Parole de Vie..   
Commentaires du Père Claude Tassin

18 e dimanche ordinaire C (31 juillet 2022)



Ecclésiaste 1, 2 ; 2, 21-32 (Vanité des richesses)


L’Ecclésiaste, en hébreu Qohéle t, « maître de l’assemblée », se présente, dans le titre, « comme fils de David, roi à Jérusalem » En fait, cet écrit ne vient pas de Salomon, mais date du 3 e siècle avant notre ère. L’ouvrage, curieusement intégré dans le canon des Saintes Écritures, affiche une sagesse désabusée. « Vanité des vanités » (= du vent, que du vent »)… L’expression reste célèbre dans notre culture. Le mot hébreu ( havel ) peut se rendre par « souffle, haleine, fumée ». Ce que la Bible grecque a rendu par le mot * vanité . Il valait la peine qu’avec un grand réalisme, la Révélation biblique intègre le pessimisme qui est le lot de trop d’être humains
L’exemple retenu dans ce livre par la liturgie d’aujourd’hui est celui de l’homme qui a réussi dans ses affaires ; mais il semble ignorer que sa mort laissera à un autre, qui n’a rien fait pour cela, le fruit des entreprises qui, à lui, avaient coûté un dur labeur et beaucoup de sagacité. Le passage ne suppose aucune malhonnêteté dans le cas évoqué, mais simplement l’oubli de ceci, que résume si bien ce proverbe yiddish et son humour macabre : « Un linceul n’a pas de poches. » Le psaume qui suit notre lecture le dit en d’autres termes : « Tu fais retourner l’homme à la poussière… » Ce texte, évidemment, veut éclairer la page évangélique évoquant le riche qui veut construire de grands greniers, en oubliant que la vie terrestre peut être courte.


* Vanité . « Si la sagesse et l’intelligence peuvent aider, peut-être, à éviter les ennuis, leur apparente valeur est réduite à néant par la mort, dont l’ombre plane sur tout le livre [de l’Ecclésiaste] ; elle détruit l’homme autant que les animaux, le sage autant que l’insensé, le juste autant que le pécheur. Les principes traditionnels de l’éthique sont dès lors incapables de demeurer les critères de l’action : puisque l’homme ne survit pas à la mort, le système de rétribution qui garantit la validité de ces principes est inconcevable » (S. Beaubœuf ).





Colossiens 3, 1-5.9-11 (Avec le Christ, de l’homme ancien à l’homme nouveau)


En ce dimanche s’achève notre lecture de la lettre aux Colossiens, dont la fin n’est pas honorée, notamment pour ce qui concerne les relations familiales (Colossiens 3, 18 – 4, 1). Les passages retenus aujourd’hui se centrent sur l’expérience baptismale. Elle fait du chrétien un * être nouveau qui retrouve en lui, dans une progression quotidienne, l’image de Dieu (cf. Genèse 1, 27). Ce passage du vieil homme à une création nouvelle s’exprimait chez Paul (cf. Romains 6, 6 ; Galates 6, 15). L’idée reviendra en Éphésiens (2, 15 ; 4, 24), une sorte d’encyclique qui relit l’épître aux Colossiens. Ce statut du chrétien exige l’abandon des vices, de « ce qui appartient au monde ancien » et caractérise « l’homme ancien ». Ce statut abolit aussi les barrières ethniques (le Grec et le Juif …) et sociales ( l’esclave et l’homme libre ). Tous, nous sommes unis par le Christ qui habite en nous.
Par rapport aux écrits de Paul antérieurs, notre épître présente un double déplacement.
1) Notre résurrection n’est plus envisagée comme une réalité à venir, mais comme déjà présente dans notre vie quotidienne.
2) En conséquence, l’histoire des croyants ne joue plus sur une distinction entre le présent et le futur, mais entre ce qui est encore « caché » et se révèle dans notre résurrection. En d’autres termes, c’est l’opposition entre la terre à laquelle nous appartenons encore et les cieux encore cachés, mais où nous habitons déjà en la personne du Christ : « en tous, il est tout. »


* Être nouveau . « Ainsi que le dit l’apôtre : Ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel [2 Corinthiens 4, 18]. Nous sommes nés pour la vie présente, mais nous sommes re-nés pour la vie future ; ne nous vouons donc pas aux biens provisoires, mais appliquons-nous aux éternels ; et, afin de pouvoir contempler de plus près l’objet de notre espérance, considérons, dans la nativité même du Seigneur, ce que la grâce divine y a conféré à notre nature » ( saint Léon le Grand ).




Luc 12, 13-21 (Parabole de l’homme qui amasse pour lui-même)


Trois vagues inégales déferlent dans ce texte. La première est un dialogue de Jésus avec un homme bien intentionné, dialogue suivi d’un avertissement adressé à tous. Vient alors, comme illustration, la parabole dite du « riche insensé ». Enfin, une conclusion tenant en un verset déplace encore le débat et résume le message social de Jésus selon saint Luc. Il n’est pas sûr qu’à l’origine, en dépit du « montage » de Luc, le dialogue et la parabole venaient d’un seul tenant, dans la bouche de Jésus. Il y a, en effet, quelques distorsions que nous ne pouvons pas expliciter ici.

Le dialogue
Un homme, confiant, vient demander à Jésus de régler un conflit familial en matière d’héritage. Ce genre de conflit était prévu par la Loi (cf. Deutéronome 21, 15-18) et, au 1 er siècle de notre ère, on consultait volontiers les scribes sur ces problèmes. L’homme du récit attribue ce rôle à Jésus, puisqu’il l’appelle « Maître » (ou, selon le mot grec, enseignant juriste). Or, celui-ci refuse de se situer sur ce terrain. Pour lui, la famille naturelle, si respectable soit-elle à ses yeux, n’est pas la sienne : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et la mettent en pratique » (Luc 8, 21).
De ce dialogue et selon son habitude, Luc fait passer Jesus à une leçon concernant les lecteurs que nous sommes (« il leur dit »). Le Maître dénonce *«  l’apreté au gain  ». Le mot grec ( pléonéxia ) signifie à la fois la cupidité et un désir de domination. Jésus suppose donc que c’est ce vice qui a poussé la demande de l’homme revendiquant son héritage. Il ajoute que la vraie vie ne dépend pas des biens que l’on possède (égoïstement ?). La conclusion reviendra sur ce motif, à travers une sentence énigmatique.

La parabole : un déplacement de la leçon
Cette parabole a sans doute une origine indépendante des leçons qui précèdent, puisque, en fait, le riche ne manifeste aucune cupidité vis-à-vis d’autrui. Simplement, en voulant construire de plus grands greniers, en raison d’une récolte abondante et inattendue, il conçoit un projet fort avisé qui lui permettra de jouir des plaisirs de l’existence, ce que recommande l’Ecclésiaste (Qohélet 2, 24 ; 3, 13 ; 8, 15). Mais, dans la perspective de Luc, ce riche tombe sous le coup de la situation dénoncée par la parabole du semeur : « Ce qui est tombé dans les ronces, ce sont ceux qui ont entendu, mais qui sont étouffés, chemin faisant, par les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie » (Luc 8, 14).
Surtout – et là se retrouve la leçon de la première lecture –, il n’a pas tenu compte de la fragilité de la vie terrestre, une vie qui dépend de Dieu seul, lui qui intervient en songe nocturne à ce riche pour lui dire que son temps est venu. Et ce que l’heureux propriétaire se promettait de mettre à l’abri, « qui l’aura ? », une question qui rejoint si bien le pessimisme de l’Ecclésiaste (1 ère lecture).
La fragilité de la vie est un thème cher à Luc. Non, dit-il, la fin du monde n’est pas pour demain. Mais chacun doit savoir que sa propre existence est un temps accordé pour la conversion. Telle est la leçon des accidents présentés en Luc 13, 1-9, avec la parabole du figuier.


La conclusion : un autre déplacement


Qu’est-ce qu’être riche en vue de Dieu  ? Voici un nouveau déplacement à partir des deux leçons que Luc vient de juxtaposer. Et ce verset reflète la théologie de notre évangéliste, qui a une vision positive de l’argent. Nous la résumons en évoquant deux passages. Être riche en vue de Dieu, c’est partager son argent et ses biens avec les nécessiteux. D’abord, au chapitre 16, tout entier consacré à l’usage de l’argent : « Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin qu’au jour où il viendra à manquer, ceux-ci vous accueillent dans les tentes éternelles » (Luc 16, 9). Ajoutons la déclaration de Jésus, dans sa rencontre avec le notable fortuné : « Tout ce que tu as, vends-le et distribue-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi » (Luc 18, 22).


* L’apreté au gain . « Les riches sont des pauvres. Il est bon que le riche découvre sa pauvreté. Se croit-il rempli ? C’est enflure, non plénitude. Qu’il reconnaisse son vide afin de pouvoir être comblé. Que possède-t-il ? De l’or. Que lui manque-t-il encore ? La vie éternelle. Qu’il regarde bien ce qu’il a, et reconnaisse ce qui lui manque. Frères, qu’il donne de ce qu’il possède, afin de recevoir ce qu’il n’a pas » ( St Augustin ).




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