Jésus : »
quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu
d’eux » (Mat 18,20)
Quels sont les résultats d’une vie
religieuse vécue dans l’obéissance cadavérique ?
Ce thème
d’obéissance cadavérique a été très
souvent mal compris. C’est pour cela qu’il faut
l’utiliser avec précaution. Jésus a dit aux
saducéens (Marc 12,27): « Dieu
n’est pas le Dieu des morts (des cadavres), mais le Dieu de
vivants ».
Il a envoyé Jésus, pour que les hommes aient la vie
éternelle. Et Jésus est venu pour que les gens aient la
vie totale (Jean 10,10). Il nous demande d’obéir pour
faire grandir la vie, et donc d’une façon libre et
intelligente. Obéissance et liberté ne sont pas
opposées. C’est librement que j’obéis.
Le supérieur religieux qui agit à votre
place. Est-ce une lâcheté ? Une forme de la montée
en puissance de la volonté de volonté. Comment récuser
ou autrement, comment pourriez-vous vous libérer de cette
volonté de puissance ?
Le supérieur
religieux n'agit pas à ma place. Et il ne me demande pas de
lui obéir par désir de puissance, mais parce qu’il
pense que c’est bon et que c’est cela qu’il faut
faire. Et moi, j'agis librement, volontairement et selon mes
possibilités. Je n'ai donc pas à me libérer de
cette volonté de puissance, parce que je ne suis pas forcé
d’obéir, je reste conscient et intelligent. Si je ne
comprends pas ce qu’il me demande, je lui demande de me
l’expliquer. Si je ne suis pas d’accord, je lui dis
pourquoi. A lui de réfléchir et de prendre ses
responsabilités. Mais moi, j’obéis. Sauf si ce
qu’il me demande est manifestement mauvais ou une erreur aux
conséquences graves. Mais je n’en décide pas tout
seul. J’en parle d’abord à plusieurs personnes
sages et de bon conseil, en particulier à mon conseiller
spirituel qui me connait bien.
«
Que ta volonté soit faite, non la mienne » (Luc
22, 42). Comme prêtre religieux, qu’est-ce à
dire ?
Votre dernier mot sur l’obéissance ?
« Que
ta volonté soit faite »,
c'est la prière du notre Père. Ce n'est pas propre au
prêtre religieux. C'est pour tous les chrétiens et même
tous les croyants. Par exemple islam signifie soumission. Non pas
esclavage, mais recherche et acceptation libre de la volonté
de Dieu.
L’obéissance
est une libération, et non pas un esclavage. C'est
l’obéissance religieuse qui m'a permis d'aller plus loin
que je ne l’aurais fait tout seul, grâce aux idées
des autres. Et à agir plus profondément, ne cherchant
pas à agir seul mais en communauté. C’est
pourquoi je n’ai jamais refusé d’aller là
où on m’a demandé de servir.
PAUVRETE
Placide Mandona : En quoi
consiste la pauvreté religieuse ?
Pour moi la pauvreté
religieuse consiste en deux choses : d'abord vivre d'une façon
simple et libérée de la recherche des richesses, comme
nous l’a demandé le pape François dans sa
lettre sur le respect de la Création ‘’ Loué
sois-tu’’. Deuxièmement s’engager avec les
pauvres pour construire un monde plus humain.
La pauvreté religieuse peut-elle faire un bon
ménage avec l’obéissance et la chasteté ?
La PAUVRETÉ,
la CHASTETE et L’OBÉISSANCE vont ensemble. La Pauvreté
va avec la libération par rapport aux biens matériels,
pour chercher la vraie richesse du coeur : l’amour de Dieu
et des frères. La Chasteté c'est la pauvreté du
cœur, pour être disponible pour aimer ceux qui ne sont
pas aimés. L’obéissance c’est la pauvreté
de l’esprit. Ces trois vœux qui sont vécus
ensemble dans la vie religieuse permettent une vraie libération.
La pauvreté religieuse, c’est la disponibilité et
l’engagement à lutter contre la misère.
La
pauvreté religieuse est –elle indispensable dans la
quête de Dieu ou un simple épiphénomène ?
Il s’agit
d’une pauvreté librement choisie pour vivre à
l’exemple du Christ, et non pas la misère subie
et supportée avec résignation et contre laquelle on ne
peut rien. Ce n’est pas accepter l’existence des pauvres
dans la société, « parce que ça a
toujours été ainsi ». C’est au
contraire s’engager avec les pauvres pour les aider à
s’en sortir.
Jésus a été
clair, « vous ne pouvez pas servir à la fois
Dieu et l'argent. » Et les croyants en vérité
de toutes les religions ont cherché à se libérer
de l'amour de l'argent, et à se dépouiller
matériellement et spirituellement pour aller vers Dieu. Quand
Jésus dit : « heureux les pauvres de
cœur » (Mat 5,3), ce n’est pas seulement
pour les religieux, même pas pour les chrétiens
seulement. C'est le discours sur la montagne qui s’adresse à
tous les hommes. En tant que religieux missionnaire, je suis appelé
à aider tous ceux avec qui je vis à vivre cette
pauvreté spirituelle, et à s’engager pour lutter
contre la pauvreté matérielle. Pour être avec
Jésus qui a vécu en pauvre de coeur, devant Dieu et
devant les hommes. Et qui a été l’ami des pauvres
et des petits. Donc la pauvreté religieuse est indispensable
pour tous, et pour toutes les organisations de la société
dans le monde entier.
La
question se pose également en termes de provocation.
Bien sûr que
vivre ainsi c’est de la provocation dans un monde matérialiste
où l’argent est roi, et où les riches sont
honorés et admirés. Ou le confort est l’idéal
et le but de beaucoup. Quand je circule en vélo, je provoque
ceux qui n’acceptent jamais de voyager par les transports
publics, mais exigent une voiture personnelle. Quand je m’habille
d’une façon simple, je provoque les gens qui mettent
leur dignité dans les beaux habits et dépensent des
sommes folles pour cela, au détriment de choses plus
essentielles et du partage. Pour le coup, je m’oppose même
à ce qui est important dans la culture dans laquelle je vis.
Et à cause de cela, je suis souvent attaqué et
critiqué. Je l’assume ! La pauvreté
religieuse est obligatoirement une provocation, et fait qu’on
est souvent non seulement incompris mais rejeté, comme tous
les pauvres de la société. Il faut le savoir et
l’accepter..
Ere
pauvre pour vous veut dire refuser le confort et se promener partout
avec son vieux vélo ?
Me déplacer
avec un vieux vélo, ou en transport public, c’est en
effet le style de vie que j’ai choisi pour être au plus
près des gens, et comprendre de l’intérieur leurs
difficultés. Ce n’est pas obligatoire, je ne l’imposerai
à personne. Mais c’est effectivement ainsi que j’ai
décidé de vivre.
Accueilli plusieurs fois dans votre chambre, j’ai
toujours été étonné de l’étroitesse
de votre demeure, mais aussi de la mauvaise qualité de votre
lit. Franchement, votre façon de vivre la pauvreté me
dépasse. Comment pourriez-vous expliquer mon étonnement ?
Je m’étonne
que vous vous étonniez ! Même si je vis d’une
façon pauvre, je vis dans des meilleures conditions que la
plupart des habitants de la ville de Pikine. J’ai l’eau
courante et de la lumière (au moins quand il y’a pas
coupure ou délestage). J’ai un ordinateur. Même
s’il est vieux j’arrive à me débrouiller
avec. Mais je cherche effectivement à ne pas me laisser
prendre par la recherche du confort, ou des derniers appareils ou
machines à la mode. Je tiens à ce que les plus pauvres
puissent se sentir à l’aise quand ils viennent chez moi.
Placide Mandona : Est-ce de
la sincérité ou de l’habileté ?
Je pense que je suis
sincère en faisant cela, ce n’est pas une sorte
d’habilité.
Friedrich Nietzsche, qui fut l’un des ce que
l’on appelle maître de soupçon, critique
farouchement la vertu chrétienne de pitié, de pauvreté,
de pardon, bref, toutes les valeurs chrétiennes. Quel regard
critique sur sa façon de procéder ?
Cela c’est le
point de vue de Nietzsche.
Sans doute qu’il a vécu auprès de gens qui
vivaient la piété, la pauvreté et le pardon à
la manière des pharisiens, d’une manière
hypocrite. C’est ce qui l’a entraîné à
penser cela. Mais c’est faux d’affirmer que c’est
le cas de tous. Et personnellement, je compte beaucoup sur la piété,
la pauvreté et le pardon pour construire un monde humain.
Beaucoup plus que sur la violence, l’orgueil ou la recherche de
richesses à tout prix. C’est aussi l’opinion de
l’Eglise, comme l’affirme avec force notre pape François.
Et je l’en remercie beaucoup.
Certains laïcs
ne tardent pas à dire à cor et à cri que ceux
qui professent la pauvreté ne la vivent pas, ce sont plutôt
ceux qui se trouvent déjà dans cette condition qui la
vivent à leur place. Comment réagissez-vous ?
Certainement que
nous les religieux nous avons à accueillir positivement ces
critiques et en tirer les conséquences. Car c’est vrai
que la plupart des religieux ne vivent pas dans la grande pauvreté.
Nous avons reçu une formation et nous avons les moyens de
vivre sans problème, étant pris en charge quand c’est
nécessaire par notre congrégation. Et c’est
dommage que certains religieux cherchent une vie de confort. C’est
alors difficile d’être pauvre de cœur comme le
Christ le demande. Et d’accueillir les pauvres avec bonté
et respect, de les écouter avec humilité, de les aimer
et de nous mettre véritablement à leur service. Pas
seulement les aider, et surtout pas faire ce que nous avons décidés
de faire pour eux, mais au contraire les soutenir dans ce qu’ils
ont décidés de faire eux-mêmes.
Car ce sont eux qui savent le mieux ce dont ils ont besoin. Vivant
dans la pauvreté, ils trouveront comment le mieux s’en
sortir. A nous de les soutenir pour cela. Notre deuxième
fondateur le Père Libermann, nous demande d’être
les avocats des pauvres. Il faut nous engager sérieusement
dans ce sens. Et je pense que les deux doivent aller ensemble :
vivre une vie simple et lutter contre la pauvreté. Mais en
même temps, la pauvreté religieuse ne doit pas se
limiter à la pauvreté matérielle. C’est
d’abord et avant tout une pauvreté du coeur, en esprit.
Mais les deux vont ensemble.
Missionnaire spiritain pour l’Afrique. Fait
incontestable. Quel regard du vœu de pauvreté pour les
religieux et religieuses africains ?
Pour mes frères
et sœurs religieux africains, la situation n’est pas
facile. La plupart viennent d’un monde pauvre et leur premier
souci c’est de sortir de la pauvreté. Encore faut-il
qu’ils ne cherchent pas à en sortir seuls ou seulement
avec leur famille, mais qu’ils luttent contre la pauvreté
de tous, surtout ceux qui vivent dans la grande misère. Et
qu’ils s’engagent avec les hommes et les femmes de bonne
volonté, pour construire une société, où
les pauvres auront leur place.
Quel confrère spiritain vous a le plus plu en
matière de pauvreté ?
La plupart de mes
grands frères missionnaires spiritains ont vécu dans
une grande pauvreté, dans un monde plus difficile
matériellement qu’actuellement. Ils ont fait mon
admiration quand j’étais jeune, et c’est l’une
des choses qui m’a attiré. Un confrère comme le
père Mell en Guinée a vécu de cette manière,
reconnue par tous, et son procès de béatification a
commencé.
Quelle est la part de Dieu dans le respect de tous
les conseils évangéliques ?
La part de Dieu dans
les conseils évangéliques est totale. Elle prend toute
notre vie. Mais ça n’enlève rien à la
liberté et à la responsabilité de l’homme.
Car Dieu agit par son Esprit à l’intérieur de
nous-mêmes, et non pas à côté ou au-dessus.
Jésus est notre modèle absolu, mais il ne nous écrase
pas, au contraire il nous rend libre. J’aime beaucoup cette
phrase : « Prier comme si tout dépend
de Dieu, et agir comme si tout dépend de nous".
« Heureux les pauvres en esprit, le
Royaume des cieux est à eux » Comment comprendre
cette intéressante béatitude ?
Qu’est-ce que
le Royaume de Dieu ? C’est quand il y a l’amour, la
vérité, la justice et la paix (voir la préface
de la fête du Christ Roi). Tout cela demande une vraie pauvreté
spirituelle. Si tu mets ton cœur dans la recherche de l’argent
et du pouvoir qu’il donne, tu ne peux plus aimer en vérité.
Tu n’as plus la paix. Tu es pris par l’injustice et le
mensonge, pour avoir plus d’argent. Un proverbe wolof
dit : « l’argent c’est Satan ! »
Cette béatitude, comme toutes les autres, est d’une
richesse spirituelle extraordinaire. Nous n’aurons jamais fini
d’en approfondir le sens.
Etes-vous partisan de quelle sorte de pauvreté :
vestimentaire, intellectuelle, rhétorique, matérielle
ou ce que vous connaissez vous –même.
La pauvreté
c’est une vertu, c’est une conviction, c’est un
style de vie, elle est dans le cœur. Elle est spirituelle :
« être pauvre en esprit ». Si elle est
sincère, elle se traduit à tous les niveaux (matériel,
intellectuel et spirituel). Mais chacun selon sa personnalité
et son style de vie. Le plus important pour moi c’est vivre
avec Jésus-Christ. Et vivre comme le Christ a vécu, ce
n’est pas facile.
Une autre
question importante concerne le problème fondamental de la
relation des conseils évangéliques. Comment s’explique
la hiérarchie des conseils évangéliques ?
Je
ne vois pas de hiérarchie dans les conseils évangéliques,
ils vont ensemble. Ils sont tous liés à Jésus
Christ. La vie religieuse c’est une façon de vivre à
la suite du Christ, mais ce n’est pas la seule.
CHASTETE
Placide Mandona : Commençons
par définir. Qu’est-ce que la chasteté ?
Comment la vivez-vous ? Quelles sont ses limites ? Quelle
est sa nature ? Est-elle importante ?
Qu’est-ce que
la Chasteté ? D’abord la Chasteté n’est
pas réservée aux religieux. Tout chrétien est
appelé à la chasteté. Les chrétiens
mariés comme les religieux. Et tous les hommes, célibataires
ou non. La Chasteté c’est une qualité du cœur :
chercher à aimer l’autre pour lui-même, d’une
manière désintéressée, pour l’aider
à grandir. Et non pas chercher à le prendre pour
soi-même, pour son intérêt ou son plaisir, ni en
profiter. Que se soit pour son plaisir sexuel ou pour autre chose. La
Chasteté c’est pouvoir regarder l’autre avec un
œil clair et un vrai amour. Jésus dit : « quand
ton œil est clair, tout ton corps est dans la lumière. »
C’est vraiment une grande joie et une libération qui
donne la paix du coeur. Elle permet d’avoir des vraies
relations dans la confiance, des rencontres très profondes et
enrichissantes, et une véritable amitié sans trouble ni
arrière pensée. Mais comme toute vertu, elle n’est
pas donnée au départ, et ce n’est jamais gagné.
C’est une grâce de Dieu. C’est chaque jour qu’il
faut chercher à mieux aimer, d’une façon plus
pure. Et il y a des hauts et des bas, et des retours en arrière.
Mais la Chasteté est essentielle pour vivre des vraies
relations entre les personnes. Elle est importante et absolument
indispensable dans la société, spécialement dans
un monde de plus en plus érotisé, où on ne sait
plus aimer. Et où souvent on réduit l’autre à
un instrument de plaisir. Le plaisir est bon, y compris le plaisir
sexuel, à condition qu’il soit vécu dans l’amour,
dans le respect et le don de soi à l’autre. Et le
religieux renonce au plaisir de la relation sexuelle, pour vivre ses
relations d’une manière plus intense, dans un respect
mutuel le plus grand et le plus désintéressé
possible. Et ainsi, aimer le plus totalement possible le Christ et
ses frères et sœurs, spécialement ceux qui ne
sont pas aimés et qui ne sont pas respectés. De même
que la pauvreté de cœur ne va pas sans un engagement
réel pour les pauvres, la chasteté ne va pas sans un
engagement envers ceux qui ne sont pas aimés, ou mal aimés.
Mais encore une fois, les gens mariés peuvent vivent eux aussi
un amour de cette qualité dans le mariage. Ce sont deux voies
différentes qui cherchent à atteindre le même
but.
Vœu
difficile pour beaucoup, vœu facile dirait un autre groupe. La
chasteté est-elle vraiment indispensable ?
Le monde a besoin de
religieux chastes et engagés dans le célibat consacré,
comme il a besoin de gens mariés qui s’aiment vraiment
et qui s’engagent dans le mariage pour toute la vie. Mais bien
sûr, il faut en prendre les moyens. Je ne peux pas regarder
des pornos et être chaste. Et la maîtrise de soi, ça
s’apprend.
Est-ce possible de vivre sans rapport sexuel dans un
monde de belles filles, dans une Afrique des filles dodues, dans un
Sénégal des filles ravissantes ?
On doit
obligatoirement exercer sa sexualité, mais c’est
possible de vivre sans relations sexuelles. La vie sexuée ne
se limite pas à la sexualité, et la sexualité ne
se limite pas aux rapports sexuels, même pour les gens mariés.
On est sexué dans tout son corps et dans toute sa vie. Des
relations entre hommes et femmes qui se limitent à des
rapports sexuels sont d’une pauvreté absolue. Il faut
savoir ce que l’on cherche dans la vie. Quand je vois une belle
fille, j’apprécie et je dis merci à Dieu, surtout
si elle sait rester simple et amicale. Mais je pense que j’ai
mieux à faire avec elle, que des relations sexuelles. Chaque
jour, je reçois des jeunes filles et des femmes blessées
dans leur amour, trompées et abandonnées. C’est
mon vœu de Chasteté, et la grâce de Dieu obtenue
dans la prière, qui me permettent d’être
disponible pour les accueillir dans le respect, de les consoler et
grâce à Dieu de leur ouvrir un chemin d’avenir. Et
c’est parce qu’elles ont confiance et savent qu’elles
ne seront pas utilisées ni exploitées par moi, que ce
soit sexuellement ou autrement, qu’elles peuvent venir me
rencontrer dans la paix. Mon vœu de Chasteté ce n’est
pas une limitation de l’amour, au contraire c’est une
façon d’aimer plus totalement. Et d’être
libre pour aimer en particulier ceux qui ne sont pas aimés :
les enfants de la rue, les célibataires forcés, les
blessés dans leur amour, les rejetés, les veufs, les
veuves et les orphelins ; tous ceux qui manquent d’amour
ou qui ont été trompés en amour.
Etes-vous
vraiment bien en place avec ce vœu qui me semble difficile ?
Ce n’est pour
rien que l’on m’appelle « père »,
même si je ne fais pas de relations sexuelles, et que je n’ai
pas mis d’enfants au monde. La Chasteté, c’est
donner la vie, la vie totale comme disait Jésus (Jean 10,10)
sans se limiter à la vie physique, et encore moins génitale.
C’est faire grandir la vie dans la société. Et
pour cela, je pense que je suis bien à ma place, dans la
société et dans l’Eglise.
Le vœu de chasteté, est-ce vraiment
humain ?
Non seulement le vœu
de Chasteté et le célibat consacré me semblent
vraiment humain, mais ils me rendent plus humain. Ils me permettent
de grandir en humanité, en amour, en clarté et en
vérité, devant Dieu, devant moi-même, et devant
les autres.. Il me permet aussi d’aider ceux que je rencontre à
grandir en humanité.
Quel est le fondement évangélique du
vœu de chasteté ?
Le fondement
évangélique du vœu de Chasteté c’est
le Christ lui-même, et la façon dont il a vécu.
Ce vœu a de multiples significations très riches.
D’ailleurs c’est un témoignage très
important que l’on peut aimer en vérité sans
relations sexuelles, dans une société où la
sexualité risque de prendre trop de place en particulier dans
les media, et de nous enfermer dans une recherche égoïste
du plaisir. C’est un soutien pour tous ceux qui ne peuvent pas
avoir des relations sexuelles épanouissantes dans le mariage
comme les célibataires forcés qui n’ont pas pu
se marier, les mariés séparés comme les émigrés
ou les prisonniers, et aussi les personnes qui ont des difficultés
dans leur mariage, à qui on demande de s’abstenir de
relations sexuelles et de rester fidèle à leur
conjoint. Les religieux sont la preuve vivante que c’est
possible. C’est aussi un encouragement et un appel pour ceux
qui sont exploités dans leur sexualité comme les
enfants de la rue et autres victimes de la pédophilie, ou les
prostitués. Le célibat consacré est aussi le
signe de la vie éternelle « où il n’y
aura plus ni homme ni femme » comme le dit Jésus
Lui-même. Mais pour moi l’essentiel c’est d’aimer
Jésus et chercher à vivre comme Lui dans toute sa vie,
en fils du Père et en frère te tous.
Remplissez la terre, multipliez-vous. En faisant le
contraire, n’est-ce pas un signe de mauvaise foi vis-à-vis
du Créateur de l’homme et de la femme ?
« Multipliez-vous
et remplissez la Terre ».
Je pense que de nos jours cette parole de Dieu est vraiment réalisée,
la Terre est remplie. Le problème qui se pose maintenant,
c’est plutôt celui de la surpopulation. De toute façon,
c’est un commandement général à toute
l’humanité, qui n’empêche pas chacun de
vivre sa vocation personnelle. La vie du Christ célibataire en
est la preuve et la justification. Dieu nous demande de donner la
vie. Mais donner la vie ne se limite pas à faire des enfants,
Il s’agit de faire grandir la vie dans le monde sous toutes ses
formes. Et d’aider les gens à mieux vivre, en vérité
et totalement, chacun selon sa vocation. De même qu’un
couple sans enfant peut donner la vie, pas seulement en adoptant
d’autres enfants, mais par son engagement dans la société
pour faire grandir la vie dans toutes ses dimensions.
Est-ce possible de servir Dieu sans obéissance
ou sans fidélité à la chasteté ?
Encore une fois,
tous ne sont pas appelés au célibat religieux, mais
tous sont appelés à vivre la Chasteté, mariés
comme célibataires, consacrés ou non. Nous sommes
limités et pécheurs, mais nous faisons ce que nous
pouvons pour vivre et aimer le mieux possible, comme Dieu nous le
demande, comme le Christ nous en a donné l’exemple, et
comme l’Esprit Saint nous en donne la force dans l’Eglise,
en particulier par la prière et la partage de la Parole de
Dieu, les sacrements et le soutien de nos frères.
L’Eglise dans son ensemble est secouée
par la problématique de chasteté. Il y eut, en un
moment précis de l’histoire de l’Eglise, ceux qui
tenaient mordicus sur le mariage des prêtres ; aujourd’hui
nous remarquons avec regret le rebondissement de la pédophilie,
des prêtres homosexuels, etc. Quel regard portez-vous face à
ce risque qui ternit l’image de l’Eglise Sainte,
Catholique et Apostolique (crédo) ?
C’est
malheureusement plus qu’un risque, c’est une réalité.
C’est sûr que l’homosexualité et surtout la
pédophilie ternissent l’image de l’Eglise, d’une
façon honteuse et inacceptable. Surtout la pédophilie
qui est une agression très grave sur des enfants qui vont en
supporter les conséquences et une grande souffrance dans toute
leur vie. Heureusement que maintenant on réagit fortement et
qu’on ne cache plus ces problèmes, mais au contraire
qu’on cherche les moyens pour les éviter, sous la
conduite énergique du pape François et des responsables
des différentes congrégations religieuses. Il n’y a
pas que les prêtres ou les religieux qui sont pédophiles
ou homosexuels, mais quand il s’agit de ces personnes qui se
sont engagées pour le Royaume de Dieu, c’est beaucoup
plus grave. Et inacceptable. Cela nous montre que l’Eglise est
composée de pêcheurs. Et que nous devons tout faire pour
changer de vie et aider nos frères et sœurs à le
faire, dans le domaine de la sexualité comme dans tout le
reste de notre vie, en nous appuyant sur la grâce de Dieu. Mais
qu’il faut aussi changer nos sociétés dans ce
domaine : car on condamne la pédophilie avec raison, mais
on accepte la prostitution et la pornographie. On condamne justement
les prêtres homosexuels, mais on légalise en même
temps le mariage entre personnes homosexuelles en le présentant
comme un progrès et une libération. On condamne
sévèrement la pédophilie, et il faut le faire
absolument par respect pour la vie des enfants, mais en même
temps on légalise l’avortement et la GPA (gestation pour
autrui) : Où est le respect de l‘enfant dans tout
cela ? Donc, il ne faut pas mélanger le manque de
chasteté, les relations homosexuelles et la pédophilie :
ce sont trois choses différentes, qui chacune demande une
solution adaptée. Il n’y a pas que les prêtres ou
les religieux qui sont pédophiles : il faut condamner
tous ceux qui s’y adonnent et surtout les soutenir et les aider
à changer. Et c’est toute la société qu’il
faut changer, en agissant sur les causes profondes de ces problèmes.
Avec
vous, mon père, nous sommes là au cœur du sujet.
Votre véritable vie religieuse, c’est la pratique des
conseils évangéliques, ou mieux, si vous me permettez
de le dire, de la fidélité à l’obéissance,
de la soumission forcée à la pauvreté et à
la chasteté. Est-ce facile de vivre en religion avec autant de
contraintes ? Pourriez-vous nous expliquer le sens profond des
conseils évangéliques ?
Je
viens d’essayer de le faire. Mais encore une fois, les conseils
évangéliques et les trois vœux du religieux ne
sont absolument pas une contrainte, ni une soumission forcée,
mais au contraire une libération, pour aimer davantage. C’est
une façon de vivre l’amour dont la société
actuelle, marquée par l’individualisme, la recherche du
plaisir et de l’argent, a énormément besoin.
C’est un signe que le Royaume de Dieu est arrivé parmi
nous. L’autre signe étant le sacrement de mariage, et la
vie des couples et des parents qui s’aiment, aiment ensemble
leurs enfants et font grandir l’amour dans la société.
DEUXIEME
PARTIE. L’EGLISE ET SA MISSION
L’essence
de L’Eglise - Ad gentes - Expérience missionnaire et
Regard africain de la mission
«
Tout est possible à Dieu » : Dieu
a en propre que l’impossible s’avère pour lui
possible, alors qu’il reste toujours impossible à
l’homme. Ainsi la naissance miraculeuse d’Isaac dans la
vieillesse de Sarah (Genèse
18, 14) et la naissance encore plus miraculeuse du Christ, né
d’une vierge (Luc
1, 37). Le Christ rend possible aux hommes le possible même de
Dieu, c’est-à-dire ce qui leur resterait, à eux,
sinon, impossible ».
L’ESSENCE
DE L’EGLISE
Placide
Mandona : L’Eglise, qu’est-ce ?
Quelle est sa nature et sa fonction ?
C’est la
famille des baptisés répandue dans le monde entier, la
communauté des chrétiens, enfants de Dieu et frères
et sœurs de Jésus-Christ. C’est le peuple de Dieu.
Le Christ a sauvé tous les hommes et l’Eglise est à
la fois le cœur et le signe du Royaume de Dieu qui est arrivé
sur la terre. C’est pourquoi l’Eglise ne doit pas
travailler pour elle-même. Elle est au service du Royaume,
comme le Christ lui-même l’a fait. Jésus
dit : « Tu
es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. »
Mais il ajoute : « Et
je te donnerai les clés du Royaume »
(pas seulement les clés de l’Eglise). L’Eglise est
humaine : elle est imparfaite, elle a beaucoup de limites. Car
elle est composée de pécheurs. Mais des pécheurs
qui sont déjà sauvés et qui cherchent à
vivre de la vie de Dieu lui-même.
Comment considérez-vous la hiérarchie
au sein de l’Eglise ? Est-elle normale ? Est-elle
divine ?
La hiérarchie
dans l’Eglise est tout à fait normale. Toute
organisation a besoin de responsables, et les responsables de
l’Eglise ont été établis par le Christ
lui-même comme nous l’affirme l’évangile. Et
comme l’Eglise elle-même, ses responsables sont humains.
Et donc limités et pécheurs. Il y a eu même des
cas dramatiques dans la vie passée de l’Eglise.
Heureusement qu’à notre époque nous avons des
papes et des responsables de l’Eglise qui sont vraiment des
modèles, et même des saints. D’ailleurs pourquoi
les critiquer ? Nous ne sommes pas meilleurs qu’eux,
l’essentiel c’est de nous soutenir les uns des autres,
Chacun a sa place, pour avancer ensemble. On dit souvent qu’on
a les responsables que l’on mérite.
L’Eglise dans le monde de ce temps, est-elle
vraiment nécessaire et utile ?
L’Eglise est
absolument nécessaire. Malgré toutes ses limites, ses
erreurs et ses fautes, elle reste le signe vivant du Royaume de Dieu
dans le monde. Et c’est en elle qu’on célèbre
les sacrements de Jésus-Christ qui sanctifient les hommes.
Elle annonce la Bonne Nouvelle de l’Evangile au monde entier.
Et de nombreux chrétiens agissent d’une façon
admirable dans la société. Car l’Eglise, ce ne
sont pas seulement les responsables. Ce sont tous les chrétiens.
L’Eglise c’est le peuple de Dieu, comme nous l’a
rappelé le concile du Vatican II. Cela ne veut pas dire qu’en
dehors de l’Eglise il n’y a pas de salut. Jésus a
sauvé tous les hommes et l’Evangile est pour tous.
L’Esprit Saint souffle où il veut et il travaille dans
le cœur de tous les hommes. Mais la place de l’Eglise
reste essentielle dans le monde.
Quel
regard portez-vous face à l’illusion des théologiens
ou des exégètes supposés chrétiens, quand
ils font « l’hypothèse que le maître de
l’Évangile, le maître de la Parole de Dieu n’
[est] pas Dieu, mais l’homme s’érigeant en
interprète, en juge ? ».
Le
maître de l’Evangile, c’est Jésus Christ
bien sûr, comme le maître de la Parole de Dieu c’est
Dieu lui-même. Dieu a vraiment parlé aux hommes par les
prophètes. Mais ceux-ci ont compris la parole de Dieu comme
des hommes de leur temps, avec leur culture et leurs connaissances,
et toutes leurs limites. C’est pourquoi, il est important de
resituer la Parole de Dieu dans son contexte, et de l’étudier
sérieusement, pour la comprendre. C’est l’Eglise
qui a reçu la Parole de Dieu et qui est responsable de sa
dernière interprétation, après avoir écouté
bien sûr non seulement les théologiens mais aussi le
Peuple de Dieu : ce qui se dit dans les communautés de
base, la foi du peuple animé par l’Esprit saint. C’est
là peut être qu’il y a un grand manque jusqu’à
maintenant.
Nous
avons quatre évangiles et non pas un seul. Nous n’avons
pas les paroles prononcées par Jésus lui-même,
mais ce que différentes communautés chrétiennes
ont retenu de ce qu’il a dit, et comment elles l’ont
compris. En fait c’est une grande chance pour nous ; cela
veut dire que nous devons à notre tour, méditer ces
paroles de Dieu, et chercher à comprendre ce qu’elles
signifient pour nous, et à quoi elles nous appellent dans
notre société actuelle.
Qu’y
a –il de meilleur en Dieu ?
Ce
qu’il y a de meilleur en Dieu, c’est qu’il est
Dieu ! C’est son amour total et inconditionnel. Et cet
amour Il nous l’a fait connaître par sa Parole aux
prophètes d’abord, et totalement dans son Fils Jésus
ensuite (Heb 1,1). Et cet amour nous le recevons en particulier par
les sacrements dans l’Eglise.
Comment
vivez-vous la transmission de la parole de Dieu en Afrique et
spécialement à Pikine ?
Je
ne peux pas parler de la transmission de le Parole de Dieu en
Afrique en général, bien qu’ayant travaillé
dans plusieurs pays africains. Simplement, j’ai toujours
cherché à la transmettre dans la langue locale. Ce qui
m’a amené à apprendre plusieurs langues
africaines. Pour cela, j’ai tenu à recevoir dès
le début de mon sacerdoce une formation en linguistique
africaine. Au Congo nous avons souvent transmis la Parole de Dieu
par les contes et les proverbes traditionnels. Et aussi par les
chants dans les scholas populaires : pas seulement à la
messe, mais dans l’animation des cérémonies
traditionnelles de naissance, de mariage, de décès et
de levées de deuil, etc…. Et ces chants étaient
chantés au travail, à la maison et sur la route ce qui
a été un grand moyen de transmission de la Parole de
Dieu. Nous avions des gens habitués à improviser des
chants, et qui composaient des chants sur l’évangile de
chaque dimanche. Il est sûr que la transmission de la Parole de
Dieu est plus facile en secteur rural où généralement
tous les gens parlent la même langue et partagent la même
culture.
Où
je suis actuellement à Pikine, secteur de grande banlieue, on
retrouve des gens de nombreuses ethnies et de nombreux pays, souvent
coupés de leur culture et très marqués par les
influences extérieures qu’ils n’ont pas le pouvoir
de contrôler et que souvent ils ne comprennent même
pas. Car ils ne connaissant pas la situation et le contexte dans
lequel les émissions sont produites à la radio et à
la télévision, et ils ne peuvent donc pas comprendre
ces messages des artistes et des chanteurs étrangers. Dans ces
conditions, il est difficile de transmettre la parole de Dieu d’une
façon claire et compréhensible par les gens. De plus,
l’enseignement se fait presque toujours en français, une
langue que beaucoup de gens ne possèdent pas bien ou même
pas du tout. Il est alors très difficile d’assurer une
formation chrétienne en profondeur. A Pikine, nous essayons
d’utiliser au maximum le wolof qui, s’il n’est pas
la langue maternelle des gens, est compris par la plupart de la
population. Et pour la catéchèse, elle se fait dans
plusieurs langues. Et les chorales sont très vivantes, et
elles chantent souvent dans les langues locales. De même, on a
maintenant de nombreux artistes chrétiens qui cherchent à
transmettre la Parole de Dieu.
C’est
tout le problème de l’inculturation : Comment vivre
l’évangile en vérité dans sa propre
culture dans ces conditions ? Comment vivre les valeurs
traditionnelles dans le monde actuel en ville, dans une société
marquée par la modernité et souvent colonisée
par l’étranger ? Que prendre et que refuser des
apports extérieurs, et comment les intégrer dans notre
vie et dans notre culture ? Nous n’avons pas de solutions
toute faites pour cela. Il nous faut chercher en tâtonnant.
Ensuite
nous devons transformer notre façon de vivre à cause de
l’Evangile, sans pour autant copier l’occident ou
l’Amérique. Dans la plupart des ethnies africaines, il
existe de nombreux rites et symboles et de grandes richesses
culturelles, en particulier au moment de la naissance, du passage à
l’âge adulte (initiation), du mariage et de la mort. Mais
nous n’avons pas de rituel adapté à la culture
négro africaine. Je parle ici des valeurs traditionnelles
bien sûr, et non pas des coutumes qui écrasent et
enferment les personnes, comme la polygamie, le maraboutage et la
sorcellerie, ou le fatalisme qui sont à rejeter absolument.
Mais encore faut-il voir comment le faire d’une façon
positive, et quelle réflexion apporter pour que ce soit une
véritable libération et que les gens ne se sentent pas
perdus, et sans bases sur lesquelles construire leur vie. A Pikine,
nous avons composé avec les catéchistes et les
responsables de communautés, des schémas de
célébrations pour ces étapes de la vie en y
intégrant des rites et des symboles traditionnels : à
la naissance (sans attendre le baptême), à l’adolescence
(le passage à l’âge adulte, sans attendre la
confirmation), le mariage traditionnel (sans attendre de pouvoir
célébrer le mariage sacramentel) , le deuil (au
moment des enterrements), tout en luttant contre les conditions de
vie souvent difficiles faites aux veuves et aux orphelins et les
autres coutumes païennes, et aussi contre les dépenses
excessives dans ces différentes occasions.
J’ai
vécu une recherche très intéressante dans ce
sens quand j’étais curé de Tambacounda au Sénégal
oriental, où nous avions introduit certains rites de
l‘initiation bassari dans la célébration des
étapes du baptême. Nous avons repris la même
recherche à Mongo dans la Guinée forestière,
dans la culture kissi. En cherchant aussi à organiser nos
communautés chrétiennes de village (CCB) sur la base de
l’organisation traditionnelle de la famille et du village. Mais
ce n’est pas simple : Que faut-il garder de la religion
traditionnelle, des coutumes et des valeurs ? Et comment les
christianiser, tout en les respectant ?
Par
exemple, les évêques d’Afrique ont défini
l’Eglise comme la Famille de Dieu. Mais quelles choses garder,
et quels comportements rejeter ? Comment vivre les richesses de
la famille traditionnelle africaine, en les christianisant ?
Comment les vivre dans le monde actuel avec tous les
bouleversements que cela implique ? Et le vivre dans les deux
sens : évangéliser notre culture et vivre
l’évangile avec les richesses de notre culture.
Est-ce
que admettre que la « norme de la théologie ne se
trouve pas dans l’esprit humain, [mais] se découvre dans
la foi de l’Église, qui reconnaît la Révélation
dans l’Écriture et sa tradition » (Jean-Marie
Lustiger), peut –il brimer la liberté de la recherche
théologique tout en lui assurant son unique légitimité ?
C’est
là un équilibre à trouver. La liberté de
recherche est nécessaire dans l’Eglise dans tous les
domaines, pas seulement pour la théologie. Mais elle demande
une réflexion profonde, une recherche sérieuse, de la
patience, et surtout la foi et la prière. Elle doit se faire
en Eglise : en accord non seulement avec les responsables, mais
aussi avec le peuple chrétien qui sent et vit les choses. Pour
reprendre les exemples que j’ai vécus, il est sûr
que le peuple guinéen a plus soif d’authenticité
que les sénégalais, trop marqués et depuis
longtemps par la France. Et qu’au Sénégal ,
les catéchumènes sont plus disposés à
évoluer que certains chrétiens de longue date accrochés
au latin et aux pratiques du 19° siècle des premiers
missionnaires, qu’ils prennent pour LA Tradition de l’Eglise
universelle elle-même.
Pour
moi, les normes de la théologie se trouvent à la fois
dans l’esprit humain et dans l’Eglise. Je reçois
le Christ et son Evangile à partir de l’histoire de
l’Eglise et de sa tradition. En même temps, la foi est
personnelle, et elle m’engage personnellement. Je crois de tout
mon être et à partir de ce que je suis : selon ma
personnalité et mon expérience. Jésus disait :
« la vérité vous
rendra libres » (Jean 8,32). C’est
tout le contraire de la foi du charbonnier. La foi n’est pas
évidente, mais je cherche à y arriver, non seulement de
tout mon cœur mais avec tout mon esprit, en continuant à
approfondir ma foi malgré les doutes et les obscurités.
Cela est vrai aussi pour les théologiens.
Les
devoirs de la morale et de l’instruction – ne pas mentir,
ne pas tricher, apprendre et comprendre, etc., quelle est la place de
la religion lorsque la morale semble tout dire ?
La
morale ne dit pas tout de la religion, et encore moins de la foi. Les
10 commandements nous les partageons non seulement avec les
monothéistes, mais avec tous les hommes qui ont une conscience
et un sens moral. Nos ancêtres connaissaient les 10
commandements dans leur cœur, même s’ils ne
connaissaient pas Jésus ni même Moïse. La religion,
ce n’est pas seulement une morale, même s’il est
vrai que la religion nous propose un chemin pour aller vers Dieu. Et
la foi chrétienne vient approfondir les choses. Je ne crois
pas dans des vérités, mais en quelqu’un en
qui j’ai mis ma confiance: Jésus Christ. Je suis sûr
de son amour, et je cherche à vivre «par Lui, avec
Lui, et en Lui ». C’est pourquoi, plutôt que
de garder simplement les commandements, j’essaye de vivre dans
la foi et dans l’amour. D’ailleurs sans foi et sans
amour, il n’y a pas de vrai accueil des commandements. Et le
premier commandement, déjà au temps de Moïse,
avant les 10 commandements c’était bien : « tu
aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton
esprit, de toute ton âme, de toutes tes force. Et tu
aimeras ton prochain comme toi-même», afin de vivre dans
l’Alliance de Dieu. Car les 10 commandements n’ont pas
été donnés par Dieu isolément, mais dans
le cadre de l’Alliance, et comme signe de la fidélité
à cette Alliance de Dieu avec les hommes : «
Si tu m’aimes, tu garderas mes commandements ».
C’est l’amour qui est premier. C’est toute
l’histoire de jeune homme riche dont j‘ai parlé
plus haut.
Le
Jeudi saint, le jour du sacerdoce du Christ, de l’instauration
de l’Eucharistie. Comment et où vivez-vous ce grand jour
de l’Eglise ?
Je
vis le Jeudi Saint en célébrant l’eucharistie
avec ma communauté, mais aussi en cherchant à vivre en
communion avec tous ceux que je rencontre ce jour là. Et
j’insiste pour dire que ce n’est pas seulement la fête
des prêtres, mais la fête de l’eucharistie :
de l’action de grâces du peuple tout entier, du sacrifice
du Christ qui nous sauve, de la nouvelle Alliance et de la communion
avec tous les hommes. Par l’eucharistie, le Christ remplit le
monde entier de son amour.
Le
Vendredi saint, jour de la kénose de Dieu qui déverse
sa divinité.
D’abord Dieu ne déverse pas sa divinité
du haut du ciel, il s’est fait totalement homme en son Fils
Jésus Christ. Il prend sur Lui non seulement les péchés,
mais toutes les souffrances et toutes les injustices du monde, en
étant tué injustement comme un esclave. C’est un
appel à être plus attentif à ceux qui souffrent,
aussi bien dans leur cœur et leur esprit que dans leur corps.
Et à lutter contre le mal présent dans le monde, avec
les moyens qui sont les nôtres. C’est appel très
fort à libérer les pauvres, les petits et tous ceux qui
sont écrasés, à la suite du Christ et avec Lui,
« qui s’est abaissé en devenant obéissant
jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix »
(Phil 2,8).
Comment
subissez-vous l’épreuve du vide de chaque
vendredi-Saint ?
Pour
moi, le vendredi saint, ce n’est pas le vide. Il est rempli de
tous les cris de tous ceux qui souffrent et sont traités
injustement. Ce jour-là, j’invite souvent un réfugié
ou quelqu’un qui souffre, pour l’accueillir et
l’écouter, selon ce mot de Pascal «
le Christ est en agonie jusqu’à
la fin du monde. Il ne faut pas dormir pendant ce temps-là ».
En nous rappelant ces paroles du Christ : « J’avais
faim,, j’étais malade, j’étais nu, j’étais
étranger….tout ce que tu as fait au plus petit de mes
frères, c’est à moi que tu l’as fait »
(Mat 25,32-46)
La
logique exacte de la liturgie pascale – l’Eucharistie du
Jeudi, la mort du Vendredi, en attendant la Résurrection dans
la nuit du Samedi au Dimanche. Pour vous, qu’est-ce que ce
triduum représente dans votre vie comme chrétien et
comme prêtre ?
La
liturgie pascale c’est le sommet de la liturgie. Elle nous fait
revivre la mort et la résurrection du Christ. Elle est très
parlante, que ce soit le rite du lavement des pieds du jeudi saint,
la passion et le chemin de croix du vendredi, et le rite du feu et de
la lumière du samedi saint. Elle nous appelle à
ressusciter nous-mêmes à une vie nouvelle avec le
Christ. Mais cela n’est ni facile ni évident.
Les
3 jours de la semaine pascale sont une invitation très forte à
vivre toute ma vie avec Jésus Christ, et à le
reconnaître dans chacun de mes frères, chaque jour avec
sa spécificité : Le jeudi Saint, vivre la
communion. Le vendredi, partager les souffrances et lutter contre le
mal. Le samedi, ressusciter à une vie nouvelle et aider ceux
avec qui je vis à changer leur cœur et leur vie. Mais
pour beaucoup de chrétiens, la fête qui les touche le
plus, c’est Noel. Et c’est plus la fête des
enfants, des cadeaux et des soirées dansantes, que la
célébration de la naissance du Christ. Dans les jardins
d’enfants, même catholiques, et aussi dans toute la
ville, on parle plus du père Noel que de Jésus. Alors
que même dans le Coran, on parle longuement de la naissance de
Jésus.
La
liturgie, « n’est pas la mise en scène de
l’invisible, mais l’actualisation de ce qui s’est
rendu visible » (Jean-Marie Lustiger). Est-ce vrai ?
Dieu
s’est fait visible dans le Christ. A chaque eucharistie, nous
revivons la mort et la résurrection du Christ pour un monde
nouveau.
Etes-vous
sûr que la certitude d’être appelé par Dieu
est encore authentique en vous, ou c’est une affaire de vos
efforts humains ?
Appelé
par Dieu, j’ai trop conscience de mes limites, pour croire que
ma foi dépend seulement de mes efforts humains. Si je suis
religieux missionnaire aujourd’hui, c’est parce que Dieu
m’appelé. Et il continue à me soutenir chaque
jour. Mon problème, c’est de répondre le mieux
possible à cet amour, en sachant que je ne serai jamais sûr
de ma foi. La foi, c’est un engagement à répondre
chaque jour à l’appel de Jésus Christ pour
ressusciter à une vie nouvelle. Pas tout seul, mais ensemble
avec mes frères et mes sœurs.
Peut-on
nous interroger un instant sur la figure historique du Messie. La
question qui me turlupine et m’horripile est celle-ci :
qu’est-ce qui fonde la foi chrétienne, outre la
résurrection du Christ ?
La
résurrection du Christ est bien sûr le sommet de toute
l’histoire du salut et donc de toute vie chrétienne.
Mais ma vie chrétienne s’appuie aussi sur ses paroles,
et sur ses actions pendant toute sa vie, qui sont pour moi une source
d’inspiration et un très grand encouragement. Et aussi
sur ce que le Saint Esprit auquel je suis consacré me dit dans
mon cœur, sur les signes des temps (la présence et
l’action de Dieu dans le monde), et ce que me dit l’Eglise
animée par ce même Esprit. L’évangile
apporte un sens absolument nouveau et extraordinaire, à la vie
de l’homme et à la vie du monde.
C’est
pourquoi, je suis gêné par certains chrétiens
qui suite à des enseignements orientés, voient le mal
et Satan partout, et se culpabilisent en disant : je suis un
très grand pécheur, j’ai commis tous les péchés…
C’est vrai que Satan existe, et il est fort. C’est vrai
que nous sommes tous pécheurs, et qu’il y a le mal dans
notre vie. Mais il y a aussi des bonnes choses que nous faisons, et
nous avons aussi des qualités, grâce à Dieu.
N’insultons pas Dieu qui nous a créés et « qui
vit que cela était très bon » (Genèse)
Quand
Jésus regardait les gens, Il les regardait avec amour. Par
exemple, la prostituée chez Simon : Il voit son amour et
ses pleurs : « Il lui sera beaucoup pardonné,
parce qu’elle a beaucoup aimé » (Luc 7,45).
Et Il lui dit : »va en paix ». Jésus
voyait les qualités et les bonnes choses que font les gens, et
non pas leurs défauts et les mauvaises choses. Il ne regarde
pas leurs péchés, mais les désirs de leur
cœur…Même s’ils n’arrivent pas encore
à faire le bien qu’ils désirent faire.
Nous
sommes des pécheurs, c’est vrai. Mais nous sommes des
pécheurs pardonnés, et sauvés par Jésus
Christ. A nous de répondre à son amour et à
devenir miséricordieux comme LUI. Et non pas nous enfermer
dans le mal que nous avons fait.
C’est
pourquoi, je suis aussi mal à l’aise par cette prière
de la divine Miséricorde, répétée sans
cesse et à laquelle on se limite : « Par ta
douloureuse passion, sois miséricordieux pour nous et pour le
monde entier ». C’est vrai que Jésus a
beaucoup souffert pour nous. Mais Il est aussi ressuscité, et
Il est entré pour toujours dans la lumière de Dieu. Et
nous sommes déjà ressuscités avec Lui par le
baptême, pour vivre d’une vie nouvelle en enfants de Dieu
dans la joie. Dans cette prière je vois bien la demande de
pardon, mais où est l’action de grâces ? Et
les béatitudes (Mat 5,3-12) ? Où est le Saint
Esprit, qui conduisait Jésus dans toute sa vie, et nous
conduit nous aussi dans la paix et l’espérance ?
Il
ne faut pas confondre non plus, la foi avec les sentiments, et
surtout pas avec les sensations. Des chrétiens disent : »
quand je prie, je ne sens plus rien dans mon coeur, j’ai perdu
la foi ». Et certains vont même jusqu’à
dire : « Dieu m’a oublié, Il ne me
répond plus ». Mais la foi
ce n’est
pas une question de sentiment, et surtout pas une question
d’exaltation et d’excitation. Elle est dans le cœur,
mais aussi dans l’esprit et la volonté. Même si
tu n’as plus envie de prier, si tu prends un temps à
l’église ou à la maison, pour écouter le
Saint Esprit dans ton cœur, tu aimes Dieu. Même si tu ne
sens rien dans ton cœur, tu lui donnes du temps, tu as la foi.
Nous devons apprendre le silence. Comme le prophète Elisée :
« Le Seigneur n’était pas dans le feu, il
n’était pas dans la tempête, Il n’était
pas dans le tremblement de terre. Il était dans une brise
légère « (1° Rois 19, 12)
Je
suis très heureux de voir des gens, jeunes et adultes, se
réunir pour la prière, pour louer Dieu et Lui dire
merci.…même si parfois j’ai de la peine à
prier avec certains groupes. Je respecte leur prière, mais je
trouve qu’il y a souvent trop de bruit et que l’on
recherche trop de choses extraordinaires et même des miracles,
au lieu de chercher à vivre sa foi dans la simplicité
et la vie de tous les jours. Et certaines rencontres ressemblent
parfois à des soirées dansantes catholiques, plus qu’à
une prière.
C’est
très bon de danser pour le Seigneur, car nous devons le louer
et Lui dire merci, avec tout notre cœur et tout notre esprit,
mais aussi avec le corps qu’Il nous a donné. Mais à
condition que ce soit des danses liturgiques et priantes, et pas
seulement du défoulement. Et que l’on danse avec son
corps mais aussi avec toute son âme, « en esprit et
en vérité » (Jean 4,23), pour en faire une
véritable louange et action de grâces. David a dansé
dans le Temple, mais il a aussi été un saint qui a
pleuré son péché et changé de vie, après
avoir fait tuer le mari de Bethsabée pour la marier. Et il a
été un bon roi qui a cherché à construire
son pays selon la volonté de Dieu. Dansons comme David dans le
Temple, mais changeons notre vie. Et surtout engageons-nous dans la
société comme Lui, sans rester enfermés dans nos
églises.
Mais
ce qui m’inquiète encore plus, c’est que les
membres de certaines associations se retrouvent seulement entre eux.
Ils font un groupe à part, et ne participent pratiquement pas
aux activités de la paroisse : on ne les voit pas dans
les CEB, ni les récollections, ni dans l’engagement
dans la société…au moins dans notre paroisse.
Evangéliser ce n’est pas se réunir dans une salle
de prière, c’est aller partager la vie des gens, et
construire ensemble le Royaume de Dieu dans nos quartiers et nos
lieux de travail, comme Jésus nous le dit le jour de
l’Ascension : « De toutes les nations faites
des disciples, …apprenez-leur à garder les
commandements que je vous ai donnés. » (Mat
28,19)…Les anges nous disent à nous aussi : «
Pourquoi restez-vous à regarder le ciel ? ».
Nos amis musulmans commencent le Ramadan demain. Evangéliser,
c’est les aider à vivre le Ramadan dans le respect de
leur religion, mais aussi avec les valeurs de l’Evangile, à
la manière de Jésus, dont on parle très souvent
dans le Coran. L’Evangile est pour tous les hommes. Il
s’agit d’aller vers les pauvres et les petits comme nous
le rappelle sans cesse notre pape : aller à la
périphérie ; lutter contre la société
du déchet où on traite les gens qui ne sont pas
« rentables » comme des ordures à
jeter ; et construire des ponts plutôt que des murs.
Quelqu’un
est venu me dire : »toi, tu n’es pas infusé ! »
C’est vrai que je suis spiritain, mais je n’ai pas reçu
l’effusion de l’Esprit. D’ailleurs je ne la cherche
pas ! Ce n’est pas un sacrement. J’ai reçu le
Saint Esprit le jour de ma confirmation, et ça me suffit
largement. J’ai déjà suffisamment de peine comme
ça, à L’écouter et à faire ce qu’Il
me demande.
«
Dieu est mort. », disait lapidairement Nietzsche, mais quel
Dieu ?
Dieu est Amour.
C’est le dieu de Nietzsche qui est mort. Pas le Dieu de
Jésus-Christ. Comme je l’ai dit, si Nietzsche pensait en
un dieu vengeur qui cherche à punir les hommes et qui est
mort, c’est sans doute à cause de la conception de
certains chrétiens de son temps, traditionnalistes et
formalistes, qui avaient complètement transformé le
sens du Dieu de l’Ancien Testament. Alors que Moïse et les
prophètes nous rappellent sans cesse, que Dieu est « un
Dieu de Tendresse, de Miséricorde et de Pitié, Plein
d’Amour et de Fidélité »
(Ex
34,6). En tout cas, ce n’est pas dans le dieu de Nietzsche que
je crois, et moi aussi je souhaite qu’il soit mort. Je crois en
Jésus-Christ et en son Père qui est un Dieu bien
vivant, qui nous fait vivre et réussir notre vie.
L’Eglise face à l’épreuve
du nihilisme outrecuidant contemporain. Beaucoup déclarent la
mort de Dieu. Qu’en pensez-vous ?
Si
Dieu était mort, je ne vivrais pas ce que je vis aujourd’hui.
Ce qui est mort, c’est la croyance en un dieu égoïste
au ciel, qui surveillerait l’homme d’en haut et qui le
punirait s’il se conduit mal en l’envoyant en enfer. Je
ne crois pas en ce dieu là. Ce dieu est complètement
mort pour moi, car il n’a jamais existé. Je crois en un
Dieu vivant avec les hommes et qui les fait vivre. Bien sûr si
on cherche Dieu en dehors des hommes, on ne le trouvera jamais, car
Dieu a voulu se faire homme, totalement et pour toujours. Le Dieu en
lequel je crois c’est le Dieu de Jésus Christ qui s’est
fait homme et a partagé toute ma vie
Entre
l’Église et l’Etat, qui est antérieur à
l’autre ?
L’état
est bien sûr antérieur à l’Eglise, puisque
l’Eglise n’a commencé qu’à la
Pentecôte. Mais je crois qu’il n’y a pas de
priorité de valeur entre les deux, mais une nécessité
de collaboration. Pour moi, je suis à la fois citoyen et
chrétien, et je cherche à vivre les deux ensemble et le
mieux possible. Mon problème, c’est que beaucoup de
chrétiens se replient sur la paroisse et la vie liturgique,
et ne s’engagent pas dans la société. Ils
cherchent à rendre à Dieu ce qui est à Dieu,
mais ils oublient de rendre à César ce qui est à
César.
En
quoi consiste l’élection baptismale des catholiques ?
On ne
peut pas résumer le sens du Baptême en quelques mots.
L’eau du baptême nous lave et nous purifie : le
Christ nous libère de tout péché et nous appelle
à lutter contre toutes les formes de mal, de souffrances et
d’injustices. Le Baptême fait surtout de nous des enfants
de Dieu, il nous appelle à vivre une vie nouvelle (ressuscité
avec le Christ), et à construire un monde nouveau (2 Pi 3,
13). Le baptême nous rassemble dans l’Eglise, la grande
famille des enfants de Dieu, qui est au service du Royaume de Dieu.
C’est une élection, c’est-à-dire un choix
gratuit de Dieu, absolument libre et sans mérite de notre
part. C’est pourquoi nous n’aurons jamais fini de dire
merci à Dieu, et de répondre à l’appel du
Christ en nous laissant conduire par le Saint Esprit.
Une
Église triomphante parmi les hommes ne devrait-elle pas
s’inquiéter d’avoir déjà tout
compromis de son élection en s’étant compromis
avec le monde ?
L’Eglise
triomphale, je pense que c’est bien finie et tant mieux. Il
nous arrive à tous de nous compromettre. Mais je ne crois pas
qu’actuellement l’Eglise se compromette avec le monde.
Même si elle doit toujours rester vigilante pour ne pas
s’endormir, ni se faire récupérer. En particulier
par les offres d’argent et des cadeaux des dirigeants. C’est
une lutte de chaque jour, en commençant par nous-mêmes.
Mais mon souci c’est que l’Eglise en Afrique reste
souvent très liturgique, hiérarchique et cléricale.
Nos responsables les évêques parlent et font des
déclarations sur la société, mais il ne suffit
pas de dénoncer il faut agir pour faire disparaitre les maux
de cette société. Et surtout les laïcs attendent
trop souvent que les prêtres et les évêques
parlent, mais ils ne s’engagent pas suffisamment eux-mêmes.
Alors que c’est cela leur première responsabilité.
A cause de cela les choses n’avancent pas beaucoup.
La
lecture de l’Ancien et du Nouveau Testament en continuité
fait apparaître la Bible comme un seul bloc. Quiconque connaît
la Loi et les prophètes, l’histoire de l’élection
d’Israël et les vicissitudes de l’Alliance,
l’attente du Messie dans la figure du Serviteur souffrant, peut
admettre que mieux vaut être juif que non juif pour comprendre
le Christ. Quelle serait votre position ?
Il est
sûr qu’il y a une continuité entre l’Ancien
et le Nouveau testament. Je préfère d’ailleurs
parler de première et de nouvelle Alliance. Mais le Dieu de
Jésus Christ parle au coeur de tous les hommes, et les autres
cultures et religions portent aussi des semences du Salut, comme le
disaient les Pères de l’Eglise, par exemple Saint
Justin. Là où je travaille, il n’y a pas beaucoup
de juifs. Et en tant que missionnaire je cherche à répondre
à l’appel de Dieu sur ceux avec qui je vis, quelle que
soit leur religion. Certains vont devenir chrétiens en
entendant l’appel du Christ. Mais la très grosse
majorité, ce sont des musulmans. A cause en particulier de la
pression sociale, c’est très difficile pour des
musulmans qui le désirent de devenir chrétiens. Je
cherche surtout à les aider à pratiquer les valeurs de
l’évangile, à vivre leur religion à la
manière de Jésus Christ, même s’ils restent
musulmans. Evangéliser ce n’est pas baptiser. Saint Paul
disait « le Christ ne m’a pas choisi pour baptiser,
mais pour évangéliser » (1 Cor 1,17).
Entrer
dans le dernier Testament n’implique aucune rupture avec le
premier ni avec l’identité juive, puisqu’il s’agit
de la même promesse. Nouvelle Alliance !
« Le Christ, que Dieu a fait Seigneur de
tous et Premier-né d’entre les morts, ne se substitue
pas à Israël, il en est la suprême figure et le
fruit parfait. Il n’est pas la négation d’Israël,
il est sa rédemption », Lustiger. Est-ce vrai ?
C’est
vrai qu’il y a une continuité entre la première
et la nouvelle Alliance. Jésus est le Sauveur annoncé
par les prophètes et il est venu rendre parfaite (accomplir)
l’ancienne Alliance. Mais même si cela n’implique
pas une rupture encore moins une contradiction, l’Alliance
établie par Jésus Christ est vraiment une Alliance
nouvelle. Jésus lui même nous le redit. Il nous faut
pour cela relire le discours sur la montagne et les explications des
béatitudes (Mat 5-7) : « les
anciens vous ont dit, moi je vous dis ».
Et il y a une rupture avec la façon dont les docteurs de la
Loi et les pharisiens comprenaient et vivaient la première
Alliance. Cela n’empêche pas que les juifs sont nos
ancêtres dans la foi, et que nous les respectons pour cela,
comme aussi les ancêtres de chacune de nos cultures, et les
gens des autres religions. Le Christ n’est pas la négation
d’Israël, mais il est sa rédemption. Mais pour
sauver Israël, Jésus le transforme complètement de
l’intérieur
«
Les dons et les promesses de Dieu sont sans repentance »
(Romains 11,
29). Comment comprendre ce verset ?
Dieu a
fait alliance avec Israël, et il ne l’abandonnera pas. Il
n’abandonne personne. Et Paul dit clairement dans sa lettre à
Timothée (1 Ti 2,4) : « Dieu
veut que tous les hommes soient sauvés »
III.
L’EXPERIENCE MISSIONNAIRE
La
mission au sens plein de l’Eglise, qu’est-ce ?
Pour
moi la mission c’est faire connaître et aimer
Jésus-Christ, et avec l’aide du Saint Esprit, construire
son Royaume sur la Terre. Un Royaume ouvert à tous les hommes,
de toutes langues et de toutes religions.
Placide
Mandona : Y
a-t-il une vocation spécifique de la mission et à la
mission ?
C’est vrai que tout chrétien est missionnaire, c’est
à-dire envoyé par Dieu là où il vit, pour
être témoin de l’Evangile. Mais cela n’empêche
pas qu’il y a une vocation missionnaire spécifique,
c’est à-dire des gens qui se consacrent à la
mission, pour faire connaître Jésus et apporter
l’Evangile aux groupes humains qui ne le vivent pas encore
J’endosse
un ardent devoir de vous poser une question sur votre carrière
missionnaire. Missionnaire en Afrique. Pourquoi faire ?
Coloniser, recoloniser ou apprendre es règles morales de la
France ?
Missionnaire pour
coloniser c’est fini depuis longtemps, dans la mesure
d’ailleurs où cela a vraiment existé. Car il y a
eu souvent des oppositions entre les missionnaires et les autorités
coloniales, et les missionnaires ont souvent défendu les
populations contre les exactions des colons. De toute façon
maintenant, personne ne cherche plus à coloniser, ni à
imposer la foi chrétienne de force. Notre deuxième
fondateur le père Libermann disait à ses premiers
missionnaires : « faites-vous
noir avec les noirs ».
Beaucoup de missionnaires ont formé des gens, et les ont
soutenus au moment des indépendances. Et actuellement nous
travaillons en équipe internationale. La grande majorité
de nos confrères ne sont ni français ni européens.
Actuellement, nous sommes 3 français sur 98 dans notre
province d’Afrique du Nord Ouest. Et je ne suis pas là
en tant que français. D’ailleurs pour moi, je n’ai
pas vécu en France, sauf pour des études, mais dans
plusieurs pays d’Afrique. Mon problème est juste le
contraire, c’est qu’à mon avis le Sénégal
est encore beaucoup trop marqué par la France, dominé
par elle au point de vue économique et colonisé au
point de vue culturel. Même dans l’Eglise on parle
d’inculturation, mais pratiquement, très peu de choses
se font dans ce sens. Nous n’avons pas besoin des règles
morales de la France. C’est à partir des valeurs des
cultures sénégalaises que nous voulons évangéliser.
Missionnaire à
part entière dans un pays musulman. Quel regard avez-vous de
l’islam en confréries tel que pratiqué au
Sénégal ?
C’est
impossible de répondre à cette question en quelques
mots. Ces confréries me semblent permettre de mieux garder ces
valeurs traditionnelles sénégalaises dont je viens de
parler. Ce sont des confréries sufi, qui ont donc une
dimension spirituelle. C’est pourquoi, certains disent qu’elles
sont un rempart contre le terrorisme. Cependant, ces confréries
me semblent très moralisantes. Il n’y a qu’à
écouter les sermons des imams, spécialement les jours
des grandes fêtes musulmanes. Ce n’est pas étonnant
puisqu’elles n’ont pas reçu la Bonne Nouvelle de
l’Evangile qui nous libère. Dans un sens, elles en sont
restées à la première alliance, l’Ancien
Testament dont le Coran s’inspire largement. Mais au moins nous
pouvons travailler ensemble dans la paix, et cela est excellent.
Comme dans toutes les religions, il y a des gens qui se conduisent
mal et des croyants qui sont fermés, et même agressifs.
Mais cela existe aussi malheureusement dans le Christianisme, malgré
tout ce que Jésus a dit et vécu.
Dans
un de ses discours, le Pape François disait que le Saint Coran
était un livre de paix. Que lui reprochez-vous ?
Je
crois qu’effectivement dans le Coran qu’il y a des
passages qui nous appellent à la paix, même si d’autres
appellent à la violence. Mais c’est la même chose
dans la Bible, en particulier dans l’Ancien Testament et dans
les psaumes. En tout cas, comme dans beaucoup de pays, on se salue
en ses souhaitant la paix. Ce n’est pas propre aux musulmans,
d’ailleurs, c’est traditionnel. Au Sénégal
comme ailleurs, beaucoup de villages s’appellent Darou Salam
(le village de la paix). Maintenant, il reste la façon de
comprendre et d’interpréter, aussi bien le Coran que la
Bible. Beaucoup de choses sont en train d’évoluer, par
exemple pour la compréhension du Djihad, qui est en réalité
davantage un effort de conversion sur soi-même et de lutte
contre ses péchés et ses mauvaises habitudes (le grand
jihad), que la guerre contre les infidèles.
Quelles
sont les obligations de chaque vie missionnaire ?
La
vie missionnaire est marquée par la personnalité de
chacun, et le milieu où il travaille. Mais il y a deux choses
essentielles : aimer Jésus, et aimer le peuple dans
lequel nous vivons. A partir de là on peut voir comment la
mission peut se vivre. La prière et la vie en communauté
sont très importantes pour cela. Mais aussi étudier le
milieu dans lequel nous vivons pour en voir les besoins, et connaître
les souffrances des gens. Et également voir les efforts qui se
font pour rendre la société meilleure. Pour cela parler
avec les gens et écouter leurs réactions avec beaucoup
de soin et d’attention. Car ce sont les gens eux-mêmes
qui connaissent le milieu à évangéliser, et la
vie qu’ils vivent. Et donc qui peuvent trouver des solutions
adaptées pour cette évangélisation. D’où
l’importance de mettre en place des communautés
chrétiennes de base, qui soient présentes et agissantes
dans les quartiers, et qui s’engagent en travaillant avec les
autres forces vives du quartier. Dans notre règle de vie, on
nous dit que : « nous allons de préférence
vers ceux qui n’ont pas encore entendu le message de
l’Evangile. Nous allons vers les opprimés et les plus
défavorisés individuellement et collectivement, et là
où l’Eglise trouve difficilement des ouvriers ».
Et aussi « nous considérons comme partie
constitutive de notre mission d’évangélisation,
premièrement la libération intégrale de l’Homme,
deuxièmement l’action pour la justice et la paix,
troisièmement la participation au développement. Nous
devons être de ce fait « les avocats, les
soutiens, et les défenseurs des faibles et des petits contre
ceux qui les oppriment ». Comme le disait déjà
notre deuxième fondateur, le Père Libermann, dans la
règle de vie de 1840. Ce n’est donc pas nouveau. En tant
que missionnaires, nous sommes envoyés vers les plus pauvres,
et vers les gens des autres religions. L’engagement auprès
des plus pauvres demande d’abord le respect et l’amour
mais aussi une formation, pour savoir agir sur les causes de la
pauvreté et transformer la société, et pour
apprendre à travailler avec les autres personnes et les autres
organisations de développement. Etre missionnaire c’est
évangéliser, dans toutes les dimensions de l’Evangile.
Est-ce facile
d’user du vélo pour son apostolat missionnaire et
pourquoi ?
D’abord tout
le monde ne peut pas avoir une voiture. Un vélo ça
coûte moins cher, c’est plus facile à acheter.
C’est le moyen de déplacement des pauvres. Par
conséquent l’utilisation du vélo pour moi c’est
un choix. Bien sûr lorsque j’étais dans la forêt
Guinéenne ou celle du Congo, travaillant sur plus de 100 k,
sur des routes très difficiles et ayant des personnes et des
vivres ou matériel à transporter, j’avais une
voiture et même une 4x4. Bien que j’aie aussi fait de
nombreuses tournées dans la forêt à pied, pendant
plusieurs jours, et même plusieurs semaines. Une auto n’est
absolument pas nécessaire dans la ville de Dakar. Pour aller
loin, il y a les transports publics, qui sont une très bonne
occasion de partager la vie des gens et leurs difficultés. Le
vélo, cela demande un effort physique, car il faut souvent le
pousser dans le sable. Et sur le goudron, il faut faire très
attention car c’est très dangereux de conduire en ville.
Mais c’est un choix que je pense conforme à ma vocation
missionnaire. J’ai fait le vœu de pauvreté, ce
n’est pas seulement pour aider les pauvres mais c’est
aussi pour vivre de la manière la plus simple possible.
Conformément à ma vocation, et à ce que le Pape
François nous a demandé dans sa Lettre « Loué
sois-tu » : mener une vie simple. La deuxième
motivation pour laquelle j’utilise le vélo est donc un
motif écologique, pour lutter contre la pollution, et
respecter l’environnement. La troisième raison, c’est
la santé. Le vélo me maintient en forme physique, et
cela aussi c’est très bon. En plus, en vélo tout
le monde te voit, et tu vois tout le monde. Tu ne vas pas trop vite,
ça te permet de saluer les gens, et de t’arrêter
pour parler si nécessaire avec eux. C’est donc une
grande aide pour l’apostolat missionnaire.
Je vais sans
tarder poser une question sur votre carrière comme prêtre
missionnaire. Prêtre missionnaire, pour qui et pourquoi ?
D’abord pour
moi ce n’est pas une carrière. Mon père voulait
que je fasse une carrière, et je pense que j’en avais
les moyens. J’ai préféré choisir la
mission, ou plutôt Dieu m’y a appelé et j’ai
accepté son appel. J’ai toujours cru que c’est
ainsi que je pourrais réussir ma vie et être heureux. Je
ne le regrette pas. C’est une conviction très profonde
en moi. Je voulais d’abord être missionnaire en Chine,
mais les portes se sont fermées. Et ayant grandi au Sénégal,
on m’a conseillé d’entrer plutôt dans une
congrégation travaillant spécialement en Afrique. C’est
la vocation qui a été première. La voie normale
pour cela autrefois, c’était le sacerdoce, bien que je
comprenne mieux maintenant que j’aurais pu être frère,
et faire le même travail de Justice et Paix et d’actions
sociales que je mène actuellement. La vie religieuse est un
moyen important pour la mission. En plus, j’ai la chance
d’avoir eu des amis musulmans depuis mon enfance, ce qui me
permet de travailler plus facilement avec eux. Mon problème
c’est qu’en tant que prêtre je suis très
pris par les activités paroissiales et que les chrétiens
voudraient me garder pour eux, et cela me limite pour aller vers les
non chrétiens. C’est la raison principale pour laquelle
j’ai refusé d’être curé à
Pikine.
Quelles
sont les étapes les plus significatives de votre vie
missionnaire spiritaine, de vos travaux et de vos jours que vous
connaissez mieux que personne ? Votre vie missionnaire, c’est
le 1° apostolat en République du Congo, l’apostolat
auprès des jeunes au Sénégal, l’engagement
en Guinée, le soutien matériel et spirituel des
réfugiés du Libéria et de Sierra Leone, et
jusqu’au jour d’aujourd’hui la coexistence en vous
de la nature française et sénégalaise. Quelle
plainte voudriez-vous signifier dans votre vie missionnaire ?
Les plaintes que
j’ai c’est par rapport à moi-même, de ne pas
avoir su être suffisamment disponible et de ne pas avoir pu
faire autant que je le voulais, pour former et soutenir les gens avec
qui je travaillais, et les aider dans leurs engagements. On ne peut
pas revenir en arrière. Je compte sur le Saint Esprit auquel
je suis consacré pour soutenir ceux avec qui je vis
actuellement, et les conduire dans la paix et la lumière du
Christ.
Quel pays vous
a le plus plu et lequel avez-vous haï ?
Je n’ai haï
aucun pays et je me suis plu dans tous les pays où j’ai
vécu, car j’ai été toujours très
bien accueilli et soutenu par les populations. Et jusqu’à
maintenant, j’y ai laissé de nombreux amis.
Non, vous
n’êtes pas pour autant français – ou déchiré
– entre deux langues, deux cultures et des admirations
inconciliables. Vous demeurez totalement, rigoureusement et
hyperboliquement français, comme vous êtes devenu
totalement, rigoureusement et hyperboliquement sénégalais.
Vous me l’avez dit du reste, lors de notre discussion le jour
de la victoire de la France à l’euro
2016 : « Je
suis plus sénégalais que français. »
Vous croyez vous vraiment sénégalais ?
Qui est vraiment
sénégalais ? D’abord, il y a de nombreuses
cultures différentes au Sénégal. Est-ce que nos
jeunes ne sont pas autant américains que sénégalais ?
Si on regarde leur façon de parler, leur comportement, leurs
désirs, leurs chants, les danses et les émissions
qu’ils regardent. Nous sommes tous marqués par ce qui se
passe dans le monde. La culture traditionnelle à l’état
pur n’existe plus, même si elle reste très vivante
comme sous-basement dans l’inconscient de beaucoup. C’est
sûr que je suis marqué par l’éducation que
j’ai reçue et par la culture de mes parents à la
fois bretonne et internationale, les marins et pécheurs ayant
toujours été ouverts à l’extérieur.
Je ne suis peut-être pas sénégalais, mais je suis
un blanc du Sénégal. Et je parle aussi facilement, et
avec autant de plaisir, ouolof que français. De toute façon,
je pense que l’avenir est au métissage et que le partage
des cultures est une vraie richesse. Par mon histoire et ma vocation,
j’ai sans doute là quelque chose à partager. De
même que je suis toujours intéressé de rencontrer
les africains vivant en France, quand je rentre en congés,
pour entendre leurs réflexions et voir comment ils arrivent à
vivre dans une culture différente de la leur. C’est très
enrichissant.
Plus
Africain que nous, plus Sénégalais que les Sénégalais.
Armel, le missionnaire de l’enracinement par excellence, a
exactement compris le sens, voire l’essence de la vie
missionnaire. Quelle stratégie mettez-vous en place ?
Ma
stratégie missionnaire, c’est d’abord de vivre
avec le peuple et d’écouter les gens. Essayer de
découvrir leurs problèmes et leurs aspirations, et de
voir avec eux ce qu’il est possible de faire. C’est la
vie qui commande. Jésus nous demande de savoir lire les signes
des temps. Il ne faut surtout pas vouloir commander les choses à
l’avance. Mais au contraire être docile à la vie.
L’essentiel c’est de rester ouvert et attentif aux appels
des gens, surtout ceux qui sont écrasés et qui n’osent
pas parler, ceux qui ne parlent pas français, ceux qui ont été
humiliés et n’ont plus confiance en eux-mêmes. Et
surtout ne pas venir avec une stratégie et un plan d’action
tout fait à l’avance. Pour moi par exemple, il ne s’agit
pas de venir pour aider les pauvres, il s’agit d’abord de
les accueillir, et ensuite de les écouter. C’est
seulement après que je pourrais les soutenir dans ce qu’ils
veulent faire eux-mêmes, et non pas ce que j’ai décidé
de faire pour eux, ou à leur place. Ce sont les pauvres qui
connaissent le mieux la pauvreté, parce qu’ils vivent
dedans. Ce sont donc les pauvres qui peuvent trouver les meilleures
solutions pour sortir de la pauvreté. Ensuite, il s’agit
de les soutenir et de chercher d’autres soutiens qui leur
permettront de réaliser ce qu’ils veulent faire.
Placide Mandona : Avez-vous connu le désert de
l’épreuve dans votre vie religieuse ?
J’ai connu des
situations très difficiles dans mon apostolat. Ce qui m’a
permis de les supporter, c’est que je les vivais avec le
peuple auprès duquel j’étais envoyé. Aussi
il n’était pas question pour moi de lâcher, et
encore moins de les abandonner. La vie en communauté m’a
aussi beaucoup soutenu. J’ai eu la chance d’avoir de bons
confrères avec lesquels nous nous sommes bien entendus. Et les
communautés chrétiennes dans lesquelles j’ai vécu
m’ont aussi beaucoup soutenu. Le désert, la sécheresse
du cœur, le désespoir ou la perte de foi, sans doute que
je n’étais pas assez fort pour pouvoir les supporter. En
tout cas le Seigneur m’en a protégé et je L’en
remercie.
Comment
expliquer le faible pourcentage de catholiques au Sénégal ?
Est-ce
un désastre, une crise de foi ? Peut-être un échec
missionnaire lié aux aventures des missionnaires de tous
temps.
Je pense que cela
s’explique par des raisons historiques. L’Islam était
déjà installé dans le pays, avant l’arrivée
des premiers missionnaires. Même s’il se limitait souvent
à un Imam auprès du chef traditionnel, et que la
population continuait à suivre la religion traditionnelle des
ancêtres. A cause de cette présence de lettrés
musulmans auprès des chefs traditionnels, les colons ont cru
que tout le monde était musulman, et la colonisation a donc
souvent favorisé l’islamisation. Même si les
choses ne sont pas totalement claires, ni simples au point de vue
historique, que ça soit du côté de l’Islam
ou du côté de l’Eglise. Mais pour moi, ce faible
pourcentage n’est pas une crise de la foi, car je trouve que
les chrétiens du Sénégal sont croyants et
engagés. Le problème c’est qu’ils sont plus
engagés dans l’Eglise que dans la société,
et que l’Eglise est trop centrée sur elle-même. Ce
n’est pas un désastre non plus, dans la mesure où
nous cherchons à vivre une vraie amitié avec les
musulmans pour construire ensemble le pays et le Royaume de Dieu.
Mais cela nous demande d’avoir un sens missionnaire et une
ouverture d’esprit plus développés.
Nous ne pouvons pas
baptiser les musulmans ni les faire venir dans nos Eglises, mais nous
pouvons nous laisser évangéliser par Dieu. Et nous
évangéliser les uns les autres en agissant ensemble.
Evangéliser c’est-à-dire leur permettre de
découvrir par nos paroles et notre témoignage les
valeurs de l’Evangile. Et alors s’ils le désirent,
ils pourront vivre à la manière de Jésus-Christ,
même s’ils restent musulmans. A ce moment-là, ils
ne sont pas baptisés mais ils sont évangélisés.
Ils ne sont pas dans l’Eglise, mais ils sont dans le Royaume de
Dieu. Et c’est bien cela que Jésus nous demande dans la
prière : « Père que ton Règne
vienne ».
Quel regard
négatif portez-vous sur les missionnaires africains de votre
congrégation ?
Pourquoi je
porterais un regard négatif sur mes confrères
africains ? Au contraire, ils nous apportent une meilleure
compréhension du pays et de la mentalité des gens.
C’est pour cela que nous tenons à vivre en équipe
internationale. Chacun peut apporter les richesses de sa culture,
c’est à la fois un témoignage et une nécessité.
Nous ne pouvons pas demander aux gens de s’entendre entre
ethnies différentes, si nous ne nous entendons pas entre
missionnaires venus de pays différents.
Mais c’est vrai que les vocations missionnaires naissent dans
les paroisses et elles sont modelées d’après ce
que sont nos Eglises. Or beaucoup des Eglises africaines sont très
liturgiques et centrées sur elles-mêmes, pas assez
soucieuses de la vie et des problèmes des gens et pas assez
engagées dans la société. Ce qui fait que
certains de nos confrères africains sont plus des prêtres
de paroisses que des missionnaires. Surtout que c’est plus
facile et plus rassurant que de s’engager dans la société
Vos activités
missionnaires, votre combat pour le développement du peuple,
les actions que vous avez menées dans différentes
paroisses, dans différents pays, quels effets cela a-t-il eus
sur votre foi et votre vie spirituelle ?
C’est
justement cela qui nourrit ma vie spirituelle. C’est pourquoi
j’ai toujours accepté les nouvelles affectations qu’on
me proposait, et je ne l’ai jamais regretté. Même
si c’était à chaque fois difficile de quitter les
gens avec qui je travaillais. Mais cela a toujours été
pour moi une occasion de grandir dans la foi, et d’accueillir
les richesses du nouveau peuple dans lequel j’étais
appelé à travailler, que ce soit en ville ou en secteur
rural, en Afrique ou en Europe, en paroisse ou auprès des
immigrés et les services missionnaires dégagé
auprès des jeunes, des prisonniers ou des marginaux.
Actuellement je suis en grande banlieue, avec tous les problèmes
de pauvreté, de chômage, de violence, de drogue et de
délinquance qu’on y rencontre.
Quelle
analyse voudriez-vous faire de la crise des missions, je veux dire de
la crise des vocations missionnaires ?
La crise des
vocations missionnaires n’est pas la crise des missions. La
mission se continue partout. Pour les vocations en général,
c’est sûr qu’en Europe elles sont en baisse, mais
les vocations africaines sont nombreuses. Mais ces vocations vont
sans doute également diminuer en Afrique, vues l’évolution
de la société et l’extension de la
mondialisation. D’autre part, autrefois le séminariste
recevait une formation supérieure à la moyenne des
étudiants, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Le prêtre n’est plus un notable dans la société.
Le sacerdoce devient donc moins attirant. De plus, les missionnaires
quittent leur pays et ne peuvent donc pas soutenir leur famille
autant que peuvent le faire les prêtres diocésains. Pour
moi, cette baisse des vocations est un appel à vivre la
mission autrement, et à trouver des nouveaux chemins
d’évangélisation, en particulier en donnant
davantage de place aux laïcs. Dans notre congrégation,
nous avons maintenant des fraternités spiritaines et aussi des
laïcs associés qui travaillent avec nous. Par conséquent,
je ne suis pas inquiet et je pense que l’Esprit Saint nous
donnera la manière et la force de faire des choses nouvelles.
A nous d’être à son écoute, et de ne pas
nous bloquer sur le passé.
Crise de
vocation, crise de la mission, est-ce la fin de la crise de la foi ?
En tout cas, ce
n’est pas la crise de la foi. Au contraire je suis dans
l’admiration de voir comment certains chrétiens vivent
leur foi avec force, que ce soit dans les pays en guerre,
sous-développés, ou victimes de la dictature que dans
les pays sécularisés et où ils sont persécutés.
Quelles sont
les épreuves les plus drôles de chaque vie missionnaire.
C’est vrai que
j’ai vécu dans des situations assez coquasses, en
particulier quand on m’a pris pour un colon, ou même pour
un mercenaire pendant la guerre du Libéria. Ce qui m’a
valu d’avoir trois fois la kalachnikov sur le ventre, pendant
les attaques des rebelles. Mais surtout j’ai vécu
beaucoup de joies, pas seulement des fêtes et des danses, mais
des joies beaucoup plus profondes dans les communautés
chrétiennes. Et aussi dans les villages ou les camps de
réfugiés où j’étais très
bien accueilli. Ce que je retiens surtout de tout cela, c’est
l’importance d’avoir le sens de l’humour et de voir
les choses de façon calme et positive, surtout quand on se
retrouve dans une autre culture ou dans une situation qu’on ne
comprend pas ou quand on ne possède pas la langue et qu’on
ne peut pas demander des explications.
L’expérience
missionnaire, qu’apporte-elle à la foi ? Est-ce
pour vous usure, baisse de vie spirituelle ou au contraire
enrichissement ?
C’est mon
expérience missionnaire qui donne son sens à la façon
dont je vis ma foi. Et c’est la foi qui évite toute
usure et baisse de la vie spirituelle. La vie missionnaire est une
richesse, si on sait la vivre d’une façon positive.
L’expérience missionnaire est le lieu même de la
foi comme nous la rappelé avec force et clarté le Pape
François dans sa lettre « La Joie de L’Evangile »,
à la suite de Paul VI et de Jean Paul 2.
D’aucuns
vitupèrent que vos actions pastorales missionnaires sont comme
dénuées de sens, moins pragmatiques et efficaces.
Acceptez-vous cette opinion ?
J’ai souvent
été attaqué, mais j’ai très
rarement entendu ces critiques. Je laisse la responsabilité de
ces affirmations à ceux qui les font. S’ils viennent me
le dire, j’essaierai de les écouter avec attention, pour
comprendre ce qu’ils veulent dire et essayer d’améliorer
ma façon de travailler. En tout cas, je trouve le sens de ma
vie dans l’engagement missionnaire et j’en suis très
heureux. Bien sûr je cherche l’efficacité, mais
pas l’efficacité simplement au niveau humain, ni la
réussite visible et immédiate.
Je ne sais pas à
quoi ces gens-là font allusion. Qu’ils viennent voir sur
le terrain ce que nous faisons. Ce n’est pas pour rien qu’un
certain nombre d’ONG demandent notre participation à
leur action, et que nous y sommes très bien accueillis. Nous
sommes demandés dans les prisons ou dans les lycées et
collèges privés ou publics. Nous travaillons aussi à
leur demande avec les pouvoirs publics, les mairies aussi bien
qu’avec les responsables religieux musulmans. Si mon action
auprès des réfugiés pendant la guerre du Libéria
avait été inefficace, je ne crois pas que l’on
m’aurait décoré de la légion d’honneur,
même si je n’ai jamais cherché cette décoration.
Il y a trop de gens qui parlent sans savoir ce qu’ils disent,
et sans connaître ce dont ils parlent.
Pour
mieux servir le monde, le grand Concile Vatican II publiait un
document portant sur la mission : « Ad gentes ».
Qu’est-ce que cela veut dire ? Et quels en étaient
les objectifs poursuivis ?
Je n’ai pas le
temps d’expliciter ici toute la richesse d’Ad Gentes,
mais cela a marqué une étape importante dans la vie de
l’Eglise sur la conception de la vie missionnaire et la façon
de voir les autres religions et de collaborer avec elles. On n’a
pas fini de mettre ce document en œuvre. C’est dans cet
esprit que par exemple Jean Paul 2 a commencé les rencontres
entre religions d’Assise.
Quelles
sont les stratégies pour déboulonner les pesanteurs de
la vie missionnaire ?
Je
voudrais être le plus près possible
des pauvres et des petits, de ceux qui sont tellement écrasés
qu’ils n’ont plus le courage d’agir, et de tous
ceux qui n’ont pas de
place dans la société. Je n’ai pas
une stratégie toute faite à l’avance et organisée
de façon systématique, que ce soit pour ma propre vie
ou pour la vie en société en général et
en particulier dans la commission Justice et Paix. J’essaie
simplement de chercher la meilleure façon d’agir et de
voir ce qu’il est possible de faire concrètement dans la
situation actuelle. Ensemble avec ceux avec qui je travaille et qui
s’y sont engagés.
La
première pesanteur vient d’abord de moi-même.
J’ai des problèmes de santé, la fatigue et la
vieillesse, parfois la lassitude, le découragement et le
manque de solutions devant certaines souffrances. Ma stratégie
c’est alors la prière et la méditation de la
Parole de Dieu, tout en sachant que la prière ne donne pas
solutions magiques et immédiates aux problèmes que nous
vivons. Et que la Parole de Dieu ne donne pas de lumières
toutes faites aux situations difficiles que nous rencontrons. Il nous
faut chercher et agir à la lumière de l’Esprit
Saint, mais aussi avec l’intelligence de ceux qui nous
entourent. Je crois que c’est Lui, le Saint Esprit mon grand
stratège qui m’a souvent inspiré dans mes actions
Que
voulez-vous dire ?
L’Esprit
Saint me donne sagesse et force. Il me permet de mieux comprendre ce
qui se passe dans le monde et de voir ce qu’il faut faire. Il
m‘éclaire dans la prière et la méditation
de la Parole de Dieu. Il me donne le courage de faire ce que j’ai
entrevu. C’est Lui qui me pousse à mieux accueillir et
mieux écouter les gens. Il me parle par leurs conseils et par
leur vie. C’est l’Esprit Saint qui m’aide à
vivre comme Jésus. On chante souvent « O Seigneur,
envoie ton Esprit, qui renouvelle la face de la terre ».
L’Esprit Saint m’appelle à faire des choses
nouvelles. A ne pas me contenter de la routine « parce que
c’est comme ça qu’on a toujours fait »,
mais à avoir plus d’imagination et de créativité.
Et l’audace de le faire. Le père Libermann nous dit : »
vous êtes une pirogue. Votre âme est la voile. C’est
le Saint Esprit qui souffle dans la voile et qui vous entraîne ».
Encore faut-il que nous montions la voile et que nous mettions la
pirogue dans la bonne direction pour qu’elle profite au
maximum du vent qui souffle.
Quelles
sont vos motivations fondamentales comme prêtre ?
Je suis à la
fois prêtre, religieux et missionnaire. Ma motivation profonde,
c’est d’être missionnaire. Je suis très
heureux d’être au service de la communauté
chrétienne, en essayant de la rendre plus missionnaire. Mais
j’ai parfois l’impression qu’en tant que prêtre,
on me fait jouer un rôle trop clérical et qu’on
aurait tendance à m’enfermer dans l’Eglise, au
détriment de mon engagement missionnaire dans la société.
Par ailleurs, la vie religieuse, la prière et la vie de
communauté me soutienne beaucoup dans mon engagement
missionnaire.
Vous êtes
reconnu presque partout comme un missionnaire de l’engagement.
Que signifie pour vous « la mission d’engagement ? »
et pour qui ou contre qui l’appliquez-vous ?
Mon engagement ne va
contre personne. Il cherche seulement à s’attaquer aux
souffrances, aux injustices et aux autres problèmes que les
hommes rencontrent. Mon engagement est pour les pauvres, les petits
de la société, qui sont exploités et traités
injustement et qui n’ont pas le droit à la parole. Ma
mission c’est d’être simplement un homme qui a le
souci de ses frères et de ses sœurs, et qui fait ce
qu’il peut pour les aider, en cherchant à construire
avec eux un monde plus humain selon nos possibilités. Et je
suis le premier à en profiter, car cela me rend très
heureux.
Voudriez-vous
nous parler des œuvres pontificales missionnaires ?
Les Œuvres
Pontificales Missionnaires, comme le nom l’indique, sont une
institution de l’Eglise pour soutenir un certain nombre
d’actions missionnaires. Ce qui me semble intéressant
c’est d’abord que cette action a été lancée
par une femme laïque, et qu’elle joue un rôle
important pour rappeler aux chrétiens et en particulier aux
enfants, leur vocation missionnaire sans se contenter de demander de
l’argent. Elle apporte une formation pour aider à être
meilleur témoin de l’Evangile là où on
vit. C’est pour cela je l’apprécie beaucoup, même
si malheureusement ses moyens sont trop limités et que trop
peu de chrétiens participent à cette organisation.
C’est peut être un avantage en nous obligeant à
chercher des types d’actions plus simples, et des moyens
adaptés, plutôt que de compter sur l’argent et sur
la technique.
Membre de droit
dans la congrégation du Saint Esprit, famille chère au
fondateur Libermann. Pourriez-vous nous parler du fondateur et de sa
fondation ?
Il me faudrait tout
un livre pour parler du Père Libermann, notre re-fondateur en
1842. D’abord j’apprécie en lui son courage, sa
patience et sa confiance en Dieu. Juif converti, fils de Rabbin et
maudit par son père, il a su tenir le coup. Epileptique et ne
pouvant donc être ordonné prêtre, il a gardé
l’espérance jusqu’à sa guérison
miraculeuse. Choisi comme maître des novices des eudistes, il a
pensé avoir échoué dans son rôle, mais il
est resté un homme de prière, attentif aux besoins des
hommes et à la vie du monde. Le grand problème de son
temps, c’était la fin de l’esclavage. Il a engagé
ses missionnaires dans ce sens avec force, leur demandant de se
« faire nègre avec les nègres ».
C’était un homme qui avait une vision d’avenir,
qui a appelé ses missionnaires à ne pas se bloquer sur
le passé et qui a accepté les orientations de la
révolution de 1848 en France. Il s’est engagé à
fond pour les plus pauvres, pas seulement les esclaves et les noirs
d’Afrique, mais aussi sur place, pour les petits ramoneurs à
Paris qui étaient exploités comme enfants travailleurs,
pour les marins, pour les pauvres et les chômeurs et de
nombreux autres personnes vivant dans la souffrance qu’il
réunissait pour les soutenir et réfléchir
ensemble à leur vie. Et surtout c’était un homme
de foi et de prière. Il nous a laissé de nombreuses
lettres spirituelles et commentaires de la Parole de Dieu, avec une
spiritualité très riche qui nous fait vivre jusqu’à
maintenant, adaptée à notre vie et notre travail
missionnaire. En particulier, l’union pratique, pour vivre
toute sa vie en union avec Dieu, dans la paix et l’espérance.
La docilité au Saint Esprit, « en nous laissant
emporter par Lui, comme une plume légère emportée
par le vent ». Et devant les obstacles, attendre le moment
de Dieu dans la confiance.
Mais je voudrais
aussi dire un mot de notre premier fondateur : Claude Poullart
des Places. Il a renoncé à un brillant avenir pour
réunir autour de lui en communauté à partir de
1703 des étudiants pauvres voulant être prêtres,
mais n’ayant pas les moyens de payer leurs études. La
condition étant qu’ils se consacrent à leur tour
aux plus pauvres, d’abord dans les zones rurales en France,
puis rapidement au Canada, en Inde, au Sénégal et
ailleurs.
Spiritains, nous
sommes des religieux, prêtres ou frères. Mais nous avons
aussi des laïcs qui s’engagent avec nous, pour continuer
l’action de Poullart et de Libermann. Nous avons aussi des
équipes de laïcs, les fraternités spiritaines, qui
se regroupent régulièrement pour étudier la
spiritualité de nos deux fondateurs, et chercher ensemble
comment en vivre dans le monde d’aujourd’hui. C’est
très important pour nous. Nous nous retrouvons aussi dans ce
que nous appelons la famille spiritaine avec les autres congrégations
fondées par des spiritains dans l’esprit du père
Libermann : les sœurs spiritaines et aussi les frères
de Saint Joseph et les sœurs du Saint Cœur de Marie
fondés au Sénégal par monseigneur Kobès,
dont la cause de béatification a été introduite
à Rome. Il nous faudrait parler aussi de l’œuvre
des apprentis d’Auteuil, qui accueille et forme des jeunes en
difficulté, et maintenant de nombreux jeunes réfugiés
et émigrés ayant fui leur pays pour de nombreuses
raisons, partout dans le monde. Cette œuvre a été
animée par le bienheureux Daniel Brottier, qui a été
missionnaire à Saint Louis du Sénégal, et a fait
construire la cathédrale de Dakar. Lui aussi inspire de
nombreux chrétiens dans leur action en faveur des jeunes en
difficultés, et des victimes des guerres. De même que le
bienheureux père Laval, qui a lutté pour la libération
et la formation des esclaves à l’île Maurice
continue à inspirer de nombreuses personnes aujourd’hui.
De nombreuses personnes chrétiennes, musulmanes et hindoues
viennent prier sur sa tombe et cherche à unir les gens des
différentes religions dans la paix et l’action commune.
La congrégation
est-elle de l’intérêt suprême de
l’Eglise?
La congrégation
du Saint Esprit sous la protection du Cœur Immaculé de
Marie, n’est certainement pas l’intérêt
suprême de l’Eglise. Au contraire, on nous appelait les
chiffonniers de l’Eglise. L’Eglise doit être
d’abord au service des plus pauvres, et de toute la société
pour y construire le Royaume de Dieu. Et Libermann disait : « Nous
sommes tous de pauvres gens ». Mais nous essayons de jouer
notre rôle le mieux possible, dans l’Eglise et dans la
société. Depuis le début, notre règle de
vie nous demande d’aller là où l’Eglise
trouve difficilement des ouvriers. Notre vocation comme je l’ai
déjà expliqué c’est la libération
intégrale de l’homme, l’action pour la justice et
pour la paix, et la participation au développement (Règle
de vie n°14). Nous ne sommes pas l’intérêt
suprême de l’Eglise, nous essayons simplement de mettre
en pratique l’intérêt de l’Eglise pour le
monde, spécialement pour les plus pauvres.
Ou
simplement une stratégie pour accomplir son pathos ?
Que
voulez-vous dire en parlant du pathos dans l’Eglise ?
Ce n’est
certainement pas le cas de notre Pape actuel, François.
Je
m’engage dans la vie religieuse pauvre, obéissant et
chaste ? Etes –vous vraiment fidèle ou c’est
simplement une façon de paraître dans une manifestation
autre ?
Est-ce que je suis
fidèle dans ma vie religieuse ? Comme disait Jeanne d’Arc
à son jugement : « Si j’y suis que Dieu
m’y garde, si je n’y suis pas que Dieu m’y mette ».
En tout cas je cherche à être fidèle, même
si je suis très loin de l’être parfaitement. Mon
souci n’est pas de paraître fidèle, ce n’est
pas mon problème. Mon souci c’est d’être
fidèle à l’appel de Dieu tel que je le sens en
moi ; que ça plaise ou non aux gens. Ma préoccupation
et ma priorité ce n’est certainement pas de paraître
ni de plaire.
Prêtre à
jamais selon l’ordre du roi Melchisédech. Pourriez-vous
nous expliquer cette
fameuse expression ?
Pour être
simple, « prêtre à jamais » cela
veut dire que nous nous engageons pour toute la vie, même si ce
n’est pas à la mode actuellement, et que cela pose un
problème particulier à un certain nombre de jeunes. Pas
seulement pour le sacerdoce, mais également pour le mariage.
« Selon l’ordre de Melchisédech »,
cela veut dire que nous sommes prêtres à l’exemple
et à la suite de Jésus-Christ et pas à la
manière des prêtres juifs. Jésus n’était
pas de la tribu de Lévi et Melchisédech était un
païen. Cela veut dire que je suis prêtre catholique pour
tous les hommes. D’ailleurs catholique veut dire universel.
Quelle est la
mission principale d’un prêtre ?
La mission
principale du prêtre c’est d’être le ministre
de la communion. Ministre cela veut dire serviteur, et non pas
patron. Et la communion dans les deux sens : la communion au
corps du Christ, l’administration de l’eucharistie et des
autres sacrements, et la communion entre les personnes pour bâtir
une vraie communauté ouverte à tous.
Comme prêtre
missionnaire, comment se fixe votre programme pastoral actuel ?
Mon programme actuel
c’est d’être davantage prêtre et
missionnaire, comme je l’ai défini plus haut, dans la
situation dans laquelle je me trouve. Quand je serai ailleurs, dans
une autre situation, je verrai comment être un missionnaire
adapté au milieu ou je me trouve. En tant que religieux ayant
fait vœu de pauvreté et missionnaire, mon souci c’est
d’être proche des pauvres et leur avocat, et aussi des
gens des autres religions, pour construire ensemble le Royaume de
Dieu ouvert à tous les hommes.
Concrètement,
comment cela se passe-t-il ?
D’abord nous
cherchons à ouvrir notre paroisse à tous. Nous avons
planté beaucoup d’arbres et installé des panneaux
solaires pour l’église, qui éclairent aussi
l’extérieur. Ce qui fait que de nombreux élèves,
musulmans comme chrétiens, viennent de jour et de nuit pour
étudier dans des meilleures conditions que chez eux. Nous
avons aussi une bibliothèque et plusieurs salles d’études
pour cela. Des étudiants viennent donner des cours gratuits à
ceux qui le désirent, sans distinction d’ethnie ou de
religion. Nous avons un centre culturel aménagé grâce
à l’aide de l’ambassade de Pologne qui permet
d’accueillir de nombreux groupes, et les gens pour les
baptêmes, mariages et autres rencontres familiales. Et aussi
une salle de conférence aménagée grâce au
soutien d’amis français qui est utilisée par des
ONG et de nombreuses autres organisations pour des rencontres,
séminaires et formations, ce qui nous permet d’accueillir
et de connaître des groupes très divers, avec lesquels
nous cherchons à continuer des bonnes relations et la
collaboration. En ce moment, nous préparons les élections
législatives. Bien sûr, nous ne disons pas pour qui
voter, mais nous expliquons comment voter. Et aussi, comment étudier
un programme et comment choisir son candidat, sans se laisser acheter
ni corrompre, pour assurer des élections les plus justes et
les plus claires possible. Déjà des représentants
de plusieurs partis sont venus nous voir. Et nous allons organiser
une grande rencontre publique où les différents partis
pourront présenter leur programme et où nous pourrons
leurs poser des questions et leur dire nos attentes.
Nous avons aussi un
terrain de basket et un terrain de foot-ball. Ces terrains sont
utilisés le matin par les écoles. L’après-midi
et le soir par les jeunes du quartier. Un après-midi est
réservé aux handicapés qui viennent jouer au
basket en fauteuils (handisport). A partir de là, nous les
avons aidés à s’organiser en association et à
bénéficier de la « carte d’égalité
de chances » mise en place par le gouvernement.
On vient de construire à Pikine une grande gare routière
internationale. De nombreuses personnes y arrivent, en particulier
celles qui cherchent à partir en Europe, venant de nombreux
pays du centre et même du sud du continent. Et aussi des gens
qui reviennent, expulsés des pays du nord. La plupart sont
complètement démunis. Quand ils arrivent, ils
demandent : « Où est l’église
catholique ? ». Malheureusement, nous n’avons
pas les moyens de satisfaire leurs besoins, et souvent leurs
ambassades refusent de les prendre en charge, car ils sont
« illégaux ». Nous les orientons vers le
PARI : le Point d’Accueil des Réfugiés et
Immigrés, mis en place par la Caritas. Mais ce centre est
complètement débordé. En effet le Sénégal
et les autres pays environnants accueillent beaucoup plus de réfugiés
que les pays européens, quoiqu’on en dise. Pour nous à
la paroisse, nous cherchons au moins à accueillir ces
déplacés, à les faire réfléchir à
leur démarche et à voir avec eux que faire. Nous ne
pouvons pas leur donner un logement ni du travail, mais nous leur
donnons au moins à manger, et la possibilité de se
laver et de laver leurs habits.
De même, nous accueillons de nombreux détenus, hommes et
femmes, à leur sortie de prison, pour les aider à
retourner dans leur famille quand c’est possible et à
vivre à nouveau dans la société. Ils se donnent
le mot pour cela. C’est très important, car à
leur sortie de prison ils sont complètement démunis et
désemparés.
Chaque jour nous accueillons aussi de nombreuses personnes vivant
dans notre banlieue, chacune avec son problème :
pauvreté, chômage, problèmes familiaux, disputes
dans le quartier, gens sans parents ou chassés de leurs
familles et même des drogués et des délinquants
qui nous font confiance et cherchent à s’en sortir. Nous
recevons aussi beaucoup de malades. Après avoir parlé
avec eux aussi longtemps que nécessaire, nous pouvons les
orienter vers le dispensaire de la paroisse, tenu par les sœurs
missionnaires de la Société de Marie où ils sont
soignés efficacement et le moins cher possible, souvent
gratuitement.
Ce qui nous aide aussi beaucoup à entrer en contact avec la
population, ce sont es jardins d’enfants, l’école
primaire et le collège catholiques avec quatre classes pour
chaque niveau, soit plus de 1.000 élèves, 90% d’entre
eux étant musulmans. A partir des élèves, nous
avons des contacts suivis avec leurs parents.
Vous avez parlé de la Caritas. Comment fonctionne-t-elle
sur votre paroisse ?
Elle existe dans tout le pays et dans toutes les paroisses, mais à
chaque fois selon les réalités locales. Si on est en
secteur rural, ce seront surtout des actions pour l’agriculture
et l’élevage. En ville, ce seront des petits projets
économiques. La Caritas accueille les personnes en difficulté
à tout point de vue, et sans aucune distinction. D’abord,
nous cherchons à bien accueillir les gens qui viennent à
nous et à les écouter. Ensuite, nous cherchons avec eux
ceux qu’ils veulent faire eux-mêmes pour s’en
sortir. A partir de là, nous voyons comment les soutenir.
Parfois, il faut commencer par de la distribution d’habits, de
produits d’hygiène et de nourriture. Mais nous cherchons
surtout à leur donner une somme d’argent pour commencer
une activité leur permettant de vivre : vendre des
produits au marché ou des cartes téléphoniques
dans la rue, faire un petit commerce ou un petit élevage,
lancer un petit atelier ou autre chose. Nous les aidons à
mettre les choses en place et soutenons leur activité pour
qu’elle marche le mieux possible. Chaque mois, ils remboursent
une partie de l’argent prêté, pour que nous
puissions aider de nouvelles personnes.
Il y a aussi la défense des droits des personnes. Au quartier
Guinaw Rails, l’état va faire déguerpir des gens
pour construire une nouvelle route, et un chemin de fer rapide pour
aller à l’aéroport. Il faut analyser les
situations pour voir comment aider au mieux ces personnes, et
respecter leurs droits. Aujourd'hui encore beaucoup de personnes
n’ont pas de papier. Et des enfants ne peuvent pas aller à
l'école, parce qu’ils n’ont pas d’acte de
naissances.
Mais où trouvez-vous les moyens pour cela ?
Nous recevons quelques aides extérieures, mais nous comptons
d’abord sur nos propres forces. Des personnes généreuses
sur place nous donnent de l’argent, des habits ou d’autres
produits. Nous organisons des quêtes spéciales à
l’église, surtout au moment du Carême. Et aussi
des activités lucratives : repas ou soirées qui
nous permettent d’alimenter notre caisse.
Par ailleurs, nous ne travaillons pas seuls. D’abord nous ne
pouvons pas connaître tout le monde, même quand ils
habitent sur notre propre paroisse. Quand ces personnes viennent nous
voir, nous les renvoyons d’abord à la communauté
chrétienne de leur quartier (la CEB : Communauté
Ecclésiale de Base). Pour étudier leur cas, car il y a
parfois des profiteurs qui cherchent à nous tromper. Et aussi
pour que la CEB leur apporte un premier soutien à partir de sa
caisse. Si cela ne suffit pas ou dépasse leurs possibilités,
alors ils envoient les gens à la Caritas paroissiale.
D’ailleurs, le noyau de cette Caritas, ce sont les responsables
à la charité de chacune de nos 13 CEB.
Ensuite nous formons les gens pour qu’ils s’inscrivent à
la CMU (Couverture Médicale Universelle) mise en place par
l’état pour prendre en charge les consultations, les
opérations, les soins et les médicaments. Et qu’ils
profitent des soins gratuits pour les césariennes, les enfants
de 0 à 5 ans, les handicapés et les personnes âgées.
Et aussi des bourses familiales pour les familles nécessiteuses.
Nous travaillons également en lien avec les dispensaires
publics et la commission sociale de chacune de nos huit mairies,
mêmes si leurs moyens à eux aussi sont souvent très
limités.
Vous avez parlé
de l’extrême pauvreté. Qu’est-ce que c’est ?
Il y a des gens qui se cachent. Ils n’ont plus de courage,
parce qu’ils ont été trop souvent humiliés
et rejetés. Ils n’ont plus confiance en eux-mêmes.
Même s’ils sont malades, ils ont honte d’aller se
faire soigner, et ils n’ont pas d’argent pour cela. Ils
n’osent pas aller à la mairie parce qu’ils ont été
trop souvent méprisés. Ils ont peur d’inscrire
leurs enfants à l’école car on se moquera d’eux
parce qu’ils sont trop pauvres. D’ailleurs ces enfants
n’ont pas le temps d’aller à l‘école,
ils doivent se débrouiller eux-mêmes pour trouver à
manger. Ils expliquent : « Quand on est pauvre, on
n’a pas de pouvoir, on est exclus et rejeté. La misère
c'est l'angoisse permanente. Dans l'angoisse on se perd. Tout le
monde à droit au sourire. Un réseau social c'est une
richesse inestimable, tu as besoin d'humain. Quelqu'un qui vit
l'extrême pauvreté il manque de matériel et de
ressources humaines ». Ces
gens avec leurs familles se trouvent ainsi entraînés
dans un cycle sans fin : une maison inondée par les eaux, un
manque de nourriture, des problèmes de santé, tout cela
les empêche de travailler et de s’en sortir. Cela est une
très grande violence et une violation des droits humains. Il
est donc absolument nécessaire de faire quelque chose. Il ne
s’agit pas seulement d’aider ces personnes les plus
écrasées et rejetées de notre société,
mais d’abord de les écouter pour comprendre un peu leurs
problèmes et leur mentalité. Ensuite, devenir amis pour
qu’ils retrouvent le courage de s’en sortir. Puis leur
permettre de se prendre eux-mêmes en mains
d’une
façon responsable, en leur apportant les moyens nécessaires
pour cela. Leur donner la parole et une place pour participer
activement aux programmes de lutte contre la pauvreté. Au lieu
de venir vers eux avec des projets tout faits qui tombent d’en
haut et qui les laissent entièrement passifs et inactifs.
La Caritas ne
rejoint pas toujours « les plus fatigués »
(les plus pauvres). Ceux qui viennent, c'est parce qu’ils ont
un peu de force et de volonté pour s'en sortir. Il faut
dépasser l’aumône et l'aide matérielle. En
premier, ils ont besoin de trouver confiance et espoir. Le premier
problème, c’est de découvrir ces personnes
découragées qui n'ont plus de famille, ni de réseau
de solidarité. Pour cela, nous travaillons en particulier
avec le mouvement ATD/Quart Monde (Aide à Toute Détresse).
Nous avons célébré ensemble la journée
mondiale du refus de la misère de 2016 sur le thème :
« Quelle place donner aux gens qui vivent dans l’extrême
pauvreté ? » en deux moments : le 15
octobre au Musée Théodore Monod où nous avons pu
visiter le Musée, participer à une œuvre
artistique (car ces personnes ont droit elles aussi à la
culture, c’est essentiel) et partager nos expériences
par des causeries. Puis le 17 octobre à l'Antenne régionale
d’ATD un échange autour de l'extrême pauvreté.
A la 1° journée, la chorale de la Paroisse
Notre Dame du Cap-Vert, les membres des communautés Saint
Antoine de Padoue de Guinaw-Rails et Saint François de Sales
de Darou Salam, et les commissions : Justice et Paix et Caritas
étaient présents parmi les participants. Nous avons
répondu aux questions suivantes : « Au
secours d’une personne fatiguée, que lui disons-nous ?
Quel geste faisons-nous ? ». Nous avons dit :
« Accompagner quelqu'un c'est un droit et un devoir. On ne
nait pas citoyen, on le devient, par des prises de conscience. La
société ne va pas avancer si les droits humains ne sont
pas respectés. L'amour est la source qui pousse l'homme à
aider. L'homme a des besoins vitaux qui doivent être satisfaits
pour tous ».
Nous avons clôturé
la journée par ces mots : « Cette paix dont
nous avons besoin, doit nous préoccuper tous. On m'a insulté,
j'ai vu rouge, j'ai frappé, j'ai versé du sang. Le sang
n'est pas un bon présage. Il faut avoir le respect de l'autre,
rester calme qu'importe la circonstance. Si tu n'as pas confiance
entre les individus, il n’y aura pas de confiance dans la
société. On ne sait pas quand il va nous arriver une
injustice. Il faut se parler l'un à l'autre. Cher jeune, ami
et militant, à tous ceux qui luttent contre la pauvreté,
par ces mots je déclare close notre rencontre, il faut
continuer. Retournez dans vos quartiers pour aider et portez le
flambeau partout où vous allez »
Ensuite nous avons
participé à un séminaire organisé par ce
mouvement ATD/Quart-Monde sur le thème : « Extrême
pauvreté et droits de l’homme ». A cette rencontre
étaient invités des représentants des différents
ministères et d’un certain nombre d’ONG, y compris
la Caritas. Le but était de travailler « les principes
directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de
l’homme » adoptés aux Nations Unies le 27/09/2012,
mais qui ont de la peine à être mis en pratique. En
effet, un certain nombre de gouvernements et d’ONG ont le souci
des plus pauvres et mettent en place des projets de développement
pour les aider. Mais on s’est aperçu que ces projets ne
rejoignent pas les gens qui vivent dans l’extrême
pauvreté (les plus fatigués) dans la société.
Au cours de ces rencontres, des actions ont été
proposées.
Comment se
déroulent vos actions missionnaires pour satisfaire tout le
monde ? Vous
exercez votre pastorale missionnaire dans la banlieue de Pikine, lieu
de résidence de tant
de moustiques, de tant
d’agresseurs, bref, la pauvreté est
à mesurer là.
D’abord nous
n’arrivons certainement pas à satisfaire tout le monde,
c’est impossible. Nous essayons simplement de faire ce que nous
pouvons, et de former et soutenir ceux dont nous avons la
responsabilité, pour qu’eux aussi puissent s’engager
au maximum. Et à ce niveau les agresseurs sont plus dangereux
que les moustiques, même si j’ai fait une très
forte crise de palu encore ce dernier hivernage. Mais c’est
vrai que la lutte contre la pauvreté est un défi énorme
qui demande de très grands efforts, un engagement de tous et
de tout temps. Ce n’est donc pas gagné.
Vous avez parlé
des CEB. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
La Communauté Ecclésiale de Base (CEB) c’est
notre priorité. C’est la base de la vie chrétienne
et de l’Eglise. La CEB est vraiment la pastorale
actuelle de l’Eglise dans le monde entier, depuis Vatican II.
L’Eglise est le peuple de Dieu et chacun de nous doit
participer : on ne peut pas être chrétien tout seul,
nous vivons notre foi en communauté. C’est la CEB qui
prend en charge les problèmes du quartier (Prières,
évangélisation, réconciliation, justice et paix,
soutien des pauvres, défense des petits, développement
du pays, etc…). Voici quelques exemples d’actions
réalisées : récupération des ordures
et propreté-hygiène du quartier, éclairage du
quartier à partir des logements pour la sécurité
(pas d’éclairage public), réunions des
propriétaires et locataires, aménagement du quartier
(lieux de loisirs pour les jeunes et les enfants), lutte contre le
paludisme et les inondations, reboisement, etc….Les CEB se
sont engagées aussi au moment des élections.
La CEB c’est la Famille de Dieu dans le quartier. Elle regroupe
tous les chrétiens : anciens, adultes, jeunes et enfants.
La vie de la Communauté Chrétienne ne se
limite pas à la prière et aux sacrements. Nous voulons
que nos Communautés soient engagées dans la vie du
quartier et dans le développement du pays, selon les 4 lignes
d’action du 3° PAP (Plan d’Action Pastorale commun à
tous les diocèses d’Afrique de l’Ouest):
Communion, Liturgie, mais aussi Témoignage et Service. La CEB
n’est donc pas une simple subdivision de la paroisse, c’est
une communauté de quartier avec ses responsabilités
propres. Elle est engagée dans l’avancée du
quartier dans tous les domaines de la vie, en lien avec les autres
habitants et croyants, en contact avec les mairies, les responsables
de quartier, les imams et autres chefs religieux. La CEB n’est
pas seulement un groupe de prière. C’est une communauté
de réflexion et d’action.
Comment est
organisée la CEB ?
Chaque
Communauté, dont la responsabilité est confiée
aux laïcs, est dirigée par un Bureau de 4 personnes (un
homme, une femme, un jeune homme et une jeune fille), pour que les
deux sexes et les classes d’âge soient représentés,
selon nos traditions. Ce bureau est aidé par un secrétaire
et un trésorier. Ce Bureau anime une équipe de
responsables, chacun ayant son rôle, pour répartir et
partager les tâches :
1) le ou la responsable à la liturgie, chargé des
prières communautaires (pour les malades, les deuils, à
la naissance des bébés, pour les autres occasions et
bénédictions : les personnes âgées,
les femmes enceintes, et aussi au moment des naissances, de
l’initiation et des mariages traditionnels, des projets et
activités, et des différents temps forts de la vie
sociale),
2)
Le ou la responsable à la catéchèse et à
la préparation aux sacrements (baptêmes, premières
communions, confirmations, mariages, sacrement des malades), en
collaboration et en soutien aux catéchistes
3)
Le ou la responsable à la charité qui organise
l’accueil et le soutien de la Communauté aux pauvres et
aux différentes personnes en difficulté (pastorale
sociale) et les actions de la Communauté pour le
développement. Il/elle est le délégué de
la CEB à la Caritas paroissiale.
4)
Le ou la responsable à la justice pour lutter contre les
injustices de toutes sortes et promouvoir une éducation au
bien commun, aux droits de l’homme, et au respect de la
Création (écologie et respect de l’environnement) :
il est le délégué de la CEB au comité
paroissial de Justice et Paix. Il est en contact régulier avec
les responsables de quartier et les associations du quartier :
ONG, ASC…
5)
Le responsable aux relations avec les autres religions.
6)
Les « sages » (4 personnes âgées :
2 hommes et 2 femmes) responsables de la paix et de la réconciliation
pas seulement dans la CEB mais aussi dans le quartier.
7)
Les deux responsables de jeunesse (un garçon et une fille),
chargés des mouvements et des différentes activités
des jeunes. Ils sont membres du bureau. Les jeunes participent aux
réunions et aux activités de la CEB et de la paroisse,
en plus de leurs activités propres. Mais aussi aux activités
des jeunes du quartier.
8)
D’autres responsables sont nommés selon les besoins,
pouvant correspondre aux commissions de la paroisse. Par exemple :
famille, vocations…
Comment se passent les réunions ?
La Communauté se rassemble chaque semaine. Au début de
chaque réunion, on se donne les nouvelles de nos familles, du
quartier, du pays et du monde. On termine par une prière
d’intentions et de merci, avec la participation de tous et un
refrain. La réunion de CEB n’est pas une simple
discussion sur un sujet, ni une conférence. Elle doit aboutir
à une action, à choisir ensemble, à suivre et à
évaluer. Voici le schéma mensuel que nous proposons :
1°réunion :
partage d’Evangile. La Parole de Dieu est la base et la lumière
de toute notre vie personnelle et communautaire. Nous veillons à
ce que ce ne soit pas une conférence ou une homélie,
mais un vrai partage où tous participent dans la langue connue
de tous : le ouolof.
2°réunion : la vie de la paroisse : la
catéchèse, les différentes prières de la
semaine, l’évangélisation et les relations avec
les croyants des autres religions, les réconciliations à
faire, la participation des membres de la CEB aux mouvements (Scouts,
CV AV) et aux différents groupes (Fraternité, chorale,
Légion de Marie…) et la participation aux évènements
et activités paroissiaux, les travaux communautaires et
l’argent (cotisations, activités lucratives).
3°réunion :
l’engagement dans le quartier : Justice, paix et
réconciliation : les personnes traitées
injustement, les choses qui ne vont pas (saletés et ordures,
inondations, canaux ensablés ou cassés, dispensaires et
autres bâtiments sales et en mauvais état, insécurité,
vol, drogue, prostitution…). Que pouvons-nous faire contre
cela, ensemble avec les autorités du quartier, les imams et
les amis musulmans, les autres jeunes, les syndicats, les partis
politiques, et les autres organisations (droits de l’homme…).
Et aussi la préparation des élections, l’entr’aide,
les actions humanitaires et de développement en lien
avec la Caritas, les mairies et les ONG, notre participation aux
réunions de quartier. La prière finale est faite à
partir de toutes ces intentions
4°réunion ; formation ou eucharistie pour célébrer
ce que nous avons vécu.
Notre souci, c’est
de rester créatif et d’avoir de l’imagination pour
chercher de nouvelles façons de faire et voir ce qui reste à
améliorer, en partant de ce qui existe déjà. Par
exemple, dans un quartier les femmes font une tontine (une caisse
commune alimentée par leurs cotisations). A partir de là,
elles se retrouvent ensemble pour se soutenir et régler leurs
problèmes urgents. C’est une bonne base pour mener des
actions (teinture, tissage, fabrique de savon artisanal,
transformation de produits locaux…), en commençant par
assurer la formation nécessaire. On se met d’accord
sur les projets et la façon de travailler en CEB et avec les
autres au démarrage de chaque année pastorale, et on
avance par étapes. En tout cas, je suis dans l’admiration
devant ce que font nos CEB à Pikine, et devant l’engagement
des responsables, qui tous travaillent bénévolement
bien sûr.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans vos
CEB ?
Le manque d’engagement de certains membres, la difficulté
à participer à cause des horaires de travail ou des
heures de réunions qui ne conviennent pas aux mamans, le
manque de dynamisme du comité justice et paix et de la
Caritas. Parfois la famille qui accueille ne sait pas diriger la
prière Des catéchumènes ne s’engagent plus
après la réception des sacrements. Les hommes y
participent moins que les femmes. Les parents ne sensibilisent pas
suffisamment leurs enfants et leurs jeunes pour qu’ils viennent
aux réunions et participent aux activités de la CEB. .
Certains jeunes préfèrent les jeux, les loisirs et les
soirées dansantes. Pourtant il est important de les faire
participer et de prendre en compte leurs actions. Les enfants, eux
aussi, ont leur place dans la CEB. Les difficultés ne manquent
donc pas, mais à travers tout cela nous avançons.
Comment travaillez-vous avec les musulmans ?
Nous cherchons à nous ouvrir à nos frères et
soeurs musulmans du quartier, afin de consolider les liens de
fraternité et de préserver la paix. Nous les aidons
dans leurs difficultés. Nous avons des contacts réguliers
avec les imams, et nous agissons ensemble. Nous organisons des
activités qui intéressent tout le monde. Nous prions
les uns pour les autres au moment des fêtes religieuses. A
l’occasion de la Tabaski, nos amis musulmans nous offrent du
mouton, et à Pâques nous leur offrons le ngalax, le plat
traditionnel de la fête. Nous avons besoin d’agir avec
les autres. D’abord, parce que nous les chrétiens nous
ne sommes pas nombreux. Mais surtout, parce que les problèmes
du quartier regardent tout le monde (Matt 5, 13-14): nous sommes
« le sel de la terre » (pas seulement le sel
des chrétiens) et la « lumière du monde »
(pas seulement la lumière de la paroisse) « Nous
sommes le levain dans la pâte » (Luc 13, 21) mais à
condition d’être dans la pâte des hommes, avec
tous !
Vous
avez dit qu’une paroisse missionnaire a deux dimensions. La
première c’est d‘être ouverte à tous.
Mais la deuxième ?
La deuxième,
c’est de sortir d’elle-même, comme le demande Jésus
à ses apôtres, avant de quitter ce monde (Marc
16,15): » Allez dans le monde entier, annoncer la Bonne
Nouvelle à toute la Création ». En tant que
religieux, aller vers les plus pauvres. En tant que missionnaire,
aller vers les gens des autres religions. Comme nous le demande sans
cesse le pape François : « Allez à la
périphérie, luttez contre la civilisation du déchet
(où on traite les gens « non rentables »
comme des ordures à jeter), construisez des ponts et non pas
des murs, les pauvres ont besoin de respect encore plus que de
nourriture ». Et tant d’autres paroles, ses écrits
et ses actions.
Concrètement,
comment vivez-vous cela ?
J’ai déjà
expliqué comment les CEB, les communautés chrétiennes,
cherchent à agir dans les quartiers. Et comment la Caritas
travaille au développement en lien avec les mairies et les ONG
présentes sur le terrain. Les mouvements des scouts et guides
et des enfants (CV-AV) sortent eux aussi souvent pour rencontrer les
autres jeunes et agir ensemble.
Les amicales des
jeunes de chacune des CEB se retrouvent avec les ASC (Associations
Socio Culturelles), les jeunes de la Croix Rouge et les jeunes des
différentes confréries musulmanes, et autres groupes et
mouvements de jeunesse, pour des rencontres sportives, des
conférences, des tours de thé où on échange
des idées, des nettoyages du quartier, etc…Ces amicales
sont en contact avec la commission de la jeunesse de chacune des huit
mairies présentes sur la paroisse. De même,
l’association des femmes catholiques travaille avec les autres
organisations de femmes et les ONG qui interviennent dans les
quartiers. Et elles participent aux activités organisées
par la mairie. Nous avons aussi un (ou une) délégué
officiel de la paroisse auprès de chaque mairie. Ils assistent
aux conseils municipaux. Ils y apportent nos propositions pas
seulement pour la paroisse et les chrétiens, mais surtout pour
la vie du quartier et les plus nécessiteux, à partir
des réflexions des CEB. C’est à ces délégués
que les mairies s’adressent également pour leurs
propositions et pour la participation aux activités qu’elles
mènent. Nous tenons beaucoup à cette collaboration, qui
est très intéressante. Nous participons aux cérémonies
et rencontres des mairies, et elles participent à nos fêtes
religieuses et à nos activités.
Et au niveau des
écoles ?
Les CEB ont dans la
cour d’une de leurs familles un jardin d’enfants. Ce sont
des installations très simples, très différentes
des jardins d’enfants officiels qui ont des bâtiments en
dur, du matériel et des jouets venus d’Europe, et qui
coûtent cher. Nos jardins d’enfants sont ouverts aux
enfants les plus pauvres, car on ne demande qu’une petite
cotisation. Ils permettent une présence chrétienne dans
le quartier, et une éducation de base importante pour les
enfants, en particulier ceux qui ne pourront pas aller à
l’école pour différents raisons. Et ils sont
nombreux, même en ville.
A côté
du collège catholique, il y a environ 15 collèges
officiels et privés laïcs sur notre paroisse. Dans
ces collèges, les élèves chrétiens se
réunissent chaque vendredi dans une classe au moment de la
pause, pendant que leurs camarades musulmans vont prier à la
mosquée. J’y ai même été célébrer
l’Eucharistie. Nous sommes très bien accueillis par
l’administration scolaire, et n’avons aucun problème
à ce niveau. Je dirai même que nous sommes attendus, car
les élèves chrétiens participent activement à
la vie de l’école. Nous avons une animation en deux
temps : un vendredi, partage sur l’évangile
du dimanche suivant. Le deuxième vendredi, réflexion
sur la vie de l’école : les relations entre élèves,
avec l’administration et avec les enseignants, l’amélioration
des conditions d’études à tous les niveaux, la
participation à la vie de l’école et au
gouvernement scolaire, etc. Chaque trimestre, ils se retrouvent en
récollection pour prier et voir comment vivre en chrétiens
dans leurs établissements.
La
difficulté c’est d’avoir un
encadrement pour ces aumôneries :
il n’y a pas d’équipe enseignante (mouvement des
enseignants chrétiens) dans notre doyenné. Nous avions
aussi le désir de lancer le mouvement de la JEC dans notre
paroisse mais c’est très difficile. Etant une minorité,
les jeunes catholiques ont plus envie de se retrouver entre eux et de
participer aux groupes paroissiaux, que de s’engager à
l’extérieur. Et pour beaucoup, ce qui les intéresse
le plus ce sont les sorties, les fêtes et soirées
dansantes et les jumelages. Il y a là des problèmes de
base qui doit être résolus pour un véritable
apostolat dans le milieu scolaire et toute la société.
Il y a beaucoup de fraternités et d’amicales, mais
l’Action Catholique en tant que telle a pratiquement disparu,
sauf pour les enfants. Ce qui est un manque très grave pour
notre Eglise.
Avez-vous
des enfants et des jeunes qui vivent dans la rue ?
Oui, et
ils sont nombreux, et des éducateurs les rencontrent. Cette
animation consiste d’abord à un suivi de ces jeunes,
grâce à des contacts informels et des visites de terrain
chaque semaine, pour les connaître, créer des liens
d’amitié, gagner peu à peu leur confiance, sinon
un travail en profondeur ne pourra jamais se faire.
Pour répondre
aux besoins de ces jeunes, nous les accueillons tous les mercredis,
dans une maison où ils peuvent se laver, laver leurs habits et
se faire soigner, au moins les premiers soins de santé dont
ils ont souvent besoin. Ils peuvent aussi rencontrer personnellement
un éducateur qui les écoute. Ensuite, nous tenons
ensemble une rencontre de réflexion sur l’un ou l’autre
de leurs problèmes, soit en partant des questions spontanées,
soit à partir de thèmes qu’ils ont choisis
eux-mêmes : la drogue, l’argent, le travail, etc. Ensuite
nous leur offrons un repas. L’après-midi, ils ont une
activité sportive ou manuelle entre eux ou, si possible, avec
les jeunes du quartier. Ce qui leur permet de créer des liens
et de se socialiser.
Nous n’avons
pas de centre d’accueil où ils pourraient manger et être
logés en permanence. D’abord parce que nous n’en
avons pas les moyens, mais aussi parce que nous d’eux-mêmes :
qu’ils acceptent les souffrances et les difficultés de
la vie dans la rue. Dans la mesure où ils ont choisi cette
façon de vivre, ils doivent être capables d’en
supporter les conséquences. Ensuite parce que ces jeunes font
preuve de beaucoup de débrouillardise et d’initiatives.
Nous ne voulons pas en faire des mendiants, ni des assistés.
Cela est très exigeant et il nous faut sans cesse maintenir un
équilibre entre soutien et responsabilisation. Nous offrons à
ces jeunes trois possibilités :
1. Retourner en
famille, surtout pour les plus jeunes. S’ils l’acceptent,
nous cherchons à comprendre pourquoi le jeune a quitté
sa maison. Ensuite, un éducateur prend contact avec la famille
pour régler les problèmes afin que l’enfant soit
bien accueilli et respecté et puisse vivre à nouveau
d’une façon épanouissante.
2. S’il n’est
pas trop âgé et qu’il ne veut pas retourner en
famille, nous lui offrons la possibilité d’aller à
l’école. Nous sommes en contact avec un certain nombre
de directeurs et d’enseignants qui acceptent de suivre ces
jeunes et de les former d’une façon adaptée, en
tenant compte de leur histoire passée et de leurs
possibilités. Certains peuvent aussi suivre des cours
d’alphabétisation s’ils sont trop âgés
pour aller à l’école.
3. Pour les plus
âgés qui le veulent, nous proposons un temps
d’apprentissage auprès d’un artisan qui accepte de
les accueillir et de les former, pour apprendre un métier. En
continuant à les suivre et à travailler ensemble avec
cet artisan.
Nous avons des
éducateurs garçons et filles. Le rôle de
celles-ci étant très important pour apporter une
présence féminine, à ces jeunes loin de leurs
familles. Les filles sont assez peu nombreuses dans la rue, et elles
vivent surtout de la prostitution.
Nous travaillons
avec d’autres ONG ou associations et d’autres personnes
prêtes à soutenir ces jeunes : animateurs, adultes,
enseignants, artisans, alphabétiseurs, etc… Mais nous
manquons de familles d’accueil. Et nous regrettons un manque
de coordination entre les différentes organisations
travaillant pour les jeunes dans la rue, et les possibilités
trop limitées pour former nos éducateurs, sans parler
du manque de moyens. Mais ce manque de moyen a au moins cet aspect
positif, qu’il oblige les jeunes dans la rue aussi bien que
nous-mêmes, de compter d’abord nos propres forces, et de
chercher des possibilités d’actions simples et adaptées
aux réalités du pays.
Vous
avez parlé aussi de Justice et Paix ?
Pour moi, c’est la commission la plus importante.
L’Eglise a toujours travaillé pour la justice et pour la
paix, à partir de l’Evangile. Et déjà dans
la première Alliance, Moïse et les prophètes ont
eu des paroles très fortes dans ce domaine. Depuis le pape
Léon 13, les papes de l’époque moderne ont
souvent parlé de ces questions. Et le concile Vatican II a
demandé que dans chaque diocèse et dans chaque paroisse
on mette en place cette commission. C'est le 4° Objectif
stratégique du plan d'action pastorale de tous les diocèses
d'Afrique de l'Ouest. La base de cette commission c’est Jésus
Lui-même, son Evangile en particulier les béatitudes, la
Doctrine Sociale de l’Eglise, mais aussi la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies.
L’action pour la Justice et pour la Paix fait partie de la
responsabilité des CEB. Chacune a un(e) responsable Justice et
Paix qui fait partie de la Commission Paroissiale. En effet, le
travail de la Caritas ne suffit pas. La Caritas aide les gens et fait
des projets de développement. Justice et Paix défend
les droits des gens et attaque les causes de la pauvreté et du
sous-développement. Zachée dit à Jésus
(Luc 19, 8) : « Je vais donner aux pauvres la moitié
de ce que j’ai » (c’est la charité) ;
mais il ajoute : « Si j’ai fait du tort à
quelqu’un, je vais le réparer quatre fois »
(c’est la justice). Par exemple, en cas d’inondation, la
Caritas va reloger les gens, et c’est important, car il faut
agir tout de suite. Mais la Commission Justice et Paix va chercher
les causes profondes : pourquoi il y a ces inondations ?
Pourquoi on ne fait rien ? Où est passé l’argent
voté pour cela ? Et elle ira voir les autorités
pour faire respecter les droits et la dignité des personnes.
Le but
de la commission c’est de participer à la
construction d'une société de justice et de paix qui
respecte la vie et la dignité de la personne humaine et qui
cherche une vraie démocratie, dans la liberté, la
participation, la responsabilité et le respect des droits
humains. Et ainsi de construire le Royaume de Dieu sur la terre, « un
Royaume de Justice, de Paix et de Joie dans l'Esprit Saint »
(Rom 14, 17)
Le
titre exact de la commission est : Justice, Paix et Intégrité
de la Création (JPIC). La commission travaille donc dans trois
directions. D’abord faire grandir la justice dans le
pays, par des actions concrètes, menées à tous
les niveaux : personnel, communautés de base (CEB),
mouvements, associations et paroisses, diocèses et
départements, pays tout entier.
La Paix en agissant
à trois niveaux : Analyser les conflits actuels et rebâtir
la paix, dénoncer les conflits latents et les désamorcer
(prévention, agir à l’avance contre les risques
de violence) et éduquer à la paix et à la
non-violence. Il s’agit de guérir les traumatismes et
les souffrances causés par les guerres et les violences de
toutes sortes, de réconcilier les gens qui ne s'entendent
pas, et de former des médiateurs. La
réconciliation c’est
important : c’est l’un des rôles de la CEB et
un thème essentiel du 2ème Synode pour
l’Afrique. Dans chaque CEB, il y a des Conseillers ou Sages
(hommes et femmes) pour régler les problèmes et
réconcilier les gens.
Le respect de la Création, de la terre que Dieu nous a donnée
et que nous laisserons à nos enfants. Il faut protéger
la nature, comme Jésus Lui-même l’a fait. C‘est
sur un arbre (la Croix) que Jésus est mort pour nous sauver.
Et Il envoie ses apôtres annoncer
la Bonne Nouvelle « à toute la Création »,
pas seulement à tous les hommes. C’est l’écologie
et le respect de l’environnement que le pape François
nous a demandés dans sa lettre « Loué
sois-tu », qui a eu une influence dans le monde entier, en
particulier à la rencontre de la COP 21 des Nations Unies à
Paris et de la COP 22 à Marrakech.
Là aussi,
nous n’agissons pas seuls. Nous nous engageons avec ceux qui
nous entourent, les chefs et les marraines des quartiers, les imams,
les associations de jeunes et de femmes, les mairies, les syndicats
et les partis politiques. Nous travaillons avec les maisons de
justice et les boutiques des droits. Et par exemple pour le suivi et
le soutien des personnes qui se droguent, avec l’association
Soppi Djikko. Avec une autre association, Bokk Yakaar, nous préparons
une série d’émissions à la télévision
sur cette question. Mais comme toujours, il faut agir sur es causes :
Pourquoi les gens se laissent–ils entraîner dans la
drogue ? Pour certaines personnes très pauvres, c’est
un moyen de gagner leur vie : tant qu’on ne les aidera pas
à sortir de la pauvreté, ils continueront. Et de même
pour les jeunes au chômage et sans espoir qui se droguent pour
oublier leurs problèmes. Tant qu’ils ne pourront pas
recevoir une bonne éducation et trouver du travail, ils
continueront. Les jeunes de la rue nous disent : »
j’ai besoin de me droguer pour avoir le courage d’aller
voler ». Tant qu’ils ne seront pas sortis de la rue,
ils se drogueront, quelles qu’en soient les conséquences.
J’ai déjà donné plusieurs exemples des
actions que nous menons.
Pour certains, la
lutte pour la Justice, la Paix et le Respect de la Création ce
serait faire des conférences et mener des grandes actions. En
fait c’est d’abord dans les petites choses de la vie de
tous les jours, avec ceux qui nous entourent, dans la famille, le
quartier et au travail, que nous pouvons faire grandir la justice et
la paix, et respecter notre environnement. Mais il faut être
convaincu et décidé pour cela.
Que faites-vous comme prêtre missionnaire pour libérer
les fidèles chrétiens de la paresse, de l’immoralité,
des banalités quotidiennes, de la misère, au titre
d’anticipation et de prémices de leur libération
intégrale ainsi que de l’avènement du Royaume, en
attendant sa manifestation en plénitude ?
Tout cela me semble
de grands mots. Je fais ce que je peux, et les gens aussi. En tout
cas la plupart des chrétiens ne sont pas paresseux mais très
courageux. Ils vivent dans des situations très difficiles, et
pas seulement les chrétiens mais tous les habitants de Pikine.
Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons nous en sortir.
Les chrétiens ne sont pas immoraux, même s’il y a
beaucoup de problèmes dans la ville.
Placide
Mandona : Comment
situez-vous votre apport missionnaire par rapport à ceux
d’autres missionnaires spiritains ayant passé au
Sénégal appartenant à des générations
antérieures à la vôtre ?
Ce n’est pas à
moi de juger de mon apport missionnaire, ni de juger mes confrères.
Les anciens ont très bien travaillé, avec beaucoup de
courage, dans les conditions de vie et la situation qui étaient
les leurs. Les générations futures ne vivront pas dans
les mêmes conditions que nous. Il leur faudra chercher comment
être le plus missionnaire possible dans le monde de ce
temps-là, avec les moyens qui seront les leurs.
Quels
sont les grands maux qui rongent la vie missionnaire aujourd’hui?
Bien sûr il y
a la diminution des vocations en Europe mais pas en Afrique, même
si cela pourrait arriver rapidement. Je trouve au contraire qu’avec
le concile Vatican II et les papes qui ont suivi, y compris le nôtre
actuellement, la vie missionnaire s’est beaucoup intensifiée
et approfondie. Si les jeunes s’engagent moins dans la vie
religieuse, beaucoup s’engagent pour le développement et
les actions humanitaires. Même si c’est à temps
partiel, cela me semble très important. Et nous avons beaucoup
progressé en ce qui concerne l’engagement dans la
société et les relations avec les autres religions. A
nous les missionnaires de jouer notre rôle dans les Eglises
locales, pour les aider à s’ouvrir davantage au monde.
En commençant par nous-mêmes.
En
bon missionnaire, quelle pédagogie pour le développement
spirituel et matériel de vos chrétiens ?
D’abord ce ne
sont pas mes chrétiens, même si j’ai une
responsabilité dans l’Eglise. Ce sont des fils de Dieu
et des frères de Jésus-Christ avec lesquels j’essaie
de vivre en frère. Et ma pédagogie encore une fois,
c’est de faire ce que je peux là je suis avec les moyens
qui sont les miens, en essayant d’être le plus disponible
possible, attentif aux signes des temps et aux appels qui viennent de
la communauté et de la vie des gens de Pikine.
Quel modèle
de missionnaire êtes-vous ou voulez-vous adopter ?
Je veux annoncer
une parole de libération et une Bonne Nouvelle, celle de
l‘Evangile à ceux qui sont loin, qui
n’ont pas de place dans la société
et n’ont pas le droit à la parole. Je me rends compte
que je ne le fais que très imparfaitement et donc pas assez.
Je voudrais être le plus près possible des pauvres et
des petits, ceux qui sont tellement écrasés, qu’ils
n’ont plus le courage d’agir.
L’enseignement
reste le moyen incontestable de prédilection dans une société
bien ordonnée, il doit être une surpriorité,
mieux, la première des priorités. Pourquoi les
missionnaires n’encouragent pas cet aspect des choses ?
Ma
priorité c’est la formation pour un engagement concret
et précis, beaucoup plus qu’un enseignement théorique.
Je trouve qu’il y a trop de spiritains au Sénégal
qui s’engagent dans l’enseignement, alors que ce n’est
pas notre vocation première, ni notre charisme. Et je trouve
que beaucoup de nos étudiants cherchent à avoir des
diplômes plus qu’à se former pour un travail
pastoral et missionnaire.
Beaucoup
de rumeurs circulent dans les milieux catholiques, je ne sais pas les
prouver personnellement, mais les gens en disent plus. L’immoralité
touche de plein fouet le clergé (débauche,
homosexualité, pédophilie, corruption, paresse et
autres qualités négatives). Que faites-vous comme
prêtre face aux critiques de nos frères séparés ?
Pour
ce que je connais de la vie des prêtres, ces accusations sont
complètement fausses, même si malheureusement l’un
ou l’autre cas se présente. D’ailleurs, en fait
ce ne sont pas des paroles de nos frères séparés
(les frères protestants avec qui je collabore dans le
respect et l’amitié) mais beaucoup plus les accusations
de sectes malveillantes, comme les témoins de Jéhovah
par exemple. Cela ne me trouble absolument pas. Même si en tant
que prêtres et chrétiens, et déjà en tant
qu’hommes quelle que soit notre religion, nous devons lutter
contre l’immoralité sous toutes ses formes. Et réagir
de toutes nos forces, sans cacher les choses, à chaque fois
qu’un tel cas se présente.
Comment
comparez-vous l’ambiance missionnaire des années 1950 à
nos jours ?
Cela
n’a rien à voir. Le monde a complètement changé
et la situation de l’Eglise aussi. 1950, c’était
encore le temps de la colonisation et des Eglises filles de Rome et
de l’occident. Maintenant nous sommes indépendants,
vivant aux dimensions du monde, subissant le positif et le négatif
de la globalisation, dans une Eglise sœur des autres Eglises
du monde et à égalité…. même s’il
nous reste encore beaucoup à faire pour nous libérer et
pour prendre davantage nos responsabilités. Ce à quoi
d’ailleurs nous pousse le pape François.
Quelqu’un
disait que les femmes ont une certaine médiation naturelle. Ce
sont elles qui s’interposent entre le père et les
enfants, entre les hommes eux-mêmes, entre le mari et le
voisin, entre le néant et la vie, si ce sont bien elles qui
accouchent, entre la famille et le malheur, car les hommes les
délèguent volontiers aux deuils, et même entre
nous et Dieu, dans la mesure où ce sont elles que l’on
voit le plus souvent à l’église. Bref, la femme
est indispensable à l’homme. Quelle place accordez-vous
dans vos actions pastorales à la femme comme prêtre ?
J’essaie
de leur donner le plus de place possible, mais ce n’est pas
toujours facile. D’abord parce que certains hommes les en
empêchent, même dans les communautés chrétiennes.
Et beaucoup de femmes ont aussi de la peine à s’engager,
par peur, par surcharge de travail et surtout à cause de
l’éducation qu’elles ont reçue. On leur a
appris à être soumises et à obéir aux
garçons dès leur enfance. Je suis dans l’admiration
devant l’engagement de certaines femmes dans l’Eglise et
dans la société. Mais elles sont encore trop peu
nombreuses et trop peu soutenues. Dans les fêtes religieuses
comme dans les réunions politiques, on les limite trop à
la cuisine, ou à danser dans de belles tenues uniformes. Cela
pose à la fois de l’éducation des filles, et de
celle des garçons et des hommes. Mais les choses avancent.
Pour ma part, je veille à leur donner la parole dans toutes
les réunions où elles sont présentes, et à
soutenir la branche féminine chez les scouts et le mouvement
CV-AV des enfants, de même que l’association des femmes
catholiques dans leurs projets économiques et leurs autres
actions.
Je
vois que quand il y a un problème, souvent on accuse les
femmes et les jeunes filles. Ainsi, on accuse les jeunes filles de
provoquer les garçons par leur tenue, mais on ne dit rien aux
garçons sur leur comportement. On veut garder les filles à
la maison, mais on laisse les garçons sortir même la
nuit, sans savoir où ils vont ni ce qu’ils font. On
forme les femmes à la régulation des naissances, mais
la plupart du temps les blocages viennent du côté des
hommes. Jusqu’à maintenant en famille, on fait plus
travailler les filles que les garçons, et certains garçons
veulent se faire servir par leurs petites et même leurs grandes
sœurs. Et certains pères se conduisent comme des chefs,
le chef de famille !, avec leur femme et leurs enfants.
Placide Mandona :
Avez-vous
l’impression que la femme joue un rôle important, aussi
bien dans le couple que partout. Pourquoi l’Eglise traine-elle
à autoriser le sacerdoce des femmes ?
Les
femmes jouent effectivement un rôle important et même
essentiel partout dans le monde, et pas seulement dans l’Eglise.
Autoriser le sacerdoce des femmes serait certainement un signe
important pour reconnaitre leur rôle, comme cela se fait dans
des Eglises soeurs. Mais ce serait tout à fait insuffisant.
Cela suppose pour être vécu en vérité que
l’on donne sa place à la femme dans la famille :
que le mari ne s’impose pas à sa femme et à ses
enfants comme un chef, que les garçons ne se fassent pas
servir par leurs sœurs et que les parents s’y opposent
énergiquement. Et que dans la société et
partout, la femme soit acceptée et reconnue non seulement
comme égale en dignité et en droits comme le dit la
Déclaration Universelle des Droits Humains, mais comme
complémentaire et nécessaire à l’homme, et
reconnue dans ses diférences. Dieu nous a créé
homme et femme, égaux mais différents, dans notre
diversité, notre vocation et notre façon de vivre. Il y
a beaucoup de travail à faire pour arriver à cela.
Dans l’Eglise les femmes travaillent beaucoup et elles font
beaucoup grandir la vie dans toutes ses dimensions. Même
sans être prêtres, elles ont un rôle essentiel dans
l’Eglise. Mais ce sont les hommes qui continuent à
diriger et même à imposer leurs idées, pas
seulement dans l’exercice de leur sacerdoce, mais pratiquement
dans toute la vie de l’Eglise. Et je ne suis pas sûr que
les laïcs, à commencer par les femmes elles-mêmes,
soient prêts à accepter des prêtres-femmes.
Placide Mandona :
Dans
sa réflexion sur le couple et l’amour, le jésuite
Teilhard de Chardin disait à peu près ceci :
« Dans l’amour, il s’agit, pour chacun des
deux êtres, de répondre à l’appel de
l’Autre, d’aller sur les ondes de l’Autre, de
s’identifier à l’Autre, de se perdre dans l’Autre,
et, ce faisant, d’assimiler l’être de l’Autre.
C’est ainsi que les deux êtres se complètent, en
s’enrichissant, se développant réciproquement ».
Est-ce un ardent conseil à donner aux couples que vous unissez
à Dieu ?
C’est
vrai que les 2 êtres peuvent se compléter en
s’enrichissant et en se faisant grandir réciproquement,
mais pas en s’identifiant à l’autre, ni en se
perdant dans l’autre. Et encore moins en se laissant assimiler
par l’autre. Au contraire, il faut que chacun reste lui-même
avec ses différences , à l’aise devant l’autre
, reconnu par l’autre et accueilli comme une richesse venant de
Dieu. Par ailleurs, je n’unis pas les couples à Dieu,
c’est Dieu qui les appelle, les unit entre eux et se les unit à
lui-même. Dans le mariage je suis seulement, le témoin
de leur amour, je l’admire, j’en rends grâce à
Dieu et je les bénis au nom de Dieu. Mais se sont les mariés
qui se donnent eux-mêmes le sacrement et pas le prêtre.
Et la matière du sacrement c’est leur amour.
Placide
Mandona : Etes
–vous pour ou contre la parité dans l’Eglise ?
Que
ce soit dans l’Eglise ou dans la société,
décréter la parité c’est peut être
une nécessité dans un premier temps, pour donner leur
place aux femmes dans la mesure où celles-ci n’ont pas
les moyens ou la possibilité de la prendre, en particulier à
cause de l’éducation qu’elles ont reçue, et
dans la mesure où les hommes ne veulent pas leur laisser
jouer le rôle qu’elles peuvent tenir ni prendre la place
à laquelle elles ont droit.
Mais aussi vite que possible,
il faut que chacun soit reconnu pour lui-même, dans sa dignité
profonde, ses valeurs ses qualités et sa diversité, et
pas seulement à cause de son sexe. Et que non seulement nous
nous acceptions les uns les autres, mais que nous construisions
notre monde à partir de nos différences, sexuelles ou
autres, dans la joie et la reconnaissance réciproque. Alors
chacun pourra être à l’aise, grandir et apporter
sa contribution à la construction du monde, sans être
catalogué comme homme ou comme femme avec toute la pesanteur
et les préjudices que cela comporte, mais en étant
lui-même et reconnu comme tel. Il ne faudrait pas que par la
parité on considère les femmes comme des bouche-trous,
qu’il faut bien accepter à cause de la loi, mais qui
n’ont pas la même valeur et qui ne peuvent pas jouer le
même rôle que l’homme. C’est à
chaque femme de se faire reconnaitre pour ses qualités et ses
valeurs et non pas par un calcul à 50%. Une femme qui doit sa
place à une loi sur la parité sera difficilement
reconnue par elle-même, et ne pourra pas apporter sa richesse
dans la liberté et la confiance, en elle-même et dans
les autres. Mais la parité est peut-être une étape
nécessaire par laquelle il faut passer, avant d’arriver
à une vraie complémentarité. Et à a
condition d’arrêter de parler de « la femme ».
Chaque femme est unique, et doit être accueillie comme telle
Placide
Mandona :
Quel est votre modèle en matière de vie missionnaire ?
Il y en a beaucoup. J’ai déjà parlé de nos
fondateurs : Libermann que j’ai découvert au
noviciat, et Claude Poullart que j’ai découvert plus
tard. Dans ma jeunesse quand j’étais louveteau, j’ai
été touché par François d’Assise et
comme scout par François Xavier. Mais chaque fête d’un
saint est pour moi l’occasion de découvrir un autre
aspect de l’évangile et un autre appel. Le pape
François m’impressionne et l’exemple de mes
confères et de certains laïcs engagés est aussi un
grand encouragement pour moi.
Est-il
aisé de réunir, dans une admiration des missionnaires,
deux fondateurs français :Libermann et le cardinal
Charles Lavigerie, en apparence aussi différents ?
Ce
sont deux grands missionnaires pour l’Afrique, parmi beaucoup
d’autres comme Comboni, Mazenod, etc…Et pour ne parler
que des spiritains, le père Laval l’apôtre des
esclaves à l’Ile Maurice, et le père Daniel
Brottier l’éducateur des enfants abandonnés,
tous les deux déclarés bienheureux. Je ne vois aucune
opposition entre Libermann et Lavigerie, mais au contraire une
complémentarité qui nous révèle
différents aspects importants de la mission et différents
façons de la vivre. Le fait qu’ils soient français
tous les deux ne m’impressionne pas, mais plutôt leur
fidélité à l’appel du Seigneur, chacun là
où il se trouvait et d’après les possibilités
qui se présentaient à eux. A nous d’en faire
autant !
En
dehors du monde religieux catholique, quelles sont les grandes
figures missionnaires qui vous intéressent actuellement ?
En
dehors de l’Eglise catholique, la façon de travailler
des missionnaires protestants m’a toujours impressionné
avec leur engagement en famille avec leur femme, leur respect des
cultures là où ils travaillaient, l’importance
donnée à la Parole de Dieu et à sa traduction
dans les différentes langues. Bien sûr, engagé
dans la commission Justice et Paix, des personnes comme Desmond
Tutu, Nelson Mandela, Martin Luther King, et des gens comme Gandhi
sont une source d’inspiration pour moi. Mais il n’y a pas
que les grands personnages, il y a toutes les bonnes choses qui se
vivent dans la vie de tous les jours, en particulier dans les
religions traditionnelles, et ce que nous appelons les valeurs
traditionnelles qui sont tellement importantes aujourd’hui,
dans notre société en pleine évolution. La façon
dont certains amis musulmans vivent leur foi m’impressionne
aussi beaucoup. La façon dont certains amis musulmans vivent
leur foi me touche aussi beaucoup.
Placide
Mandona : Depuis
le jour où vous avez commencé la vie missionnaire en
Afrique, votre conception du monde ou comme disent les Allemands
votre Weltanschauung et du rôle de l’homme a-t-elle
changé ?
Grâce à mes rencontres et mes activités, ma
vision du monde et des hommes a évolué sans cesse, en
particulier à chaque fois que j’ai été
appelé à changer de lieu de mission. La culture moderne
que j’essaie d’accueillir m’ouvre l’esprit et
le cœur. Mais d’abord, c’est le monde qui a
beaucoup changé. Et comme le demande Jésus, j’essaie
de lire les signes des temps, pour découvrir à quoi
l’Esprit de Jésus nous appelle dans les différentes
situations actuelles.
Une
vie missionnaire pour les nécessiteux, la promotion de la
justice, de la démocratie et du développement :
est-ce pratique ?
La
promotion de la justice de la démocratie et du développement,
tout cela n’est pas facile mais c’est absolument
nécessaire, sinon l’engagement missionnaire n’a
aucun sens. Encore une fois, j’essaie de profiter de toutes les
occasions pour cela, comme actuellement la préparation des
élections, ensemble avec les différents groupes avec
lesquels je travaille. Ce sont souvent les amis qui m’entourent
qui me rendent attentif à des choses importantes et à
des chemins qui s’ouvrent, ce dont je les remercie beaucoup. Et
encore plus l’accueil et l’aide aux nécessiteux,
et tout ce que les pauvres et les petits de la société
nous apportent..
Plusieurs
actions démontrent et prouvent à suffisance que la
mission pastorale du père Armel Duteil trouve son parfait
achèvement dans cet individu oublié de la société.
De qui vous vous inspirez ?
Mon
inspiration c’est évidemment Jésus Christ et son
Evangile, et l’Esprit Saint qu’il nous donne pour vivre
et agir comme lui. Et aussi les exemples de vie de ceux qui
m’entourent.
Selon
vous, quelle est la situation de l’Eglise ?
Au
Sénégal, l’Eglise catholique a une très
grande importance, elle est respectée et écoutée
bien qu’elle soit minoritaire. L’Eglise n’est pas
parfaite bien sûr, mais elle cherche à avancer, non
seulement grâce au sérieux de ses pasteurs, mais surtout
grâce à l’engagement des laïcs et des
religieuses. Mais elle gagnerait à accepter davantage sa
situation de minorité, pour mieux se situer dans la société
et pour s’y engager davantage. Nous avons un excellent plan
d’action pastoral, commun à tous les diocèses
d’Afrique de l’Ouest, avec ses 4 objectifs qui se
complètent et recouvrent toute la vie : Communion (avec
tous), Sanctification (Liturgie, sacrements et Catéchèse),
Témoignage et Evangélisation (pas seulement
sacramentalisation, mais relations et engagement avec les autres
religions), et Service (Dignité pour tous, Justice et Respect
de la Création, Paix et Réconciliation, Charité
et Développement). Mais c’est surtout la Liturgie qui
est mise en valeur, au détriment des autres objectifs.
Que
pensez-vous du dialogue islamo-chrétien, de l’œcuménisme.
Est-ce nécessaire ou un paradigme déphasé ?
Bien
sûr que le dialogue islamo chrétien est une nécessité
puisque nous vivons dans un pays à très grande majorité
musulmane (au moins 90%). Mais je préfère parler de
relations entre chrétiens et musulmans que de dialogue
islamo-chrétien. Car les religions ne dialoguent pas entre
elles, ce sont les personnes. Et pour moi l’important c’est
le dialogue de vie, c'est-à-dire que chrétiens et
musulmans agissent ensemble. C’est ainsi que naît
l’amitié entre nous et que chacun a l’occasion
de partager ses motivations et d’expliquer les valeurs qui le
font agir. C’est cela qui permet un approfondissement de la foi
de chacun et un partage spirituel entre nous. Le dialogue entre les
religions est important, mais il suppose des gens formés, je
ne le conseille donc pas à la base On n’est pas
d’accord par exemple, entre chrétiens et musulmans, sur
la personne de Jésus Christ, ni sur sa mort qui nous sauve.
Si je parle de Jésus Fils de Dieu, mes amis musulmans vont me
répondre que Dieu n’a pas de fils. Affirmer trois
personnes en Dieu ne peut conduire qu’à des
incompréhensions. C’est très difficile d’accepter
l’autre dans ses différences. C’est plus facile de
s’encourager et de se conseiller quand on travaille ensemble.
Je préfère m’en tenir à ce que dit le
Coran » Si Dieu l’avait voulu, Il n’aurait
fait qu’une seule religion. Il en a fait plusieurs, pour que
vous vous concurrenciez dans le bien ». Plutôt que
de vouloir dialoguer, je préfère admirer ce que vivent
des amis musulmans. Par exemple le courage pour faire le Ramadan et
leur foi pour donner au Dieu unique toute sa place dans la société.
Et des musulmans m’ont souvent dit qu’ils admiraient eux
aussi certaines choses qui se vivent dans l’Eglise.
Si
la grosse majorité des élèves de nos écoles
catholiques sont musulmans, c’est parce que leurs parents
savent que nous respectons leur foi, et qu’ils apprécient
l’éducation que nous offrons aux élèves.
L’année dernière, nous avons regroupé tous
les élèves chrétiens et musulmans ensemble, par
classe, un professeur musulman, une catéchiste et moi-même,
à l’occasion de l’année de la miséricorde.
Pour voir comment vivre la miséricorde ensemble. Car presque
chaque sourate du Coran commence par ces mots : »
Dieu est le compatissant et le miséricordieux ». Et
cette année, ce même professeur a présenté
Abraham à partir du Coran, et la catéchiste à
partir de la Bible, pour chercher avec les élèves
comment être prophètes aujourd’hui à la
suite d’Abraham à l‘école, dans la famille
et dans le quartier.
Voici à ce sujet, un extrait de mon journal : Rencontre
au collège avec les élèves musulmans :
LUNDI 23 JANVIER : Cette semaine, nous commençons
une intervention commune auprès des élèves,
chrétiens et musulmans ensemble, à partir des Prophètes
qui nous sont communs. Un enseignant musulman et une chrétienne
présentent, à tour de rôle, la vision musulmane
et chrétienne d’Abraham (Ibrahima). Puis avec les élèves
nous cherchons comment être les prophètes d’aujourd’hui.
Pendant toute la semaine, nous allons ainsi rencontrer les classes
deux par deux. Et, au mois de mai, nous évaluerons les actions
qu’ils auront menées. L’idée est d’abord
de mieux se connaître, pour s’accepter et s’estimer.
Mais aussi de vivre les mêmes valeurs et d’agir ensemble.
Bien sûr, nous leur demandons de partager cela dans les
quartiers avec leurs camarades et les élèves des autres
écoles.
Nous avons également
composé des FICHES POUR L’ENSEIGNEMENT DE LA MORALE AUX
ELEVES MUSULMANS, parallèlement aux fiches pour les élèves
catholiques. Nous cherchons à faire vivre les mêmes
valeurs aux enfants chrétiens et musulmans. Et leur
permettre non seulement de se comprendre, mais d’avoir une base
commune pour s’engager ensemble dans le monde des enfants, et
plus tard dans la société.
Tout
au long de l’enseignement, l’éducateur est
attentif à donner la parole aux élèves, et à
tenir compte de leurs réactions, pour respecter leur foi. On
les encourage aussi à parler de cela avec leurs parents. Avant
de commencer une nouvelle leçon, on demande d’abord aux
enfants ce qu’ils ont fait pour mettre en pratique
l’enseignement de la leçon précédente.
Avez-vous d’autres expériences dans ce domaine ?
Nous
avons préparé les dernières JMJ (Journées
Mondiales de la Jeunesse du diocèse) avec la coordination des
imams du département de Pikine, voulant en faire une occasion
d’avancée et de collaboration entre jeunes chrétiens
et musulmans. Le thème était : » Le
Puissant fit pour moi des merveilles ». Le Puissant c’est
le nom que les musulmans donnent à Dieu. Et Marie est une
sainte femme de l’Islam, comme du Christianisme. On en parle
très souvent dans le Coran.
Là aussi, je préfère reprendre des Extraits de
mon journal. « DIMANCHE 15 JANVIER 2017 : Cet
après-midi se tient le lancement des JMJ diocésaines
(Journées Mondiales de la Jeunesse). C’est un jour de
prière et de fête. D’abord, une présentation
des JMJ et le thème. Nous voulons en faire l’occasion
de donner la parole aux jeunes pour dire leurs problèmes et
les solutions qu’ils proposent. Les problèmes ne
manquent pas : chômage, drogue, violence, etc. Nous
voulons les responsabiliser au lieu de venir avec des projets tout
faits sans leur participation. Ensuite, un temps de prière où
nous prions pour tous ceux qui souffrent. Puis nous cherchons à
voir les merveilles que Dieu continue à faire dans notre monde
d’aujourd’hui. Nous terminons par une veillée
animée par nos chorales. Une très belle cérémonie
à laquelle de nombreux jeunes ont participé avec joie.
Le lundi soir, nous recevons les 8 Maires de notre paroisse,
pour préparer l’accueil des 20.000 jeunes des JMJ. Nous
avons besoin de leur soutien pour cela. Mais surtout nous cherchons
avec eux comment contacter tous les jeunes de notre ville, sans nous
limiter aux chrétiens, et faire de ces JMJ un moyen de faire
avancer toute notre ville.
DIMANCHE 22 JANVIER : Récollection des Collégiens
et des Lycéens. Nous travaillons le thème des JMJ pour
eux-mêmes, mais surtout pour qu’ils puissent partager
leurs réflexions et leurs actions avec leurs camarades
musulmans des écoles et dse quartiers. Je suis dans
l’admiration de voir le sérieux de leurs réflexions.
Ca vaut vraiment la peine de leur donner la parole ! Maintenant,
il va falloir assurer le suivi de tout cela ; deux enseignants
et une catéchiste sont venus participer à la
préparation et l’animation. Ils pourront continuer ce
suivi avec efficacité.
A 18 heures, séance de travail à la Mairie de
Pikine-Nord, là où se trouve le stade où nous
allons célébrer les JMJ. Nous y recevons un excellent
accueil. Le Conseil Municipal a voté une motion de
soutien aux JMJ, ils mettent les bureaux de la Commune à notre
disposition le jour de la fête et, d’eux-mêmes, ils
nous proposent d’organiser une rencontre entre les jeunes
chrétiens et les autres jeunes de la Commune. Bien sûr
nous acceptons, car cela va au devant de nos désirs. En effet,
nous voulons faire de ces JMJ une occasion de donner la parole aux
jeunes et d’accueillir leurs propositions face aux nombreux
problèmes qu’ils rencontrent. Mais nous voulons aussi en
faire une rencontre au niveau de la foi, pour voir les merveilles que
Dieu continue de faire dans notre Société, et ensemble
lui dire merci.
DIMANCHE 26 FEVRIER : Notre problème, c’est
que beaucoup se concentrent sur la fête elle-même, en
négligeant la préparation psychologique, culturelle et
spirituelle. La tendance, c’est de rester entre chrétiens.
Et nous voyons que trop souvent les autorités, aussi bien
religieuses que civiles, veulent aider les jeunes. Mais ils viennent
avec des plans, des programmes et des projets décidés
par eux-mêmes et qui viennent d’en haut, sans écouter
d’abord les jeunes pour accueillir leurs propositions :
les jeunes ne sont pas responsabilisés et donc ça ne
marche pas. Nous avons demandé aux différents groupes
de jeunes chrétiens de rencontrer les autres jeunes dans les
quartiers. Et nous aurons une assemblée générale
pour recueillir toutes les réflexions, le 18 Mars.
MERCREDI 8 MARS : Rencontre avec les imams de toute la
ville. Nous cherchons avec eux comment ils peuvent accueillir,
écouter et soutenir les jeunes dans les difficultés. Et
comment, ensemble, dire merci à Dieu pour les bonnes choses
qu’Il continue à faire dans notre vie et dans notre
monde. Par la suite, pour la préparation des JMJ il y
aura de nombreuses rencontres avec la coordination des imams de notre
secteur, qui est représentée à nos différentes
manifestations. Cela a permis une avancée de la ville, pour
laquelle nous nous sommes tous impliqués, chacun à sa
place et selon ses responsabilités.
Et au début de la célébration regroupant près
de 20.000 jeunes dans notre stade remis à neuf et présentée
dans presque toutes les télévisions et radios du pays,
c’est ensemble que l’archevêque, l’imam ratib
de la ville et le responsable de la coordination des imams du
département ont lâché la colombe de la paix.
Nos
amis musulmans commencent le Ramadan demain. Evangéliser,
c’est les aider à vivre le Ramadan dans le respect de
leur religion, mais aussi avec les valeurs de l’Evangile, à
la manière de Jésus, dont on parle très souvent
dans le Coran. L’Evangile est pour tous les hommes. Il
s’agit d’aller vers les pauvres et les petits comme nous
le rappelle sans cesse notre pape : aller à la
périphérie ; lutter contre la société
du déchet où on traite les gens qui ne sont pas
« rentables » comme des ordures à
jeter ; et construire des ponts plutôt que des murs.
Et
avec les ONG et autres associations présentes à
Pikine ?
J’interviens
régulièrement dans une ONG, ensemble avec un imam et
une femme médecin, sur les questions de
santé,
de régulation des naissances et d’éducation
sexuelle. Et je suis souvent appelé à intervenir dans
des associations musulmanes, ou à la radio dans des émissions
musulmanes.
J’ai
été invité par exemple par une organisation
musulmane sur le thème de la violence pour donner le point de
vue chrétien. Je suis intervenu à côté
d’un imam. A cette occasion, j’ai rappelé notre
action menée à l’occasion des dernières
JMJ, en particulier l’assemblée générale
des jeunes sur les problèmes de violence et les solutions
qu’ils ont proposé eux-mêmes. Je leur ai remis des
documents. J’ai insisté sur l’importance de donner
la parole aux jeunes eux-mêmes et de les écouter.
Voulez-vous
citer encore une autre expérience ?
Chaque semaine, je vais à la prison des femmes de Rufisque
pour les rencontrer, les écouter, voir leurs besoins de toutes
sortes, contacter leurs familles et préparer leur réinsertion.
Bien sûr, je rencontre toutes les femmes sans distinction,
musulmanes comme chrétiennes, et il y a une grande amitié
et beaucoup de confiance entre nous. Les temps du Ramadan comme celui
du Carême sont d’une grande intensité, et vécus
par les membres de chaque religion dans le respect des autres. Et la
fête de Noel est la fête de toutes : Jésus,
qu’ils appellent Insa, est aussi un prophète de l’Islam
et on en parle beaucoup dans le Coran. Je me réfère à
nouveau à mon journal :
Samedi 19 Décembre à la prison. Nous anticipons
la fête de Noël. Je suis venu accompagné de membres
de la Caritas et deux jeunes spiritains en formation. Nous prenons le
temps de nous saluer, puis je célèbre l’Eucharistie,
à laquelle même la plupart des musulmanes assistent.
Jésus et Marie sont souvent cités dans le Coran. De
plus, nous sommes amis depuis longtemps maintenant, et elles savent
bien que nous respectons leur foi. Et nous faisons tout ce que nous
pouvons pour améliorer leur vie, les soutenir, les encourager
et les conseiller. Elles y participent, avec beaucoup de piété.
Cette prière contribue vraiment à faire l’unité
entre toutes. Après la messe, les détenues nous
présentent deux théâtres, dont l’un sur
l’histoire d’une arrestation. Une façon de faire
sortir leur souffrance et leur tristesse de leur cœur. Elles
nous font revivre non seulement leurs problèmes mais tout ce
qu’elles font pour améliorer leur vie, se soutenir,
s’encourager et se conseiller, sans distinction d’ethnie
ou de religion.
Et
pour l’œcuménisme ?
J’ai
beaucoup de correspondants des autres Eglises chrétiennes et
je travaille régulièrement avec un pasteur de l’Eglise
protestante, après avoir collaboré de nombreuses années
avec son oncle, quand j’étais à Saint Louis du
Sénégal. Mais il reste beaucoup à faire pour
sensibiliser les chrétiens dans ce domaine. L’œcuménisme
se limite trop souvent à la semaine de l’unité,
quand elle est célébrée et vécue !
Et nous avons même de gros problèmes avec certains
groupes qui se présentent comme chrétiens et sont très
agressifs non seulement contre l’Eglise catholique, mais aussi
contre les musulmans, le Coran et le prophète Muhammad.
Qu’est-ce
que l’Afrique peut donner au monde ?
Je
ne me pose pas la question de cette façon. Pour moi
l’essentiel c’est que l’Eglise d’Afrique
cherche à vivre l’Evangile le mieux possible, et que
l’Afrique garde ses valeurs, ensuite le partage des valeurs se
fera de lui-même. Mais pour cela, il nous faut chercher
comment vivre nos valeurs traditionnelles dans le monde actuel, au
lieu de nous laisser coloniser par les sociétés et les
média occidentaux. Cela est vrai particulièrement pour
les jeunes.
Il
y a déjà de nombreuses relations entre l’Afrique
et le reste du monde. Mais les africains vont encore trop souvent en
Europe ou en Amérique du Nord seulement pour se former ou
trouver du travail, sans pouvoir apporter leur culture, leur point de
vue et leur richesse intellectuelle. Ce que beaucoup de français
ne sont pas prêts d’ailleurs à accueillir.
L’Afrique se présente encore trop comme demandeur et au
niveau matériel. Et ce qu’on lui demande, ce sont des
footballeurs et des musiciens. Est-ce que l’Afrique n’a
rien de meilleur à apporter ?
Pour
les prêtres africains, ils viennent tenir des paroisses en
Europe, mais c’est parfois pour boucher des trous et en
profiter eux-mêmes au niveau financier. Des européens
disent : Maintenant, c’est l’Afrique qui va venir
nous évangéliser. Cela me laisse sceptique et même
triste. Est-ce que cela n’est pas une solution de facilité
et même parfois de paresse pour les européens ?
C’est aux Eglises d’Europe de prendre leurs
responsabilités et de trouver les moyens pour vivre et agir
selon l’Evangile dans une société laïcisée,
et dans la position minoritaire qui est la leur. C’est vrai que
les prêtres africains sont appréciés en Europe
par leur simplicité, leur gentillesse et leur proximité
des gens, spécialement des malades et des personnes âgées.
Mais certains, surtout s’ils ne viennent que pour quelques mois
pendant les vacances, ont beaucoup de peine à comprendre la
laïcité et l’évolution actuelle des pays
occidentaux, et la façon dont les Eglises d’Europe
essaient d’y répondre
Une autre chose me pose problème : c’est le nombre
de prêtres occidentaux qui font appel à des prêtres
d’Afrique pour venir tenir leur paroisse en été
pour pouvoir prendre des vacances. Ils ne se rendent pas compte que
ces prêtres ont aussi leur paroisse qu’ils vont alors
abandonner pendant ce temps-là. C’est absolument
inadmissible. Par contre, c’est très bon que les
prêtres étudiants viennent dans les paroisses en été :
pas seulement pour gagner de l’argent, mais aussi pour
découvrir une autre pastorale et une autre façon de
vivre en Eglise, et ne pas se limiter aux études et à
la formation intellectuelle.
L’Afrique
reste manifestement un continent des dictateurs. Que
privilégierez-vous pour mettre fin aux indécrottables
présidents dictateurs africains dans une pastorale
missionnaire?
Agir
contre les dictateurs dépasse les seules forces de l’Eglise
catholique à elle seule, même si dans beaucoup de nos
pays les évêques parlent beaucoup sur les questions
sociales. Cela demande surtout de la part de l’Eglise de
travailler davantage avec les ONG et les autres associations de
défense des Droits Humains. Pour moi, plus que des conseils
aux politiciens, il s’agit d’éduquer chacun des
chrétiens (à travers nos CEB et nos mouvements) à
la bonne gouvernance et au respect des Droits de l’Homme, et
qu’ils aient le souci de partager leur formation avec ceux
qui les entourent. Que nos associations chrétiennes
s’engagent pour une participation de tous dans la vie du
quartier pour lutter contre la violence, construire la paix et
réconcilier ceux qui ne s’entendent pas. Sans parler de
l’écologie, de la défense des pauvres et toutes
les choses importantes dont notre Pape François parle sans
cesse, et pour lesquelles il a écrit des documents tellement
importants. Mais beaucoup de laïcs chrétiens, même
ayant des responsabilités importantes dans la société,
sont plus soucieux de s’engager dans l’Eglise qu’à
s’engager dans la société, dans les ONG
humanitaires ou luttant pour les Droits de l’Homme. Et c’est
souvent dans les chorales ou la liturgie, plus que dans les
mouvements ou les communautés de quartiers.
Quelques
pays africains connaissent des situations de guerre, citons : la
Centrafrique, la République démocratique du Congo.
Quels conseils donneriez-vous aux politiciens de ces nations
problématiques pour une paix durable ? Je pense à
une approche théologique missionnaire.
Je
n’ai pas l’impression que les politiciens aient envie de
mes conseils. Et il y a des Eglises locales pour le faire. Pour moi,
la solution est de continuer à former les laïcs chrétiens
à la Doctrine Sociale de l’Eglise et de les soutenir
dans leurs engagements.
La
théologie de la libération, est-ce nécessaire
pour la mission ?
La
théologie de la libération a apporté beaucoup à
l’Eglise, pour nous rendre plus attentifs aux pauvres et à
l’engagement dans la société. Il faut voir
comment elle peut-être mise en œuvre dans les réalités
africaines. Il peut y avoir d’autres orientations théologiques.
Ce qu’il faut c’est que les théologiens africains
soient davantage engagés sur le terrain, et davantage écoutés
par les responsables de l’Eglise.
Nous
nous devons de vivre sur le qui-vive, le terrorisme étant à
nos portes. Que préconisez-vous pour prévenir ce
danger ?
Le
terrorisme : Cela aussi c ‘est un problème énorme.
On ne peut pas en parler en quelques lignes. Ce qui me semble
important c’est d’agir à la base. Il y a trop de
violence dans nos quartiers, les gens ne savent plus se respecter,
ni se parler calmement ; ce sont les insultes qui entrainent
les bagarres jusqu’aux blessures et même jusqu’au
meurtre. Pour arrêter cela, il faut attaquer les causes du
terrorisme : qu’il y ait une meilleure éducation
des enfants et des jeunes dans tous les domaines, et bien sûr
au niveau religieux pour vivre sa religion dans la paix et non pas
dans l’agressivité. Nous avons la chance au Sénégal
d’avoir un Islam de confréries, d’origine suffi ou
locale (les mourides). Cela nous a protégé jusqu’à
maintenant. Mais il faut aussi agir au niveau social. Quand un jeune
n’a pas de travail ni d’espoir dans la vie il est prêt
à faire n’importe quoi, et à suivre n’importe
qui. Il faut nous mettre tous ensemble pour lutter contre la
pauvreté, et assurer à tous une éducation
ouverte qui leur apprenne à réfléchir.
Quelle
pédagogie missionnaire se cache derrière votre façon
de procéder en Afrique spécialement au Sénégal ?
Ma pédagogie c’est d’écouter les gens et
d’écouter le Saint Esprit dans les différentes
situations où je me trouve. D’ailleurs les deux vont
ensemble.
Pourriez-vous
nous parler de votre parcours missionnaire ?
Au
cours de mes études de théologie, j’ai eu la
grande chance de recevoir une bonne formation pastorale en
travaillant dans une paroisse de banlieue de Villejuif, avec un
prêtre extraordinaire le père Christian Roussin. Dans
ce bidonville se trouvaient des personnes très pauvres de
différentes nationalités et en particulier des nord
africains poursuivis et persécutés (c’était
la fin de la guerre d’Algérie) et de nombreux jeunes
portugais qui avaient fui leur pays pour ne pas être envoyés
dans les guerres coloniales d’Angola, de Mozambique et de
Guinée Bissau. C’est là que j’ai appris à
devenir missionnaire et à travailler avec tous, en particulier
les plus pauvres. Le Père Christian m’a marqué
pour toute la vie, en particulier par son livre de témoignage :
« Les pauvres à la porte ».
Ayant
fait mon stage au Congo Brazzaville, après mon ordination, en
1966, je suis envoyé à nouveau dans ce pays mais cette
fois-ci en zone rurale. Depuis la révolution de 1963, le pays
est devenu une république populaire marxiste avec tout ce que
cela comporte : tous les mouvements d’action catholique
étaient interdits et les prêtres n’avaient plus
la permission de circuler dans les différents villages où
existait une communauté chrétienne. Il nous a fallu
construire une nouvelle pastorale, basée en priorité
sur l’engagement des laïcs et apprendre à vivre et
à porter témoignage dans un pays marxiste. C’est
cela qui nous a amené à mettre en place des
communautés chrétiennes animées par des laïcs,
qui s’engagent dans toute la vie du village. Nous avions déjà
des scholas populaires qui assuraient par la prière et les
chants, l’animation non pas des messes mais des cérémonies
traditionnelles des naissances, des mariages coutumiers, des prières
pour les malades, des enterrements et des levées de deuils.
Ces scholas se sont engagées dans le développement du
pays par des petits projets économiques. En même temps
les chrétiens ont peu à peu pris des responsabilités
dans les structures du pays. Il leur a fallu se former pour cela.
Mais cela a énormément aidé à
l’engagement des communautés, transformé la
mentalité des chrétiens et leur a permis de devenir
davantage missionnaires : « sel de la terre et
lumière du monde ». Cela a été aussi
pour moi une expérience extraordinaire.
A
cette époque, j’ai eu également la chance de
rencontrer un agent des Nations Unies venu travailler pour le
développement rural. Cela nous a beaucoup aidés pour la
mise en place de petits projets économiques. Ensuite j’ai
fait connaissance de sa femme qui était conseillère
conjugale. Avec elle j’ai pu finaliser les fiches que j’avais
composées avec les jeunes pour leur éducation, en
particulier l’éducation sexuelle. Cela va aboutir à
une série de livres d’abord sur l’éducation
affective et sexuelle des jeunes et l’éducation à
la vie familiale. Ensuite, l’amitié et la mixité,
la psychologie de l’homme et de la femme et la préparation
au mariage. Et quand les premiers jeunes ont grandi, ont suivi des
livres sur la vie conjugale et l’éducation des enfants.
Puis comme le problème de la souffrance et de la mort se
posait sans cesse, une série sur la sorcellerie, le
maraboutage, la maladie, la santé, la mort et le temps du
veuvage.
En
complément à cela, nous avons composé des
montages audiovisuels (diaporamas) sur ces différents
thèmes, à partir d’histoires vécues, que
nous avons pu projeter dans les villages les plus reculés,
simplement avec un petit magnétophone à piles pour la
bande sonore et la batterie de la voiture pour la projection des
diapositives. Cela nous a permis de faire de nombreuses animations et
formations dans de très nombreux villages.
En
1975, je demande à faire une année de recyclage. Je
préfère rester en Afrique, et je pars à Abidjan
à l’ISCR (Institut Supérieur de Culture
Religieuse). Là, je préfère suivre les cours de
formation de base des catéchistes plutôt que ceux de la
licence en théologie, pour être plus proche des réalités
du terrain. En même temps je travaille à l’INADES
(Institut Africain de Développement Economique et Social), car
je sens la nécessité de me former dans ces domaines, et
d’approfondir ce que j’ai eu la chance de vivre. Les
week-ends, je vais dans une paroisse de banlieue, Koumassi. Et
pendant les vacances, dans 2 centres de développement du
diocèse de Man : Zouénoula et Trokpadrou.
Je
ne retourne pas au Congo. Nos responsables me demandent de venir en
France pour l’animation missionnaire. Il s’agit de faire
connaitre la vie de l’Eglise dans les autres continents et les
problèmes du Tiers Monde et du développement en
général. A ce titre, grâce à des
relations, j’interviens dans un certain nombre de Lycées
et de collèges privés et publics sur ces questions, en
particulier à l’occasion des journées Tiers
Monde prévues dans les programmes officiels. Je travaille
aussi avec un certain nombre d’associations surtout de jeunes
et nous organisons des rencontres avec des croyants des autres
religions : Islam, Bouddhistes, etc… ou avec des gens
d’autres pays, spécialement ceux qui vivent des
problèmes graves, qui ont fui le pays et qui vivent parmi
nous, en particulier les victimes du génocide au Cambodge,
et des dictatures au Chili, en Argentine, au Brésil, en
Colombie ou au Pérou car les réfugiés de ces
pays étaient nombreux dans la région parisienne. Ce qui
permet à de nombreux jeunes de s’ouvrir aux réalités
du monde et d’être engagés jusqu’à
maintenant pour un monde plus humain. Je vis dans une équipe
composée de prêtres de la Mission de France et du Prado,
un évêque du Pérou et plusieurs laïcs
sud-américains, une équipe très internationale
et très engagée où je me sens tout à fait
à l’aise et soutenu dans ma vocation et mes actions. Je
me retrouve aussi régulièrement dans un groupe Tiers
Monde dynamique et actif avec lequel je vais continuer des relations
jusqu’à aujourd’hui et j’interviens dans
l’équipe régionale du CCFD, (Comité
Catholique contre la Faim et pour le Développement). Au
niveau spiritain, j’interviens dans la formation des jeunes
séminaristes et aussi au CERM (Centre d’Etude et de
Recherches Missionnaires). Cela m’amène à
participer à la revue Spiritus et à publier un certains
nombre de documents.
Mais je garde l’amour de l’Afrique et au bout de 3 ans de
service en France, comme chacun de nous est appelé à le
faire, je demande à retourner en Afrique. Mes supérieurs
m’envoient au Sénégal, le pays où j’ai
grandi. Je fais d’abord une année en secteur rural, au
Sénégal oriental (Tambacounda), où je continue
comme au Congo à mettre en place des Communautés
villageoises de base. Puis je suis nommé au Nord du Sénégal,
à Saint Louis, où l’évêque me dégage
pour l’animation des jeunes. Cela commence par les enfants de
la rue et les jeunes en prison jusqu’aux mouvements d’Action
Catholique : scouts, CV- AV (Action Catholique de l’enfance)
JEC (Jeunesse Etudiante Croyante) et JOC (Jeunesse Ouvrière
Croyante) dont je deviens l’aumônier national, en passant
par les associations de quartier. Après m’avoir vu
agir dans les colonies de vacances, l’Inspecteur d’Académie
me demande d’intervenir dans les collèges et les lycées
de la ville, dans les cours de français, philosophie,
histoire, géographie, instruction civique, et sciences
naturelles, pour donner une dimension éducative à
l’enseignement. Pour cela j’utilise les diapositives
composées au Congo et j’en compose des nouvelles de même
que des films en vidéo. Et le soir je vais dans les quartiers
faire ces mêmes projections en wolof. Tout cela m’amène
à travailler avec les mairies et un certain nombre de groupes,
et à lancer une section d’Amnesty International et une
équipe de l’ASPF (Association Sénégalaise
pour la Promotion de la Famille), au sein de laquelle je suis
chargé plus spécialement de l’EVF (Education des
Jeunes à la Vie Familiale) au niveau national. Pendant 16 ans,
je vais assurer ce travail qui évolue chaque année, et
qui m’oblige à rester jeune d’esprit. Je vais
vivre également les tueries entre mauritaniens et sénégalais
en 1991, ce qui m’amène à travailler avec les
réfugiés de Mauritanie dans la Caritas, en particulier
dans le camp de Dagana. Et à accueillir des jeunes chassés
de Mauritanie dans les 3 centres d’accueil pour élèves
dont j’ai la responsabilité.
Au
cours d’un conseil général des spiritains au
Sénégal, est posée la question de
l’accompagnement des réfugiés, victimes de la
guerre du Libéria et de Sierra Léone qui se sont
réfugiés dans la forêt en Guinée. Ils sont
environ 150.000 dans 52 camps. On me demande d’y aller avec un
confrère nigérian. Bien sûr j’accepte. Nous
sommes en 1996. Je vais passer 10 ans dans ces camps, en même
temps que je suis appelé à ré-ouvrir une
paroisse, la paroisse de Mongo, fermée depuis 29 ans, suite
à l’expulsion des missionnaires par Sékou Touré.
Cela fait beaucoup de travail à la fois mais me permet de
créer des liens amicaux entre guinéens et réfugiés
en travaillant avec les uns et les autres dans les camps de réfugiés
et dans les villages. Cela nous amène à mettre en place
des communautés chrétiennes ouvertes à tous, et
cherchant à prendre en charge toute la vie comme je l’avais
fait au Congo. Dans les camps de réfugiés, nous
travaillons avec les différentes ONG qui interviennent pour la
nourriture, la santé, la guérison des traumatismes,
l’aménagement des camps et la vie sociale, et aussi
avec le HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés) des
Nations Unies. Nous sommes attaqués par les rebelles venus du
Libéria en 2001. Tous les camps de réfugiés sont
incendiés, de même que de nombreux villages guinéens.
Les gens doivent s’enfuir et se cacher dans la forêt,
ayant tout perdu. Les ONG et les organisations des Nations Unies ont
tous quittés la région et se sont repliés à
Conakry, la capitale. Je monte alors à Conakry et je rencontre
ces ONG qui me disent que c’est trop dangereux pour elles de
revenir travailler sur le terrain. Mais ils acceptent de fournir à
la mission catholique, la nourriture et autres produits de base dont
les populations de Mongo ont besoin, ce qui n’est pas une
petite affaire ! En même temps, je rencontre une artiste
de Sierra Leone, Sia Tolno. Elle accepte de venir avec son groupe, et
malgré le danger, elle passe faire un concert dans chacune de
nos 5 sous-préfectures. Cela attire beaucoup les gens et les
fait sortir de la forêt, surtout qu’elle a des chants
très profonds sur la paix et la réconciliation. De
retour à Conakry elle organisera un autre concert pour nous
envoyer des fonds, pour continuer à aider les populations.
Nous avons gardé des bonnes relations jusqu’à
aujourd’hui avec elle. Le PAM (Programme d’Alimentation
Mondiale) des Nations Unies nous fournit de la nourriture et des
objets de première nécessité, que nous allons
distribuer dans les villages et dans les camps. Grâce à
cela nous pouvons relancer la vie sociale dans les villages avec les
populations guinéennes et les réfugiés dans les
camps qui se sont reformés. Nous intervenons dans 5 sous
préfectures sur plusieurs centaines de Kilomètres,
malgré l’insécurité régnante. Et en
même temps, nous remontons régulièrement vers le
Nord d ns la région de Kissidougou, pour visiter les nouveaux
camps de réfugiés où des populations originaires
du Sierra Léone et du Libéria se sont repliées.
Là il s’agit surtout de guérir les gens des
traumatismes, et de les aider à dépasser les violences
qu’ils ont subies.. Et lorsque la guerre sera terminée
et que Libériens et Sierra Léoniens retourneront chez
eux, nous garderons des contacts de manière à les aider
à reconstruire leur pays et à recommencer leur vie
sociale, comme ils l’ont vécu dans les camps.
En
2006, la paix étant revenue on me demande de venir dans le
diocèse de Conakry pour ré-ouvrir la paroisse de
Kataco qui a été fermée à cause de
grosses tensions et des menaces de mort contre les missionnaires. Il
fallait donc « un vieux » pour reprendre les
choses en mains. J’y ai travaillé pendant 2 ans et demi,
cherchant à relancer les communautés chrétiennes,
non seulement au centre mais surtout dans les villages : une
région très difficile et souvent inondée,
située dans la mangrove avec des possibilités de
déplacement très difficiles. Je peux le faire le plus
facilement grâce à mon vélo que je porte sur mes
épaules lorsque je trouve de la boue, et que je mets dans une
pirogue lorsqu’il faut traverser un bras de fleuve ou de mer.
Le jour de la fête de l’Indépendance du Sénégal,
avec les autres frères nous descendons à Conakry. Un
frère de mon âge, Joseph Douet, directeur de l’école
et responsable de l’internat est resté sur place, et il
est assassiné par deux jeunes, envoyés par des anciens
par jalousie et méchanceté, et qui s’opposaient
aux actions de développement et de formation des jeunes et des
femmes, voyant en cela une perte de leur pouvoir. Cela bien sûr
crée un choc énorme et une très grande tristesse
dans la paroisse. Nous nous demandons à ce moment là
ce qu’il faut faire, les frères, les prêtres et
les sœurs. Nous décidons de rester malgré tout
sur place et d’enterrer notre frère à la mission
même. Nous allons donc continuer notre travail missionnaire
malgré les difficultés. L’année suivante,
en 2007, on me demande d’aller dans la mission voisine à
Boffa pour apaiser là aussi une situation. L’évêque
me nomme en même temps secrétaire national pour la
commission Justice et Paix et responsable diocésain de la
Pastorale sociale (la Caritas locale : OCPH, Office Catholique
pour la Promotion Humaine). C’est très difficile de
faire ce travail en étant curé d’un grand secteur
rural et loin de la capitale. Aussi l’année suivante je
suis nommé dans une paroisse de Conakry. Je n’y suis pas
souvent, parce que je passe dans les différentes paroisses de
la ville et même dans tout le diocèse pour mettre en
place l’OCPH, et relancer la pastorale sociale en particulier
pour les actions de développement et la formation des laïcs.
Et même dans tout le pays pour des sessions Justice et Paix.
Heureusement j’ai un vicaire, qui assure la présence et
le travail de base.
L’action
pour Justice et Paix est souvent délicate : j’exprime
ce que je pense être juste, mais cela ne plaît pas à
toutes les autorités, si bien que je dois quitter le pays en
2011 en me cachant. Et je me retrouve comme formateur dans notre
séminaire de théologie, responsable des activités
pastorales. En même temps je travaille dans une grande paroisse
de la banlieue où l’on me confie en particulier une
communauté de quartier à relancer, la commission
Justice et Paix et le travail dans la grande prison de Liberté
6. Et depuis 2013, je suis dans une paroisse populaire de la grande
banlieue à Pikine, en même temps que j’interviens
dans des formations diverses. J’ai déjà 50 ans de
sacerdoce et plus de 75 ans mais je continuerai à
travailler aussi longtemps que ce sera possible et qu’on me le
demandera.
Est-ce
que vous êtes encore utile ?
C’est
aux autres de le dire. Tant que j’aurai des forces et que les
autres me supporteront je continuerai à faire ce que je peux.
TROISIEME
PARTIE
L’HOMME
EST-IL SON ACCOMPLISSEMENT ?
Ce
qui reste à faire…
Evangéliser
par les publications et les autres moyens de communication sociale
La
mort, l’indispensable inévitable
CE
QUI RESTE A FAIRE ET AUTRES
Placide Mandona :
Vous croyez-vous encore utile après avoir atteint presque
l’âge de vigoureux ? De plus vigoureux ?
Un
prêtre est-il obligé de prendre sa retraite ?
Il n’y a aucune obligation de prendre sa retraite : tant
qu’on est en bon état physique et intellectuel et
capable de travailler, c’est normal que l’on continue de
travailler pour le Royaume de Dieu auquel nous nous sommes
consacrés. C’est comme pour les autres décisions
concernant le travail pastoral, c’est le résultat d’un
dialogue entre l’évêque du diocèse où
l’on est affecté, du responsable religieux et du
missionnaire lui-même. Cette concertation est importante, il
ne faut pas attendre que le prêtre décide tout seul,
car certains prêtres ne veulent pas partir alors qu’il
vaudrait mieux qu’ils laissent la place. En Europe, avec le
manque de prêtres, on a tendance à demander au prêtre
de rester le plus longtemps possible. Ce qui n’est pas
obligatoirement une bonne chose, ni pour eux, ni pour les fidèles
si le prêtre reste le responsable de cette communauté.
Il faut savoir lisser la place aux jeunes, et s’il n’y en
a pas assez, chercher d’autres façons de faire, en
particulier responsabiliser d’avantage les laïcs, s’il
n’y a plus assez de prêtres. En Afrique le problème
qui se pose c’est plutôt de leur prise en charge au
moment de la retraite.
Placide
Mandona : Qu’avez-vous
fait d’essentiel dans votre vie comme prêtre ?
Cela
vaut la peine de se consacrer au Royaume de Dieu et de faire
confiance au Christ. C’est cela qui me rend heureux. Ce que
j’ai cherché à faire dans les différents
endroits où j’ai vécu, c’est d’être
proche des gens et surtout des plus pauvres et ceux qui sont traités
injustement, de bâtir des communautés chrétiennes
ouvertes et engagées dans la société, et de
vivre en amitié avec les gens des autres religions.
Placide Mandona :
De
toute votre vie religieuse, qu’est-ce vous regrettez de plus ?
Ce
que je regrette le plus c’est de ne pas avoir suffisamment
répondu aux attentes des gens avec lesquels je vivais et
d’avoir réalisé très imparfaitement ce
que je viens de dire. Le temps qui me reste, je vais continuer à
faire ce que je peux. Il me faut apprendre à réduire le
rythme de mes occupations et à prendre le temps de repos
nécessaire, ce dont je n’ai pas l’habitude.
L’important pour moi c’est aussi de laisser la place aux
plus jeunes et de les former dans la mesure où ils
l’acceptent.
Placide Mandona :
Qu’est-ce
qui vous reste encore à faire dans ce monde éphémère ?
Cela va dépendre
de mes responsables. Il est question de me dégager, pour
passer dans nos différentes communautés spiritaines de
Mauritanie, Sénégal, Guinée Conakry et Guinée
Bissao, pour voir comment mieux nous engager dans la société,
selon ce qu’elle est dans les différents endroits. Pour
mieux vivre notre vocation : être les avocats des pauvres,
travailler à l’éducation de tous, jeunes et
adultes, travailler avec les gens des autres religions (musulmans et
de religion traditionnelle), nous engager pour la Justice et la Paix.
Et dans tout cela, chercher d’abord à voir ce à
quoi l’Esprit Saint nous appelle. Les choses à faire ne
manquent pas !
Prêtre
écrivain
Placide Mandona :
Peut-on
vous appeler écrivain ?
Tout
dépend de ce qu’on appelle écrivain. J’ai
écrit beaucoup de livres et rédigé beaucoup
d’articles, mais ce ne sont jamais de grands livres
intellectuels, ni de la littérature, ni de la poésie.
J’ai simplement voulu mettre en forme ce que je vivais dans
les communautés avec lesquelles je travaillais, et de donner
ainsi la parole aux jeunes, aux enfants et aux personnes âgées
aussi ben qu’aux adultes. Ce qui m’a toujours semblé
important, c’est de partir de la vie, et de proposer des
solutions pratiques, à partir des actions et des expériences
concrètes des gens. J’ai toujours cherché à
écrire de la façon la plus simple possible pour être
compris par tous.
Placide Mandona :
Combien
de livres avez-vous publié ?
Une
trentaine de livres sans parler de nombreux livrets et articles.
Puis au Congo, j’ai ajouté autant de diaporamas
(montages audio visuel) pour l’éducation des jeunes et
des adultes qui ont été traduits, de même que
les livres, en différentes langues internationales
européennes et africaines. Pour les diaporamas, l’avantage
c’est qu’on pouvait garder les mêmes photos en les
envoyant dans les autres pays en leur demandant d’enregistrer
une cassette-son dans la langue du lieu. J’ai cherché à
suivre les progrès de la technique. Au Sénégal
nous sommes passés aux films vidéo, par exemple sur le
Sida. Cela toujours avec des équipes de jeunes ou d’adultes,
et la collaboration de techniciens.
Ces derniers temps j’ai
composé des commentaires pour les évangiles de chaque
jour et des dimanches des trois années liturgiques. Je les ai
d’abord faits imprimer. Puis je les ai enregistrés et
je continue à les passer dans plusieurs radios locales. Je les
ai mis maintenant sur mon site, tenu par un neveu, car il est
difficile de vendre les livres : beaucoup de gens n’ont
pas les moyens de les acheter. C’est pourquoi je suis
maintenant sur internet : Chaque semaine, grâce à
un parent je publie plusieurs documents, que je rédige suite à
des formations ou des réunions. C’est beaucoup plus
accessible et cela est beaucoup moins cher qu’un livre qu’il
faut aller acheter.
Comment
les avez-vous écrits ?
Les
choses avancent peu à peu. J’ai d’abord écrit
quelques notes à partir de mes rencontres avec les jeunes ,
en particulier sur les questions de sexualité, car c’était
surtout dans ce domaine qu’ils me posaient des questions et
j’ai tenu à y répondre. Et aussi sur la mise en
place et l’animation des communautés de village, en
mettant en forme ce que nous disions dans les veillées la
nuit, lors de mes tournées pastorales. Puis au fur et à
mesure de nos rencontres, les notes se sont augmentées,
jusqu’à composer des livrets avec des exemples et des
questionnaires, que je distribuais pour prolonger la réflexion
et aider à mener des actions, pour ne pas en rester à
des théories mais passer à l’action. Un ami
prêtre de Brazzaville m’a proposé de polycopier
ces livrets et ils se sont alors répandus dans tout le
diocèse. Puis un confrère congolais les a fait imprimer
à Kinshasa à l’imprimerie St Paul pour les deux
Congo et je les ai fait connaître auprès de mes
confrères travaillant dans les autres pays au cours de nos
rencontres pendant les congés. Il a fallu alors se tourner
vers l’international, car il était pratiquement
impossible d’envoyer ces livres par la poste à partir du
Congo. C’est pourquoi j’ai décidé
d’imprimer les livres suivants en France, grâce à
un éditeur qui nous faisait des prix très intéressants,
acceptant de soutenir le travail éducatif que nous menions.
Nous ne sommes pas passés par une maison d’édition,
malgré plusieurs demandes, parce que cela aurait rendu les
livres beaucoup trop chers, nous les avons donc faits imprimer à
compte d’auteur, grâce aux dons d’amis trouvant ces
livres intéressants et importants. A partir de là, ils
ont été connus grâce à la librairie
spiritaine et des éducateurs qui les ont fait connaitre dans
les différents pays où ils travaillaient. Ensuite ces
livres ont été traduits en différentes langues :
en anglais et en portugais, et aussi en malgache, en swahili et en
lingala. Cela été la même chose pour les montages
audiovisuels.
Quels
thèmes avez-vous abordés ?
Au
sujet des thèmes, avec plusieurs éducateurs de
mouvements de jeunes et d’équipe de foyers, nous avons
développé les questions de sexualité qui
intéressaient les gens et leur posaient des problèmes,
en recueillant les questions et les réactions des participants
au cours des projections des montages audiovisuels sur ces
questions avec les jeunes comme avec les adultes. Ce sont ces
réactions qui ont fourni la matière de base des
différents livres. C’est ce qui explique aussi les
nombreux exemples, proverbes, témoignages et faits de vie que
ces livres contiennent.
Peu à peu les thèmes se
sont élargis : d’abord pour les jeunes à
tout ce qui concerne l’éducation affective, l’amitié,
la mixité puis la préparation au mariage. Et quand
les premiers participants ont grandi et se sont mariés, nous
avons composé des livres sur la vie conjugale, l’éducation
des enfants. Puis nous avons parlé des grands problèmes
de la vie : la sorcellerie, le maraboutage, la maladie, le
problème du mal, la mort et le veuvage, etc. Dans chacun de
ces livres il y avait une ouverture sur l’islam, avec des
citations du Coran et des commentaires et explications pour les
lecteurs musulmans. Et à partir de ce moment-là, des
documents sur le développement, la formation des coopérants
volontaires, les relations entre chrétiens et musulmans, les
droits humains, le sida, etc …à partir de mon travail
dans des associations dans lesquelles j’étais engagé
et des formations qu’on me demandait d’animer sur place
et en Europe lors de mes congés.
Actuellement en plus de
mon site internet très consulté tenu par un neveu, un
ami envoie des documents chaque semaine à plus de 7000
correspondants, dans leur boite mail. Je me suis aperçu que
beaucoup de jeunes n’avaient pas les moyens d’avoir
internet, mais qu’ils utilisaient les réseaux sociaux
sur leur téléphone portable. C’est pourquoi après
beaucoup d’hésitations parce que je savais que ça
me prendrai beaucoup de temps, je me suis mis sur facebook. Pas pour
publier mes photos, mais des documents, des commentaires d’Evangile
et surtout mes réponses aux très nombreuses questions
qui me sont posées. Cela me permet des contacts très
enrichissants et suivis, à condition de dépasser le
simple clic « j’aime » bien sûr.
(Explication : quand un article plait à quelqu’un
il clique pour envoyer le mot « j’aime »).
A l’occasion des JMJ de 2017, je suis passé sur
Whatsap, utilisant ce moyen pour la motivation et la préparation
spirituelle du maximum de personnes. Nous avons repris cela pour le
pèlerinage national, et nous allons certainement continuer.
Placide Mandona :
Combien
gagnez-vous en écrivant un livre ?
Combien
je gagne ? Je ne gagne absolument rien, au contraire je vends
mes livres à perte pour qu’ils soient le moins cher
possible et accessibles à ceux qui ont des moyens limités.
Aussi bien ma congrégation religieuse que des personnes qui
apprécient ce travail me soutiennent financièrement,
ce qui me permet de m’en sortir. J’ai aussi tout un
réseau de parents et d’amis qui m’aident pour
saisir les textes, faire la mise en page, les envoyer par internet,
les mettre sur mon site, etc. Sans eux ce travail ne serait pas
possible. Il est fait dans la discrétion totale. Je leur en
suis très reconnaissant.
Combien
perdez-vous ?
Seulement
le temps et la fatigue, mais tout cela est largement compensé
par les résultats.
Placide
Mandona : Quel
est l’impact de vos ouvrages sur la foi et les mœurs ?
C’est
Dieu qui connait l’impact, car beaucoup de gens utilisent ces
ouvrages avec profit sans me le dire. C’est leur secret, mais
un certain nombre me remercient. A chacun de prendre ses
responsabilités pour mettre en pratique ce qu’il a lu.
Mais je crois que ce travail est vraiment utile, à en juger
par les nombreuses demandes, et surtout les réactions et
contributions des utilisateurs, ce qui m’encourage et me touche
beaucoup.
Placide Mandona :
Nul n’ignore qu’un prêtre actif comme vous a
beaucoup de choses à faire. Je vois venir une nouvelle
question, puisque vous avez autant de charges comme prêtre,
dans des écoles, à la radio, à la télévision,
etc., que privilégiez-vous en premier lieu ?
J’essaie
d’abord de prendre du temps de réflexion personnelle et
de prière. Ensuite je privilégie l’accueil des
personnes qui viennent me voir, et aussi la réponse par mail
ou sur facebook à tous ceux qui me posent des problèmes
personnels et même des questions difficiles ou confidentielles.
Ce, à quoi je consacre du temps, ce sont aussi les
interventions auprès des jeunes des mouvements, dans les
écoles et dans les quartiers, sans oublier les prisons. La
base c’est de rester disponible et de juger l’urgence et
l’importance des différentes choses à faire, au
fur et à mesure des demandes. Cela demande aussi un minimum
d’organisation.
Placide Mandona :
Je
note un fait lié à vous. Vous avez une mémoire
éléphantesque, la bonne et la merveilleuse. Que
mangez-vous pour garder la lucidité de votre intelligence ?
J’ai toujours mangé ce que les gens du pays mangent, en
cherchant à limiter le sel, le sucre, l’huile et la
quantité de nourriture
Placide Mandona :
prêtre,
professeur, conférencier, etc. Avez-vous vraiment le temps
nécessaire de dévorer les bibliothèques et
d’écrire dru ?
J’essaye
de me tenir le plus possible au courant des choses et des
réflexions qui sont publiées. Mais c’est
vrai que je ne prends pas le temps suffisant pour lire et à
me former en profondeur. Heureusement, l’Action Catholique et
en particulier la JOC m’ont appris à me former à
partir de l’écoute de l’Esprit Saint et de la vie
de chaque jour (la révision de vie) : » La vie
commande ». Comme Jésus cherchait à être
disponible aux appels des gens. Et il nous a demandé
d’apprendre à lire les signes des temps. Il a admiré
la foi de l’officier romain et c’est à partir de
la discussion avec la samaritaine qu’il a approfondi sa foi
d’homme Sauveur. Et je crois que c’est la femme
cananéenne qui l’a poussé à passer les
frontières et à annoncer l’Evangile aux païens.
J’essaie aussi de me tenir le mieux possible au courant de ce
qui se passe dans le monde, en particulier grâce à la
radio. Mais c’est vrai que je suis déformé, et
j’ai de la peine à lire et à comprendre un
certain nombre de livres qui me semblent trop intellectuels et
théoriques, et sur lesquels je peine à retenir mon
attention, n’arrivant pas à comprendre ce que je lis et
encore moins à le reteni et en tirer des conclusions pour ma
vie et mon action. Je ne dévore donc pas les bibliothèques.
Et le fait d’écrire en sténo me permet d’écrire
plus rapidement que si je devais tout écrire en écriture
normale
Placide
Mandona : Un
des spécialistes, peut-on dire, de Facebook. Pourquoi ?
Je
ne suis pas un spécialiste ni sur Facebook ni en informatique
mais peu à peu j’ai appris à me débrouiller.
Je n’ai pas de diplôme universitaire et je n’ai pas
cherché à en avoir. J’ai même tout fait
pour ne pas continuer des études supérieures, ayant
trop peur d’être retenu ensuite comme professeur en
Europe ou dans les grands séminaires, et de ne pas pouvoir
descendre sur le terrain. Mais j’ai toujours eu la chance
d’avoir autour de moi, des gens ayant une formation qui ont
remédié à mes limites, en m’aidant de
toutes sortes de façons.
Placide Mandona :
Vos
écrits sont de nature à accompagner la jeunesse dans
ses diverses étapes, je fais référence à
vos admirables livres, en particulier sur l’éducation
traditionnelle et moderne. Pourquoi partir de l’éducation
traditionnelle?
Parce que c’est la base de la vie des personnes auxquelles je
m’adresse. Ils s’habillent à l’américaine,
parle un rançais qui leur est propre, regardent les media
étrangers, communiquent sur facebook et whatshap, mais ils
restent marqués par l’éducation qu’ils ont
reçue et la culture de leur ethnie, et c’est à
partir de là avec leurs avantages et leurs limites, et aussi à
partir de leur foi, qu’ils peuvent prendre les décisions
importantes de leur vie. J’ai déjà parlé
plus haut de l’importance et même de la nécessité
de l’inculturation. C’est pourquoi je fais souvent appel
aux valeurs traditionnelles, en cherchant comment les rendre
meilleures et comment les vivre dans le monde actuel, tout en étant
ouvert aux richesses culturelles qui nous viennent d’ailleurs.
Placide
Mandona : Pendant
votre enfance, étiez-vous intéressé par le
sacerdoce?
Oui,
aussi loin que je peux remonter dans ma mémoire et d’après
ce que m’ont dit mes parents, j’ai toujours voulu être
prêtre, même si au début c’était une
idée un peu confuse qui s’est précisée peu
à peu. Et je n’ai pas fini d’approfondir le sens
de mon sacerdoce.
Placide Mandona :
Comment situez-vous votre apport intellectuel dans le monde
catholique?
Ce n’est pas à moi d’en juger, mais je pense que
mon apport a été surtout d’aider les gens à
vivre l’Evangile, un évangile enraciné dans la
vie et ouvert à tous, beaucoup plus qu’un apport
intellectuel.
.
Placide
Mandona : Vous
êtes dans la mission du Seigneur depuis six décennies.
Vous avez été un pratiquant de la mission, mais aussi,
en tant qu’intellectuel, quelqu’un qui réfléchit
sur sa pratique. Je voudrais vous poser une question : il vous
arrive de regretter d’un fait particulier de votre vie
missionnaire ?
Non
pas tellement, parce que d’abord je n’ai pas le goût
de m’analyser. Je préfère me tourner vers
l’avenir pour découvrir à quoi le Seigneur
m’appelle, même si certainement c’est un
inconvénient qui m’empêche d’être plus
conscient dans ce que je fais, et plus lucide sur ma personnalité
pour en voir mes limites. Bien sûr, il est important de tirer
des leçons du passé, et j’essaie de le faire. En
repensant aux différentes étapes de ma vie, je me dis :
« j’ai raté cela ». Ou bien
« j’aurais pu faire autrement et mieux ».
J’ai fait des erreurs et j’ai parfois fauté, en
particulier dans mes relations avec les personnes, cherchant à
imposer mon point de vue. Et en faisant de mon apostolat davantage
mon travail personnel que le travail de Dieu Lui-même, auquel
Il m’appelait de collaborer, à la suite et à la
manière de Jésus. Oui cela je le regrette beaucoup.
Mais j’en demande pardon au Seigneur, et je sais qu’Il me
pardonne. Et j’essaie de changer peu à peu, même
si ce n’est pas facile. Mais il me semble plus important
d’accepter les choses telles qu’elles ont été
et de regarder l’avenir. On ne peut pas revenir en arrière,
cela bloque plutôt les choses.
Placide Mandona :
Avez-vous, une fois, dans votre vie, pensé à
l’épiscopat ou au pontificat
Jamais !
D’abord, je n’en ai pas les qualités nécessaires.
Je suis plus un buldozzer qu’un maçon monteur de
briques ! Et je ne veux surtout pas être pris par le
protocole, les cérémonies et les représentations.
Je cherche à être libre pour répondre aux appels
de ceux que je rencontre, sans être pris dans une fonction, qui
risque de devenir facilement un carcan, une cuirasse et de
l’autoritarisme. C’est pourquoi j’ai refusé
d’être curé de Pikine, pour rester missionnaire et
ne pas être enfermé dans une fonction cultuelle. Ce
n’est pas ma vocation d’organiser et de diriger les
choses. Ma vocation est plus dans la ligne du prophétisme que
dans celle de la royauté, pour reprendre les termes du
baptême.
Placide Mandona :
Mon Père,
pensez-vous que la responsabilité missionnaire que vous
exercez est provisoire ? Etes-vous conscient de son caractère
exceptionnel ?
Je ne suis pas exceptionnel ou plutôt nous sommes tous
exceptionnels, nous sommes tous un cadeau de Dieu. Mais c’est
vrai que j’arrive à la fin de ma vie et que j’ai
une expérience missionnaire. C’est pour cela que mes
responsables me demandent de travailler à la formation de mes
frères les plus jeunes
Placide
Mandona : Si
vous quittez l’Eglise catholique à votre âge, qui
perdra le plus : votre congrégation, votre famille ou
l’Eglise dans son ensemble ?
Je
n’ai absolument pas l’intention de quitter l’Eglise
catholique. Mais si je la quittais étant donné sa
richesse, son importance et toute son histoire, l’Eglise ne
perdrait rien. C’est moi qui perdrait tout.
Placide
Mandona : Comment
voyez-vous, actuellement, votre avenir personnel missionnaire ?
Mon
avenir est dans les mains de Dieu, tant que j’en aurais la
force je continuerais à travailler, là où mes
supérieurs m’enverront en cherchant à améliorer
mes façons de faire. Même je dois trouver une autre
façon de travailler avec davantage de repos à cause de
l’âge et en ce moment à cause d’une forte
crise de palud qui m’a beaucoup fatigué.
Mais
je veux rester disponible : si on me demande de faire autre
chose, je le ferai. Et si je dois m’arrêter à
cause d’une maladie ou de la vieillesse, j’espère
être assez sage pour l’accepter dans la paix et la
confiance, et me consacrer à la prière et au soutien
spirituel de mes frères. J’espère simplement ne
pas me durcir, ni devenir agressif ou trop critique à cause
de l’âge.
Placide Mandona :
Je
vais être incisif et indiscret, Père Armel, Etes-vous en
paix, ou êtes-vous inquiet, amer, triste, lourd dans votre
façon de procéder en l’Eglise ?
Pour
le moment, je ne suis ni inquiet, ni triste par rapport à ma
façon de procéder en Eglise. Je crois que l’Esprit
Saint travaille au cœur des hommes, et que c’est plus
important que ma propre action. On ne peut pas annoncer une Bonne
Nouvelle si on est triste ou amer. Même si je ne suis pas
toujours d’accord avec certains de mes confrères, que ce
soit au niveau des idées ou de la façon de
travailler, et que je trouve l’Eglise dans laquelle je vis
actuellement trop traditionnelle, trop centrée sur elle-même,
trop liturgique, et pas assez engagée dans la société.
Et cela malgré tous les efforts actuels de notre Pape François
qui est admiré, mais qui n’est pas suivi la plupart du
temps. Malgré tout j’essaie de garder la paix et
l’espérance, cherchant à comprendre les idées
différentes et les autres façons de faire, même
si parfois elles me choquent. Pour ma part, je continuerai à
vivre ce que la vie de Jésus et son Evangile me demande de
vivre, selon ma compréhension. Mon avenir est dans la
confiance, sûr que l’Esprit de Jésus travaille
dans le monde et dans le cœur des hommes. Et que, comme le dit
le prophète, « les pensées de Dieu ne sont
pas nos pensées ».
Placide Mandona :
quels
sont vos sentiments, vos dispositions face à ce qui peut vous
arriver dans votre engagement missionnaire au Sénégal?
J’essaie de
rester disponible. L’avenir est dans les mains de Dieu. Inch
Allah, comme le disent mes amis musulmans.
Placide
Mandona : Vous
aimez trop la République du Sénégal. Comment
voyez-vous son avenir ?
Je
ne suis pas devin, et l’avenir du pays dépend de ce que
nous en ferons. Il y a trop de violence, de mensonge, d’égoïsme
et de corruption dans le pays. Mais il y a des gens courageux qui
luttent contre cela. On a de bonnes idées. On a mis en place
un soutien aux familles nécessiteuses, aux personnes âgées,
aux handicapés et aux talibés, et une couverture
médicale universelle (CMU). On fait des projets contre le
chômage des jeunes, la promotion de la jeune fille et de la
femme, pour le développement du monde rural. A chacun d’agir
là où il est et selon ses possibilités pour que
cela ne soit pas des beaux discours pour endormir les gens, mais
passe dans la réalité.
La
mort, l’indispensable inéluctable
Placide Mandona :
Attendez-vous
la mort ou vous l’entendez ?
Je sais que je
vais mourir, j’y pense souvent, mais je ne reste pas à
l’attendre. Tant que Dieu me garde en vie, je continue la
mission qu’Il m’a confiée.
Placide Mandona :
Quelle
est la conception chrétienne (catholique) de la mort ?
Pour moi, la mort
c’est l’entrée dans la vraie vie. C’est
ressusciter avec Jésus pour la vie éternelle. C’est
entrer dans l’amour total de Dieu notre Père, pour
pouvoir L’aimer sans limite, Lui et tous ceux que nous
retrouvons auprès de Lui, en attendant ceux qui viendront nous
rejoindre dans la lumière de Jésus ressuscité et
dans la joie immense et totale de l’Esprit saint.
Placide Mandona :
N’avez-vous
pas peur de la mort ?
Non, je l’attends
dans la confiance et la prière, mais sans hâte !J’en
ai même parfois envie, pour pouvoir me reposer et être
tranquille avec mes amis.
Placide
Mandona : Tout
philosophe averti sait d’une façon ou d’une autre
mourir. En effet, la philosophie se définit souvent comme
« Apprendre à mourir », c’est donc
une école de la vie et de la mort. Comment concevez-vous
votre mort ? Comment la prévoyez-vous ? Comment la
vivez-vous ?
Comme
Dieu le voudra. J’ai confiance en Lui. Je pensais mourir jeune,
et plusieurs fois je me suis trouvé face à la mort,
mais ça n’est pas arrivé ! J’espère
seulement être prêt quand le moment sera venu, et
j’essaie de m’y préparer.
Placide
Mandona : Il
vous arrive de penser, s’il faut emprunter une des analyses
existentiales de Heidegger dans son Sein und Zeit, que vous êtes
aussi « Un être pour la mort » ? Si
oui, quel est le rôle important dans la vie constitutive d’un
être humain, de surcroit chrétien ?
Jésus
a dit : » Je suis venu pour que les hommes aient la
vie en abondance » (Jean 10,10). Je suis un être
pour la vie, pas pour la mort. Ce qui est important c’est de
commencer à vivre dans l’amour le mieux possible, avec
Dieu avec tous les hommes sans refuser personne, comme nous le ferons
au ciel.
Placide
Mandona : A
l’ultime moment, c’est-à-dire à la finitude
de l’être, je crois même de l’étant,
pour qui sera votre pensée dernière ?
Je
n’en sais rien, cela dépendra de la situation dans
laquelle je me trouverai à ce moment là. Je voudrais
simplement dire avec Jésus, et Etienne : »
Seigneur, je remets mon esprit entre tes mains »
Placide
Mandona : Père
Armel Duteil, votre dernier message
J’ai
déjà beaucoup parlé. Je n’ai pas de
dernier message, sinon que ça vaut la peine de vivre sur la
terre, d’être un homme et d’être un enfant de
Dieu.
S’ENRACINER
EN DIEU POUR VIVRE HEUREUX.
Prêtre
spiritain,
le père Armel
Duteil,
houatais d'origine, a fait ses études primaires et secondaires
à Dakar (Sénégal). A l'issue de celles-ci, il
fréquente deux séminaires, en France et en Suisse.
Après la prêtrise en 1965, il se voit désigner
pour le Congo. Après une année de recyclage en Côte
d’Ivoire et un séjour en France de 1976 à 1979
pour l’animation missionnaire et au service des travailleurs
émigrés et des étudiants africains, il retourne
au Sénégal de 1979 à 1996, d’abord en
secteur rural dans la région de Tambacounda, puis dans la
région de Saint Louis, pour l’animation des jeunes. En
1996, le père Armel part en Guinée forestière,
aux frontières du Sierra Léone et du Libéria, où
l'attendent les lourdes tâches de répondre aux demandes
de formations au développement, à la justice et aux
droits de l'homme dans 57 camps de réfugiés et 32
communautés de villages d'une région attaquée
par des rebelles. Après avoir été formateur au
séminaire spiritain de théologie, il est actuellement
missionnaire à la paroisse Notre Dame du Cap Vert, dans la
banlieue de Dakar.
Placide Mandona
Mukwenda (né
le 03 juillet 1987 à Lubumbashi/ R.D. Congo), Professeur
d’Histoire de la Philosophie moderne, d’Ethique générale
et de Méthodologie II/ Dissertation philosophique à
l’Institut de Philosophie et de Théologie Saint Augustin
de Dakar. Il est doctorant en Philosophie et auteurs de plusieurs
ouvrages et articles.