LE
ROYAUME DE DIEU
Ce qui manque à mon avis pour une véritable
évangélisation, c’est une théologie du
Royaume de Dieu. Sans une réflexion profonde sur ce qu’est
le Royaume de Dieu, son importance et les conditions de sa venue, on
en restera toujours à une conception limitée de
l’évangélisation, comme une simple implantation
de l’Eglise. Et on se limitera à ceux qui sont déjà
chrétiens, ou qui acceptent de le devenir. Mais alors qu’en
sera-t-il de tous les autres hommes ? Le pape François écrit
: « Évangéliser c’est rendre
présent dans le monde le Royaume de Dieu. » (
EG = Evangelii Gaudium, § 176). Il ajoute
n°180 :
« Le Royaume nous appelle.
En
lisant les Écritures, il apparaît du reste clairement
que la proposition de l’Évangile ne consiste pas
seulement en une relation personnelle avec Dieu. La proposition est
le Royaume de Dieu (Luc
4,
43). Il s’agit d’aimer Dieu qui règne dans le
monde. Dans la mesure où il réussira à régner
parmi nous, la vie sociale sera un espace de
fraternité, de justice, de paix, de dignité pour tous.
Donc, aussi bien l’annonce que l’expérience
chrétienne tendent à provoquer des conséquences
sociales. Cherchons son Royaume : « Cherchez d’abord son
Royaume et sa justice, et tout le reste vous sera donné en
plus » (Mt
6,
33). Le projet de Jésus est d’instaurer le Royaume de
son Père ; il demande à ses disciples : «
Proclamez que le Royaume des cieux est tout proche » (Mt
10,
7).
Je n’ai pas la
place ici de présenter cette théologie du Royaume. Je
me contente de quelques citations de l’Evangile, qui
concernent plus directement l’évangélisation.
Dans l’Evangile,
on parle très souvent de la Bonne Nouvelle du Royaume
(Matthieu 4, 23 – Matthieu 9, 35 – Luc 4, 43 etc.). Ce
qui montre bien que l’évangélisation est liée
à la venue du Royaume. Jésus nous a appris à
prier ainsi : « Notre Père… que Ton Règne
(ton Royaume) vienne ». Le Royaume c’est vraiment ce
qu’il y a de plus important. Comme le dit encore Jésus
(Matthieu 6,33) : « Cherchez d’abord le Royaume de
Dieu et sa justice, et Dieu vous donnera tout le reste en plus ».
Et ces paroles s’adressent à tous les hommes, comme les
béatitudes. Pas seulement aux chrétiens. Jésus,
le nouveau Moïse, les prononce en haut de la montagne. Le
Royaume c’est un trésor, une perle fine (Matthieu 13,
44-45) pour lequel nous sommes prêts à tout laisser.
Le Royaume, c’est
d’abord Jésus lui-même. C’est Lui que
nous aimons, c’est avec Lui que nous vivons, c’est autour
de Lui que nous nous rassemblons. Jésus disait : «
Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, Je suis au milieu
d’eux » (Matthieu 18, 20). Le Royaume, c’est
vivre avec Jésus, et comme Lui.
Le Royaume de Dieu
n’est pas au ciel, il est sur la terre, comme nous l’a
dit Jésus dans la prière du Notre Père «
Que Ton Règne vienne, Que Ta Volonté soit faite, sur
la terre comme au ciel ». Le Royaume, c’est donc
commencer à vivre déjà avec tous sur la terre,
comme au ciel. Le Royaume est pour tous, pas seulement pour les
chrétiens. Et Dieu y appelle sans cesse de nouvelles
personnes, comme le maître a appelé les ouvriers aux
différentes heures de la journée (Matthieu 20,1). Le
Royaume est pour tout le monde, car Jésus « a
racheté pour Dieu, des hommes de toutes tribus, de toutes
langues, de tous peuples et de toutes nations » (Apocalypse
5,10). Cela, Dieu le disait déjà, par la bouche
d’Isaïe (56,7): »Ma maison
s’appellera : maison de prière pour tous les
peuples ». Et Jésus explique « Il y a
beaucoup de places, dans la maison de mon Père »
(Jean 14, 2).
Le Royaume, comme
l’Evangile, est d’abord pour les pauvres et pour
ceux que l’on fait souffrir à cause de la justice
(comparer Matthieu 5, 3 + 10 et Luc 4, 18-21). C’est donc à
eux que nous annonçons l’Evangile en premier. Et
aussi aux pécheurs, et aux hommes et aux femmes de
mauvaise vie. Jésus l’a dit avec force : « Les
ramasseurs d’impôts et les prostituées arriveront
avant vous, dans le Royaume de Dieu » (Matthieu 21, 31).
-Quels
sont les signes de ce Royaume, qui nous montrent ce que nous
devons faire pour qu’il arrive parmi nous ? En premier,
c’est l’Amour. Quand l’enseignant de la loi
rappelle le commandement de Moïse « Tu aimeras le
Seigneur Ton Dieu de tout ton cœur… tu aimeras ton
prochain comme toi-même », Jésus lui dit : «
Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu » (Matthieu 12,
34). Evangéliser et faire venir le Royaume, c’est
pardonner et avoir pitié de nos frères (Matthieu 18,
23). Comme nous le dira Jésus, à la fin du monde «
Venez, vous qui êtes les bénis de mon Père.
Recevez le Royaume qu’Il a préparé
pour vous, depuis le début du monde… car j’ai eu
faim, vous m’avez donné à manger. J’ai eu
soif, j’étais étranger, nu, malade, en prison…
Tout ce que tu as fait au plus petit de mes frères, c’est
à Moi que tu l’as fait » (Matthieu 25, 40). Ce
n’est donc pas seulement aimer, mais c’est reconnaître
dans tout homme un enfant de Dieu, et un frère ou une sœur
de Jésus. C’est de cette façon là, que
nous pouvons vraiment évangéliser. Et accueillir tous
les hommes dans le respect, et sans distinction.
C’est
s’engager pour la justice, qui nous fait briller dans le
Royaume de Notre Père (Matthieu 13, 43). C’est en même
temps être patient. Et supporter le mal qui est dans le monde
avec espérance, comme le maître attend le temps de la
moisson, pour brûler la mauvaise herbe (Matthieu 13, 24). Le
Royaume c’est se faire petit devant Dieu et devant les hommes,
comme un enfant (Matthieu 18, 1). Et se faire le serviteur de tous,
comme Jésus a lavé les pieds de ses apôtres (Jean
13). L’évangélisation, comme le Royaume, nous
demande de laisser le mal. Car le Royaume est comme un filet, qui
attrape toutes sortes de poissons, et que les anges viendront trier à
la fin du monde (Matthieu 13, 47). Ce n’est donc pas à
nous de choisir les gens.
Tout
cela nous demande d’agir
en vérité car
« ce
ne sont pas ceux qui disent Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le
Royaume des cieux. Mais ceux qui font la volonté de mon Père
« (Matthieu
7, 21). Et Paul explique : « le
Royaume de Dieu ce n’est pas une affaire de paroles, mais de
puissance » (1ère
aux Corinthiens 4, 20), « ce
n’est pas une question de nourriture ou de boisson, mais de
justice, de paix et de joie dans l’Esprit Saint »
(Romains 14, 17).
Face à la situation de notre Eglise que j’ai décrite
au début, le Seigneur nous demande donc d’écouter
le Saint Esprit, pour « tirer
de notre trésor, de l’ancien et du nouveau ».
Et de nous adapter au monde de ce temps (Matthieu 13, 52). De
commencer tout petit, comme la graine de moutarde, qui est la plus
petite des graines (Matthieu 13, 21). Et ensuite de grandir peu à
peu, et d’étendre nos bras pour accueillir nos frères,
comme l’arbre étend ses branches pour que les oiseaux
viennent se reposer. Et qu’ils puissent ensuite repartir
librement poursuivre leur propre chemin (Matthieu 13, 31).
Il s’agit bien
de partager la vie des hommes et de nous engager dans la société,
comme le levain doit être mélangé à la
pâte pour agir, et la faire lever toute entière
(Matthieu 13, 33). Jésus a dit à Pierre : « Tu
es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ».
Mais Il ajoute « Je te donnerai les clés du
Royaume ». Pas seulement les clés de l’Eglise
(Matthieu 16, 19). L’Eglise doit donc être au service du
Royaume. « Un règne sans limite et sans fin,
règne de vie et de vérité, règne de grâce
et de sainteté, règne de justice, d’amour et de
paix » (Préface du Christ Roi).
Comment
construire ce Royaume de Dieu ?
D’abord nous laisser évangéliser nous-mêmes
par l’Esprit Saint. Il est à la fois la sagesse de Dieu
qui nous éclaire, la force qui nous soutient dans notre
apostolat, et l’amour qui nous permet d’aimer nos frères
en vérité. C’est Lui qui nous rend saints. Il
nous permet de garder la paix dans nos difficultés, et d’avoir
la douceur dans nos relations avec nos frères. Spiritains,
nous sommes consacrés à l’Esprit Saint. Comment
vivons-nous avec Lui ? Comment nous laissons-nous transformer
par Lui ? Comment nous laissons-nous conduire par Lui, dans
notre travail missionnaire d’évangélisation. Et
comment le faisons-nous connaître autour de nous, pour que nos
frères et nos sœurs, soient à la fois éclairés
et animés par Lui, quelle que soit leur religion ? C’est
là toute la question.
Armel Duteil