1er dimanche de l’Avent A (27
novembre 2022)
Isaïe 2, 1-5 (rassemblement
des peuples et paix pour toujours)
Lisons
cette prophétie pour ce qu’elle est : un poème.
Le pèlerin s'approche de Jérusalem. Devant ses yeux, la
colline du Temple grossit de plus en plus sur l’horizon. Son
imagination s’enflamme : Et si, à la fin des temps, le
Seigneur élevait vraiment sa montagne sainte à la
taille d'un Himalaya ? Alors, fascinés, tous les peuples,
si l’on traduit littéralement, « couleraient »
vers elle, comme un fleuve remontant à sa source. Ils
voudraient se soumettre au seul Dieu de Jacob, suivre ses
« chemins », n’avoir plus pour régime
de gouvernement que sa Loi et sa parole. Alors Dieu deviendrait
l’unique arbitre des nations enfin unies. Ce serait un monde à
l’envers du présent, celui de la paix : épées
et lances, dressées de manière hostile, se courberaient
vers le sol, transformées en socs et faucilles pour travailler
à une prospérité terrienne universelle, et on
oublierait à jamais le métier de la guerre.
Il
est regrettable que la traduction liturgique trahisse la beauté
stylistique du verset central. En effet, le poème est
construit sur des parallélismes réguliers. Par
exemple : Toutes les nations afflueront vers elle (A),
des peuples nombreux se mettront en marche (B). Au contraire,
le verset central présente un parallélisme « croisé » :
Car de Sion (A) sortira la Loi (B) et la parole du
Seigneur (B’), de Jérusalem (A’).
D’autres prophètes
ont écrit ce genre de poème appelé « chant
du pèlerinage final des peuples » (cf. Zacharie 8,
20-23 ; Tobie 13). Leur rêve éclaire notre entrée
en Avent, rêve d’une paix que le Christ est venu rendre
possible par son Évangile, un rêve qu'il accomplira pour
tous ceux qui souffrent de la violence. Tel est aussi le rêve
du Psaume 121 qui suit cette lecture.
Mais l’ouverture
universelle du Peuple de Dieu n’est pas chose facile,
aujourd’hui encore. Un disciple du prophète a ajouté
un verset : Venez, famille de Jacob, marchons à la
lumière du Seigneur. Par là, l’ouverture
généreuse du poème à toutes les nations
se réduit à l’espérance du rassemblement
des Juifs (la famille de Jacob) dispersés par le monde.
Romains 13, 11-14a (« Le
jour est tout proche »)
Paul
évoque, vulgairement parlant, comme une « panne
d'oreiller ». L’homme a bien réglé son
réveille-matin pour une entrevue décisive, au point du
jour. Car il y va de son avenir, de « son salut ».
Hélas, il a passé sa nuit en « ripailles et
beuveries » ! Jamais il ne sera prêt, dûment
vêtu, pour son rendez-vous. Mais Paul va plus profond :
1)
Baptisés, nous voulons sortir d'activités ténébreuses
inavouables, pour accéder au salut. Il y a urgence : quel
que soit notre âge, jamais nous n’avons été
aussi proches de l’échéance de notre salut
qu’aujourd’hui, qu’il s’agisse de notre décès
ou des échéances sociales et politiques.
2)
La nuit du péché et le jour du salut s’affrontent
en nous. Nous devons nous équiper de l’armure
appropriée. En un mot, « *revêtez le
Seigneur Jésus Christ », équipez-vous de
sa puissance, à savoir, selon 1 Thessaloniciens 5, 8, la foi,
l’amour et l’espérance.
3)
Pour Paul, le pire des vices n’est pas l’orgie, mais la
« dispute » et la « jalousie ».
Avant notre texte, l’Apôtre rappelait que l’amour
mutuel accomplissait toute la Loi divine (Romains 13, 9). Ensuite, il
invitera ceux qui se croient forts à soutenir les faibles
(Romains 14), à l’exemple de Jésus.
Telles
sont les grandes manœuvres qu’en ce temps d’Avent,
l’Apôtre nous propose pour passer de la nuit au jour
nouveau.
* « revêtez le Seigneur Jésus
Christ ». L’habit ne fait pas le moine,
disons-nous. Pour l'Antiquité méditerranéenne,
au contraire, porter tel costume, c’était révéler
son identité profonde, car la liberté vestimentaire
était fort limitée. L’expression « revêtir
le Christ » (Galates 3, 27) signifiait que tout baptisé,
quel que soit son statut social, acquérait une dignité
incomparable. Ici, Paul fait un pas de plus : revêtir le
Seigneur, par une conduite honnête et fraternelle, c’est
participer à sa victoire sur les forces ténébreuses
du mal (comparer Éphésiens 6,11-17).
Matthieu 24, 37-44 (« Vous ne connaissez pas le
jour où votre Seigneur viendra »)
Quand
Matthieu rédige son évangile, les Romains ont détruit
le Temple de Jérusalem depuis quelque quinze ans. Et les
chrétiens d’alors s’interrogent : cette
catastrophe signifiait-elle le jugement définitif de Dieu ?
Dans ce cas, nous pouvons maintenant vivre en toute tranquillité.
Ou bien le Seigneur, Fils de l'homme, viendra-t-il vraiment juger
aussi les chrétiens, tout l’univers, et quand ? D’où,
à partir de ces questions, le long discours sur la Fin arrangé
par Matthieu (chap. 24 – 25). Jésus y répond par
avance à ces questions. Il s’appuie ici sur deux
paraboles, celle du déluge et celle du voleur.
La parabole du déluge
La
parabole du déluge (cf. Genèse 6 – 8) ne dénonce
pas particulièrement l’inconduite de ceux qui périrent ;
elle souligne plutôt leur imprévoyance : la vie allait
son train, on mangeait, on se mariait ; bref, on vivait. Mais on
ne s’est pas converti, on a voulu ignorer que Dieu pouvait
intervenir en juge, d’une manière ou d’une autre,
dans la routine du quotidien.
*La
venue du Fils de l’homme, du Christ glorieux, aura la même
brutalité. Elle tranchera dans les relations quotidiennes,
parmi les hommes partis travailler aux champs et les femmes vaquant
de concert aux tâches ménagères quotidiennes.
Alors, l’un sera « pris », sauvé,
comme dans l’arche de Noé ; l’autre sera
« laissé » aux affres du déluge.
Comment se fera ce tri ? D'autres paraboles le diront (en Matthieu
24, 45 à 25, 30). Pour l’instant, une première
conclusion s’impose : il faut veiller en raison du
caractère surprenant de l'événement.
La parabole du voleur
nocturne
La
parabole répète la même leçon. Dans les
masures de l'antique Palestine, « percer »
silencieusement la paroi fragile des murs allait plus vite que de
s’attaquer à la porte ou à la serrure. Un
cambriolage est par nature imprévisible. Pour y parer, il
faudrait ne jamais dormir. Les premiers chrétiens comparèrent
d’abord au voleur « le jour du Seigneur »
qui vient… de nuit (1 Thessaloniciens 5, 2). Puis ils virent
dans ce Voleur le Fils de l’homme lui-même, le Christ
(Apocalypse 3, 3). Il faut donc se trouver prêt en tout temps
pour l’accueillir en serviteurs fidèles (cf. Matthieu
24, 45-51).
Veiller
Les
épidémies et les cataclysmes apparaissent comme des
« signes » de notre fragilité et nous
interpellent comme tels. À la disparition de chaque génération
humaine, c’est un monde qui finit, avec ses réussites et
ses échecs que le Fils de l’homme jugera. Car, baptisé,
je me prépare à la rencontre avec le Seigneur. Parce
que je l’aime, je me suis engagé à faire sa
volonté, à la lumière de son Évangile. Je
lui donne le droit de juger ma vie. J’aurais grande honte à
oublier que mon ami le plus proche peut venir quand il veut et qu’il
doit trouver ma maison toujours prête à l’accueillir.
De même, je mets ma fierté de croyant à recevoir
à tout moment le Fils de l’homme. Telle est la leçon
qui éclaire la mise en route de notre Avent. Cette période
liturgique vaut comme une période d’entraînement
intensif à la vigilance quotidienne.
* La venue du Fils de l’homme. « L’Église
dans les premiers temps, avant l’enfantement de la Vierge, a
compté des saints qui désiraient la venue du Christ
dans la chair. Dans les temps où nous sommes depuis
l’Ascension, la même Église compte d’autres
saints, qui désirent la manifestation du Christ pour juger les
vivants et les morts. Jamais, depuis le début jusqu’à
la fin des temps, cette attente de l’Église n’a
connu le moindre arrêt, si ce n’est durant la période
où le Seigneur a vécu en compagnie de ses disciples. Et
ainsi, c’est le Corps du Christ tout entier, gémissant
en cette vie, qu’il convient d’entendre chanter dans le
psaume : Mon âme languit après ton salut,
j’espère en ta parole. Sa parole, c’est la
promesse, et l’espérance permet d’attendre dans la
patience ce que les croyants ne voient pas » (Saint
Augustin, Commentaire du Psaume 118).