22e
dimanche ordinaire C (28
août 2022)
Ben
Sirac 3, 17-18.20.28-29
(Exhortation
à l’humilité)
Jésus
ben Sirac tenait une école « philosophique »
à Jérusalem, au début du 2
e
siècle avant notre ère. Il avait pour élèves
des jeunes issus de la nouvelle bourgeoisie des affaires. La tendance
de la société de Jérusalem était alors au
grand commerce, sous l’influence de la modernité grecque
qui inondait le Proche Orient, au détriment de la sagesse
terrienne traditionnelle d’Israël.
Ben
Sirac défend cette synthèse : oui aux avantages de
la culture grecque, mais sans perdre les atouts de la tradition
religieuse d’Israël ! La liturgie réunit ici
cinq maximes, chacune en deux vers bien balancés, sur
l’humilité. De ces aphorismes, faciles à
mémoriser, le scribe Ben Sirac débattait sans doute
avec ses élèves. On peut le paraphraser de la manière
suivante :
1)
Dans tes affaires, jeune bourgeois, sois doux : le peuple
déteste les « sponsors » (en grec :
bienfaiteurs)
imbus d’eux-mêmes.
2)
Sois modeste surtout devant Dieu qui est plus important que toi et
tes affaires.
3)
Prends modèle sur les humbles dans l’échelle
sociale : ils comprennent mieux que toi la puissance du
Seigneur.
4)
L’orgueil te rend incurable, car il enracine en toi tous les
autres péchés.
5)
Surtout, sois un homme d’écoute. Rumine les proverbes de
tes maîtres : ils rassemblent tout un trésor
d’expérience.
Jésus
Ben Sirac est un ancêtre spirituel de Jésus de Nazareth
quant au sens de l’humilité. Mais ce dernier s’adresse
à tous, non à une élite sociale.
Hébreux
12, 18-19.22-24a
(La
fête éternelle sur la montagne de la nouvelle Alliance)
L’auteur
de la Lettre invitait des chrétiens tièdes et
découragés à une course d’endurance. Il
insiste à présent sur ceci : Ne vous trompez pas
sur le culte que vous devez rendre à Dieu au long de votre
route terrestre, ni sur le but vers lequel vous marchez. À sa
manière parfois déroutante, le prédicateur
oppose deux symboles : La marche des Hébreux vers le
Sinaï et celle des chrétiens vers « la cité
du Dieu vivant ». Pour notre auteur, l’Ancien
Testament n’est qu’une ombre (Hébreux 8, 5 ;
10, 1) par avance projetée de la personne de Jésus.
Quelque
chose de divin s’est bien révélé au Sinaï,
mais en un scénario « matériel »
dont l’auteur rappelle les éléments d’après
Exode 19 et Deutéronome 4. C’était terrifiant !
Les fils d’Israël avaient peur, et même Moïse
(cf. Hébreux 12, 21). Nous, au contraire, nous sommes déjà
en communion avec les anges et nos aînés dans la foi,
ces derniers étant appelés « l’assemblée
des premiers-nés » ou plus littéralement,
« l’Église des premiers-nés »,
dans la cité d’une fête sans fin, puisque nous
adhérons à * «
Jésus,
médiateur d'une Alliance nouvelle ».
Le
chrétien ne peut revenir en arrière vers des rites d’un
autre âge. Nous marchons vers un nouveau vivre ensemble encore
caché, vers une fête. Et cela justifie le prix de
l’endurance que nous payons au long de nos routes humaines.
* « Jésus,
médiateur d’une Alliance nouvelle ».
Pour
l'auteur de la Lettre aux Hébreux, Moïse était
bien le médiateur de l’Alliance entre Dieu et son
peuple. Mais le prophète Jérémie a annoncé
une « Alliance nouvelle » (Jérémie
31, 31-34). Il a donc « rendue ancienne (périmée
!) la première ». Et l’auteur montre
longuement que, seuls, le sacrifice de Jésus en sa passion et
son ascension donnent une réalité ultime au culte que
Moïse avait institué pour que fonctionne cette Alliance
et pour que nous ayons accès auprès de Dieu (cf.
Hébreux 8 – 9). À cause de notre communion avec
Jésus, nulle barrière ne nous interdit désormais
de rencontrer Dieu réellement.
On peut rester
hermétique aux raisonnements subtils bâtis par la Lettre
aux Hébreux à partir de l’Ancien Testament et de
ses interprétations dans le judaïsme du temps des écrits
apostoliques. Mais on n’évite pas les questions
fondamentales qu’il pose : de quelles médiations
raffolons-nous pour atteindre Dieu, l’Au-delà, et le
sens de l’avenir ? Sont-ce les anges ? les voyantes ? les
saints faiseurs de miracles ? le « New Age » ?
les gourous ?... ou Jésus le Christ ?
Luc
14, 1a.7-14 (Pour
avoir part au royaume de Dieu : choisir la dernière
place, inviter les pauvres)
Toujours
dans son voyage vers Jérusalem, Jésus se montre ouvert
à tous les milieux. Luc est le seul des évangélistes
à nous montrer par trois fois Jésus se faisant inviter
à la table d’un pharisien (voir Luc 7, 36 ; 11,
37). En ces circonstances, la conversation s’échauffe,
certes. Mais le débat porte sur le plan religieux et il y eut
des pharisiens suffisamment favorables à Jésus pour
mettre celui-ci en garde quand sa vie était menacée par
le roi Hérode Antipas (cf. Luc 13, 31).
Ici,
dans le cadre du repas festif du sabbat (le vendredi soir),
l’évangéliste regroupe divers enseignements de
Jésus, suivant le genre littéraire du *
Banquet
que l’on rencontre chez les auteurs grecs, dont le célèbre
banquet de Platon. Il est regrettable que le lectionnaire ne puisse
pas nous proposer l’ensemble de la scène. De l’épisode,
la liturgie de ce jour ne retient que deux exhortations de Jésus :
la première s’adresse aux invités, la seconde « à
celui qui l’avait invité ». La 1
ère
lecture (Siracide) voulait éclairer cette leçon
d’humilité à laquelle notre évangile
ajoute le souci des pauvres.
Aux
invités
Jésus
avait dit : « Malheureux êtes-vous, pharisiens,
parce que vous aimez les premiers rangs dans les synagogues »
(Luc 6, 33). À présent, il constate la prise d’assaut
des meilleurs des lits sur lesquels on s’étendait pour
les repas festifs. Ici, Jésus énonce un principe simple
en matière d’honneur : à vouloir se donner à
soi-même son propre honneur, on risque la honte. L’honneur
authentique est celui que les autres nous confèrent.
Mais
Luc a présenté cette exhortation comme une
« parabole ». La conclusion va en ce sens :
« Qui s’élève sera abaissé (par
Dieu, lors de la venue de son Règne) ; qui s’abaisse
sera élevé (par Dieu). » Le message tient
donc en ceci : il y a un lien entre l’humilité que
nous pratiquons dans nos rapports sociaux et la manière dont
nous nous situons vis-à-vis de Dieu : laissons-lui le
soin de nous élever. Par-delà les acteurs mis en scène,
Luc s’adresse aux Églises. Car les questions d’honneur
et de préséance furent déjà un poids dans
les premières communautés.
« À
celui qui l’avait invité »
Jésus
s’adresse maintenant à son hôte. Il constate que
ne se trouve là, en ce repas, que l’élite
religieuse ; on mange entre pharisiens et scribes, et Jésus
devrait se sentir honoré d’être admis dans ce
cercle. Mais, pour qu’une invitation soit sincère,
dit-il, elle ne doit pas attendre de retour. La parfaite invitation
reçoit « des pauvres », qui n’ont
pas d’argent à dépenser pour apprêter un
banquet en retour, « des estropiés, des boiteux,
des aveugles » dont le handicap est évident,
ceux-là même que Dieu invite au festin du Royaume, selon
la parabole de Luc 14, 16-24.
De
nouveau, une béatitude paradoxale ajoute une dimension de foi
à l’exhortation : « tu seras heureux,
parce qu’ils n’ont rien à te rendre »,
c’est-à-dire que tu auras agi avec un total
désintéressement et que tu comptes sur Dieu seul pour
te dédommager. Oui, il te dédommagera amplement
lorsque, te considérant comme un juste, il te ressuscitera !
Luc pense aussi, en cet épisode, aux Églises de son
temps où l’accueil des pauvres semble trop peu pratiqué
(comparer Jacques 2, 1-9).
* Banquet
de Jésus – Banquet de Platon.
Les penseurs de l’Antiquité grecque vulgarisaient leurs
idées en écrivant des « Banquets ».
Ils mettaient ainsi en scène des convives célèbres,
réels ou fictifs, qui refaisaient le monde en confrontant
leurs avis aussi brillants qu’opposés. Le Banquet le
plus connu est celui dans lequel Platon met en vedette son maître
Socrate. Mais Luc ne dédaigne pas d’employer ce média
pour présenter Jésus (Luc 14, 1-24) : un importun
venant se faire guérir au début du repas donne à
Jésus l’occasion de dire ce qu’il pense du sabbat
(versets 1-6). Jésus observe le petit jeu des invités
cherchant la meilleure place : bon prétexte à une
leçon sur l’humilité (versets 7-11). D’ailleurs,
ces invités ne sont apparemment pas des prolétaires :
Jésus le fait remarquer à son hôte (versets
12-14). Enfin, la remarque d’un invité amène la
parabole des invités au festin (versets 15-24).
Banquets... télé,
radio, romans, etc. : depuis ses origines, l’Église
se sert des médias de toutes sortes pour offrir au monde le
visage de son Seigneur et son message.