VOYAGE
EN GUINEE
JEUDI 14 JUILLET 2016 :
Tôt le matin, je pars en voiture avec des confrères pour
assister à l’ordination sacerdotale d’un de nos
diacres. Je le connais bien : c’est le troisième
des jeunes prêtres que j’ai formés et baptisés
quand j’étais à MONGO dans
la Guinée Forestière, au sud du pays. Nous y
avons vécu ensemble des expériences très fortes.
En effet, je suis allé rouvrir une ancienne Mission après
trente ans de fermeture, sous la dictature de Sékou Touré.
Et en même temps, assurer un suivi et un soutien à plus
de 150.000 réfugiés du Libéria, puis de Sierra
Léone, répartis en plus de 50 camps, chassés par
une guerre civile atroce, marquée par l’exploitation des
richesses naturelles (les diamants de la mort), la drogue, mais
surtout les exécutions, les mutilations et les tortures,
accomplies par des enfants soldats endoctrinés et forcés,
sans parler de l’esclavage sexuel des jeunes filles prises en
otage, et tant d’autres choses. Et en 2001, nous avons subi
nous-mêmes les attaques rebelles qui ont brûlé
les camps de réfugiés et dévasté les
villages guinéens. Toutes les ONG et même les autorités
locales ayant fui, nous avons dû assurer la prise en charge du
déplacement des réfugiés vers le nord, la
distribution de la nourriture fournie par le PAM (Projet Alimentaire
Mondial) et le matériel du HCR (Haut Commissariat pour les
Réfugiés) des Nations-Unies. Et en même temps
lancer des projets socio-économiques et des actions
humanitaires pour reconstruire les villages guinéens.
Jusqu’à ce que les ONG reviennent peu à peu.
Cela avec le soutien des Caritas de différents pays, en
particulier le Secours Catholique français. Vous pouvez
trouver tout cela dans mon site :
http://armel.duteil.free.fr.
Bien sûr, tout cela a créé des liens très
forts et une très grande amitié entre nous. Aussi je
suis très heureux de cette opportunité qui m’est
donnée de pouvoir y retourner.
Parti tôt le matin, nous arrivons à Tambacounda à
midi. Nous y faisons une pause pour saluer les Sœurs, car j’ai
été le curé non seulement de la ville mais de
toute la région en 1979-80. Les sœurs et les prêtres
ont changé depuis, mais nous sommes heureux de nous
rencontrer, d’autant plus que nous avons continué les
relations entre nous.
Le passage à la frontière nous prend beaucoup de
temps. D’abord les douaniers sont en pause jusqu’à
15 heures, puis il nous faut repasser trois fois de suite (en trois
endroits différents) les formalités de police, de
gendarmerie et de douane. Nous n’arrivons à KOUNDARA
qu’en fin de soirée. Nous allons laisser notre voiture
de tourisme, pour continuer avec la voiture tout terrain de la
Mission. Nous avons d’ailleurs apporté cinq pneus neufs
de Dakar, que nous montons aussitôt. Pendant ce temps, je
prends un bon moment pour parler avec un de nos étudiants qui
vit une année de stage pour sa formation missionnaire
pratique. C’est un journaliste de formation, nous parlons donc
des émissions à la radio locale. Et aussi du Collège
où il assure l’éducation et des cours. Après
le repas, je vais passer un moment chez les Sœurs. Leur
responsable de Dakar est justement de passage. Elle me demande de
préparer la profession religieuse, en Septembre à
GUECKEDOU, d’une jeune fille de la région Kissi, que je
suis depuis le temps où elle était au Collège.
VENDREDI 15 JUILLET :
Nous sommes au nord de la Guinée. Nous allons traverser
tout le pays en diagonale jusqu’à Kissidougou, au
sud-est. Je revis, tout au long de la route que j’ai fait
souvent, des tas de souvenirs. Je suis heureux de constater que l’on
a beaucoup travaillé sur la route : il ne reste que 30
km de mauvaise piste. Même là, on a construit un pont,
ce qui nous évite de passer par un bac problématique et
dangereux, avec plusieurs heures d’attente.
Un autre convoi de spiritains vient de Conakry. N’ayant pas de
véhicule, ils ont emprunté une voiture. Mais ils ont
des problèmes de route. D’abord, ils aident les
journalistes, venus pour l’ordination, dont la voiture a fait
plusieurs tonneaux. Heureusement, il n’y a pas de blessé
grave, mais la voiture est inutilisable. Et par chance elle a été
arrêtée par un arbre, ce qui lui a évité
de tomber dans le ravin. Ensuite, nos confrères tombent en
panne. Heureusement que maintenant il y a les téléphones
portables, et par chance il y a de la connexion là où
ils sont arrêtés. Nous nous étions justement
donné rendez-vous à 30 km plus loin, dans la ville de
FARANAH. Nous cherchons donc un mécanicien et nous allons les
rejoindre. Mais la réparation ne tient pas et ils tombent à
nouveau en panne : pas de démarreur. Nous les prenons
donc en remorque pendant 30 km et nous n’arriverons à
KISSIDOUGOU qu’après minuit, fatigués mais
heureux.
Nous sommes reçus dans une Communauté de religieuses
malgaches, que j’avais moi-même accueillies il y a 15
ans lors de leur arrivée en Guinée. C’est une
très grande joie de nous retrouver. Nous sommes une quinzaine
de confrères : 5 viendront demain, 3 religieuses sont
arrivées de Conakry, Boffa et Kataco où j’ai
également travaillé. C’est la joie des
retrouvailles. Nous mettons des matelas et des nattes par terre et il
n’y a pas besoin de nous bercer pour nous endormir.
SAMEDI 16 JUILLET :
Après la messe entre nous, je pars faire un tour en ville,
pour m’imprégner de l’ambiance actuelle. En route,
des tas de gens m’interpellent : guinéens et
réfugiés restés sur place. Nous échangeons
des nouvelles de part et d’autres.
A midi, avec notre Supérieur, je suis invité à
manger par l’Evêque. Nous prenons un bon temps
pour parler de la vie du diocèse et de mes activités au
Sénégal.
L’après-midi, je rencontre la mère d’une
détenue guinéenne que je visite chaque semaine en
prison au Sénégal. Elle est évidemment très
triste et se met à pleurer en me voyant. J’essaie de la
consoler le mieux possible, je lui donne des nouvelles de sa fille et
la rassure en lui disant qu’elle va bien et qu’elle n’est
pas abandonnée. En effet, sa fille est très courageuse.
Elle a appris la couture en prison et m’a remis toute une
valise d’habits et une autre de broderies à vendre pour
aider sa mère à vivre. En plus, elle m’a remis
tout son pécule. Cela est une grande consolation pour sa mère.
Après le repas chez l’Evêque, nous allons dans un
quartier où vient de s’ouvrir une nouvelle paroisse,
pour assister à une veillée préparatoire aux
ordinations. Après un temps de prière, nous passons à
la veillée culturelle : chants, danses, ballets,
théâtre. Ils ont bien préparé les
choses. Mais je regrette beaucoup qu’au lieu de chanter au son
des instruments traditionnels, ils se contentent de danser sur des
chants d’artistes, enregistrés. La technique moderne est
en train de tuer la culture et toute créativité. De
même, je remarque qu’à la messe les gens ne
chantent plus. Ils se contentent d’écouter la chorale.
Et pourtant presque tous les chants sont dans leur propre langue, le
kissi. C’est vraiment triste.
DIMANCHE 17 JUILLET :
Ils sont 4 jeunes à être ordonnés prêtres :
3, pour le diocèse et 1 pour les Spiritains. C’est une
grande messe solennelle et très festive, comme les
kissiens savent les organiser avec chants, procession, danses,
battements des mains et instruments traditionnels. Et aussi des
grands moments d’émotion et un grand temps de silence
pendant la longue imposition des mains par les prêtres venus
très nombreux (une cinquantaine). Sont venus également,
le Secrétaire général (protestant) de l’Union
des religions chrétiennes de Guinée, et aussi le
Ministre (catholique) du Commerce. Après la cérémonie,
je prends un bon moment pour parler avec chacun d’eux, avant le
repas partagé dans la grande cour, tous ensemble. Ce qui me
permet de rencontrer de très nombreuses personnes, car toutes
les paroisses ont envoyé des représentants. Et pendant
10 ans je les ai parcourues toutes, en tant que responsable de la
catéchèse, puis de l’OCPH (Office Catholique de
la Promotion Humaine) et de la Commission Justice et Paix. La plupart
m’appellent par le nom traditionnel que l’on m’a
donné : « SAA MONGO MILLIMOUNO ».
Les rencontres se poursuivent jusqu’à la nuit.
LUNDI 18 JUILLET :
Après la messe et le petit déjeuner, nous continuons
notre descente vers le sud, jusqu’à MONGO, le village
d’origine de notre confrère, qui va y célébrer
sa première messe. L’après-midi, il est accueilli
par tout le village et les autorités locales.
C’est la saison des pluies. La nuit, nous avions prévu
une veillée de prière, mais une grosse pluie se
déclare. Nous nous réfugions dans l’église,
où nous attendons plus d’une heure avant de pouvoir
commencer la prière, avec l’aide du haut-parleur
portatif à piles. Ici, à Mongo, il n’y a ni
courant électrique ni connexion Internet. Mais, grande
innovation qui transforme et améliore beaucoup de choses, il y
a maintenant la connexion pour les téléphones
portables.
Après la veillée de prière, tous se rassemblent
pour la veillée culturelle qui se termine tard dans la nuit.
Et qui se prolonge jusqu’au matin dans les chants et les
danses.
MARDI 19 JUILLET :
Première Messe de Martin TONGUINO. Il m’a demandé
de lire l’Evangile et de faire l’homélie dans la
langue kissi. J’ai pris soin de la préparer
sérieusement, avec l’aide d’un ami prêtre
guinéen. Après dix ans sans pratique de cette langue,
parlant maintenant ouolof, ça ne sort plus aussi facilement
qu’avant et je n’ai plus le ton et l’accent local.
Malgré tout, les gens sont très heureux et étonnés
aussi de m’entendre parler clairement dans leur langue. Et
après l’accueil local de hier, ce sont les
retrouvailles avec les gens des communautés de toute la
paroisse.
La nuit, profitant de notre rencontre, nous tenons une réunion
entre spiritains de Guinée et des autres pays de la
région, présents à cette ordination, pour
réfléchir à nos différentes activités.
MERCREDI 20 JUILLET :
Le matin, je fais le tour du village pour saluer les gens. Après
le repas du midi, c’est la séparation. Chacun retourne
chez soi. Pour moi, j’ai décidé de rester encore
trois jours sur place. Je prends le temps de parler avec nos deux
étudiants qui sont venus à MONGO pour leur stage de
vacances. Puis je pars en moto dans une sous-préfecture à
40 km. C’est la saison des pluies. Les pistes sont défoncées
et pleines de boue. Mais en moto on arrive quand même à
passer. Le soir, de nombreuses personnes viennent me voir, à
tour de rôle, et nous échangeons des nouvelles avec
joie.
C’est la saison des gros travaux. Les gens sont occupés
au repiquage du riz. J’avais donc prévu
de dire la messe tôt le matin. Mais la pluie commence à
tomber la nuit et nous ne pouvons commencer la messe qu’à
10 heures30. A la sortie, nous apprenons une très mauvaise
nouvelle :
Ebola. C’est dans la région qu’Ebola a
démarré. Il y a eu beaucoup de morts, en particulier
dans le personnel de santé. Si bien que les dispensaires ne
fonctionnent plus et que les autres maladies ne sont pas
soignées et se développent. D’autant plus que
beaucoup, même s’ils ne sont pas morts, ont été
affaiblis par Ebola.
Les gens continuent à prendre des précautions :
lavage et désinfection des mains en particulier. Et ceux qui
ont survécu à Ebola sont suivis régulièrement,
car le germe est encore présent. Mais cela ne va pas sans
poser de graves problèmes. En effet, ces personnes suivies
sont craintes et se sentent rejetées de la société.
A la dernière visite du contrôle, l’une de ces
personnes suivies a préféré se cacher avec toute
sa famille. Et complètement découragée, ce matin
elle s’est pendue. Bien sûr, cela fait un grand coup dans
toute la sous-préfecture.
L’après-midi, je continue dans une autre
sous-préfecture. C’est tout ce que je pourrai faire, car
il me faut retourner au Sénégal. Le voyage est
difficile car la pluie a recommencé à tomber. Même
programme : rencontres le soir et messe le matin. N’étant
plus responsable de ces communautés, je me garde bien de
donner des conseils et directives, me contentant de donner et de
recevoir des nouvelles. Je ne veux pas prendre la place de mes
successeurs. Et, en plus, la situation a changé depuis mon
départ.
VENDREDI 22 JUILLET :
Nous rentrons, toujours en moto, et sous la pluie. Nous mangeons
ensemble puis je prends un long temps de partage avec mon confrère
actuellement en charge de la paroisse. Il est seul prêtre
depuis deux ans, ce qui bien sûr est très difficile.
En avril, un prêtre belge déjà âgé
est venu le rejoindre, après une semaine de retraite et un
petit séjour dans notre Communauté de Pikine au
Sénégal. Malheureusement, il est tombé malade.
On l’a évacué à Conakry pour le soigner,
mais il est mort à son arrivée. Bien sûr, cela a
causé une très grande tristesse et n’a pas
arrangé la situation.
En fin d’après-midi, je pars pour la Préfecture,
toujours sous la pluie et en moto. A mon arrivée, je suis
accueilli par le curé guinéen, un ami de longue date
avec qui nous avons longuement travaillé, en particulier pour
les traductions en kissi. Avec lui, nous allons saluer la famille
de la jeune fille qui doit faire se profession religieuse ici, en
septembre, et que je suis actuellement au Sénégal. Je
leur donne des nouvelles, et je prends des nouvelles de la famille
que je lui transmettrai. Puis nous posons les bases de la cérémonie
à venir. Ensuite, je rejoins la Communauté des
religieuses guinéennes qui m’accueillent pour la nuit.
Là encore, nous avons beaucoup de choses à nous dire.
SAMEDI 23 JUILLET : Tôt le matin,
je me rends à la gare routière pour aller à
Conakry. Je trouve un « clando » (« taxi
clandestin »), c’est-à-dire quelqu’un
qui fait le transport avec sa voiture personnelle, en donnant de
l’argent au Syndicat officiel des transporteurs. Heureusement,
les transactions ne durent pas trop longtemps. Mais ensuite le
chauffeur disparaît pendant plus d’une heure, sans
explication. Enfin, nous partons. Les trente premiers kilomètres
sont très mauvais. Ensuite, la piste s’améliore,
jusqu’à l’arrivée au goudron.
En Guinée, depuis la dictature de Sékou Touré et
ensuite les attaques rebelles, il faut absolument un ordre de
mission pour circuler et les barrages sont très nombreux :
pratiquement à chaque ville. Beaucoup de gens, en particulier
les transporteurs qui se font rançonner, demandent leur
suppression. Mais c’est devenu un moyen, pour les policiers et
autres agents, de se faire de l’argent en taxant les voyageurs
qui ne sont pas en règle. Heureusement, nous voyageons avec un
sous officier de l’armée. Nous sommes sept dans une
voiture de tourisme : trois à l’avant, quatre à
l’arrière. Le militaire se met à l’avant à
la portière et ainsi nous pouvons passer les barrages sans
problème !
Sur la route, je repense à cette jeune femme très
engagée dans la communauté. Elle s’occupe en
particulier du Mouvement des Enfants (les CV-AV). Du fait de ses
qualités d’animatrice, elle a été choisie
par les villages de la sous-préfecture comme agent
communautaire chargée des différents projets mis en
place. Elle ne reçoit pas de salaire régulier, mais
simplement des gratifications et seulement quand elle dirige un
projet. Elle s’est formée peu à peu sur le tas
dans les actions de développement que nous avions lancées
après les attaques rebelles. Elle s’est beaucoup
investie dans la lutte contre Ebola. Elle est veuve et a trois
enfants. Sa grande soeur est décédée, et elle a
accueilli chez elle ses quatre enfants. Elle fait tout pour les
envoyer à l’école, ce qui coûte cher. Un
commerçant a fourni un groupe électrogène pour
apporter l’électricité à la
sous-préfecture. Elle a monté une installation pour
charger les téléphones portables. Avec les petits
bénéfices, elle vient de lancer un petit commerce.
C’est ainsi que de nombreuses personnes arrivent à
survivre en se débrouillant et grâce aussi à la
solidarité. Par exemple, une religieuse amie qui porte le même
prénom qu’elle a accepté d’accueillir son
fils chez elle, et de prendre en charge les frais scolaires. En
effet, quand on a le même prénom on est « homo »
(homonyme) et on se considère comme de la même famille.
Cela résout bien des problèmes.
Je pense aussi à cet agent agronome déflaté
qui nous avait aidés, quand je suis arrivé à
Mongo, à planter des bananiers, à trouver des plants de
café sélectionnés et à faire venir des
semences de palmiers nains de Côte d’Ivoire pour faire de
l’huile de palme et faire vivre la Mission. Par la même
occasion, il s’est formé au lancement et à
l’organisation de petits projets de développement.
Jusqu’à maintenant, il assure l’animation des
écoles maternelles, l’aménagement des sources
pour avoir une eau propre et la mise à niveau des bas-fonds
pour la culture irriguée du riz, grâce au soutien
continu d’une association (Appel Détresse) qui nous a
aidés dès le début pour ces différents
projets. Cela fait ma joie de constater que ces nombreuses actions se
poursuivent jusqu’à maintenant grâce à de
nombreuses personnes engagées et l’encadrement de ceux
qui m’ont succédé.
Au niveau du pays, les choses avancent aussi. Ainsi, dans toutes les
sous-préfectures, on a installé des lampadaires à
panneaux solaires pour l’éclairage public, ce qui
transforme complètement la vie sociale. A GUECKEDOU où
j’ai dormi, une ONG fournit du matériel à des
groupes de jeunes volontaires pour l’aménagement de
leur quartier. Il y a ainsi des tas de choses qui se mettent en
place.
Quand le militaire est descendu, je passe devant et le chauffeur,
musulman, engage avec moi une discussion religieuse. Il
commence par me dire que nous avons les mêmes prophètes
et me demande « pourquoi on ne parle pas de Mohammed dans
l’Evangile ? » Je lui explique que l’Evangile
a été écrit six siècles avant la
naissance du Prophète. Alors il me pose la question
classique : « Pourquoi vous les chrétiens vous
ne reconnaissez pas le prophète Mohammed, alors que nous les
musulmans nous reconnaissons Jésus ? ». Je
lui réponds que nous respectons Mohammed, mais que c’est
Jésus que nous suivons ». Il continue : « Mais
si vous croyez en Dieu, pourquoi vous n’êtes pas
musulmans ? » Je lui dis que dans le Coran, on
affirme « qu’il ne faut forcer personne en matière
de religion ». Et que « c’est Dieu qui a
voulu plusieurs religions, pour qu’elles se concurrencent dans
le bien ». Mais évidemment cela ne le convainc pas.
Convaincu de sa foi, il n’arrive pas à comprendre qu’on
puisse être croyant d’une autre religion. Mais cette
discussion se passe avec beaucoup de respect. Et nous continuons en
parlant de la prière.
A 50 km de Conakry, la capitale, contrôle des papiers. On
me demande de descendre et d’aller me présenter au poste
de police. Mais nous sommes arrêtés dans une grande
flaque d’eau. Finalement, le policier a pitié de moi et
il nous laisse partir.
Le chauffeur m’explique qu’il est chauffeur de bus. Mais
la Société a des problèmes financiers et
il y a une compression du personnel. Alors il fait du transport avec
se voiture personnelle en attendant.
Il fait nuit quand nous arrivons à Conakry. C’est un
samedi soir, il y a un bouchon énorme. D’abord,
la route est complètement défoncée. De plus,
elle est bloquée à cause des nombreuses voitures en
panne, arrêtées parfois en plein milieu de la route. Car
beaucoup de voitures particulières sont des voitures réformées
en Europe, envoyées en Afrique, et donc vieilles et en mauvais
état. De plus, il y a de nombreux camions qui veulent sortir
de la ville pour voyager la nuit, et qui bloquent la route. Mais
surtout il y a la grande indiscipline des conducteurs. Chacun se
débrouille pour passer devant les autres, en roulant de tous
les côtés, à cinq ou six de front, et les
véhicules circulant dans les deux directions se retrouvent
face à face et tout est bloqué. Il n’y a aucun
policier. Ils ont arrêté leur service à 18
heures. Ce sont des jeunes du quartier qui essaient d’arranger
les choses, moyennant un peu d’argent. Il nous faut plus de
deux heures pour en sortir.
Notre maison d’accueil est en pleine réfection. Les
confrères ne peuvent donc pas me loger. Je connais encore
beaucoup de gens à Conakry, j’ai prévu les choses
et récupéré plusieurs numéros, car ils
ont changé depuis mon départ il y a 5 ans. Je téléphone
à une famille qui accepte aussitôt de me
recevoir. Comme ils ont déménagé, nous convenons
d’un point de rencontre et leur grand fils vient me récupérer.
Ils m’ont attendu jusqu’à plus de minuit et m’ont
préparé un bon repas. J’en ai bien besoin, car
nous ne nous sommes arrêtés qu’une seule fois pour
faire rapidement le plein d’essence et nous n’avons rien
mangé de la journée.
Il y a de l’électricité, ce qui est un progrès
par rapport aux années passées, même si les
coupures de courant sont encore nombreuses. Mes amis habitent au 3ème
étage et l’eau n’y arrive pas. Un musulman du
quartier a fait un forage et il distribue de l’eau gratuitement
entre 17 et 19 heures à tout le quartier. Mais il faut aller
la puiser, et la monter 3 étages sur la tête chaque
jour.
DIMANCHE 24 JUILLET :
Je me lève tôt car je veux assister à la messe
dans mon ancienne paroisse. Comme c’est assez loin, mes
amis m’ont trouvé un chauffeur qui va me transporter
avec leur propre voiture. Nous arrivons juste à temps pour la
messe. J’y trouve un prêtre âgé (86 ans) que
je connais bien, qui continue à rendre des services.
Malheureusement, le curé, mon ancien vicaire, est absent. Il
est parti assister à la première messe d’un
nouveau prêtre, un de nos jeunes. J’essaierai de le
rencontrer plus tard, et je laisse mon numéro de téléphone.
A la sortie de la messe, ce sont les nombreuses salutations avec les
paroissiens. Ils sont surpris de ma présence non annoncée,
mais très heureux de me revoir… et moi aussi !
Ensuite, je pars dans une autre paroisse dont j’avais aussi la
responsabilité. Là, il y a une grande célébration :
Fête des enfants et anniversaire de la chorale. Le curé
me donne la parole à la fin de la messe, et je leur dis un mot
de salutation et d’encouragement, en soussou, avant de
continuer en français pour leur expliquer mon travail actuel
au Sénégal. Nous en reparlons avec plusieurs après
la messe. Je partage avec tous le repas de la fête (très
simple mais plein d’amitié), mais je ne reste pas au
théâtre des enfants, ni au concert des sept chorales qui
se sont réunies, car j’ai besoin de me reposer.
LUNDI 25 JUILLET :
Je pars à l’Archevêché en ville pour
rencontrer mes anciens collaborateurs. Ils sont très
surpris, mais aussi très joyeux, car ma venue n’a pas
été annoncée. Je fais ainsi le tour des
différents services, accompagné par l’un ou
l’autre. A chaque fois, ils prennent soin de m’expliquer
où ils en sont. Je passe un bon moment à l’OCPH
(Office Catholique pour la Promotion Humaine), l’équivalent
de la Caritas/Secours Catholique. Nous parlons de leurs projets. En
particulier de l’atelier des enfants de la rue à
relancer, et des centres aérés pour les enfants des
banlieues, car le temps des vacances est arrivé. Bien sûr,
ils me gardent pour le repas.
Je veux rentrer en « taxi » :
voitures qui prennent deux clients devant et quatre derrière,
mais elles sont rares, en particulier dans la direction où je
vais, et les clients nombreux. Finalement, je me rabats sur un
minibus, complètement bourré, où j’arrive
à me faufiler. Je suis debout au milieu, mais tout de suite
quelqu’un me cède sa place. J’entends deux
personnes qui parlent en kissi. Je les salue dans leur langue et nous
continuons la conversation, à leur grande joie, et au grand
étonnement des autres voyageurs qui ne nous comprennent pas.
Ce n’est pas souvent qu’ils voient un blanc dans ces
moyens de transport populaire, et encore moins l’entendre
parler une de leurs langues.
Enfin arrivé, j’écoute les nouvelles, car là
où j’étais, à MONGO, je ne pouvais pas les
recevoir sur mon petit téléphone. Ici, j’apprends
avec stupeur l’assassinat du Père Jacques HAMEL,
en Normandie. Bien sûr, je partage la tristesse de tous. Je
prie pour lui et je suis révolté par cet acte barbare,
mais je ne peux m’empêcher de me poser un certain nombre
de questions. D’abord, on ne parle pratiquement que de cela aux
informations pendant deux jours. One ne peut avoir aucune autre
nouvelle du monde. Bien sûr, cette mort est dramatique, mais
chaque jour des prêtres et des chrétiens (mais encore
plus de musulmans) sont assassinés par l’Etat islamique
DAECH au Moyen Orient, par Boko Haram au Nigéria, ou Al Qaïda
(AQMI) au Mali. Et nous-mêmes, nous avons eu plusieurs
confrères tués, mais comme ce n’est pas en
France, on n’en parle pas. Ces pays n’ont pas la
même influence, ni les mêmes moyens médiatiques ou
autres.
Je suis frappé aussi par la légèreté
et la banalité des questions des journalistes, qui en plus
se contentent tous de répéter sans cesse pratiquement
les mêmes choses. Je suis aussi scandalisé par
l’utilisation politique faite par certains de cette mort
tragique. Par contre, j’apprécie les déclarations
pleines de bon sens, de confiance, de recherche de paix et de
foi des évêques de Rouen et Paris, mais aussi des
responsables religieux musulmans et juifs, et de la population du
village, chrétiens, musulmans et non croyants ensemble.
Une autre chose qui me frappe, ce sont les solutions proposées :
augmenter le nombre de policiers et de gendarmes, comme si c’était
une solution, contre des terroristes prêts à se faire
sauter pour tuer d’autres personnes. Certes, on a besoin de
sécurité, et les gros efforts faits sont nécessaires,
mais je suis frappé par cette recherche de sécurité
et d’assurance à tout prix de certians français
et de leur difficulté à dépasser la peur.
Après tout, il y a beaucoup plus de morts dans les accidents
de circulation, et ils sont tout autant imprévus que les
attentats. Ne faudrait-il pas faire le même effort
d’éducation et de prévention que contre les
accidents routiers ? Mais je n’ai entendu parler que de
protection, mais pas d’attaquer les vraies causes :
les problèmes des banlieues, la marginalisation, le manque
d’éducation et le chômage des jeunes. Car la
plupart de ces gens qui font des attentats sont des francophones et
même des français nés en France. Ce ne sont pas
des réfugiés qui viennent de Syrie ou d’ailleurs.
Au contraire, ce sont nos jeunes Français qui partent en
Syrie. Ces jeunes ne cherchent pas à vivre la foi musulmane,
ils utilisent l’Islam comme moyen pour exercer leur soif
de vengeance et de nihilisme. Et c’est dramatique pour la
religion musulmane. D’où l’importance de rester
unis. Car DAECH tue beaucoup plus de musulmans que de chrétiens
et fait tout pour opposer chiites et sunnites. Comme il fait tout
pour casser la société française et exacerber
les oppositions entre droite et gauche, entre français « de
souche » (quelle souche ?) et les autres. Et nous
risquons de tomber dans le panneau.
Un détail personnel, anecdotique et sans importance. Je reçois
plusieurs coups de téléphone de gens qui en entendant
le nom du Père HAMEL ont pensé que c’était
moi (le Père Armel). Déjà, quand le Frère
Joseph avait été assassiné à KATACO où
j’étais curé, beaucoup avait cru que c’était
moi.
MARDI 26 JUILLET :
Je me repose un peu et termine de lire les livres que j’avais
amenés. Je les laisse à ma famille d’accueil et
en échange ils m’en donnent d’autres. Je vais
ensuite faire quelques visites et je rencontre en particulier un
enseignant qui m’avait contacté par Face Book. Il veut
ouvrir une école élémentaire dans la banlieue
et nous en parlons ensemble. Mais celui que je suis venu rencontrer,
c’est bien sûr l’Archevêque, avec qui j’ai
collaboré pendant 15 ans. Il était parti à une
rencontre en Angola. Je lui ai laissé un message ; il me
rappelle dès son retour et me donne un rendez-vous pour demain
midi.
La nuit, il y a une très forte pluie qui dure et le quartier
où je suis est complètement inondé. La
population est très en colère et accuse le gouvernement
d’être responsable, et de ne pas faire ce qu’il
faut. Les jeunes décident de faire un barrage sur l’autoroute
pour exiger une intervention des services publics, et les policiers
viennent les déloger à coups de grenades lacrymogènes.
Je retrouve la même réaction de la population qu’au
Sénégal : tout attendre du Gouvernement.
C’est vrai que le Gouvernement a une responsabilité
dans cette situation, par manque de prévision et
d’organisation et pas seulement par manque de moyens. Et parce
que la priorité est donnée au bien-être des
classes sociales les plus riches et aux habitants du Centre de la
capitale, plus qu’aux gens des banlieues. Mais c’est vrai
aussi que la population s’est installée dans les
bas-fonds –faute de place ailleurs- qui sont inondés à
la saison des pluies. On a bien fait des caniveaux, mais comme il n’y
a pas de ramassage des ordures organisé, les gens les jettent
dans ces caniveaux qui se retrouvent bouchés. Les choses ne
sont jamais simples.
MERCREDI 27 JUILLET :
Il continue à pleuvoir. Et plusieurs quartiers ont fait des
barrages, comme dans le nôtre. Il y a d’énormes
bouchons dans toute la ville. Au bout de trente minutes, j’arrive
enfin à trouver un « taxi » qui se
faufile sans aucun respect du Code de la route, comme beaucoup
d’autres, ce qui ne fait qu’augmenter les bouchons !
Finalement, je descends et continue à pied, jusqu’à
ce que j’attrape un autre taxi qui me laisse pas trop loin de
l’Archevêché. Je suis très en retard, mais
l’Evêque a eu les mêmes problèmes, ce n’est
pas grave ! J’ai même le temps de parler avec le
Vicaire général et plusieurs prêtres de passage.
L’Archevêque m’a invité à manger.
Nous sommes très heureux de nous rencontrer, après 5
ans. Ce n’est pas une séance de travail, mais une
rencontre amicale. Nous parlons de choses et d’autres, et en
particulier d’Ebola et des moyens mis en place pour se
protéger et éviter son retour. Nous parlons aussi du
Comité national pour la Réconciliation, dont il
est le co-président, avec l’imam de la grande mosquée
de Conakry. C’est ce qui se fait dans plusieurs pays d’Afrique,
en particulier la Centrafrique. D’ailleurs, après le
repas, les deux co-présidents doivent rencontrer le Président
de la République, avant d’animer une rencontre demain
avec les parlementaires de la région de KINDIA. Il me prend
avec lui en voiture une partie du chemin, ce qui me permet de sortir
des bouchons et d’arriver plus facilement à notre
communauté, toujours en travaux, mais pour une nuit nous
nous débrouillons en mettant des matelas par terre. J’y
retrouve l’ancien curé de Pikine où je travaille
actuellement, et un de nos étudiants sénégalais
venu en stage de vacances en Guinée. Comme nous, ils ne vont
en famille que tous les trois ans. Nous parlons de son stage. Je
retrouve aussi un de mes anciens étudiants ghanéens ;
il travaille actuellement dans un quartier populaire du nord de la
Belgique : après avoir appris le français, il lui
faut apprendre le flamand. Il est venu en congés en Guinée
où il a travaillé il y a quelques années. Je
parle aussi avec un autre confrère ghanéen qui
travaille en Guinée. Un de nos frères guinéens
travaillant au Sénégal l’a emmené dans sa
famille, en Guinée Forestière qu’il ne
connaissait pas encore, et nous échangeons ses impressions.
Nous vivons toujours en communauté internationale, ce
qui est une grande richesse, même si ce n’est pas
toujours facile de se comprendre entre gens de cultures différentes.
JEUDI 28 JUILLET :
Il est temps pour moi de retourner au Sénégal. J’ai
pris mon billet du taxi depuis hier et suis sur place dès 6
heures 30. Mais il faut le temps de remplir la voiture et de
charger ; nous quittons la ville vers 9 heures. La sortie est
toujours aussi difficile, pas seulement à cause de l’état
de la route. Plusieurs policiers nous demandent le « mot
de passe », c’est-à-dire une somme
d’argent pour nous laisser passer. C’est devenu une
habitude. Et cela se continue au poste de contrôle suivant. La
voiture est arrêtée parce que la photo du permis de
conduire du chauffeur a été altérée par
la pluie et elle n’est pas claire. Après discussion et
remise d’argent, nous pouvons continuer. Nous sommes dans une
Renault 21 (break) 10 adultes (3 devant, 4 au milieu, 3
derrière sur un siège remplaçant le coffre) et
5 enfants sur les genoux, serrés beaucoup plus que des
sardines et sans huile pour amortir les pressions et les chocs !
Les premiers kilomètres sont en goudron, mais ensuite c’est
une piste de latérite, très dure, pleine de trous et de
crevasses, remplies d’eau. Nous roulons la plupart du temps en
1ère et en 2ème. Partis à
9 heures de Conakry, nous arrivons à la frontière
(environ 700 km) à 3 heures du matin. Les postes de contrôle
sont fermés. Nous nous couchons par terre en attendant 8
heures. Heureusement il ne pleut plus. Il nous faudra passer à
nouveau trois fois de suite les mêmes contrôles de
gendarmerie, de douane et de police. A chaque fois, il nous faut
descendre de voiture, et faire contrôler les bagages, ce qui
est toute une expédition. Et ceux qui ne sont pas en règle
sont à nouveau taxés.
Frontière du Sénégal. Nouvelles
formalités et nouvelles complications. D’abord, lavage
des mains et prise de température : prévention
d’Ebola. C’est une très bonne chose ! Puis
contrôle du carnet sanitaire contre la fièvre
jaune. Je suis en règle. Mais l’agent remarque sur mon
carnet une ancienne vaccination contre le DT TAB quand j’étais
au Congo, et qui bien sûr n’est plus valable. Après
une longue discussion et promesse de vaccination, il me laisse enfin
passer. Mais c’est notre voiture qui est retenue ! Son
assurance CEAO pour entrer au Sénégal est périmée.
Il nous faut trouver une autre voiture pour rejoindre le garage
sénégalais et prendre un nouveau taxi pour Dakar. Comme
on ne la trouve pas, je pars à pied. Je trouve un bus en
partance…. mais il faut deux heures avant qu’il soit
rempli, ce qui est impératif pour qu’il parte. Nous
sommes 77 passagers. Arrivé tard, je suis sur un strapontin,
mais quand même moins serré que dans un taxi.
L’inconvénient, c’est que tout est plus long.
A mi-route, nous sommes arrêtés par un contrôle
douanier. En effet, beaucoup de passagers qui viennent de Guinée,
du Mali, de Gambie, de Sierra Léone, de Côte d’Ivoire
et de beaucoup plus loin, en profitent pour faire du commerce, car
certains produits coûtent moins cher dans ces pays. Sans parler
des objets chinois. On contrôle la valise d’une femme qui
n’a pas déclaré ses tissus. Les douaniers font
alors descendre tous les bagages. Cela prend beaucoup de temps, car
il y en a beaucoup. Ils découvrent qu’une commerçante
a chargé huit sacs de fruits, taros et ignames à
vendre, mais elle n’en a déclaré que trois !
Alors commence un gros palabre comme on sait le faire ici.
D’abord la femme cherche à se défendre. Elle
n’est pas écoutée bien sûr. Alors les
anciens qui parlent sa langue, le poular, se rassemblent. Ils
choisissent un porte parole qui parle ouolof (la langue nationale) et
le français (la langue officielle) pour s’expliquer avec
le douanier de grade inférieur qui a arrêté le
bus et fait descendre les affaires. Avec lui, les anciens remontent
les douaniers un par un, en suivant leur grade. Comme ils n’arrivent
pas à s’entendre, nouvelle concertation. Finalement, il
va y avoir trois heures de va et vient, jusqu’à ce que
les douaniers acceptent une amende de 60.000 Fr CFA (85 euros, ce qui
est énorme par rapport au niveau de vie et des bénéfices
espérés). C’est sûr que cette commerçante
va en être pour ses frais ! Et je ne pense pas qu’on
lui ait donné un reçu ! Il faut bien s’occuper
pendant ce temps-là. Les douaniers ouvrent les sacs et valises
un par un, sur la route. Tout le monde est autour et en regarde le
contenu. Mais sans commentaires et avec respect. Ils savent
bien qu’ils ont intérêt à se taire.
L’un du groupe des apprentis dit à ses camarades :
« Le blanc là, il parle ouolof », mais
ils n’osent pas s’approcher de moi ; je suis, le
seul blanc du voyage. Alors je vais leur parler. D’autres
personnes peuhles me testent en me saluant dans leur langue. Alors
d’autres viennent me parler en soussou et en baga (langues que
je connais aussi, ayant travaillé chez eux). Puis une famille
sierra léonaise s’adresse à moi en anglais local
(créole). Tout cela avec beaucoup de joie et
d’exclamations. Du coup, le chauffeur me paye les trois verres
de thé traditionnel. Et les anciens viennent me tenir au
courant des tractations. Enfin, on rembarque les bagages et on
repart. Il fait nuit déjà.
Une fois encore j’admire la patience et la bonté des
gens. Personne ne fait le moindre reproche à la
commerçante qui nous a causé un tel retard. Pour moi,
cela fait trois jours de voyage très fatigants, mais plein de
partages et d’amitié. Des gens m’ont demandé :
pourquoi tu ne prends pas l’avion ? (1 heure 15 de vol).
D’abord, les lignes africaines coûtent très cher.
Et pour le travail que je fais, un tel voyage me semble très
important pour partager la vie des gens, connaître leurs
difficultés et approfondir leur culture.
Une passagère est malade et a envie de vomir. On
s’arrête dans un petit village pour qu’elle puisse
vomir. Arrivés dans une ville, on lui propose de se faire
soigner dans le dispensaire du lieu. Mais elle préfère
recevoir des médicaments et continuer le voyage avec nous.
Avant de repartir, les apprentis du bus me prennent en photo avec
eux sur leur téléphone mobile « pour avoir
un souvenir ».
Nous sommes arrêtés par des policiers ou gendarmes.
Nous avons nos papiers en règle, mais c’est énervant
parce que cela nous fait perdre beaucoup de temps et surtout nous
nous demandons ce qu’ils vont encore trouver.
Nous subissons une très grosse pluie. Et en arrivant à
la grande ville du Centre (KAOLACK) nous voyons des maisons et des
quartiers complètement inondés. En effet, venus tenter
leur chance en ville, des gens ont construit des baraques dans les
bas-fonds. Suite à la grande sécheresse des années
1970, ces bas-fonds étaient secs. Mais les pluies sont
revenues. Et les gens n’ont pas les moyens d’aller
construire ailleurs. Que faire ?
La ville de KAOLACK est complètement inondée. En plus,
des gros camions partent pour des travaux. Nous mettons deux heures
pour traverser la ville. A la sortie, grosse question : doit-on
s’arrêter pour manger, car nous n’avons rien pris
depuis ce matin. Mais certains sont pressés d’arriver.
Finalement, on trouve un marchand de pain et on s’arrête
pour manger. Avec tout cela, nous arrivons à 1 heure du matin.
Je voulais rentrer à pied, puisque je connais bien la ville et
que je n’étais pas trop chargé. Mais les gens de
la gare routière m’arrêtent à cause de la
grande insécurité du quartier. Et un chauffeur de taxi
me ramène jusqu’à l’église. Je ne le
connais pas, mais lui me connaît !