Mgr Joseph Shanahan
(1871-1943)
Joseph naît le 6 juin 1871
à Glankeen, dans la partie centrale de l’Irlande ; ses parents ne font
qu’un avec leur foi chrétienne ; ils apprennent à leurs enfants
à trouver dans l’Evangile et la prière le rythme de leur vie
quotidienne. Il entre à 12 ans au collège spiritain de Rockwell,
à quelques dizaines de kms de la maison familiale : Joseph avait un oncle
maternel spiritain, le Fr. Adelm, missionnaire déjà
expérimenté en Afrique. Un an après ses débuts
à Rockwell, Joseph, qui a 13 ans, est envoyé en France poursuivre
sa formation : il ne reverra son pays qu’à 25 ans, pour ses études
de théologie. C’est au cours de ces longues années qu’il
pénètre profondément la culture française et
s’imbibe de la spiritualité libermanienne.
De retour en Irlande, et
à Rockwell, il y assure un service auprès des jeunes
élèves tout en faisant sa théologie. Il est ordonné
prêtre à Blackrock en 1900, et débute sa vie apostolique par
une déception: il est affecté à Rockwell comme professeur.
L’épreuve ne sera pas trop longue, puisqu’il obtient de partir pour le
Nigeria-sud deux ans après : il s’était offert comme volontaire
pour cette région d’Afrique réputée dangereuse par son
climat et ses fièvres.
Le sud-est du Nigeria avait déjà
reçu une première approche d’évangélisation
grâce aux pères Joseph Lutz et Jean Horne, secondés par les
frères John et Hermas; leur santé ne résista pas longtemps
; le P. Léon Lejeune, fin connaisseur du pays, entrepreneur et plein de
courage, prit la relève ; il y était seul, avec le titre de
Préfet apostolique, en compagnie d’un confrère lorsque Joseph
Shanahan y arrive en 1902. Que pouvaient faire deux hommes pour un si grand
pays? Le P. Lejeune, épuisé, meurt en 1905 à 45 ans. C’est
le P. Joseph qui doit assumer les responsabilités de Préfet
à 34 ans : il lui revient de prendre en mains cette grande mission du
sud-est, le pays Igbo, de l’organiser et de la développer. Il le
fait grâce à l’école. Parmi les élèves en fin
de classes, il va choisir les plus doués pour étoffer un corps
d’enseignants sans cesse en croissance : " Qui tient l’école tient
le pays, tient la religion, tient l’avenir "
Les écoles furent en
effet un instrument efficace d’évangélisation ; elles
étaient ouvertes à tous, il fallait donc persuader les chefs
locaux d’y envoyer les enfants, il fallait aussi trouver des finances pour
bâtir. Marcheur infatigable, le P. Joseph entre-prend des tournées
considérables, souvent dans des régions encore inconnues, et y
puisant une profonde admiration -et un profond désir
d’évangélisation- pour les populations qu’il rencontre : il met de
son côté un grand nombre de notables ainsi visités, tout
comme eux le mettent de leur côté par l’initiation qu’ils lui
donnent aux réalités profondes de l’Afrique. Le P. Joseph revient
enthousiaste de ses périples.
En 1912, il y a déjà 43
écoles ouvertes dans un grand rayon autour d’Onitsha ; elle ont plus de
130 enseignants, et chacune comprend en moyenne 60 enfants ; le P. Joseph n’a
pas d’autres limites que les ressources financières. Huit ans
après, les écoles sont au nombre de 559 (Benoît XV les
appelle églises-écoles), 12 ans encore après, 1386 ; en
1960, Mgr Joseph Shanahan étant mort depuis 17 ans, il y avait, dans
cette même région, 2364 écoles primaires, 83
collèges, des écoles normales de professeurs, des écoles
techniques, ½ million d’élèves et étudiants et 14000
enseignants. Le nombre des catholiques était passé de quelques
centaines à l’arrivée du P.Joseph à plus d’un
million.
Mais où trouver des prêtres pour approfondir ce travail
? Malgré ses insistances, le P. Joseph n’en trouvait pas, ni en Irlande,
ni en France, à son grand désespoir. Sa santé se
délabre, tant il en exige : sa grande tournée du Nigeria au
Cameroun lui vaut une hospitalisation à Douala, dont il brusque les
délais. Mais de retour à Dublin il y passe de longs mois à
se soigner : toujours à la recherche de prêtres qu’il n’arrive pas
à trouver. Thérèse de Lisieux lui vînt en aide
à lui aussi. Il est ordonné évêque en Irlande
(vicaire apostolique d’Onitsha) en 1920, et l’épiscopat de l’Ile prend
à coeur son besoin de prêtres : le mouvement est lancé,
dynamisé par le feu communicatif de ce nouvel évêque de 49
ans Ce sont bientôt les débuts de la Société de St
Patrick. Il ordonne son premier prêtre diocésain en 1930 : et Dieu
sait combien ce clergé local va s’épanouir ! Viennent ensuite la
fondation des Soeurs Missionnaires du Saint-Rosaire et la venue de bien d’autres
sociétés apostoliques.
Mgr Joseph Shanahan brille par
l’équilibre de son sens humain, de son respect pour les cultures humaines
et de l’ardeur de sa foi missionnaire. Il est tout pénétré
des convictions apostoliques du P. Libermann et d’admiration pour le don de
Dieu.
Il quitte son cher Nigeria en 1932, le 30° anniversaire de son
arrivée, laissant son Eglise couverte de bourgeons prometteurs.
Après quelques années en Irlande, il termine sa vie
silencieusement et humblement à Nairobi, auprès de Mgr Heffernan :
il meurt, selon son désir, le jour de Noël. C’était en
1943.
Le Père Daniel Brottier (1876-1936)
Daniel est originaire de la Sologne, où il est
né le 7 septembre 1876 ; son père était employé au
service du Marquis de Durfort, et c’est dans une petite maison attenante au
château de la Ferté Saint-Cyr que le foyer Brottier éleva
ses deux garçons ; le jeune Daniel montre très tôt un
caractère décidé et entreprenant. Il entre tout jeune au
Petit Séminaire de Blois, et passe tout naturellement de là au
Grand Séminaire : il désire être prêtre depuis
son tout jeune âge. Il est ordonné prêtre en 1900, et doit
s’accommoder d’un poste d’éducateur au collège de Pont-Levoy.
D’où lui vient son désir de partir dans les missions lointaines ?
Toujours est-il qu’il obtient, non sans peine, l’autorisation de rentrer dans un
Institut missionnaire : en 1903, il fait ses premiers engagements dans la
Congrégation du Saint-Esprit : son rêve s’accomplit : il part pour
le Sénégal, pas en brousse toutefois, mais à Saint-Louis
même.
Il y passe 7 années complètes, compte tenu de
quelques absences pour soigner une santé sujette à de
pénibles migraines ; c’est un homme passionné et passionnant,
surtout pour les jeunes, et toujours en veine de nouvelles initiatives.
Mais qui pourrait croire que cet homme, si actif, est en même temps
attiré par la vie d’un monastère, silencieuse autant
qu’austère ? Il fait deux séjours parmi les moines, ni l’un
ni l’autre n’est concluant ; mais il ne sera vraiment au clair avec son
désir qu’à quarante ans passés. En 1910, il lui faut,
à très grand regret, quitter le climat sénégalais
qui lui cause trop d’arrêts de maladie. Le voilà donc de retour en
France, où vont se dérouler le reste de ses
activités.
Le première tâche qui lui incombe le rapproche
de la vie qu’il vient de quitter ; il va s’agir de concevoir et de mener
à bien le projet du "Souvenir Africain" : le monument que l’on
projette de bâtir à Dakar, et qui sera en même temps sa
cathédrale, aura valeur de mémorial en reconnaissance pour tous
ceux qui ont donné leur vie pour les relations entre la France
et l’Afrique ; même si l’idée, à ses
débuts, se ressent fortement de l’entreprise colonisatrice, elle
n’exclue nullement l’amitié et le dévouement jusqu'au sacrifice de
soi. Le P. Brottier va montrer ses remarquables talents d’organisateur et
d’animateur au long des 25 années nécessaires pour parvenir au
plein achèvement. Il a déjà constitué un
Comité d’honneur pour soutenir le projet, et récolté des
fonds importants, quand éclate la première guerre mondiale, le 2
août 1914.
Le P. Brottier n’est pas mobilisable à cause de sa
santé fragile. Il choisit tout-de-suite de se proposer comme
aumônier volontaire : le voici donc mêlé de près
aux heures les plus dures de ce conflit "effroyable", pour reprendre ses propres
mots. Il partage en tout les rudesses et les périls du front avec la 26°
Division d’Infanterie. De ces quatre années à la limite de la
résistance humaine, il tire un grand profit : ce fut une grande
école d’humanité ; la vie quotidienne, le partage des
conditions précaires et dangereuses met entre les hommes, quelques soient
leurs différences et leur rang, une profonde estime et une réelle
solidarité. Le P. Brottier met en œuvre des initiatives pour apporter
soutien, sympathie et joie aux hommes comme à leurs familles qui
s’inquiètent à l’arrière : l’œuvre de la photographie
du soldat, par exemple. Lorsqu’aura sonné l’heureux temps de
l’arrêt de toutes ces souffrances, il quittera l’aumônerie, couvert
de décorations, mais avec une certaine nostalgie. La création de
l’Union Nationale des Combattants, avec sa devise "Unis comme au front",
témoigne de la grande leçon des ces temps où chacun devait
se surpasser.
Il n’est pas encore démobilisé, qu’il est
déjà tout entier tourné vers le projet du Souvenir
Africain. Mais en 1923, il est appelé à reprendre en mains
l’Oeuvre des Orphelins Apprentis d’Auteuil, créée par
l’Abbé Louis Roussel 57 ans plus tôt. Un travail plutôt
difficile : 180 apprentis, 18 premiers communiants, un personnel en
demi-solde et mécontent, des bâtiments en ruines, un état
de délabrement général des personnes et des choses, telle
était à la fin novembre 1923, le cadeau qui nous était
fait. Le P. Brottier a une grande force : il ne s’engage dans une
tâche que totalement, corps et âme. Son "tout ou rien" trouve une
extraordinaire partenaire, en la personne de Thérèse de
Lisieux ; de son vivant, elle connaissait et aimait cette Œuvre ; le
P. Daniel eut la conviction que Thérèse serait sa fidèle
associée dans sa tâche de relèvement et
développement : il commence par lui construire un sanctuaire, et voici la pluie
de roses qui se répand sur les enfants et leurs bienfaiteurs.
Ces attentions constantes
n’empêchent pas le travail acharné du P. Daniel, en lettres,
articles, publicité, et autres moyens où se répandaient ses
convictions inaltérables. Les bâtiments se rénovent, le
nombre des enfants se multiplie, de nouvelles s’ouvrent avec des moyens plus
perfectionnés d’apprentissage et des moyens d’éducation plus
adaptés aux besoins des jeunes. Il lance les foyers à la campagne
où des jeunes sont reçus et formés dans des familles de
cultivateurs : il les suit tous. Il forme autour des enfants une grande
famille de bienfaiteurs, la plupart aux revenus modestes. Presse, "bon
cinéma", fêtes autour de la chapelle, exposi-tions,
récitals, ventes de charité, rien n’est négligé pour
rejoindre les générosités et les faire vivre à
l’unisson des développements de l’accueil des jeunes
délaissés.
En février 1936, en même temps que le
Souvenir Africain est inauguré à Dakar (le 2), le P. Daniel
Brottier meurt, le 28, d’épuisement à la tâche. Le nombre
des jeunes qu’il accueille a presque décuplé ; il
dépasse les 4000 aujourd’hui. Seul regret de celui qui nous quitte :
tant de détresses qu’il n’a pas pu accueillir.
Par C. De Mare
Sur une idée de
"Informations spiritaines N° 127", Rome, juin 1999