26e dimanche ordinaire C (25 septembre
2022)
Amos 6, 1a.4-7
(Contre le gaspillage insolent des riches)
Les
riches sont « vautrés » dans leurs
orgies ; mais bientôt, avec la déportation en
Assyrie, la compagnie « des vautrés »
sera dissoute. Voilà comment Amos encadre son jugement sur les
notables de Samarie (sur la situation historique, voir la 1ère
lecture du 25e dimanche). L’aristocratie va de fête
en fête, adoptant la nouvelle mode de s’allonger pour
festoyer, et ces banquets rivalisent avec les sacrifices dus à
Dieu. Car à lui reviennent normalement les meilleurs agneaux,
les chants de David (les psaumes), le vin des libations et les
parfums répandus sur la tête.
Ces
politiciens avachis se moquent du sort de la nation. L’adjectif
« avachis » convient bien ici, puisque le
prophète traitera les dames de l’aristocratie de
« vaches de Bashân » (Amos 4, 1). Ces
nobles aiment-ils être les premiers partout ? Eh bien, dit
Amos, ils seront les premiers déportés ! Ils ne
voient pas « le désastre de Joseph (= d’Israël) ».
Au vrai, ce « désastre » ne viendra
qu’une trentaine d’années plus tard. Mais *le
prophète est lucide : il voit monter la puissance de
l’Empire assyrien. À plus ou moins brève
échéance, cette ascension signifie la ruine de Samarie.
Amos n’admet pas la politique de l’autruche. Le luxe des
notables est un mépris des pauvres qu’écrasera,
de tout son poids, la catastrophe.
La richesse insolente qui
insulte le pauvre est l’objet de la parabole du pauvre Lazare
(évangile de ce jour).
* La
lucidité prophétique. Dans
l’ancien Israël, il y avait des prophètes de
métier, doués de visions et autres dons extatiques.
Certains vivaient en bandes itinérantes (1 Samuel 10,
10-12), d’autres, tel Isaïe, étaient des
conseillers de la cour royale. Les grands prophètes qui ont
laissé leur nom dans l’histoire se défendent
d'appartenir à ces confréries (Amos 7, 14). Ils se
réclament simplement de leur lucidité sur les
événements et d’un Dieu qui les mandate pour dire
au peuple le sens de ces événements. Bref, ils disent
au grand jour ce que tout le monde devrait comprendre, n’était
le fait que « les gens » préfèrent
jouer les aveugles quand la vie les dérange et leur demande de
rigoureuses conversions.
Dotés de l’Esprit Saint, tous les
chrétiens sont prophètes les uns pour les autres. Saint
Paul s'est battu pour que soit reconnue l'importance de la prophétie
dans la communauté chrétienne : « N’éteignez
pas l’Esprit, ne repoussez pas les prophètes, mais
discernez la valeur de toute chose. Ce qui est bien, gardez-le »
(1 Thessaloniciens 5, 19-21).
1 Timothée
6, 11-16 (Vivre la foi au Christ)
En s’adressant à
Timothée, l’auteur de l’épître trace
le portrait idéal de « l’homme de Dieu »,
le responsable d’une communauté chrétienne.
Celui-ci se démarquera d’abord des hommes d’argent,
dépeints précédemment aux versets 5 à 10
et qui, « religieux », se font grassement payer
par ceux qui recourent à leurs bons services. Le pasteur se
rappelle « la belle affirmation de foi » qu’il
a prononcée devant l’assemblée lors de son entrée
en fonction. Sa vie est un combat pour le maintien de la vraie foi au
sein de la communauté. Ce combat prend la relève du
témoignage rendu par le Christ lui-même devant Pilate.
« Le commandement du Seigneur » qu’il
doit garder équivaut au charisme de sa fonction, à lui
conféré « quand l’assemblée des
Anciens a imposé les mains » sur lui (1 Timothée
4, 14). Comme tout chrétien, le pasteur cultive « la
foi et l’amour », et l’espérance. Mais
cette dernière vertu s’assimile à « la
persévérance », laquelle se traduit en
« douceur » dans la charge pastorale
quotidienne.
Ce programme n’est pas
un code écrit, mais un contrat entre vifs avec le Dieu
souverain « que personne n'a jamais vu », mais
qui se montrera lors de la manifestation de notre Seigneur Jésus
Christ.
Luc 16, 19-31 (Parabole du riche et de Lazare)
Le
nom de Lazare correspond à l’hébreu Éléazar
et signifie « Dieu a aidé ». « Ce
qui tombait de la table du riche », ce n’était
pas des « miettes », comme on se l’imagine,
mais ces morceaux de galettes orientales servant à s’éponger
les doigts quand on a saisi des mets trop gras.
D’après
ce qui précède, l’histoire du pauvre Lazare
s’adresse « aux pharisiens, eux qui aimaient
l’argent » (Luc 16, 4). Mais, sous cette
accusation quelque peu gratuite, la parabole vise en fait les
disciples chrétiens et parachève l’enseignement
sur l’argent, leçon commencée avec l’anecdote
du gérant trompeur (25e dimanche). Luc donne ici
l’exemple, selon ce contexte, « d’un homme
qui, pour s’être attaché au bien étranger
et n’avoir pas pratiqué l’aumône, voit son
destin se renverser ; ne s’étant pas “fait
d’amis” avec le malhonnête argent, il n’est
pas“accueilli dans les tentes éternelles” (cf. Luc
16, 9 » (S. Beaubœuf, La montée à
Jérusalem…, p. 90).
La
première scène, très brève, souligne
l’incommunicabilité entre *le pauvre et le riche.
Ce dernier a oublié la Loi de Moïse, souvent rappelée
par Amos et tant d’autres prophètes : « Tu
dois ouvrir ta main à ton frère, à celui qui est
humilié et pauvre dans ton pays » (Deutéronome
15, 11). Lazare est un humilié, puisque ses ulcères
sont léchés par des chiens, ces animaux les plus
méprisés par le judaïsme ancien. Il n’a
aucune vertu particulière. Simplement, il est pauvre, et Dieu
exige que les pauvres soient protégés.
Tout
se noue dans la seconde scène, située dans un au-delà
imaginé selon les représentations juives anciennes de
l’outre-tombe et selon les contes orientaux racontant le
retournement des sorts après la mort. D’abord, le riche
a été enseveli selon la coutume ; mais ce sont les
anges qui prennent soin du pauvre délaissé.
Lazare se trouve à la
place d’honneur, « dans le sein d'Abraham ».
Le riche se trouve dans l’enfer, torturé par la soif, un
supplice que les Orientaux connaissent bien, familiers qu’ils
sont du désert. L’incommunicabilité qui, sur
terre, fut au détriment du pauvre devient « un
grand abîme » infranchissable, au détriment
du riche.
Pour les besoins du récit,
voici tout à coup le riche soucieux du sort de ses frères
survivants. Il voudrait un miracle : Que Lazare ressuscite et
avertisse les intéressés du sort qui les attend s’ils
ne se convertissent pas dans leur comportement envers les pauvres.
Nul n’a mieux que Luc souligné ici le danger de la
religiosité qui attend des miracles et des apparitions, alors
que la Parole de Dieu est quotidiennement à la disposition des
hommes pour leur indiquer le bon chemin et les conditions du salut.
Ce dialogue d’outre-tombe souligne deux points :
1) L’enseignement de
Jésus ne fait qu’accomplir « Moïse et
les prophètes » qui ont insisté sur l’amour
des pauvres comme condition du salut. « Quelqu’un
(et c’est Jésus !) pourra bien ressusciter d'entre
les morts », rien n’y fera pour ceux qui auront
oublié le message de Moïse et des prophètes.
2)
Abraham est mis en vedette. Il est le père du peuple de Dieu,
de Moïse et des prophètes. Ses fils privilégiés
sont les pauvres et ceux qui se convertissent de l’amour
aveugle des richesses. Ce sera la leçon de la conversion de
Zachée : « lui aussi est un fils d’Abraham »
(31e dimanche).
Le pauvre et le riche. « Que
répondras-tu au souverain juge, toi qui habilles les murs et
n’habilles pas ton semblable ? Toi qui ornes tes chevaux et
n’as même pas un regard pour ton frère dans la
détresse ? Toi qui laisses pourrir ton blé et ne
nourris pas ceux qui ont faim ? Toi qui enfouis ton or et ne
viens pas en aide à l’opprimé ?
À qui ai-je fait tort, dis-tu, en gardant ce qui
est à moi ? Dis-moi, qu’est-ce qui t’appartient ?
de qui l’as-tu reçu pour le porter dans la vie ?
C'est comme si quelqu’un, après avoir pris une place au
théâtre, en écartait ensuite les entrants et
prétendait regarder comme sa propriété ce qui
est pour l’usage de tous. Ainsi font les riches : parce
qu’ils sont les premiers occupants d’un bien commun, ils
s’estiment en droit de se l’approprier. Si chacun se
contentait du nécessaire et laissait aux indigents son
superflu, il n’y aurait ni riche ni pauvre" (Saint Basile
le Grand [330-379], évêque de Césarée).