Marc Botzung, cssp
Gambie : Un
exemple de coexistence pacifique entre catholiques et musulmans
Entretien
avec le missionnaire irlandais, Mgr Robert Ellison
ROME, Dimanche 26
septembre 2010 (
ZENIT.org
)
- L'Eglise de Gambie, qui peut compter sur un bon nombre de prêtres
et religieux locaux, n'est pas loin de l'autosuffisance. Il ne lui
manque plus que les fonds nécessaires, affirme l'évêque
de l'unique diocèse du pays, Banjul.
Mgr Robert Ellison
est le pasteur de toute la Gambie, pays totalement enclavé à
l'intérieur du Sénégal, un peu moins grand que
le Delaware.
La Gambie est
presque entièrement musulmane - à 90% - mais, selon
l'évêque, c'est une des raisons pour laquelle l'Eglise
locale a beaucoup à offrir au monde : elle est un exemple de
coexistence entre deux pays dans un esprit de respect et de
compréhension.
Dans cette interview accordée à
l'émission de télévision « Là
où Dieu pleure », Mgr Ellison évoque son
pays missionnaire et comment il a découvert sa vocation.
Q
- Vous êtes le seul évêque de Gambie et vous êtes
également missionnaire. N'y a-t-il pas là une
contradiction ?
Mgr
Ellison - Non,
parce que je suis missionnaire en Gambie depuis les années 70.
Quand je suis arrivé en Gambie en 1979, juste après mon
ordination, il y avait environ 22 spiritains irlandais. Je suis
missionnaire de la Congrégation du Saint-Esprit - nous disons
"Spiritains" en abrégé - et membre de la
province irlandaise des Spiritains. A cette époque, il y avait
ces 22 spiritains irlandais, et aucun prêtre gambien. Les
premiers prêtres gambiens, de l'époque « moderne »,
ont été ordonnés en 1985. Il y en a eu deux
auparavant, si on remonte au début du 20e siècle. L'un
est mort très vite de la fièvre, et l'autre un peu plus
tard, de mort naturelle.
Les
Spiritains ont toujours été en Gambie. Pourquoi
?
Comme
je l'ai dit, il n'y avait pas d'autres prêtres. S'il n'y avait
pas d'autres congrégations, c'est probablement parce que la
Gambie est un tout petit pays. Il n'y a qu'un unique diocèse,
et la majorité de la population est musulmane. On compte
environ 40.000 à 50.000 catholiques sur tout le territoire et
dans le diocèse.
Votre
congrégation a-t-elle été la première à
venir en Gambie et à évangéliser ?
Oui. Nous sommes arrivés en 1849, trois ans avant la
mort de notre fondateur, survenue en 1852. Notre congrégation
ayant été fondée en France, les premiers qui
sont arrivés venaient de France mais, à la fin du 19e
siècle, après l'établissement de la province
spiritaine en Irlande, les missionnaires irlandais ont commencé
à venir, afin de répondre aux besoins des pays
anglophones en Afrique occidentale. Notre fondateur - avec son
charisme, son orientation ou sa vision de ce qu'il voulait pour notre
congrégation - s'impliqua dans l'oeuvre d'évangélisation,
notamment des esclaves venus des Indes occidentales (les Antilles) et
d'Amérique, qui avaient été affranchis avec
l'abolition de l'esclavage. Avec l'abolition effective du commerce
d'esclaves en 1837, il fonda notre congrégation, en 1845, et
les premiers missionnaires arrivèrent en 1849. Voici comment
les Spiritains se sont retrouvés impliqués dans l'œuvre
d'évangélisation en Gambie.
Aviez-vous
entendu parler de la Gambie avant d'y être envoyé
?
Oh! Oui, oui. Je suis né près de Dublin en
Irlande, à Blackrock, une ville située à six
miles (environ 10 km) au sud de la capitale, et j'ai fréquenté
l'école primaire et secondaire dirigée par les
Spiritains en Irlande. C'est ainsi que, dès l'âge de six
ans, j'ai été immergé dans ce que faisaient les
Spiritains, pas seulement en tant qu'éducateurs en Irlande,
mais aussi comme missionnaires en Afrique.
C'est
alors que vous avez décidé d'être missionnaire ?
Bon, disons-le comme ça. A l'âge de six ans, je
ne pensais pas à la Gambie, ni à rien de tel. Mais je
pense que j'ai été influencé par les prêtres
qui m'enseignaient - pendant cette période, il y avait
quelques professeurs laïcs mais la plupart étaient des
prêtres - dont certains rentraient de missions et d'autres
étaient effectivement allés en Gambie. Et lorsque j'ai
terminé ma scolarité au Blackrock College,
Williamstown, comté de Dublin, à l'âge de 17 ans,
j'avais les idées très claires sur ce que je voulais
être. [...]
Avec
le recul, le feriez-vous encore ?
Oh,
certainement, mais je n'aimerais pas revenir en arrière.
Avez-vous
été en mesure d'être vraiment missionnaire en
Gambie ?
J'ai
vécu de nombreuses expériences de mission, très
diverses, en Gambie. Quand je suis arrivé, l'évêque
d'alors, le premier évêque spiritain irlandais, Mgr
Maloney, m'a demandé d'aller à notre lycée de
Gambie, St. Augustine's High School. Nous le comparions parfois au
Blackrock College à Dublin. C'était une école
parfaitement bien gérée et disciplinée. J'y ai
enseigné pendant un an. Puis j'ai connu l'expérience de
la paroisse de la cathédrale. Je n'étais que depuis
deux à trois ans en Gambie quand j'ai été envoyé
à Rome pour suivre un cours sur l'islam. C'était la
première fois que ce cours à l'Institut pontifical pour
les études arabes et islamiques était dispensé
en anglais. Il n'y avait alors que quatre étudiants :
moi-même, une soeur franciscaine du Pakistan, un prêtre
de Tanzanie, et un prêtre du Nigeria. Nous avons ainsi
bénéficié d'un traitement spécial.
En
quoi cela vous a-t-il été utile, une fois rentré
en Gambie ?
Je
me suis senti beaucoup plus à l'aise au milieu de ces gens
parce que je savais que certains d'entre eux ne savaient pas autant
sur leur propre religion que moi, mais je savais qu'il y avait
certaines choses qu'ils essayaient de vivre jour après jour.
Je pense à certains domaines, mais je suppose que les plus
évidents, qu'on expérimente comme visiteur ou comme
missionnaire dans le pays, sont les pratiques de la foi musulmane. On
ne peut pas vivre dans un pays musulman comme la Gambie si on ne sait
pas qu'ils se lèvent à 5h30 ou 6h du matin pour
répondre à l'appel du muezzin, qui appelle à la
prière du matin avant l'aube ; impossible de continuer à
dormir. [...]
Cela
vous aide-t-il pour votre propre vie de prière ?
Exactement,
j'allais le dire, vous m'avez ôté les mots de la bouche.
C'est un rappel direct, pour moi aussi comme prêtre, à
être fidèle aux 5 temps de prière quotidienne
qu'un prêtre est censé consacrer à la lecture du
bréviaire, ou Liturgie des heures comme on dit. Et j'ai vu là
une opportunité pour encourager et inspirer nos catholiques et
nos chrétiens aussi : vos frères et soeurs musulmans
sont, pour la plupart, fidèles à leurs prières,
il y a là pour vous une leçon à tirer, non pas
dans un esprit de compétition, mais comme un encouragement
pour vénérer votre Dieu de la même façon.
L'Eglise
catholique a-t-elle la possibilité d'évangéliser
en Gambie ?
Si
nous parlons d'évangélisation, oui nous évangélisons
tout le temps, mais sans faire de prosélytisme, et je pense
qu'il faut être très clair sur ce point. D'une façon
générale, les musulmans en Gambie sont un peuple très
pacifique. Ce sont des musulmans modérés. Ils veulent
la paix. Ils respectent ce que nous faisons, mais il y a des limites,
des frontières à ne pas franchir. Il nous est arrivé
une fois ou deux d'ouvrir des missions dans différents
endroits des zones rurales, dans le but d'évangéliser
les jeunes par le biais de nos structures d'éducation.
Que
se passe-t-il ?
Il
a été démontré - parfois il s'agissait
d'écoles secondaires pour garçons ou filles - que, même
si nous avions obtenu l'autorisation de les baptiser, dès
qu'ils quittaient l'école et retournaient dans leur village et
leurs communautés ou ailleurs, ils revenaient presque
automatiquement à la foi musulmane en raison de la pression
sociale et communautaire. Cela ne signifie pas qu'aucun de ceux qui
ont été baptisés ne persévèrent
dans leur foi chrétienne, mais la plupart non.
Est-ce
une souffrance pour vous, missionnaire, de ne pouvoir évangéliser
ces gens ?
Non, je considère qu'évangéliser -
proclamer la Bonne Nouvelle de l'Evangile - va bien au-delà du
simple ralliement d'adhérents à notre institution
catholique, et certains pourront ne pas être d'accord avec
cela, mais je pense que l'objectif ou la motivation principale de
Jésus, quand il prêchait l'Evangile, était
d'abord la conversion des coeurs. Songez aux foules, aux multitudes
auxquelles il s'adressait ; or au terme de sa vie terrestre,
nous dit-on, il n'avait pas plus de 120 disciples. Il a dû
parler à des milliers de gens. Beaucoup le suivaient. Ils
voulaient entendre ce qu'ils disaient, mais ils ne devenaient pas
officiellement ses disciples.
Selon moi, voici la
chose la plus importante que l'Eglise catholique peut faire dans des
situations comme celle-ci : d'abord, respecter les valeurs
religieuses d'une religion comme l'islam ; essayer de les encourager
à être fidèles à leurs propres valeurs, et
témoigner de ces valeurs dans notre vie, dans notre foi. Les
valeurs d'amour, de compassion, de pardon, de compréhension et
de respect réciproque. Abandonner le reste à Dieu et à
l'Esprit Saint.
Cela
fait deux ans que vous êtes évêque. Cela signifie
que vous devez être vraiment un exemple. Comment
réussissez-vous à l'être ?
Je
ne pense pas agir différemment comme évêque que
comme prêtre ; sauf que maintenant, en tant que Pasteur
principal du diocèse, je dois essayer d'encourager et
d'inspirer les prêtres, les religieuses et les laïcs, à
œuvrer selon ces lignes directrices. Je pense que c'est le vrai
sens, disons une partie importante du sens de notre mission dans un
pays comme la Gambie : être fidèle à nos propres
croyances Jésus Christ et laisser parler ce témoignage.
Certains viennent effectivement demander le baptême, quelques
adultes, pas beaucoup, mais nous ne forçons pas la main.
La
Gambie est un tout petit pays encerclé par le Sénégal
qui compte une population catholique plus importante, environ 6%, un
peu plus. Quels rapports y a-t-il entre les catholiques de Gambie et
du Sénégal ?
Disons que ce sont des rapports normaux et informels entre
familles, tribus, car les populations des deux pays appartiennent aux
mêmes groupes ethniques [...] des deux côtés de la
frontière. La seule chose qui a divisé les deux
pays est que l'un a été colonisé par les
Français, l'autre par les Britanniques ; ce qui a
provoqué une certaine division, mais les familles sont
complètement intégrées des deux côtés
de la frontière, et il y a un trafic important dans les deux
sens.
Quelles
sont les relations entre l'Eglise catholique du Sénégal
et de la Gambie ?
Les
relations se sont améliorées énormément,
je dirais, au cours des 10 à 20 dernières années
; en effet, comme il y a davantage de jeune Gambiens qui deviennent
prêtres, les prêtres entretiennent entre eux des
relations beaucoup plus faciles que ne le faisaient les anciens
missionnaires, parce que la langue a été un obstacle à
ces époques-là. La plupart des anciens missionnaires de
part et d'autre de la frontière... ou étaient Français
et ne parlaient pas anglais ou étaient Irlandais et ne
parlaient pas français. Cela ne favorisait guère les
relations. Mais à présent que les prêtres
gambiens, dans l'ensemble, parlent les langues des Sénégalais,
et qu'il n'y a plus de problème de langue, il va de soi qu'ils
se mélangent plus facilement. Depuis que je suis évêque,
j'ai reçu de nombreuses invitations d'évêques
sénégalais pour célébrer mon ordination,
parce que je parle français... ou disons que je suis capable
de me débrouiller en français.
Souhaiteriez-vous
voir un jour un prêtre gambien accéder à votre
fonction ?
Bien
sûr. La question n'est pas de vouloir ou pas ; tout
simplement, il en sera ainsi. Aucun doute là-dessus. Il n'y a
quasiment personne derrière moi, pour le dire de cette façon.
Il y a seulement deux ans, j'aurais dit que l'on s'attendait à
la nomination d'un prêtre gambien, mais à l'évidence,
l'Esprit Saint s'en est mêlé et le pape en a décidé
autrement.
Que
peut offrir l'Eglise gambienne à l'Eglise catholique
universelle
?
Je préfèrerais poser la question un peu
différemment : pas seulement l'Eglise catholique universelle.
Je pense que la Gambie est un très, très petit pays,
mais elle a quelque chose de merveilleux à exporter. Je
n'arrive pas à trouver le mot juste.
De
quoi s'agit-il ?
C'est l'esprit de deux grandes religions, le christianisme et
l'islam, vivant côte à côte dans un esprit de
respect et de compréhension mutuels. Le monde dans lequel nous
vivons est si déchiré, si divisé et si
conflictuel, notamment entre chrétiens et musulmans, que la
Gambie a un témoignage à apporter ; elle est un exemple
vivant que cela est possible. Cela est dû en grande partie à
la nature du peuple gambien. Ce sont des gens qui aiment la paix. Ils
se définissent eux-mêmes « la côte
souriante de l'Afrique de l'Ouest », et il y a beaucoup de
vrai là-dedans.
Quels
sont les défis pour vous et l'Eglise catholique en Gambie ?
Le grand défi de l'heure actuelle est son histoire,
parce que nous nous acheminons presque complètement vers une
Eglise locale authentique ou particulière. Il y a des prêtres
et religieux gambiens en abondance. Les catéchistes ont
toujours été gambiens. Maintenant, l'Eglise en Gambie
doit affronter l'exigence d'une autonomie de plus en plus grande.
Cette autonomie, elle l'a déjà obtenue avec son
merveilleux et jeune personnel. Manque l'autonomie économique
et financière. En 1990, une vingtaine des prêtres du
diocèse étaient des étrangers, pour la plupart
des missionnaires irlandais, et il y avait cinq prêtres
gambiens, tous jeunes.
Aujourd'hui,
il y a une vingtaine de prêtres gambiens et quatre
missionnaires irlandais approchant de l'âge de la retraite. Un
retournement complet en 15 ans. Il était beaucoup plus facile
pour le missionnaire d'il y a 15 ans d'obtenir des fonds en Europe
tant au niveau personnel qu'officiel ; ce n'est plus le cas. Aussi,
si nous voulons maintenir nos structures, les engagements les plus
importants et la contribution à l'éducation dans le
pays - jardins d'enfants, écoles primaires et secondaires, et
instituts, nous avons le personnel et l'enthousiasme, mais le
problème devient le financement pour maintenir les structures
déjà existantes. Si un prêtre n'a pas les moyens
de se déplacer, il ne peut pas... utiliser sa voiture non
seulement pour son ministère de prêtre, mais aussi pour
son travail de développement et d'éducation. Et les
agences de la soi-disant Europe chrétienne sont très
réticentes à donner de l'argent qui servira, selon eux,
aux besoins d'évangélisation, et je pense que c'est
très triste. On ne peut pas parler d'évangélisation
sans faire également œuvre de développement et
d'éducation. Ce serait une interprétation très
étriquée de l'évangélisation. Ni parler
d'œuvre de développement au sens strict s'il ne s'agit
pas de développement intégral moyennant lequel on
cherche non seulement à répondre aux besoins du corps
ou aux besoins matériels de la communauté, mais à
ne pas oublier aussi des valeurs d'honnêteté, de
justice, de pardon, et de compréhension pour aider les gens à
vivre en paix. Une grande partie de l'œuvre de développement
en Afrique na pas progressé comme elle devrait, parce qu'il
n'y a pas la paix dans beaucoup de ces pays. Il n'y a pas de paix
tant que les valeurs religieuses ne sont pas respectées.
Propos
recueillis par Marie-Pauline Meyer, pour l'émission télévisée
« La où Dieu pleure », conduite par la
Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec
l'association Aide à l'Eglise en Détresse (AED).
Traduit de
l'anglais par Zenit