Parole de Vie..   
Commentaires du Père Claude Tassin

23e dimanche ordinaire C (4 septembre 2022)




Sagesse 9, 13-18 (C’est Dieu qui donne la vraie sagesse)



Vers 50 avant notre ère, un Juif d’Alexandrie écrit le livre de la Sagesse et montre comment la pensée grecque et la révélation biblique peuvent se féconder mutuellement pour atteindre Dieu. Il met son discours sur les lèvres de l’antique Salomon qui, modèle du roi sage (cf 1 Rois 3, 4-15), prie Dieu de lui envoyer Dame Sagesse (9, 1-12) : par elle, Dieu a créé le monde ; sans elle, l’être humain ne saurait se gouverner lui-même.

Notre poème développe ce dernier point. L’auteur souligne le peu de fiabilité de notre entendement. En bon Grec pour qui le corps est le tombeau de l’âme, il relie notre indigence au fait que la matière appesantit nos facultés intellectuelles et spirituelles et que nos sens limitent notre perception à l’horizon terrestre. Or la Sagesse se trouve en Dieu, hors de notre portée.

Il faut donc que Dieu nous donne lui-même cette Sagesse qui n’est rien d’autre que l’Esprit Saint. Celui-ci nous fait connaître la volonté de Dieu, pour que nous allions sur une voie droite. Le dernier verset s’exprime au passé : déjà les hommes « par la Sagesse, ont été sauvés » de tout péril. L’auteur songe là à la sortie d’Égypte qu’il va évoquer par la suite : « C’est elle qui délivra un peuple saint et une race irréprochable d’une nation d’oppresseurs » (Sagesse 10, 15).

La Sagesse, par laquelle nous sommes l’image de Dieu, se révèle comme un don gratuit de Dieu. Ce don exclut toute prétention de notre part et, nous dira Jésus (évangile), il implique le dépouillement radical qu’exige la recherche des valeurs.




Philémon 9b-10.12-17 (Ton esclave est devenu ton frère)



Philémon, un chrétien influent de la ville de Colosses et ami de Paul, a un esclave nommé Onésime. Celui-ci, disent la plupart des commentaires, s’est enfui et a trouvé refuge auprès de Paul alors prisonnier, peut-être à Éphèse. Mais qui chercherait refuge auprès d’un captif ? Plus simplement, semble-t-il, Philémon a envoyé Onésime prendre des nouvelles de Paul et l’assister dans son épreuve, comme ce fut le cas d’Épaphrodite délégué par les chrétiens philippiens pour subvenir aux besoins de l’Apôtre lors d’une autre incarcération (cf. Philippiens 2, 25-30 ; 4, 18). En tout cas, une amitié s’est nouée entre l’esclave et Paul. Bien plus, dans ses chaînes, Paul a engendré Onésime, son enfant ; c’est-à-dire qu’il l’a converti au Christ (comparer 1 Corinthiens 4, 14-15). Et si l’Apôtre prétend être un « vieil homme », il peut s’agir d’une coquettrie l’assimilant, par sous-entendu, à Abraham qui engendra en son vieillesse.

À présent, plutôt que le garder à son service, Paul renvoie Onésime à Philémon. Ce dernier doit accueillir non plus un esclave, mais un frère bien-aimé ; comme si c'était moi, ajoute Paul qui peut d’autant plus insister que c’est lui qui a converti aussi Philémon.

Paul et les premiers chrétiens n’ont pas aboli l'esclavage : ils n’avaient de loin pas l’influence nécessaire pour cela, et le monde antique n’imaginait pas pouvoir vivre sans cette institution. Le Captif ne demande pas non plus l’affranchissement officiel d’Onésime : l’affranchi – généralement affranchi en raison d’un grand âge – était à peine moins dépendant de son maître que l’esclave. Ce que cherche Paul, c'est un changement des relations au sein de la communauté chrétienne où tous sont *frères, dans le même Christ (cf. Galates 3,27).


Esclavage et fraternité chrétienne. « À Rome, l’esclave est une res : chose achetée (...) Ayant rapporté le massacre de tous les serviteurs d’une maison, Tacite ajoute : vile damnum (dommage de nulle valeur). À ces déshérités, la Bonne Nouvelle donnait tout : le sens de leur dignité, de leur personne humaine. Un Dieu les avait aimés, il était mort pour eux. Il leur assurait, dans son royaume, la meilleure place. Le patricien n’avait ici nul avantage. Cependant, à l’assemblée, il se mêlait à cette tourbe mal lavée, dont l’haleine empestait l’ail et le gros vin. Ces êtres d’une autre race qu’il pouvait, d’un mot, faire battre et mourir, étaient ses frères. Qu’on ne dise pas que ce progrès est l’effet des mœurs du temps ou des préceptes du stoïcisme. Les beaux prêches de Sénèque n’ont point conduit à un changement (...) Sénèque n’eût pas dîné avec ses esclaves. On eût au moins dressé deux tables. Cette égalité dans la pratique n’a commencé qu’avec le repas du Seigneur » (A.-J. Festugière [1898-1982], L’Enfant d’Agrigente, p. 104 s.).



Luc 14, 25-33


Jésus, sur sa route vers la Jérusalem de sa Passion et de son Ascension, vient de comparer le Royaume à la salle du festin que Dieu veut remplir d’invités (Luc 14, 15-24). Prenant maintenant en quelque sorte le contre-pied et s’adressant aux foules qui l’escortent et représentent ses disciples présents et à venir, il montre qu’*être disciple suppose un engagement absolu. « Luc a eu le même réflexe de mise en garde que Matthieu, qui a aussi, en supplément à sa version de la parabole du banquet (cf. Matthieu 22, 11-14), tenu à avertir les croyants du fait que l’accès qui leur était donné au Royaume en remplacement des premiedrs invités, Israël, ne pouvait être un prétexte pour vivre sans règles, mais devait au contraire les pousser à agir mieux » (S. Beaubœuf, La montée à Jérusalem…, p. 76).

Luc réunit, pour ce propos, des paroles de Jésus de provenance diverse et, du coup, mal jointoyées. Mais il schématise bien trois conditions s’achevant par un même refrain : celui-là ne peut pas être mon disciple.


1. Pour partir avec Jésus, on doit être animé d’un amour supérieur à toutes les affections familiales. Le texte littéral dit, selon une terminologie sémitique audacieuse : « Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère... » Bien sûr, Jésus ne veut pas bafouer le devoir d’honorer père et mère, commandement rappelé en Luc 18, 20. Il dit que s’engager pour le Royaume est une telle priorité qu’on peut en arriver à sembler les haïr, alors qu’on les aime pourtant.


2. Celui qui suit Jésus en disciple doit *porter sa croix, c’est-à-dire renoncer à sa propre vie et s’attendre éventuellement au destin que Jésus a subi dans son combat pour le Royaume.

Suivent deux mini-paraboles, d’origine indépendante. Elles disent que, pour répondre et se convertir à l’appel urgent du Règne de Dieu, il faut évaluer avec beaucoup de sagesse les forces que l’on va engager dans le combat. Sinon, on se retrouvera dans le cas du bâtisseur offrant à l’ironie des passants l’image d’une tour (de guet, de défense) laissée en plan, ou dans la situation du stratège renonçant, piteux, au combat.

Luc applique ces images aux deux premières conditions posées au disciple (« En effet, quel est celui d’entre vous »), et, de manière plus artificielle (« de même »), à la troisième condition.


3. Outre les attaches affectives et l’attachement à soi-même, il faut renoncer à tous [c]es biens, qui sont un boulet aux pieds. Ils empêchent le disciple de tout mettre en oeuvre pour bâtir sa tour et diriger son combat. Pour Luc, dans les Actes des Apôtres, le renoncement aux biens s’est traduit par une communauté de partage inaugurant les relations nouvelles dans le Royaume.

Les Douze, compagnons de la mission de Jésus, ont vécu au pied de la lettre ces trois conditions. Quand Luc rédige son évangile, ces messagers de type itinérant ne constituent plus qu’une minorité. Pourtant, il a repris ces consignes à l’adresse de tous les chrétiens : nous devons prouver notre amour du Christ en allant le plus loin possible, en nous fixant des priorités, mais avec discernement (cf. les deux paraboles). La sagesse chrétienne se fonde et sur le bon sens et sur l’entière disponibilité que nous demande le Christ au fil des événements.


* Être disciple, un engagement absolu. La vie chrétienne « ne connaît pas de partage : elle n’est réelle que lorsqu’elle prend tout (...) Pour la vie intellectuelle, la vie esthétique, la vie sociale, il y a un dosage à établir ; non pour la vie religieuse. Celle-ci n’exclut pas les autres, mais elle est d’un autre ordre : elle ne peut pas se juxtaposer à elles ; il faut que, prenant tout l’homme, elle pénètre ses autres modes de vie (...) Dans l’orientation de base, sachons qu’il n’y a pas de compromis possible » (Y. de Montcheuil).


* Porter sa croix. « Que personne ne comprenne par là qu’il doit se chercher quelque croix pour lui-même (...) Car Jésus dit qu’à chacun sa croix est déjà préparée, déterminée et mesurée par Dieu. Chacun doit porter la mesure de souffrance et de réprobation qui est prévue pour lui. C’est une mesure différente pour chacun. Dieu juge l’un digne de grandes souffrances et lui accorde la grâce du martyre. Il ne permet pas que l’autre soit tenté au-dessus de ses forces. Pourtant, c’est l’unique croix » (D. Bonhoeffer).


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