Parole de Vie..   
Commentaires du Père Claude Tassin

24e dimanche ordinaire C (11 septembre 2022)




Exode 32 7-11.13-14 (Moïse obtient le pardon pour le peuple infidèle)


Sur le Sinaï, Dieu indique à Moïse quel culte il doit établir en Israël. Mais l’inauguration de ce culte subira du retard car, au pied de la montagne, durant l’absence du Guide, Israël trahit déjà son Dieu et se prosterne devant la statue d’un* veau de métal fondu (lire Exode 32, 1-6). Alors, Dieu parle à Moïse, tel un père fâché qui dirait à son épouse qui n’est nullement responsable du mauvais bulletin scolaire du gamin : « As-tu vu ce qu'il a fait, ton fils ? » Le Seigneur ne dit plus à Moïse : « mon peuple », mais « ton peuple », « ce peuple ». Bref, il veut éliminer les traîtres et repartir à zéro (mais Dieu n’y croit pas lui-même…) avec Moïse dont il fera une grande nation. C’est ce qu’il avait promis à Abraham ; mais c’est ici une mise à l’épreuve de Moïse, lequel réagit bien. Il apaise le Seigneur en mettant en avant son honneur divin : Dieu ne peut pas se déshonorer en sabordant l’œuvre de libération qu'il a commencée à si grand prix (que diraient les païens !) ; il ne peut pas renier les promesses si solennelles qu’il avait faites à Abraham.

Et la plaidoirie de Moïse réussit. Car, fondamentalement, Dieu est tendresse, comme le montreront les trois paraboles de la miséricorde, dans l’évangile de ce jour. Mais Dieu a besoin que les hommes croient à son projet et le lui disent par la prière, surtout ceux à qui il confie ce projet, Moïse, son prophète, Jésus, son Messie.


Le Veau de métal fondu (le veau d’or). « Adorer le veau d’or : avoir le culte de l’argent ». (Petit Robert). Ce n’est pas le sens de la scène biblique. En fait, l’auteur de l’épisode anticipe ici ce qui arrivera quand le royaume de Samarie se donnera son propre culte et figurera le Dieu d’Israël par les deux statues d’un jeune taureau, symbole de force et de fécondité pour l'Orient ancien (1 Rois 12, 26-33 ; cf. Os 8, 5). Nous acceptons difficilement de ne pouvoir représenter Dieu. Souvent, quand nous nions Dieu, c'est que nous nous le représentons sous des traits illusoires, qui ne sont que des projections de nos désirs.




1 Timothée 1, 12-17 (Action de grâce du pécheur pardonné)


Celui qui s’exprime à la première personne dans ce texte n’est sans doute plus Paul, mais un disciple ultérieur qui, inspiré par l’Esprit Saint, s’exprime au nom de l’Apôtre disparu. Paul, lui, parlait surtout de sa vocation, et s’il avait persécuté l’Église, il l’avait fait, quoique mal éclairé, pour défendre les droits du Dieu de ses pères (voir Galates 1, 13-16).

Ici, on insiste plutôt sur la conversion de Paul, dans une prière de reconnaissance. Celle-ci s’adresse d’abord au Christ et elle s’achève par une louange (« honneur et gloire... ») envers un Dieu majestueux qui, pourtant, s’est fait proche de nous en Jésus. Car, au centre de ce texte, la « parole sûre », qui mérite un « accueil sans réserve », affirme que Jésus est venu « *pour sauver les pécheurs ». Paul apparaît alors comme « le premier » sauvé, le premier pécheur pardonné. Suivre l’Apôtre, c’est suivre son exemple de conversion, accepter la grâce de Dieu qui appelle le pécheur à son service et c’est vivre du don de la foi et de l’amour.

En évoquant le blasphème et l’insulte, l’auteur vise des gens de son temps qui s’égaraient et entraînaient les autres dans une vie chrétienne idéaliste, dans une ascèse irréaliste, fondée sur des spéculations ésotériques.


* « Pour sauver les pécheurs » Par cinq fois, les lettres à Timothée et à Tite invoquent solennellement « une parole sûre, digne d'être accueillie ». Une telle formule introduit un résumé de traditions évangéliques. Ici, on songe à cette maxime : « Je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs » (Matthieu 9, 13) et à Luc 19, 10 ou Jean 3, 17. Nous savoir pécheurs n’est pas nous sentir coupables, mais prendre conscience que nous avons besoin d’un autre, le Sauveur, pour nous sortir de nos faiblesses et de nos impasses.



Luc 15, 1-32 (Paraboles de la brebis perdue, de la drachme perdue et du fils perdu : la joie du pardon)


Bien disposés, des pécheurs notoires viennent écouter Jésus. *Les pharisiens et leurs conseillers, les scribes, estiment volontiers que le Maître est de leur camp à eux, les justes. Comment alors ose-t-il accueillir les ennemis de Dieu et manger avec eux ? Voilà le conflit mis en scène par Luc et auquel Jésus répond par trois paraboles qui gravent de plus en plus nettement le message de l’évangéliste.

1. À l’origine, la parabole de la Brebis perdue, une pièce en un acte, disait ceci : quand on a perdu un petit rien (un mouton !), on s’en inquiète soudain plus que de tout le reste qu’on a encore (quatre-vingt-dix-neuf moutons !) et on le cherche. De même, pour faire advenir son règne, Dieu a souci de ce qui lui appartient et qu’il a perdu (cf. Matthieu 18, 12-13) : voilà pourquoi son Envoyé se préoccupe tant des pécheurs.

Mais Luc change le sens de la pièce en ajoutant un second acte : la joie du berger qui retrouve l’égarée et convoque ses amis. Voici le nouveau message : il faut se réjouir avec l’ami qui a retrouvé ce qu’il avait perdu. Voici alors le fondement de cette moralité : Dieu a plus de joie pour le retour d’un pécheur (« publicains et pécheurs ») que pour ceux qui sont fidèles (« pharisiens et scribes »), et la joie de Dieu n’enlève rien aux mérites de ces derniers.

2. En bon Grec, Luc joint à cette parabole masculine (le berger) une parabole féminine, celle de la ménagère qui a perdu une pièce d’argent. Même « moralité » : les voisines doivent partager la joie de leur amie. Et, sous le récit, il s’agit de la joie de Dieu et de sa cour céleste pour le retour d’un pécheur.

Certes, pour délivrer ce message, Luc tord un peu le sens de cette double parabole, puisque, en réalité, ni la brebis ni la pièce d’argent ne reviennent d'elles-mêmes (ne se « convertissent » !). Et, depuis la mise en scène initiale, l’évangéliste a souligné les bonnes dispositions de pécheurs qui « venaient tous à Jésus pour l’écouter ». La dernière parabole, dite du Fils prodigue, rétablit la logique et insiste plus dramatiquement sur le devoir de se réjouir avec celui qui a retrouvé ce qu'il a perdu. Car la pointe de la fable se trouve, non dans le retour du cadet, mais dans l’attitude de l’aîné, attitude que, finement, le récit laisse en suspens.

3. La clé de lecture de cette parabole, de fait, est le dialogue entre le père et son fils aînés qui refuse de se joindre à la joie des retrouvailles. Mon fils était mort, et il est retrouvé, disait le père. C'est « ton fils », rétorque l’aîné. C’est « ton frère » qui est revenu à la vie, lui rappelle le père.



En remodelant ces trois paraboles, Luc fait donc dire ceci à Jésus : Vous, pharisiens, vous êtes des justes, les aînés de Dieu et chacun de vous peut dire avec raison : « Il y a tant d’années que je te sers, sans avoir jamais désobéi à tes commandements. » Mais quand, en venant m’écouter, les pécheurs reviennent à Dieu, pourquoi ne pas vous réjouir avec moi de ce que Dieu retrouve ses enfants perdus ? Ils sont vos frères. Luc vise ici sa communauté (la nôtre ?). Elle est plus encline à juger ceux qui, ayant déserté l’Église, s’en reviennent sur la pointe des pieds, qu’à se réjouir de leur retour et à leur ouvrir les bras. Il est possible aussi qu’à travers l’aîné, Luc vise des chrétiens d’origine juive boudant l’arrivée de chrétiens d’origine païenne.


Les pharisiens. Si les pharisiens sont des gens légalistes et hypocrites, comme on le pense souvent, alors la pointe de ces trois paraboles s’émousse lamentablement. Dans ce cas, Jésus voudrait dire qu’ils sont pires que les pécheurs et les publicains (des percepteurs trop souvent véreux, à l’époque) ; et l’expression « les justes qui n’auraient pas besoin de conversion » aurait une portée ironique. La leçon serait trop simple.

En général, les pharisiens étaient des justes, attentifs aux commandements de Dieu, désireux de l’amitié de Dieu, comme Jésus l’était à leurs yeux. Mais ils ne comprennent pas que Jésus préfère s’occuper de pécheurs, irrécupérables à leurs yeux, plutôt que d’eux-mêmes. Au contraire, Jésus voudrait que les pharisiens cessent de se polariser sur leurs droits et leurs devoirs religieux et qu’ils collaborent à sa mission de sauvetage. Car cette mission tient en ceci : Dieu a décidé que, désormais, il fallait tout faire pour récupérer tous ceux qui, bien qu’égarés, sont ses enfants.


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