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P. Armel Duteil

Lutter contre l’extrême pauvreté

J’ai été invité à une rencontre organisée par le mouvement ATD/Quart-Monde sur le thème : « Extrême pauvreté et droits de l’homme ». A cette rencontre étaient invités des représentants des différents ministères et d’un certain nombre d’ONG, y compris la Caritas. Le but était de travailler « les principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme » adoptés aux Nations Unies le 27/09/2012, mais qui ont de la peine à être mis en pratique.

L’extrême pauvreté qu’est-ce que c’est ? Un certain nombre de gouvernements et d’ONG ont le souci des plus pauvres et mettent en place pour les aider des projets de développement. Mais on s’est aperçu que ces projets ne rejoignent pas les gens qui vivent dans l’extrême pauvreté (les plus fatigués dans la société). En effet, parmi les plus pauvres, il y a des gens tellement découragés qu’ils n’ont plus la force de chercher à s’en sortir. Car ils sont renvoyés de la société, mais en plus ils sont humiliés, écrasés, ce qui leur a fait perdre toute espérance et le fait vivre dans la honte. Ils disent : tout est perdu, il n’y a plus d’avenir. Ils ont l’impression que les projets de développement ne sont pas pour eux. Ils n’ont même plus le courage d’aller au dispensaire quand ils sont malades, ou à la mairie pour régler leurs problèmes. Ils ont trop peur d’être renvoyés. Ils ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école car ils n’ont pas de quoi acheter des fournitures, et ils pensent que de toute façon, leurs enfants n’y arriveront pas. D’ailleurs ces enfants n’ont pas le temps d’aller à l’école car ils doivent se débrouiller chaque jour pour trouver un peu à manger. Ces gens avec leurs familles se trouvent ainsi entraînés dans un cycle sans fin : une maison inondée par les eaux, un manque de nourriture, des problèmes de santé, tout cela les empêche de travailler et de s’en sortir. Cela est une très grande violence et une violation des droits humains. Il est donc absolument nécessaire de faire quelque chose.

Il ne s’agit pas seulement d’aider ces personnes les plus écrasées et rejetées de notre société, mais d’abord de les écouter pour comprendre un peu leurs problèmes et leurs mentalités. Ensuite, les soutenir pour qu’ils retrouvent le courage de s’en sortir. Puis leur permettre de se prendre eux-mêmes en mains d’une façon responsable pour participer activement à la préparation, à la mise en œuvre et à l’évaluation des programmes de lutte contre la pauvreté. Au lieu de venir simplement avec des projets tout faits qui tombent d’en haut et qui les laissent entièrement passifs et inactifs.

Au cours de ces rencontres, des actions ont été proposées, par exemple travailler avec les collectivités locales à partir des possibilités offertes par l’Acte 3 de la Décentralisation, et la mise en place d’un comité de suivi pour cela. Un certain nombre de recommandations ont été faites : demander à tous les acteurs publics et privés, de faire de la participation des plus pauvres une priorité dans leurs programmes et leurs actions. Pour cela, de faire connaître les principes directeurs des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains, de choisir dans chaque ministère des personnes sensibilisées pour cela comme personnes ressources et de demander à l’Etat du Sénégal de voter le Protocole sur les droits économiques, sociaux et culturels pour permettre à tous les citoyens de saisir les juridictions au niveau national, en cas de violation des droits humains.

Cette rencontre a ravivé en moi le souci de ces personnes vivant dans l’extrême pauvreté. Car dans notre Eglise, nous avons le souci des pauvres dans la Caritas, les commissions Justice et paix, dans nos écoles, nos dispensaires et nos centres sociaux. Mais nous ne rejoignons pas les plus pauvres, qui vivent en dehors de la société. Pour cela il nous faut un choix solide et continu, une volonté ferme, beaucoup de réflexions et d’efforts et beaucoup de temps, de patience et de courage pour rejoindre ces personnes et gagner leur confiance. Car elles ont été trop souvent trompées par des promesses non réalisées ou simplement inadaptées.

Ces personnes sont tellement découragées que c’est souvent difficile de travailler avec elles. La solution serait peut-être d’accueillir au moins l’une ou l’autre de ces personnes qui a gardé encore la volonté de s’en sortir pour qu’elles se forment et se responsabilisent peu à peu en participant à nos activités. A ce moment-là, cette personne vivant dans ce milieu d’extrême pauvreté pourra devenir un moteur pour entraîner les autres, les organiser et les pousser à agir par eux-mêmes. Cela nous demande d’être très attentifs et patients pour suivre et soutenir ces efforts.

Mais la première étape c’est de prendre conscience de la situation de ces personnes complètement écrasées et mises à l’écart, dans nos mouvements, nos associations comme par exemple les femmes catholiques, nos organisations de jeunes, (CPJ, Conseil Paroissial de la Jeunesse) et amicales, nos groupes de prière et nos autres structures, et d’abord dans nos CEB. C’est à ces seules conditions que les choses remonteront peu à peu jusqu’au sommet de l’Eglise, de l’Etat et entraîneront des actions concrètes valables vécues dans la miséricorde du Christ.

Ces principes directeurs des Nations Unies sont très clairs et très importantes mais on voit encore une fois, qu’il ne suffit pas de composer un beau texte et de faire voter une loi pour que les choses changent. Il faut des personnes engagées sur le terrain qui agissent avec courage à la base dans la patience et en faisant déjà ce qu’elles peuvent faire, même si apparemment, ce sont de petites choses.

Les personnes qui vivent dans la grande pauvreté ne souffrent pas seulement d’un manque de moyens, mais leurs droits fondamentaux ne sont pas respectés, en particulier le droit à l’alimentation, au logement, au travail, à la santé et à l’éducation. A cause de cela, elles sont obligées d’accepter des conditions de travail dangereuses, des logements insalubres, un accès très limité aux soins de santé et de subir les conséquences d’un manque de bonne alimentation. Elles n’ont pas un accès à la justice et n’ont aucun pouvoir politique. Ces difficultés et ces manques de respect de leurs parts sont liés les uns aux autres et ils s’aggravent mutuellement pour aboutir au cercle vicieux de la pauvreté, de l’absence de pouvoir, de la stigmatisation, de la discrimination et de l’exclusion… Il s’agit notamment des femmes, des minorités raciales, ethniques et linguistiques, des migrants, surtout des émigrants en situation irrégulières, des réfugiés et des demandeurs d’asile, des apatrides, des minorités, des personnes handicapées, des personnes vivant avec le VIH Sida. De plus, ces personnes sont souvent méprisées simplement parce qu’elles sont pauvres (extrait des principes des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme). Comme le disait une femme, le plus dur quand on vit dans la misère, c’est qu’on est méprisé, on te traite comme si tu ne valais rien, on te regarde comme si tu ne valais rien du tout, on te traite comme un ennemi. Nous et nos enfants nous vivons cela chaque jour, cela nous fait mal, nous humilie et nous fait vivre dans la peur et dans la honte. Des personnes vivant dans l’extrême pauvreté ont expliqué que les travailleurs sociaux ne leur donnent pas les services qu’ils demandent parce que « quand ils parlent, ils disent qu’ils sont trop agressifs », alors que c’est seulement à cause de leur tristesse et de leur trop grande souffrance qu’ils ne peuvent pas parler calmement et lentement. D’autres expliquent qu’ils ont bien essayé de mettre leurs enfants à l’école mais que ces enfants étaient humiliés par l’enseignant et que les autres élèves se moquaient d’eux parce qu’ils étaient mal habillés et les enfants ont fui l’école et ils ne veulent surtout pas y retourner.

Autre extrait du document : non seulement l’extrême pauvreté se caractérise par de multiples violations des droits civils, politiques, sociaux et culturels, mais en général les personnes vivant dans la pauvreté se voient régulièrement refuser leur dignité et leur égalité (n° 3). Dans le passé, les politiques publics ont souvent échoué à atteindre des personnes vivant dans l’extrême pauvreté, d’où la transmission intergénérationnelle de la pauvreté - préface n° 5. (Une approche fondée sur les droits de l’homme fournit un cadre pour éliminer durablement l’extrême pauvreté, étant entendu que les personnes vivant dans cette situation sont à la fois des titulaires de droits et des agents de développement) (N° 6). Ce dernier texte nous semble très important car il ne reconnaît pas seulement des droits à ces personnes, mais que le changement ne pourra venir que par eux-mêmes en les responsabilisant.

Les Etats doivent créer un environnement propre à développer et à promouvoir la capacité des individus, des organisations locales, des mouvements sociaux et d’autres organisations non gouvernementales pour lutter contre la pauvreté et donner aux personnes vivant dans la pauvreté des moyens d’actions pour revendiquer leurs droits (n° 9). Il s’agit bien de droits à revendiquer inextricablement liée aux principes d’égalité et de non-discrimination. Le respect de la dignité inhérente aux personnes vivant dans la pauvreté doit inspirer toutes les politiques publiques. Les agents de l’Etat et les particuliers doivent respecter la dignité de tous, éviter la stigmatisation et les préjugés, reconnaître et soutenir les effets déployés par les personnes vivant dans la pauvreté pour améliorer leur vie (n° 15). On voit combien on est loin de cela pour le moment.

Les femmes sont surreprésentées parmi les pauvres en raison des formes multiples et cumulatives de discrimination qu’elles subissent. Les Etats sont tenus d’éliminer à la fois la discrimination à l’égard des femmes et de mettre en place des mesures pour réaliser l’égalité entre les hommes et les femme s (n° 23)… dans le mariage et les relations familiales et faire en sorte que la prise de décision par les femmes, y compris en ce qui concerne le nombre et l’espacement des naissances puissent s’exercer librement et sans contrainte, et que la nourriture et d’autres ressources soient également réparties au sein du ménage (n° 29).

Les femmes doivent se voir garantir l’égalité d’accès au service public (30).

Etant donné que la plupart de ceux qui vivent dans la pauvreté sont des enfants, et que la pauvreté dans l’enfance est une des causes profondes de la pauvreté à l’âge adulte, les droits des enfants doivent être une priorité (32). Je rappelle que toutes ces citations viennent de Principes directeurs promulgués par les Nations Unies elles-mêmes. Il est donc essentiel de les prendre au sérieux



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