Parole de Vie..   
au Pakistan...


Un village marwari-bheel Pakistan

" Ceci n’est pas une pipe. " Cette légende orne la fameuse série des toiles de Magritte figurant... une pipe. Le propos du peintre est d’illustrer les rapports complexes qu’entretiennent l’image d’un objet, l’objet lui-même et les mots qui le désignent. Un peu de la même manière, être missionnaire au Pakistan permet d’éprouver la distance séparant la réalité de la parole de Dieu des mots ou gestes qui l’annoncent : ce que je fais ou dis n’est pas toute la Parole.

 
  Le frère Marc Tyrant, spiritain, est docteur en médecine. En 1996, il a rejoint au Pakistan les spiritains de Rahim-Yar-Khan, dans le sud du Punjab, à la frontière de l’Inde. Avec d’autres, il travaille auprès des chrétiens punjabis et les hindous marwari-bheels, deux communautés ethnico-religieuses marginalisées. Il anime avec des médecins

C inq fois par jour, la voix du muezzin nous rappelle que Dieu est le plus grand, pour ajouter que Mohammed est le Prophète. En République islamique du Pakistan, parler de

Missionnaire au Pakistan


l'Évangile en dehors de la communauté chrétienne est suspect et souvent dangereux. Si nombre de mes amis musulmans admirent les activités sociales des Églises, bien peu sont réellement disposés à débattre de ce qui les inspire. L'islam, ciment de la nation, se suffit à lui-même.

LÉvangile voilé

Vingt-cinq années de proximité avec les Marwari-Bheels, tribu hindoue marginalisée, nous ont valu chez eux un capital de sympathie indéniable. Travaillant avec eux à un meilleur développement de la personne humaine, partageant les moments heureux ou difficiles, nous sommes régulièrement invités à participer aux nuits de bhakti, pratique dévotionnelle vishnouïte. Les Marwari-Bheels sont curieux de connaître notre foi, parce que leur panthéon n'est pas un cercle fermé, mais ils savent se mettre sur la défensive lorsqu'ils pensent que des éléments essentiels de leur culture sont menacés.

La communauté chrétienne du Pakistan est fière de porter les couleurs de l'Évangile, dans des conditions pourtant rudes. On remarque cependant que dans les choix quotidiens des chrétiens punjabis, ce sont fréquemment des normes culturelles peu conformes à l'esprit évangélique qui emportent la décision. Ainsi, dans le choix d'un conjoint, on privilégie la famille proche (cousins maternels du premier degré) ; on tient compte également de la couleur de la peau, de l'activité professionnelle des parents, marques supposées de la caste d'origine.
Dans ce cadre contraignant, la parole de Dieu m'apparaît comme tenue en respect, bridée. Comme l'apôtre Paul, je crois juste d'exprimer sans détour ce qui m'anime - par des actes plus souvent que par des mots - mais je dois constater que " notre Évangile demeure voilé " (2 CO 4, 2-3).

Avoir le courage
d'être faible

Le travail missionnaire au Pakistan n'est pas une success story. Chaque jour me confronte à mon impuissance: un enfant hindou qui meurt de méningite parce que ses parents ruinés ont tardé à le conduire à l'hôpital, où ensuite il a été négligé par le personnel ; des paysans jetés en prison alors qu'ils venaient légitimement se plaindre de l'arbitraire des militaires. En réponse, nous intervenons dans l'urgence et élaborons des programmes pour donner des chances à l'avenir - des écoles pour le savoir, un dispositif de micro-crédit pour la croissance, des groupes de réflexion autour de la transformation des pratiques - mais, face à l'ampleur du mal, nos initiatives se révèlent fragiles, médiocres, inadaptées. En outre, étrangers ayant choisi de partager la vie de groupes marginalisés, nous avons le sentiment d'être contenus à la périphérie de l'Église pakistanaise.

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Missionnaire au Pakistan


Les crises répétées de ces deux dernières années ont ajouté une dimension à la fragilité de notre présence. Le Pakistan, noeud du terrorisme islamiste, a subi de plein fouet les conséquences du 11 septembre 2001. La communauté chrétienne a payé un odieux tribut à la violence: en octobre 2001, un groupe terroriste a massacré 18 personnes rassemblées dans l'église de Bahawalpur (sud-Punjab). D'autres attaques ont visé des églises ou des temples au cours de l'année 2002. Vivre avec les minorités du pays s'est révélé dangereux. Dans la logique des jours ordinaires, nous sommes restés. Quand le temps se couvre, comment quitter ceux que l'on prétend servir? Il nous a alors fallu apprendre à vivre dans l'incertitude - que se passera-t-il demain ? - et voir nos entreprises déstabilisées.
Ainsi, le Pakistan enseigne au missionnaire le courage d'être faible. C'est précisément cet affaiblissement qui, dans le cas présent, s'est manifesté un terreau fécond. Alors que les habituels critères du succès (la performance de nos programmes) n'étaient plus pertinents, j'ai constaté que notre simple présence, débarrassée des scories de la réussite, était vue par beaucoup comme un signe: début d'une interrogation chez des amis musulmans

(" Au nom de quoi faites-vous cela? ") ; dévoilement du choix préférentiel de Dieu pour les petits, chez ceux avec qui nous travaillons. Malgré la tourmente extérieure, j'ai trouvé la sérénité: puisque demain je ne serai peutêtre plus là (par l'expulsion ou la mort), pourquoi laisser l'inquiétude de l'avenir ou la poursuite des résultats envahir le moment présent, consacré à la rencontre? De fait, la patience et les signes parlants sont, selon Paul, les marques de l'expérience apostolique (2 CO 12, 12).
La logique des jours or a, dans ces circonstances, exprimé la logique de l'Évangile , qui est la Croix. Notre présence auprès des laissés-pour-compte de la société pakistanaise veut témoigner de la solidarité à leur égard mais notre fragilité est nécessaire pour que s la puissance qui nous inspire : le Christ (2 CO 4, 7-10; 2 C 12, 9-10). Libéré de l'obligation de résultats tangibles (puisqu’il sait qu'il peut disparaître d’un moment à l'autre), le missionnaire peut laisser s'établir le contact entre le Christ et ses amis. Ce sont eux, et non le travail fait auprès d'eux, qui témoignent de sa fécondité (2 CO 3,1-3).

Le moment favorable

" À quoi nous servent les missionnaires, s'ils restent en périphérie? "

C'est une objection que nous entendons souvent de la part de chrétiens locaux. Centenaire, l'Église catholique du Pakistan s'est installée. Fuyant leurs origines sociales, les élites ont épousé les schémas culturels dominants, en premier lieu les formes féodales du pouvoir. Leur visibilité s'appuie sur des institutions de prestige, notamment dans le domaine éducatif, qui profitent essentiellement aux classes dirigeantes du pays. La communauté chrétienne souffre d'un défaut d'ouverture : peuple élu, les Punjabis acceptent mal que l'Évangile puisse s'exprimer dans une autre culture. En conséquence, notre engagement auprès des Marwari-Bheels suscite la réprobation de la communauté locale et le désintérêt poli de la hiérarchie.
Précisément, c'est en nous tenant aux marges que nous croyons servir l'Église. Rendant compte de notre expérience, nous invitons celle-ci à constater comment la vulnérabilité et l’impuissance libèrent l’espace pour que la parole de Dieu développe son énergie. Aux chrétiens nous disons que le regard méprisant qu’ils jettent sur d’autres groupes exclus n’est que le reflet de leur propre marginalisation.. Ensemble, nous sommes appelés à exploiter le " moment favorable ", à rompre ce qui nous entrave et à nous réconcilier avec le Dieu qui s’offre à nous (2 Co 5,20 – 6,2).

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Interrogé sur ses peintures, Magritte remarquait simplement :  " Si j’avais écrit sur mon tableau : " ceci est une pipe ", j’aurais menti. " De même le missionnaire ne peut pas dire de ses mots ou de ses gestes :  " Ceci est la parole de Dieu. " Vienne l’expérience du dépouillement, il pourra alors, par sa présence, faire place à la Parole toute proche pour que celle-ci instaure elle-même son dialogue (Dt 30,14).

 
Le frère Marc Tyrant au
dispensaire de la mission
(Pakistan).


La prière dans un
village
marwari-bheel(Pakistan)
ci-dessus

Cet article paru dans la revue Biblia nø23, est reproduit avec l'aimable autorisation de l'Editeur (Ed. du Cerf)
Les photos sont de la revue Pentecôte sur le Monde (Spiritains)

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