27e
dimanche ordinaire C (2 octobre 2022)
Habacuc
1, 2-3; 2, 2-4 (« Le
juste vivra par sa fidélité »)
Chacun
voit midi à sa porte. Amos (25e et 26e
dimanches) voyait dans les armées assyriennes la bombe lancée
par Dieu pour punir le Royaume du Nord et son aristocratie corrompue.
De fait, en 721, l’Assyrie écrasa Samarie. Vers 600, le
Royaume du Sud (Jérusalem) sera à son tour ravagé
par les Babyloniens. Le prophète Habacuc n’a pas, en
l’occurrence, la même position qu’Amos. Certes,
Dieu a tout à fait raison de châtier son peuple
infidèle. Mais pourquoi se sert-il de la cruelle Babylone qui
sème le pillage, la violence, la dispute, la discorde ? C’est
la question que pose Habacuc : Pourquoi Dieu se sert-il de
l’injustice de Babylone ? Serait-il lui-même injuste,
imprévisible ? « Je guetterai ce que dira le
Seigneur », dit hardiment le prophète.
« Alors
le Seigneur me répondit... » Il faut de la
patience ; il faut mettre par écrit ce qui arrive, en
journaliste intelligent, et non en fonction de réactions
épidermiques dictées par les médias. Le salut du
peuple arrivera, « au temps fixé ». Il
faut laisser à Dieu le temps de ses projets. L’insolence
vis-à-vis de lui, c’est de lui fixer les échéances
de ses projets. L’essentiel reste la foi, la confiance :
« le juste (celui qui s’adapte au projet de Dieu),
vivra par sa foi. » Cette sentence éclaire la leçon
de Jésus sur la foi, dans l’évangile. Il éclaire
surtout la thèse de saint Paul du *salut par la foi.
* Le salut
par la foi. « Par la
Loi, personne ne devient juste auprès de Dieu, puisque
l’Écriture dit : C’est par la foi que le
juste vivra » (Galates 3, 11). Cette interprétation
de la sentence d’Habacuc sera le pivot de la Lettre aux Romains
(1, 16-17). Dieu nous estime justes, en relation authentique
avec lui, non pas quand nous accumulons des actes d’obéissance
à ses commandements, mais quand nous lui faisons confiance,
quand nous croyons en son pardon, signifié par le don de soi
du Crucifié et par sa résurrection.
2
Timothée 1, 6-8.13-14
(Le chef de commuauté
doit rester fidèle dans le service de l’Évangile)
Dans
cette Seconde Lettre, écrite en forme de *testament,
Timothée personnifie les responsables chrétiens qui
doivent transmettre l’enseignement de Paul, à chaque
génération, et l’adapter aux situations
nouvelles. Cette véritable filiation (« fils
bien-aimé », cf. 2 Timothée 2, 1 s.)
implique un triple lien :
1)
Comme Moïse choisissant Josué pour successeur (cf.
Nombres 27, 15-23), Paul a imposé les mains à Timothée.
Il lui a ainsi communiqué les dons de l’Esprit, à
savoir la force, l’amour de charité et la modération
pleine de bon sens dans le gouvernement de la communauté
(comparer 1 Timothée 4, 14).
2)
Ce lien vivant avec l’Apôtre doit se traduire, chez ses
successeurs, par l’acceptation de leur « part de
souffrance pour l’annonce de l’Évangile ».
Car le témoin du Christ ne se paie pas de mots. Il paie de sa
personne.
3)
Enfin, le responsable de la communauté est « dépositaire
de l’Évangile », c’est-à-dire
des « saines paroles » transmises par Paul. Ce
dernier n’est plus seulement ici un modèle d’apôtre,
mais le garant de l’authentique Évangile de la foi et de
l'amour qui doit se traduire par une bonne organisation des
ministères dans l’Église.
L’Évangile est
toujours nouveau, mais il se nourrit sans cesse de la tradition qui
vient des apôtres et que chaque époque doit reprendre à
son compte. Ces épîtres, 1 et 2 Timothée, dites
« Pastorales » inspirent le rituel des
ordinations.
* Le
Testament de Paul. Ecrite par
un anonyme, la Deuxième Lettre à Timothée relève
du genre « testament ». Le procédé
consiste à mettre sous la plume d’un ancêtre
illustre et sur le point de disparaître (ici saint Paul
prisonnier) les modèles à suivre et les mauvais
exemples à éviter. Bref, il s'agit d’assumer un
héritage spirituel qui risque de se perdre parce que la vie a
changé. Il revient à chaque génération
chrétienne d’actualiser le message de saint Paul, comme
a commencé de le faire la Deuxième Lettre à
Timothée.
Luc 17, 5-10 (
La puissance de la foi ; l’humilité
dans le service)
Cette
page d’évangile conclut la deuxième étape
de la marche de Jésus vers Jérusalem. Comme en une
sorte de regard en arrière, les disciples s’inquiètent :
tout ce qu’ils ont entendu, au long de cette route, sur les
exigences de la vie chrétienne, semble bien utopique !
Dans notre épisode, la désignation des interlocuteurs a
son importance. D’une part, c’est le Seigneur qui
parle, le maître d’une Église à venir, mais
déjà présente en germe dans le groupe des
compagnons de Jésus. Ceux-ci sont présentés ici
comme les apôtres, un titre rare (cf. Luc 6, 13 et
9, 10). Le dialogue qui suit s’adresse donc à eux
en tant que futurs missionnaires et responsables des Églises.
Ceux-ci,
pensant au programme difficile que leur a tracé Jésus,
sentent leur foi bien fragile. « *Augmente en nous la
foi », s’exclament-ils ! Ils reçoivent
une réponse paradoxale. On ne leur demande pas une foi
héroïque. Même si leur foi n’atteint même
pas la taille de la plus petite des graines potagères, elle
peut déjà réaliser l’impossible. Car elle
est simple confiance en Dieu. Et si Dieu donne des ordres à
ses fidèles, c'est qu’il sait ces ordres tout à
fait réalisables. Jésus reprend ici l’image de la
graine de moutarde (cf. 13, 18-19), soulignant que c’est la foi
des disciples qui croître le Royaume qu’il annonce.
Le
Seigneur prolonge la leçon par une brève parabole. Les
disciples avaient entendu l'histoire du maître servant lui-même
ses serviteurs (Luc 12, 35-37, 18e dimanche). Ici, le
registre change. Les disciples doivent s’imaginer à la
place du maître qui a un employé. Le contrat stipule
qu’il cumulera les fonctions de laboureur, de berger, de
cuisinier, sans oublier le service de la table. En tant que patrons,
ils admettront que ce serviteur doit faire son travail et qu’il
n'a pas à attendre, de la part du maître, des
félicitations particulières, lorsqu'il a accompli les
tâches pour lesquelles il est payé. On comparera cette
sentence du maître juif Yohanan ben Zakkaï, contemporain
de Luc : « Si tu t’es beaucoup appliqué
à l’étude de la Loi, ne t’en fais pas un
mérite, car c’est pour cela que tu as été
créé. » « L’enjeu moral de
cet enseignement est la nécessité de s’abaisser
soi-même dans l’humilité ; cet abaissement
comprend la pénitence, la conversion, qui est elle-même
un renversement des dispositions intérieures adaptant
l’individu à l’accueil et à l’appel
de Dieu » (S. Beaubœuf, La montée à
Jérusalem, p. 94).
Par une fausse comparaison
(« de même vous aussi »), Jésus
renverse d’un coup les perspectives. Vis-à-vis de Dieu,
ce sont les disciples qui sont serviteurs. Malgré le sens
littéral de l’expression grecque « serviteurs
inutiles », les linguistes s’accordent avec raison
pour comprendre « serviteurs quelconques » ou
« simples serviteurs ». Jésus n’affirme
nullement que nous ne servons à rien. Il dit au contraire, et
spécialement à l’adresse des responsables
chrétiens, que nous avons les moyens d'accomplir notre
vocation de serviteurs, dans la simplicité, et sans attendre
de récompense particulière. Nous le pouvons parce que
nous avons reçu de Dieu le don de la foi, une foi qui peut
faire bien au-delà de ce que nous sommes capables d'imaginer.
* « Augmente notre foi. »
« Prions avec les Apôtres : Seigneur,
augmente notre foi. Et enfin, méditons les paroles du
Christ et disons-nous : si nous ne permettions pas à
notre foi de tiédir et même de refroidir, de perdre sa
force en éparpillant nos pensées sur des futilités,
nous cesserions d’accorder de l’importance aux choses de
ce monde, et nous ramasserions notre foi dans un petit coin de notre
âme. Nous la sèmerions alors comme la graine de sénevé
dans le jardin de notre cœur, après en avoir arraché
toutes les mauvaises herbes, et le germe grandirait. Avec une ferme
confiance dans la Parole de Dieu, nous soulèverons une
montagne d’afflictions tandis que, si notre foi est
chancelante, elle ne déplacera même pas une taupinière.
Au terme de cet entretien, je vous dirai que, puisque un réconfort
spirituel suppose une base de foi, et que personne d’autre que
Dieu ne peut la donner, nous ne devons jamais cesser de la lui
demander » (Saint Thomas More, 1478-1535).