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DANS LES MINES D’OR DU SÉNÉGAL

Au Sénégal, plusieurs sociétés minières exploitent l’or d’une façon industrielle. Mais à BANTAKO, près de Kédougou, il y a tout un secteur de mines d’or artisanales. Des gens creusent des puits jusqu’à 25 mètres, à la recherche de cailloux aurifères. C’est un travail très dur, avec la chaleur et le manque d’air, et aussi très dangereux. La semaine dernière, deux personnes sont mortes, enterrées, suite à un éboulement. Des jeunes, et même des enfants, y sont utilisés du fait de leur petite taille. Des femmes et des jeunes filles se font payer pour remonter à la main les seaux contenant la terre et les pierres. On a coupé la plupart des arbres aux alentours et il faut aller de plus en plus loin pour chercher du bois pour étayer les mines, et aussi pour la cuisine.
Ce sont d’abord des Maliens qui ont commencé ce travail, car ils le pratiquaient chez eux.  Puis les Sénégalais s’y sont mis, ainsi que de nombreuses personnes venues des pays environnants, en particulier la Guinée. De nombreux élèves ont quitté l’école pour chercher de l’or, en pensant s’enrichir rapidement. Cela a été le cas pour quelques rares chanceux tombés sur un filon, mais la grande majorité n’a fait que gaspiller son avenir.
Comme partout, cette recherche de l’or a amené d’énormes problèmes et souffrances : bagarres, violences généralisées, vols, viols, drogue, alcool et prostitution. Une traite de femmes s’est organisée, en particulier à partir du Nigéria. On va dans les villages pauvres recruter des jeunes filles ou des femmes en leur promettant du travail au Sénégal. Arrivées sur place, on leur confisque leurs papiers et on les oblige à se prostituer, soit disant pour rembourser leur voyage. Et elles se retrouvent prises dans un cercle sans fin. Beaucoup de ces gens vivent d’une façon misérable.
Pour séparer l’or, on utilise le mercure, ce qui est très mauvais pour la santé. Et sur place, il n’y a même pas un dispensaire, seulement un petit poste de santé pour une population évaluée à 10.000 personnes et qui augmente sans cesse.
Les gens ne descendent pas dans les mines le vendredi et le lundi. Ces jours-là, on casse les cailloux pour en extraire l’or. Un gramme se vend 20.000 francs CFA. Les autres jours, les gens emmènent leurs cailloux pour les faire garder afin d’éviter les vols. La semaine dernière, un groupe armé est venu voler l’or. Ils ont tiré une vingtaine de coups de fusils pour effrayer les gens, mais heureusement ils n’ont blessé personne.

Peu à peu, tout un système d’exploitation s’est mis en place. Les autorités locales et les forces de sécurité taxent les gens. Le chef du village a fait venir du Burkina Faso une machine qui pulvérise les cailloux et les lave, pour récupérer l’or. Les orpailleurs, pour être autorisés à rester travailler, doivent lui fournir chaque semaine des « cailloux ». L’or récupéré est envoyé clandestinement et revendu au Mali, sans aucun avantage pour le Sénégal.
Le Gouvernement a essayé d’organiser les choses. Pour seulement 10.000 francs CFA, il donne aux citoyens sénégalais un document les autorisant à chercher l’or. Grâce à cette autorisation, ces personnes font travailler pour eux des étrangers. De même, les fonctionnaires, dont les enseignants de l’école locale, qui ont un salaire et donc des moyens financiers, achètent le matériel nécessaire : seaux, cordes, marteaux, etc…, et les revendent au prix fort ou font aussi travailler des gens pour eux.
Ceux qui ont de la chance de trouver de l’or se retrouvent d’un seul coup avec une somme d’argent importante. Ils achètent alors une moto, quand ils ne dépensent pas tout cet argent dans les bars avec les prostituées. Mais la plupart n’ont rien pour vivre.

Le mois dernier, un gros incendie s’est déclaré. L’ambassadeur du MALI est venu parler à ses ressortissants, qui forment une grosse communauté. Il leur a conseillé de revenir au Mali pour vivre dans des conditions normales. Pour cela, il a pris leurs noms et des photos pour leur faire établir des pièces d’identité. Il a aussi demandé que les enfants de 5 à 18 ans laissent les mines et retournent à l’école. Mais est-ce que cela va changer quelque chose ?

Au retour des mines, à un croisement, nous voyons deux œufs cassés : c’est un sacrifice offert aux ancêtres ou aux génies des mines pour obtenir chance et protection. Nous voyons quelques champs de maïs et d’arachides, signe que quelques-uns se sont remis au travail des champs.

Je suis venu visiter ce secteur au titre de la Commission spiritaine « Justice, Paix et Respect de la Création ». Une association de volontaires allemands est venue construire pour nous un Centre social avec quatre grandes salles de réunion. Il nous faut voir maintenant comment utiliser ce Centre pour répondre aux vrais besoins de la population. Nous pensons déjà à l’alphabétisation des adultes, à la formation au développement (petits projets en agriculture, élevage et artisanat….) pour aider les jeunes à sortir de la hantise de l’or, à la promotion des jeunes filles et des femmes, y compris pour aider les prostituées à sortir de cette emprise. Mais nous ne voulons pas décider nous-mêmes les choses à faire. Je voulais donc rencontrer le Chef de Village, les imams, les notables et les représentants des communautés guinéenne et malienne, pour les écouter et accueillir leurs propositions. Malheureusement, il y avait un décès et tous étaient partis à l’enterrement. Il faudra revenir une autre fois.

En attendant la mise en état du Centre, nous avons déjà fait un forage. En effet, les puits du village sont saumâtres. Le forage permet d’avoir de l’eau potable (la première chose que nous avons faite c’est de la faire analyser). Avant de distribuer cette eau, une question s’est posée : fallait-il donner l’eau gratuitement ou la faire payer ? Finalement, nous avons décidé de demander une petite participation (la moitié de ce qu’on demande aux puits du village) pour deux raisons. D’abord parce que ce qui est distribué gratuitement est considéré comme n’ayant n’a pas de valeur, et nous ne voulons pas faire des gens des mendiants ni des assistés. Ensuite, il faut assurer le suivi du forage : entretien, réparations, etc… : l’argent récolté est donc mis dans une caisse, au service de tous. A partir de là, on a fait une formation sur le respect et à la bonne utilisation de l’eau. Et un comité s’occupe du bon fonctionnement du forage.
Père Armel Duteil




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