20 e
dimanche ordinaire C (14
août 2022)
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Jérémie
38, 4-6.8-10 (Le
prophète signe de contradiction)
Résumons
les épisodes précédents. En 589 avant notre ère,
Nabuchodonosor, roi de Babylone, assiège Jérusalem. Il
vient punir Sédécias, un roi mou et versatile qu’il
a imposé à la Judée, comme son vassal, mais qui,
mal conseillé, s’est révolté contre lui.
Puis vient une trêve dont *
le
prophète Jérémie
veut profiter pour aller régler des affaires familiales à
Anatot. Mais on l’arrête aux portes de la ville ; on
pense qu’il trahit et va rejoindre les Babyloniens.
Depuis
lors, il est prisonnier des notables de Jérusalem, d’abord
au fond d’une citerne, puis dans la cour de la garde royale. Or
voici qu’à ses visiteurs, il répète son
sempiternel motif : inutile de résister contre
l’envahisseur ! Mieux vaut la reddition. Car Jérusalem
ne fait pas le poids contre Babylone, selon la lucidité
politique du prophète, et Dieu, selon la conviction
théologique du même prophète, a décidé
la ruine des siens pour recréer ensuite un peuple tout neuf.
D’où,
ici, un nouveau séjour dans une citerne : pour la
noblesse, Jérémie est un défaitiste qui « rend
flasques les mains » du peuple. Et le roi Sédécias
laisse faire. Mais le prophète a aussi pour soutiens certains
chefs plus lucides, tel ce Évéd-Mélék,
dont le nom signifie « Serviteur du Roi » et
qui intervient en sa faveur. Le roi mou se laisse de nouveau fléchir.
Jérémie est libéré, mais ce n’est
pas la fin de ses tragiques revers. Comme plus tard Jésus
(évangile), le vrai prophète est toujours un homme
suscitant la division.
* Le
prophète Jérémie.
Jérémie est un être fin, sensible et tendre. Mais
Dieu a fait de lui son prophète. Il l’a doté
d’une tragique lucidité sur l’avenir politique de
son peuple. Il l’a obligé à parler à
contre-courant d’autres prophètes contemporains qui
disaient à Israël : « Tout ira bien ! »
Or, personne n’aime les prophètes de malheur. Et Jérémie
de déclarer « À longueur de journée,
tout le monde se moque de moi. Chaque fois que j’ai à
dire la Parole, je dois crier, je dois proclamer : Violence et
pillage ! » Nul n’a su exprimer comme Jérémie
la tension cruelle entre son tempérament personnel (un doux !)
et ce que Dieu exige de son messager : « Je me
disais : Je ne penserai plus au Seigneur, je ne parlerai plus en
son nom. Mais il y avait en moi comme un feu dévorant (...) Je
m’épuisais à le maîtriser, sans y réussir »
(cf. Jérémie 20, 7-9). Avec l’évangile de
ce jour, on comprend ce que Jésus, en tant qu’homme, a
pu vivre vis-à-vis de son Père quelque chose de la
tension éprouvée par Jérémie face à
son Dieu (si mes lectrices et lecteurs ne sont pas des
« crypto-monophysites », bof ! voir les
dictionnaires). Cette tension est la loi animant tout vrai prophète,
y compris Jésus, homme et Fils de Dieu..
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Hébreux
12, 1-4 (Le
combat dans la foi à l’exemple de Jésus)
Dimanche
dernier, la Lettre aux Hébreux louait la foi d’Abraham.
Laissant de côté d’autres exemples de héros
bibliques (lire Hébreux 11, 20-40), notre célébration
rejoint la conclusion du prédicateur ; on en lira la
suite dimanche prochain. Au vu de « la foule immense des
témoins » anciens de la foi, nous devons cultiver
l’endurance. Le coureur de fond se débarrasse de tout
bagage encombrant. De même, pour « l’épreuve
qui nous est proposée », délestons-nous
d’abord du péché, des mauvaises habitudes d’un
égoïsme craintif.
« Fixons
les yeux » surtout sur l’exemple de Jésus :
il est « à l'origine » de notre foi,
puisque nous le suivons ; et, « au terme »,
nous avons l’espérance de le rejoindre. Or, « renonçant
à la joie » qui lui revenait de droit, c’est-à-dire
le plein succès de sa mission, Jésus endura l’épreuve
de la croix. Comprenons-le bien, cette épreuve ne lui vint pas
de ses déficiences, mais d’un ennemi sur lequel il
n’avait pas prise : « l’hostilité
des pécheurs ». Nous, au contraire, nous n’avons
pas, sauf, hélas, çà et là dans le monde,
à « résister jusqu’au sang »
pour défendre notre foi, mais à lutter seulement contre
notre propre péché, ce péché qui nous met
au rang des ennemis de Jésus. Alors, pourquoi serions-nous
« accablés par le découragement »
?
Luc
12, 49-53 (Jésus,
cause de division entre les hommes)
Sur
sa route vers Jérusalem, Jésus vient d’exhorter
ses futurs témoins à une vigilance responsable. À
présent, il insiste, à partir sa propre destinée,
sur l’inconfort que connaîtra l’Église,
puisque celle-ci naîtra de la tragédie du Christ.
Retenons deux aspects.
Le
feu
Luc
est le seul des évangélistes à rapporter le vœu
impatient de Jésus : vienne le feu qu’il a hâte
d’allumer sur la terre ! Vienne le baptême de sa
mort (comparer Marc 10, 38), préalable nécessaire d’un
tel incendie ! Apportons deux précisions.
1)
Ces exclamations de Jésus s’inspirent de la prophétie
de Jean Baptiste : celui qui vient, dit-il, « vous
baptisera dans l’Esprit Saint et le feu » (Luc 3,
17). Dans la ligne des anciens prophètes, le Baptiste
annonçait par là le souffle violent et le feu
purificateur, instruments du jugement final de Dieu. Mais pour Luc,
auteur du récit de la Pentecôte, le feu est l’Esprit
Saint lui-même (cf. Actes 2, 2-4), et la mission de Jésus
a pour objet ultime ce don de l’Esprit.
2)
Jésus se situe dans la ligne des prophètes. Beaucoup
d’entre eux connurent la persécution, et lui-même
subira la Passion. Jérémie ne pouvait contenir le feu
de la parole de Dieu qui l’habitait (cf. Jérémie
20, 9). Jésus veut embraser le monde par ce feu. Élie
avait fait descendre du ciel le feu du châtiment (cf. 2 Rois 1,
10-12). Jésus ne veut répandre d’autre feu que
celui de l’Esprit Saint.
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Quelle
paix ?
Non,
Jésus n’est pas venu « mettre la paix sur la
terre, mais le glaive » disait la tradition (cf. Matthieu
10, 34). Luc explique ce « glaive » par le mot
*
division .
Rappelons ce que l’évangéliste Luc faisait dire
par Syméon à Marie : Ton fils « provoquera
la chute et le relèvement de beaucoup de gens en Israël.
Il sera un signe de division ». Et, voyant en Marie la
figure de l’Israël devenu chrétien, le vieillard
ajoutait : « Toi-même, ton cœur sera
transpercé par un glaive » (Luc 2, 34-35). Jésus
ne veut pas cette division : il la constate. La foi peut
déchirer entre eux les membres d’une même famille.
Elucidons deux sous-entendus :
1)
Isaïe 9, 5 annonçait le Messie à venir comme le
« prince de la paix ». Mais, pour Jésus,
cette paix n’est ni imposée par la force ni offerte
comme un consensus mou autour d’attitudes simplistes. Elle est
le fruit de notre décision de suivre ses appels.
2)
Selon le judaïsme ancien, Élie, quand il reviendrait,
réconcilierait les familles divisées (cf. Malachie 3,
23-24). Mais Jésus, le nouvel Élie selon saint Luc,
relance plutôt la division, puisque sa parole en appelle à
l’engagement personnel de chacun envers lui.
Qu’elle
passe par Jérémie (1
ère
lecture) ou par Jésus, la parole de Dieu nous divise parce que
Dieu nous laisse choisir pour ou contre lui, dans nos choix
idéologiques et éthiques. Et n’imaginons pas que
notre foi (2
e
lecture) nous met à l’abri de la contestation de ceux
qui n’ont pas fait les mêmes choix que nous. Ce n’est
pas un appel à la guerre, maisl’invitation à
endurer certaines hostilités.
* Division
– Décision .
Certaines formes de division sont intolérables. Mais certaines
paix aussi, s’il s’agit d’un silence complice
évitant des décisions douloureuses qui s’imposent.
Le verbe latin qui a donné notre mot « décision »
signifie trancher, diviser. Jésus n’apporte pas la paix
en ce sens que sa parole, si nous l’entendons vraiment, nous
oblige à nous décider, à trancher pour ou contre
ce qu’elle exige de nous. Les évangélistes ont
connu des familles déchirées par la foi : tel fils
était dénoncé à l’autorité
civile par ses parents païens parce qu’il conformait sa
conduite au message chrétien. Mais Luc est surtout sensible à
la décision qui résulte de la parole et des gestes de
Jésus et divise l’auditoire en deux groupes opposés
(voir Luc 13, 17 ; 19, 47-48). Au terme de son œuvre, il
constate le même effet « décisif »
de l’Évangile annoncé par Paul : « Les
uns se laissaient convaincre par ce qu’il disait, les autres
refusaient de croire (...) Ils n’arrivaient pas à se
mettre d’accord" (Actes 28, 24-25).