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Dossier " Blanc, achète-moi ! "

Zanzibar

L'encanteur arrache à sa mère une enfant en pleurs. Le marchand en demande 100 F. " Blanc, achète-moi, crie-t-elle, ici je retrouverai ma mère dans les Bibi (les sœurs), je ne sortirai plus d'ici. " Ce cri, ces larmes, décident le spiritain. Malgré le prix élevé, il fait affaire.

Fin 1866, le P. Horner entre en relation avec Mgr Gaume qui lui envoie de l’argent pour racheter des enfants esclaves et en faire des chrétiens. Très vite, les prix montent. L’évêque publie les récits du spiritain : " Des troupes armées, conduites par des agents commerciaux, appartenant à des Arabes et Portugais de la côte, sont expédiées dans l’intérieur de la grande terre avec quantités considérables de mousquets, munitions, grains de verre et cotonnades. Ces derniers articles servent au début du voyage, à payer les frais de route et à faire des achats d’ivoire. Mais il n’est pas une de ces caravanes qui n’ait accompagné les indigènes dans leurs razzias et n’ait attaqué une peuplade quelconque, dans l’intention d’y faire des captifs. Pas un seul exemple du contraire. " (Suéma p.77)
Sur sa route vers l’intérieur, Horner note les mœurs des peuples qu’il rencontre : emprise de la peur, mépris de la femme, polygamie, divorce. La cruauté envers les esclaves le bouleverse. Il parle de " pauvres vieillards qu’on porte vivants au cimetière, puisqu’ils sont incapables de travailler et qu’on ne veut rien dépenser pour les nourrir. De tels actes de cruauté sont assez fréquents pour que nous ayons pu trouver, le même jour, jusqu’à 4 vieillards jetés au cimetière par leurs maîtres inhumains. "
À Bagamoyo, "Ici s’arrête tout espoir", nom donné au lieu par les esclaves avant d’embarquer pour Zanzibar, existent un hôpital et des écoles primaires. Horner ouvre une école professionnelle pour menuisiers, charrons, serruriers.
Craignant qu’une fois réimplantés en milieu musulman et fétichiste, ces jeunes artisans ne perdent la foi, il crée, en 1868, une sorte de village-réduction.
L’autre priorité du P. Horner est de former un clergé indigène : " Achetés par les missionnaires sur le marché aux esclaves, 170 enfants fréquentent ces écoles avec les plus heureux résultats. Déjà, on a fait commencer les études latines à une partie des garçons, dans le but de trouver parmi eux des vocations sacerdotales ; car on est persuadé que l’Afrique ne pourra être régénérée que par le clergé indigène, soutenu et dirigé par des missionnaires européens. "
Il s’inscrit en faux contre les préjugés dévalorisant les Noirs. Reprenant d’abord à son compte l’appréciation du capitaine Speke : " Il est absurde de prétendre que le Nègre est incapable d’éducation. Les enfants noirs élevés dans nos écoles ont presque toujours fait preuve d’une intelligence et d’une aptitude au moins égales à celles des élèves européens. "
Il donne divers exemples de leur habileté aux métiers manuels, qui les fait apprécier même du souverain musulman de Zanzibar. Des exemples aussi de leur enracinement dans la foi : " Nous avons pu déjà commencer à former un petit noyau de familles chrétiennes. Le 1er septembre ont été bénis 5 mariages. Ces couples habitent près de nous, dans l’emplacement que nous avons loué pour eux. Depuis le jour de leur mariage, ils sont réellement des modèles de familles chrétiennes. "
À le lire, on a le sentiment que, à leurs yeux, s’opère simultanément une double libération : des enfants par rapport à l’esclavage de leurs maîtres — le plus souvent arabes et musulmans —, mais aussi par rapport à une religion de peur. Les garçons rachetés sont sous la responsabilité des spiritains, les filles sous celles des Sœurs de Marie, venues de la Réunion.

De la chair humaine pour ne pas périr
Parmi elles, Suéma décrit son pays et ses coutumes religieuses. Elle évoque les fourberies du Zimé le sorcier. Elle raconte la mort de son père, la famine due à une invasion de sauterelles, la ruine et la vente à une caravane de passage par l’un de ses créanciers, la mort de sa mère dans la caravane. Suéma parle d’un voyage d’au moins trois mois. De nombreux malades retardent la marche. Les vivres sont si rares que pour calmer les tiraillements de l’estomac, les esclaves mangent terre et herbes. Lorsque l’un meurt, on le sert à manger en prétendant que c’est du mouton. Même en sachant qu’il s’agit de chair humaine, tous en mangent pour ne pas mourir.
Presque exclusivement butin de chasse, la caravane de 500 à 600 esclaves ne porte qu’une petite quantité d’ivoire achetée probablement des environs du lac Tanganika.
À l’arrivée, le marchand arabe ne veut pas de Suéma : mauvais état physique. Il la fait enterrer vivante. Un jeune créole de la Réunion, venu chasser les chacals, la sauve in extremis et la conduit à la mission catholique. Nous sommes en 1860, elle peut avoir 9 ans. Elle dit qu’elle était comme une bête qui mange, boit et dort. Son baptême n’intervient qu’après qu’elle ait été catéchisée, soit devenue croyante en Jésus sauveur et qu’elle ait accepté de pardonner au marchand arabe.
Mgr Gaume raconte comment Suéma devenue Madeleine accepte de soigner le caravanier arabe responsable de la mort de sa mère, amené à la mission grièvement blessé suite à un combat avec les Anglais. Elle reste à la mission. À 19 ans, elle a refusé plusieurs fois de se marier pour entrer au noviciat et devenir la 1re religieuse. Grande, de figure noble, elle est d’un caractère très égal et heureux. Un trou perce sa lèvre supérieure, signe d’appartenance à sa tribu. Pendant l’épidémie de la variole puis celle du choléra, elle ne quitte ni de jour ni de nuit ses compagnes malades. En 1876, elle part avec 3 autres à la Réunion, au noviciat des Filles de Marie. Elle prend l’habit et meurt brutalement en août 1878.
Horner apparaît aux visiteurs comme une sorte de géant. En 1873, visite de Cameron. Peu après arrive Sir Bartle Frere que l’Angleterre envoie à Zanzibar pour négocier la fin de la traite. Mais c’est en 1871 que le grand explorateur Stanley découvre Bagamoyo avec étonnement, à la veille de son départ pour l’Afrique centrale : mission, champs, ateliers, agriculteurs, charpentiers, maréchaux-ferrants, constructeurs de barques, mécaniciens en herbe. Tous, raconte-t-il, " portaient la marque d’une excellente éducation ".

labours

Charles Estermann,
ethnographe en Angola (1890-1976)

" La mort du Père Estermann est une perte pour le peuple des pauvres dont il était l’ami, le défenseur et le protecteur ; une perte pour la Nation angolaise dont la culture lui doit considération et reconnaissance ; une perte pour la science, qu’en chercheur intelligent et désintéressé il a fait progresser pour le patrimoine culturel de l’humanité. "
Ainsi s’exprimait Mgr Nogueira lors des funérailles de ce savant de renom international. Ouvert, tolérant, prudent dans ses conclusions scientifiques, il fut l’observateur attentif des mœurs et coutumes de son pays d’adoption.
Ethnographe en relation avec des savants de plusieurs continents, Erstermann a publié plus de 70 monographies scientifiques sur des sujets très divers. Son œuvre principale : Ethnographie du sud-ouest de l’Angola (3 tomes), en portugais, fut traduite en anglais et français. Titulaire de plusieurs distinctions officielles et docteur honoris causa de l’université de Lisbonne, il a collaboré aux revues Anthropos et Afrika, a correspondu avec le musée ethnographique de Washington et l’Académie des sciences pour les pays d’Outre-mer de Paris.
Aujourd’hui, le musée ethnographique de Sintra (Portugal), l’École normale de Lubango (Angola) et l’une des principales artères de cette ville portent son nom.

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