25e dimanche ordinaire C (18 septembre
2022)
Amos 8, 4-7
(Les mauvais riches)
Le
prophète *Amos « rugit » contre
l’injustice dans le Royaume du Nord, au 8e siècle
avant notre ère, sous le long et brillant règne de
Jéroboam II (783-743). Celui-ci a fait de son territoire un
État moderne. Le commerce y prend son essor, et le luxe (cf.
1ère lecture, dimanche prochain) s’étale
désormais dans la capitale, Samarie. Le Prophète ne
dénonce pas cette modernité, mais l’injustice au
prix de laquelle on la paie. Les pauvres dont il parle ne sont pas
les sous-prolétaires du pays : ceux-là, il n’ose
même pas les évoquer. Il s’agit, sous sa plume,
des petits agriculteurs, pressurés par l’avidité
des nouveaux grands propriétaires terriens pour qui un sou est
un sou. Et si ces petits paysans s’avèrent insolvables,
tant mieux ! Ces nouveaux riches feront d’eux des esclaves
pour le prix d’une paire de « godasses »,
de sandales. Aux abords de notre ère, les sages d’Israël
se souviendront de cette dénonciation d’Amos et verront
dans le patriarche Joseph, avec un réel humour, le saint
patron du pauvre vendu, comme on le voit dans le targoum (=
version paraphrasée, en araméen, de la Bible
hébraïque) : « Ils vendirent Joseph aux
Arabes pour vingt pièces d’argent… avec
lesquelles ils achetèrent des sandales »
(targoum de Genèse 37, 28).
Pire encore ! Ces
nouveaux riches de Samarie respectent benoîtement le sabbat,
s’interdisant tout négoce (à l’époque,
le sabbat était une fête mensuelle, lors de la nouvelle
lune). Mais ils trépignent intérieurement, attendant de
reprendre leurs tractations impitoyables. Conclusion d’Amos :
Non, le Seigneur, « Fierté d'Israël »
que les exploiteurs déshonorent, ne peut accepter une société
fondée sur l'injustice.
Par ce texte, la liturgie
veut éclairer l’évangile de ce jour. Le choix
n’est pas heureux, parce que, au contraire, le Jésus
présenté par saint Luc veut montrer ce qu’on peut
faire de bien avec l’argent.
* Amos est le plus ancien des prophètes
dont on ait un livre. En son temps, le Peuple de Dieu comprenait deux
royaumes peu amicaux entre eux, celui du Nord (Samarie) et celui du
Sud (Jérusalem). Originaire du Sud, Amos n’est pas un
prophète de métier, comme il en existait, mais sans
doute un fonctionnaire agronome, inspecteur du bétail et de
l’arboriculture. Pourtant, Dieu l’envoie « rugir »
en son nom (Amos 1, 2 ; 3, 3-6)) dans le Royaume du Nord pour
dénoncer les injustices du règne de Jéroboam.
Dès l'origine, Dieu a quelque chose à dire dans la vie
politique des hommes. Lire Amos 7, 10-17.
1 Timothée 2,
1-8 (La prière universelle)
Après les
préliminaires épistolaires, voici la première
instruction de l’épître (« avant
tout »).
a)
L’Église doit user de toutes les formes de prière
(demande, intercession, action de grâce) pour tous les hommes.
On mentionnera plus précisément « les rois »
et autres gouvernants, afin qu’ils garantissent ce que la
société d’alors attendait d’eux, à
la fin du 1er siècle de notre ère : la
sécurité, la soumission aux lois divines assurant
l’ordre du monde, et le respect ldu rang social de chacun.
b)
« Voilà la vraie prière ». Elle
se fonde sur la chaîne de l’histoire de la foi : 1)
Dieu est unique, donc seul Sauveur (un titre que se donnaient
certains souverains) de tous les hommes. 2) Son médiateur, le
Christ, s’est lui-même livré « pour
tous les hommes », 3) et ce message de salut universel a
été confié à l’Apôtre (et à
Timothée) pour que tous les peuples en prennent connaissance.
c)
Et l’auteur de poursuivre : « Je voudrais donc
qu’en tout lieu » retentisse cette prière
universelle, « sans colère ni contestation ».
L’Instructeur sait que, dans les Églises dont il a la
charge, certains ne sont pas prêts à prier pour tous les
membres de la société, ni *pour des gouvernants
hostiles à la foi. Mais les chrétiens partagent les
destinées de la société, telle qu’elle est
et non telle qu’ils la rêvent. Si l’on veut qu’elle
change, qu’on en appelle d’abord à Dieu, et non à
la rancoeur ou à l’amertume. Ce genre de prière
sera un bel exercice de discernement spirituel.
La prière pour les gouvernants était,
de longue date, une tradition juive. Alors que les païens
priaient l’Empereur romain comme un dieu, les Juifs priaient
Dieu pour l’Empereur. Par là, ils manifestaient
leur loyauté civique, mais, en même temps, ils
confessaient la subordination des réalités politiques à
la souveraineté du Dieu unique. L’auteur de 1 Timothée
pousse aussi son Église encore frileuse à prendre sa
place dans la vie civile, y compris par la qualité de sa
prière. Elle témoignera ainsi du souci de Dieu pour
tous les hommes.
Luc 16, 1-13 (L’argent trompeur – la
parabole du
trader)
Sur
sa route vers Jérusalem, Jésus continue de révéler
les exigences de la vie chrétienne. Après les paraboles
de la miséricorde (24e dimanche), voici celle du
Gérant trompeur, suivie d’une exhortation sur l’usage
de l'argent. À la limite, la 1ère lecture
(Amos) éclaire cette exhortation, mais pas la parabole
elle-même, qui joue sur l’ironie, voire sur un saint
cynisme.
1.
La parabole est simple. Convaincu de malversation par son
patron, le gérant piégé envisage les débouchés
réalistes qui s’offrent à lui après son
licenciement. Ce trader avant l’heure n’en voit
qu’une, frauduleuse : falsifier à la baisse les
comptes des débiteurs de son maître. Ainsi trouvera-t-il
des amis, satisfaits de l’opération et qui, dit-il,
« m’accueilleront dans leurs maisons »
(pour y reprendre du boulot ?). Je me laisse à penser de
manière impie que, si le Seigneur et saint Luc parlaient
aujourd’hui, ils loueraient des traders pourris si ces
derniers mettaient leur fraude au service des pauvres, tournaient les
lois en ce sens. Ce dont nous n’avons pas d’exemples.
Provocante, en effet, la
conclusion de la parabole dit littéralement ceci : « Et
le seigneur (le patron) loua ce gérant trompeur ».
Mais sans doute doit-on lire : « Et le Seigneur
[Jésus] loua ce gérant trompeur ». On
attendait un blâme, voici un compliment : Quel voyou,
certes, mais quelle adresse pour sortir du piège ! Les
paraboles de Jésus sont parfois peu « morales ».
Elles invitent au contraire à trouver une autre manière
de vivre, à la lumière de son message, à la
lumière d’exemples « tordus ».
L’anecdote, s’il
s’agit d’un fait divers à lui rapporté
(sait-on jamais), inspire Jésus. « Les fils de ce
monde », souvent des crapules, dit-il, ne voient que leurs
intérêts matériels. Mais ils sont bien plus vifs
et avisés que « les fils de la lumière »,
les disciples, parfois plus naïvement pieux qu’actifs et
pratiques.
2.
Maintenant seulement, Luc greffe sur la parabole une exhortation
(« eh bien moi, je vous le dis... »). Il
regroupe ici diverses paroles de Jésus sur le problème
de l’argent. Quand on est « fils de lumière »,
comment utiliser l’argent avec habileté, puisqu’on
aura soi-même à rendre des comptes pour entrer dans le
Royaume de Dieu ? En effet, quel chrétien oserait prétendre
que l’usage de l’argent ne fait pas partie de la vie de
foi ? La réponse procède en trois temps.
a) Un conseil. Comme
le gérant de la parabole, il faut se faire des amis avec
l’argent. Mais ces amis sont les pauvres, les premiers invités
du Royaume selon la théologie de saint Luc. L’argent est
« trompeur » ; on ne l’emporte pas
avec soi dans la tombe. Partageons-le donc avec les pauvres, et
ceux-ci nous « accueilleront dans les tentes éternelles »,
dans le Royaume.
b)
Un proverbe et son application (« Celui qui est
digne de confiance dans une toute petite affaire... »).
Certes, l’argent n’est pas le bonheur que nous attendons
de Dieu, il ne fait pas corps avec nous, il reste « étranger »,
accessoire. Il n’empêche ! Notre usage de l’argent
constitue *un test de la confiance que Dieu peut nous accorder
pour l’essentiel.
c)
Une dernière leçon. Celui qui se rendrait
esclave de l’argent, tout en prétendant servir Dieu,
irait à l’impasse. Il serait dans la douloureuse et
réelle situation de certains esclaves antiques appartenant à
deux maîtres à la fois, écartelés par des
ordres contradictoires.
À la différence
de certains sermons, Luc ne diabolise pas l’argent. Il
en fait au contraire une valeur réelle et difficile à
gérer, un test de notre fidélité à
l’Évangile, et l’on voit bien, sous la plume de
Luc, en quel sens.
* Les tests de Dieu. « Celui qui est
digne de confiance dans une toute petite affaire est digne de
confiance aussi dans une grande. » Ce slogan, repris par
Luc, vient des synagogues d’alors qui, dans une homélie
parvenue jusqu’à nous, le commentaient ainsi : « Avant
que Dieu ne donne la grandeur à un homme, il l’éprouve
déjà par une petite chose et il le fait ensuite accéder
à la grandeur. On a ici deux grands chefs que Dieu a d'abord
testés par une petite chose, qu’il a trouvés
fidèles, puis qu’il a fait accéder à la
grandeur.
Il a éprouvé David par les brebis. Il les
menait au désert pour les empêcher de voler. En
effet, nous trouvons Éliab disant à David : “À
qui as-tu laissé ces quelques brebis dans le désert
?” (1 Samuel 17, 28)... Et Dieu lui dit : Tu as été
trouvé fidèle avec les brebis : viens donc, prends soin
de mes brebis (= les brebis d’Israël, Psaume 77 [78],
70-71). De même, pour Moïse : “Il mena le
troupeau au fond du désert” (Exode 3, 1) pour
l’empêcher de ravager. Et Dieu le prit pour mener Israël,
comme il est dit: “Tu menas comme un troupeau ton peuple par la
main de Moïse et Aaron” (Ps 76 [77], 21). »