21 e
dimanche ordinaire C (21
août 2022)
Isaïe
66, 18-21 (Dieu
vient rassembler toutes les nations)
Cet
appendice tardif du livre d’Isaïe a pour thème ce
qu’on appelle, dans le judaïsme ancien, *
le
pèlerinage final des peuples .
Notre passage se divise comme une pièce en trois actes,
assortie d’un épilogue.
Acte
1 . Dieu convoque tous
les peuples à Jérusalem. Là, ils découvrent
la présence rayonnante du Seigneur. Celui-ci met même
« en eux un signe » mystérieux prouvant
qu’ils ont découvert cette gloire. Le poème est
écrit en un temps où, après l’Exil, les
nations pensaient que la gloire d’Israël et de son Dieu
n’était plus rien.
Acte
2 . Dans la cruauté
des temps anciens, ou pas forcément anciens, les chefs de
guerre victorieux laissaient réchapper quelques ennemis pour
aller répandre chez eux la nouvelle de leur défaite, de
leur « déculottée », comme on le
dit en termes sportifs d’aujourd’hui. De même, Dieu
envoie ces
rescapés
des nations (et non « des rescapés de
mon
peuple », comme l’interprète, hélas,
la liturgie) pour répandre la nouvelle de sa gloire, de sa
victoire.
Acte
3 . En une procession
triomphale, les nations subjuguées ramènent en offrande
au Temple de Dieu tous les Juifs encore exilés ou dispersés
par le monde.
Épilogue .
Le Seigneur fête ce retour en choisissant ses officiants, soit
parmi ces Juifs naguère dispersés, soit parmi les
païens eux-mêmes. Le texte est ici équivoque et
s’oppose aux dirigeants de Jérusalem, très
sourcilleux quant à l’origine familiale des prêtres.
Par son esprit d’ouverture, ce poème prélude à
l’universalisme de l’Évangile.
* Le
pèlerinage final des peuples .
Ce thème tisse ensemble plusieurs poèmes bibliques
(cf., par exemple, Isaïe 2, 2-4 ; 60 ; Aggée
2, 7-9 ; Zacharie 8, 20-23). À la fin des temps,
Dieu jugera et exterminera tous les pécheurs. Alors, il
convoquera toutes les nations, d’abord les enfants d’Israël
dispersés par le monde, puis les païens convertis. Tous
viendront en pèlerinage à Jérusalem, pour une
fête et une paix éternelles, dans une pleine soumission
au règne de Dieu. Jésus a repris à son compte
cette image, mais en la vidant de toute prétention nationale.
Hébreux
12, 5-7.11-13
(Dieu
corrige ceux qu’il aime)
Le
prédicateur vient d’exhorter ses auditeurs à
faire de leur existence une course d’endurance et à
prendre pour modèle la destinée de Jésus. Il
ouvre à présent un nouveau registre, par le biais d’une
citation du livre des Proverbes 3, 11-12 ; soulignons-en les mots
suivants : « *
leçons …,
reproches…, bonnes leçons…, corriger ».
Ces termes invitent à considérer la vie chrétienne
comme l’éducation d’un enfant, avec ce qu’une
telle éducation peut (ou pouvait !) avoir de pénible
et de contraignant. On peut en effet traduire : quand le
Seigneur aime quelqu’un, « il le corrige »
ou bien « il l'éduque ».
Une
leçon sévère, même mal acceptée au
départ, peut conduire à retrouver « la
paix » et le « juste » chemin. Ainsi
les chrétiens doivent-ils envisager les événements
qui mettent leur foi à l’épreuve comme un test
éducatif que le Père leur fait subir. C’est, on
le comprend par la suite, le coup de fouet salutaire par lequel Dieu
rend vigueur « aux mains défaillantes et aux genoux
qui fléchissent », selon Isaïe 35, 3. Voici
donc revenu le thème de la course d’endurance :
« Nivelez la piste pour y marcher » (=
Proverbes 4, 26). Aidés par les épreuves, sachons
rectifier notre route.
* L'épreuve,
une leçon ?
« Tu redresses l'homme en corrigeant sa faute »
(Psaume 38, 12). Devant les malheurs qui assaillent l’être
humain, la Bible égrène diverses tentatives
d’explications. Entre autres, celle-ci : les malheurs
apparemment injustifiés qui frappent le croyant sont un test
par lequel Dieu éprouve la qualité de la foi. Les
psalmistes qui pensent ainsi ne prétendent pas tout savoir des
projets divins. Simplement, ils font état de leur expérience :
pour eux, la souffrance a été l’occasion de
purifier et de fortifier leur foi.
Luc 13, 22-30
(L’appel
universel et la porte étroite)
Avec
cette nouvelle mention de « la marche vers Jérusalem »,
Luc ouvre une deuxième étape pédagogique :
l’enseignement de Jésus portera plus précisément
sur les exigences de la vie chrétienne qui doit s’épanouir
par l’accès final au Royaume de Dieu.
Ici,
le débat part d’une question relative au nombre des
Sauvés. Ce problème divisait les sages juifs, selon
leur optimisme ou leur pessimisme théologique. De toute façon,
on risque toujours de se classer soi-même avec quelque
suffisance dans le « petit Reste » des élus.
C’est pourquoi Jésus renverse les perspectives :
personne n’est sauvé d’avance, et l’essentiel
est de faire le nécessaire pour être sauvé.
Les
avertissements
Les
avertissements qui suivent représentent le royaume de Dieu
comme une salle de banquet où l’on festoie joyeusement
entre ressuscités. Mais la porte qui y accède est
« étroite ». Seul passera facilement
celui qui se sera dépouillé lui-même par l’effort
d’une conversion vigilante et constante (voir Luc 13, 1-5).
Il y aura un temps où « le maître de
maison », le Christ, fermera la porte parce que tous les
jeux sont faits et l’histoire achevée. Pour les
retardataires, il y a malentendu : nous avons pris des repas
avec toi, protestent-ils ; tu as enseigné chez nous !
« Je ne sais pas d’où vous êtes »,
répète le maître, selon une formule biblique de
rupture sans appel. Peut-être ces gens ont-ils entendu Jésus.
Mais le constat est là : ils font partie de ceux que le
psalmiste interpelle comme « vous tous qui faites le mal »
(Psaume 6, 8). En d’autres termes, ils n’ont pas réformé
leur vie à l’écoute du Seigneur.
Le
pèlerinage
À
présent, Jésus élargit l’horizon, en
réinterprétant le thème du pèlerinage
final des peuples (cf. 1
ère
lecture) et spécialement le poème d’Isaïe
25,6-8. Voici le banquet des vivants présidé par les
grandes figures de l’histoire sainte, les patriarches et
prophètes. Mais, selon ce thème du pèlerinage,
n’est-ce pas le petit Reste du peuple élu qui doit
occuper les premières places du festin éternel ? Eh
bien, non ! Certains – les retardataires de la conversion,
risquent d’être « jetés dehors »,
dans le remords stérile et tardif « des pleurs et
des grincements de dents ».
En
revanche, des quatre points de l’univers, des païens
viendront et auront place entière au banquet du Royaume. Ils
n’ont jamais mangé avec Jésus et ne ‘'ont
pas vu sur leurs places publiques, mais ils se sont convertis à
l’appel des témoins du Christ.
Oui,
il y a un renversement entre*
les
derniers et les premiers .
Cette ultime remarque est un slogan de Jésus que les
évangélistes appliquent à divers épisodes.
Ici, elle ne dit pas que les jeux sont faits ; elle est au
contraire une interpellation nous invitant justement à nous
convertir sans retard, avant que les jeux ne soient faits.
* Les
premiers et les derniers .
« La mise en garde menaçante s’adresse
d’abord aux auditeurs juifs de Jésus, en Judée-Galilée ;
dans les années 28-30, aux yeux de Luc, ils furent peu
nombreux à se convertir, tels les Douze et les autres
disciples, et à pouvoir entrer dans le Royaume. Parmi ces
auditeurs, sont tout particulièrement visés ceux,
également peu nombreux, qui allèrent jusqu’à
“commettre l'iniquité” suprême en
collaborant à l’exécution de Jésus. Mais
gardons-nous de l’oublier :
ces paroles évangéliques demeurent actuelles et sont
appel à la conversion. Il n’y aura pas davantage
d’automatisme du salut pour les chrétiens qui remettront
au lendemain la réforme toujours à reprendre de leur
conduite. Pour tous, la porte est étroite : ceux d’entre
eux qui “commettront l'iniquité” ne pourront se
réclamer de leur familiarité superficielle avec le
Christ pour se faire ouvrir, lorsque la porte sera close »
(H. Cousin) .