L’évêque
et l’imam, pour la paix et la laïcité en
Centrafrique
posté
par Jean-Christophe Ploquin le 30 janvier 2014
>« Il
faut que la République centrafricaine soit un pays laïque »
>Mgr
Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui
>Vendredi
24 janvier, >
devant l’Association de la presse diplomatique française

> Le
duo est à la fois touchant et bien rodé. Mgr Dieudonné
Nzapalainga et l’imam Oumar Kobine Layama ont une longue
pratique de dialogue devant les médias. Un engagement mis à
l’épreuve par les >terribles >
événements qui secouent leur pays d’origine, la
République centrafricaine : les exactions et les représailles
entre milices y ont fait plusieurs milliers de morts depuis six mois.
La situation fut même qualifiée de prégénocidaire
par les Nations-Unies, qui ont déclenché une opération
de maintien de la paix impliquant des forces africaines et
européennes – principalement françaises.
> Au
>sein >
d’une population qui se répartit en 45% de protestants –
surtout évangéliques -, 35% de catholiques, 15 % de
>musulmans >
et 5% d’animistes, les tensions sont fréquemment
présentées comme un nouvel exemple de guerre des
religions, puisque les
milices Séléka, qui recrutent surtout parmi les
populations musulmanes, s’opposent aux anti-Balaka,
essentiellement composés de populations chrétiennes.
C’est à la fois pour lutter contre cette perception et
pour empêcher qu’elle ne se concrétise que >les
trois >
principales figures religieuses du pays ont uni leurs forces. Mgr
Dieudonné Nzapalainga , archevêque de Bangui et
président de la conférence épiscopale
centrafricaine, l’imam Oumar Kobine Layama, président de
la communauté islamique de la République
centrafricaine, et le pasteur >
Nicolas Guerékoyame Gbangou, >
président de l’association des églises
évangéliques, ont notamment encouragé la
création d’une plateforme de dialogue entre leur clergé
et entre leurs fidèles.
> L’archevêque
et l’imam sont aussi venus porter ce discours en Europe. La
semaine dernière, ils se sont d’abord arrêtés
à Rome, puis à Paris, où ils ont rencontré
François Hollande. Ils sont ensuite allés à
Londres et Mgr Nzapalainga a achevé seul cette tournée
en se rendant à Berlin. À Rome comme à Paris,
ils ont rencontré des diplomates américains de haut
rang.
>Mgr
Dieudonné Nzapalainga et l’imam Oumar Kobine Layama ont
également expliqué leur vision du conflit lors d’un
déjeuner à la Maison des Arts et Métiers
organisé par l‘Association
de la presse diplomatique française (APDF). Le premier a
parlé le plus souvent tandis que le second apportait des
précisions, dans une réelle harmonie. Un témoignage
d’autant plus efficace que leur travail en commun a commencé
avant même que la guérilla Séléka ne
renverse le président François Bozizé, chassé
du pouvoir en mars 2013.
>« Nous
partageons le même destin »
> « On
a commencé ce travail le 15 décembre 2012 pour éviter
le pire », raconte Mgr Nzapalainga. « Nous
avons créé une plate-forme interconfessionnelle pour
apaiser les tensions et empêcher l’aggravation des
divisions et du chaos. Cinq jours après l’arrivée
des Séléka dans le nord, on recevait des récits
disant que des musulmans massacraient les chrétiens. Nous
avons dit « non », nous partageons le même
destin ».
>« Bozizé
ne nous a jamais reçu, Djotodia a attendu 5 mois »
> « La
plateforme a sauvé beaucoup de vies. Nous avons formé
les prêtres, les pasteurs, les imams pour créer des
mécanismes de dialogue et de réconciliation »,
précise-t-il. « Nous avons envoyé des
messages unifiés dans les maisons de culte. Nous avons
organisé des conférences, rédigé une
charte, écrit des lettres, voyagé à l’intérieur
du pays. Nous avons rédigé un compte-rendu à
Bozizé mais il ne nous a jamais reçus. Quant à
Michel Djotodia, arrivé au pouvoir en mars 2013, il a attendu
cinq mois avant de nous recevoir ».
>« Tous
des enfants de la République centrafricaine! »
> « Durant
ces longs mois, nous avons vu le prix de la division »,
insiste l’archevêque de Bangui. « Notre but
est de vivre ensemble, d’où notre aspiration à la
laïcité de l’État. Il faut que la République
centrafricaine soit un pays laïque, que nous soyons tous
citoyens, égaux devant la loi. Qu’on ne dise pas que la
Centrafrique est le pays des chrétiens ou le pays des
musulmans. Nous sommes tous des enfants de la République
centrafricaine! Il faut que la loi trouve sa place au-dessus de nous.
C’est à l’État de protéger tous ses
citoyens, chrétiens ou musulmans, pas à des groupes ou
à des milices ».
>« Des
mercenaires qui parlaient l’arabe »
> « Certes,
pour qu’on en arrive à la situation où est la
Centrafrique, il a fallu que la religion soit fortement
instrumentalisée », reconnait Mgr Nzapalainga.
« Moi je suis de Bangassou. L’imam est de Mobaye.
Nous sommes tous les deux allés à l’école
républicaine. Dans notre enfance, tous les enfants
s’échangeaient des cadeaux à Noël et à
Ramadan, on allait boire la bouillie et manger le mouton ensemble. La
crise que traverse le pays a notamment été créée
par des mercenaires venus du nord, du Soudan et du Tchad, qui ne
parlaient ni le français ni le sango mais l’arabe ».
>« Des
musulmans aussi ont été pillés par les Sélékas »
> « En
entrant dans les villages et dans les villes, ils s’appuyaient
sur les communautés musulmanes », poursuit-il.
« Ils allaient piller ailleurs puis ils revenaient chez
ceux qui les hébergeaient plus ou moins de gré ou de
force. Et ceux qui avaient été pillés se
disaient : ‘mon voisin, mon ami, est devenu mon ennemi’.
Mais des musulmans aussi ont été pillés par les
Sélékas. A Bambari, avant qu’ils n’arrivent,
l’imam a appelé à prier pour qu’ils ne
viennent pas. Il a subi ensuite des pressions. Les communautés
musulmanes ont été prisonnières de ces gens en
armes qui les réquisitionnaient. Face à des hommes en
armes, vous êtes démunis ».
>« Nous
avons vécu sous occupation »
> « Nous
avons vécu sous occupation », regrette l’archevêque
de Bangui. « En fait, on n’aurait pas dû les
laisser prendre le pouvoir puis les laisser piller. Mais l’an
dernier, quand je venais à l’Élysée ou au
Quai d’Orsay, les conseillers me disaient : ‘les Français
ne sont pas prêts à ce que la France s’en mêle’.
On pensait que les Sélékas allaient changer. Or
l’administration était prisonnière des chefs de
guerre. Les préfets, les ministres Sélékas
étaient comme des pots de fleurs face aux généraux ».
>« Le
général Nourredine Adam et le général
Moussa »
> « Il
y avait deux équipes », raconte le président
de la >conférence >
épiscopale. « Celle du général
Nourredine Adam, qui a tout un passé au Tchad et aux
Émirats arabes unis, qui a amené des Tchadiens, qui
était le ministre de la défense Séléka.
Et celle du général
Moussa, un Soudanais qui est venu avec des Djandjawid.
Ce sont des gens dont le métier est de faire la guerre pour se
faire de l’argent >.
>Après
l’intervention française, ces mercenaires sont remontés
vers le nord, où ils se regroupent. Il y en a un qui a lancé
un ballon d’essai en parlant de scission du Nord musulman. Mais
nous avons dit ‘non’. Les Centrafricains veulent vivre
tous ensemble sous un même toit ».
>« À
Bogangolo, il n’y avait plus aucun musulman »
> « Aujourd’hui
la méfiance perdure », constate-t-il. « À
Bangui, le pillage par les Sélékas a duré
longtemps. Pendant les trois premiers mois, les gens n’ont pas
réagi. Et puis à un moment, trop c’est trop, ils
pensent à l’autodéfense. Ils décident de
défendre leurs bœufs, leur village, de venger un proche.
Puis leur violence s’étend à toute la communauté
musulmane environnante : c’est l’amalgame. En septembre
2013, Bogangolo, à 180 km de Bangui, a été la
première ville prise par les anti Balakas. J’y étais
passé deux mois avant : on y trouvait des chrétiens et
des musulmans. En septembre, il n’y avait plus aucun musulman.
Leurs maisons avaient été brûlées ».
>« Je
me suis battu pour que les gens prennent conscience de ce qu’ils
avaient fait », raconte l’archevêque de
Bangui. « Je leur ai demandé s’ils
connaissaient des musulmans qui avaient fait le bien. Ils en ont
trouvé. Je leur ai demandé : ‘pourquoi ont-ils
fui? Vous faites comme les Sélékas. Vous mettez toute
une population dans le même sac’. Malheureusement,
lorsque j’ai donné l’alerte à Bangui, ils
ont envoyé des miliciens qui, à leur tour, ont brûlé
des maisons parce que les jeunes étaient déterminés
à protéger le village ».
>« La
corruption fait le nid de toutes les frustrations »
> « C’est
vrai qu’au temps de Bozizé, les musulmans du nord
étaient frustrés, tenus à l’écart
du pouvoir », souligne-t-il. « Le nœud du
problème, c’est la corruption. On fait des plans, des
organismes internationaux nous donnent des moyens. Mais la gestion,
c’est autre chose. Les bénéficiaires attendent.
On rédige des rapports bidon. Il n’y a pas de sanction.
On fait alors le nid de toutes les frustrations. Il ne faut pas se
voiler la face. Quand on privilégie le copinage, quand on ne
dit rien sur les détournements, on creuse son propre trou.
Beaucoup d’argent a été injecté au temps
de Bozizé. Mais il ne s’est rien passé. On a
coupé la confiance, le respect ».
>« Une
nouvelle présidente élue lors d’un vote
démocratique »
> « Aujourd’hui,
il y a une nouvelle présidente qui a été élue
lors d’un vote démocratique », se félicite
Mgr Nzapalainga. « Celui qui lui était opposé
au second tour a reconnu sa défaite avec fairplay et a appelé
à la soutenir dans son action. Huit candidats avaient été
initialement retenus à partir de conditions établies à
l’automne. Ce processus transparent était important.
Catherine
Samba-Panza a été maire de Bangui. Elle
n’appartient à aucun parti. Elle bénéficie
d’une reconnaissance sociale, d’une crédibilité.
Elle était en contact déjà avec les anti Balakas
pour qu’ils déposent les armes ».
>« Depuis
cinq mois, les salaires n’ont pas été versés »
> « Il
faut à présent que la communauté Centrafricaine
se dresse comme un seul homme », plaide l’archevêque.
« Il faut de nouvelles autorités qui privilégient
l’expertise, la technocratie. Depuis cinq mois, les salaires
n’ont pas été versés. Il faut que les gens
soient payés, qu’ils voient que le monde est derrière
eux, qu’ils se remettent au travail. Il faut créer une
armée républicaine, non pas clanique, ou régionale
ou tribale. L’État doit être au-dessus de tout ça.
L’État est pour tout le monde ».
>« Ne
pas devenir la poubelle des mercenaires de la région »
> « Il
faudra enclencher un processus de démobilisation, désarmement,
réinsertion des hommes en armes, mais aussi de rapatriement
des mercenaires chez eux : les Tchadiens, les Soudanais, les membres
de la LRA
«poursuit-il. « La République centrafricaine
est en train de devenir la poubelle des mercenaires de la région.
Pourvu qu’elle ne devienne pas le quartier général
des trafiquants, des narcos, des djihadistes, des bandits. Ce serait
une menace pour les six pays environnants ».
>« Freiner
l’ardeur des aventuriers »
> « Il
faut aussi que la justice passe, qu’elle soit locale ou
internationale », ajoute-t-il. « Ceux qui ont
commis des fautes, qu’ils en répondent. Sinon, si le
criminel garde sa belle maison, ce sera comme une prime à la
casse. Il faut contraindre les pillards à rendre ce qu’ils
ont pris, par exemple les véhicules. Il faut freiner l’ardeur
des aventuriers, stopper ce sentiment de toute puissance dans
laquelle certains se sont installés. En prison, ils grandiront
en humanité ».
>« Il
faut déployer plus de troupes sur le terrain »
> « Et
pour que la population soit pleinement sécurisée, pour
qu’on puisse libérer des populations qui sont encore
prisonnières des groupes qui les enserrent, il faut renforcer
l’action internationale, déployer plus de troupes sur le
terrain, notamment au nord », soutient Mgr Nzapalainga.
« La France a envoyé 1600 soldats, mais c’est
un chiffre qui avait été décidé avant que
les anti Balakas ne se manifestent pleinement. L’Europe a
décidé d’envoyer 500 soldats, c’est
important car la France n’est plus seule. Mais notre souhait
est que l’opération devienne onusienne, et ne reste pas
sous le couvert de l’Union africaine. C’est le sens de
notre plaidoyer pour les mois à venir ».
>« Les
Français doivent faire preuve de patience »
> « Les
soldats français font face à des provocations, aux
manipulations de ceux qui sont contre l‘opération
Sangaris. On sait par exemple que Djotodia était allé
à Bambari pour pousser la population à refuser Sangaris
et la Misca. Mais les prêtres, les pasteurs, les imams se sont
rencontrés et ils ont refusé de relayer son appel. La
situation va se calmer quand tous les responsables Sélékas
seront partis. Les Français doivent faire preuve de patience.
Il vaut mieux négocier que forcer un passage. Et il faut
protéger les plus faibles. Aujourd’hui, ce sont les
musulmans ».
>« Les
forces tchadiennes ne nous inspirent pas confiance »
> L’imam
Oumar Kobine Layama a souligné de son côté que
« les forces tchadiennes qui font partie de la Misca ne
nous inspirent pas confiance ». « Elles font
preuve de partialité. Il y a une sorte de fraternité
d’armes avec les rebelles Sélékas. Comme s’il
y avait des plans tchadiens en vue d’une partition de la
Centrafrique. C’est pourquoi il faut que le Nord soit pris en
charge de façon urgente par l’armée française.
Il faut sortir ces mercenaires qui ont pris le pays en otage ».
>« Au
nord, des zones diamantifères et pétrolières »
> « Il
y a un projet de partition du pays en cinq régions, c’est
une folie », assure le responsable musulman. « Il
y a au nord des zones diamantifères et pétrolières.
Cela attise des convoitises au Soudan et au Tchad. Nous, ce qui nous
importe, c’est le maintien de l’intégrité
du territoire. Cela passe notamment par une réforme de notre
armée pour qu’elle soit efficace et responsable ».
>« Le
départ des musulmans provoque des pénuries »
> « Moi
je suis Centrafricain, né en Centrafrique »,
précise l’imam. « Il y a bien sûr dans
le pays des gens nés à l’étranger, des
gens d’origine tchadienne, camerounaise, malienne, sénégalaise.
Beaucoup d’entre eux se sont enfuis à cause des
violences mais ils ne connaissent personne dans leur pays d’origine.
Et tous ces gens, cela représente environ la moitié du
commerce du pays. Leur départ provoque des pénuries. Il
faut donc freiner cette exode ».
>« Des
radicaux de la Séléka voulaient détruire notre
Communauté islamique »
> « Cette
situation nourrit les extrémismes », ajoute Oumar
Kobine Layama. « L’an passé, des radicaux de
la Séléka voulaient déjà détruire
notre organisation, la Communauté islamique centrafricaine.
Nourredine Adam, aussi. Aujourd’hui, il y a des extrémistes
qui m’appellent et me demandent pourquoi je n’ai pas
appelé au djihad pour protéger les musulmans. Mais pour
moi, le djihad, ce n’est pas la guerre, c’est un
effort sur soi dans la voie de Dieu. Pour moi, il n’y pas
d’autres voies que la tolérance ».
>Des
extrémistes n’attendent qu’un mot d’ordre
> « Certains
extrémistes, en Afghanistan ou en Somalie, n’attendent
qu’un mot d’ordre pour se précipiter en
Centrafrique », confirme Mgr Nzapalainga. « C’est
aussi pour empêcher cela qu’il faut protéger les
musulmans du pays ».