28e dimanche ordinaire C (9 octobre 2022)
2 Rois 5, 14-17 (
Guéri
de sa lèpre, Naaman le Syrien croit au Dieu d’Israël)
Élisée, « un
homme de Dieu », comme on appelait alors les prophètes,
œuvra dans le royaume de Samarie. On inscrit ici à son
actif la guérison d’un officier étranger, syrien,
frappé de la lèpre. Deux traits sont soulignés :
le rayonnement du Dieu unique hors des frontières d'Israël,
et la supériorité religieuse d’un païen
venant rendre grâce pour sa purification, alors que le peuple
élu se rebelle souvent à la voix des prophètes.
L’évangile des Dix Lépreux s’inspire de ce
haut fait d'Elisée et met en relief le monde samaritain.
Relevons deux particularités du récit :
1)
C’est la première fois que, dans la Bible (en grec),
apparaît le verbe baptiser : « Naaman...
descendit dans le Jourdain et s’y baptisa sept fois. »
On comprend que les Pères de l’Église aient lu
dans la purification de Naaman le symbole du baptême
chrétien, d’autant plus que la guérison de
l’officier se présente comme une renaissance : « Sa
chair redevint semblable à celle d’un petit enfant. »
2)
Dans l’Antiquité, un dieu est lié... au droit du
sol. Naaman doit donc emporter de la terre d'Israël (verset 17),
pour que le Dieu d’Israël ne soit pas dépaysé
en Syrie. Mais le liturgiste a eu peur de choquer. Il n'a pas osé
citer le verset 18 disant que Naaman est bien obligé par le
protocole de son roi païen continuer à honorer le dieu
syrien Rimmôn. Le prophète Elisée a les idées
larges et comprend la situation. Ce n’est plus toujours le cas
chez certains.
* Naaman et
le baptême. « Naaman
s’est plongé sept fois selon la Loi; mais toi, tu as été
baptisé au nom de la Trinité. Tu as confessé ta
foi au Père (...), tu as confessé ta foi au Fils, ta
foi en l’Esprit Saint. Retiens la succession de ces faits. Dans
cette foi, tu es mort au monde, tu es ressuscité pour Dieu; tu
as été comme enseveli dans cet élément du
monde (l’eau) ; mort au péché, tu es
ressuscité pour la vie éternelle. Crois donc que cette
eau n’est pas inutile » (Saint Ambroise de Milan,
339-397).
2 Timothée 2,
8-13 (
Être fidèles au Christ toujours fidèle)
L’auteur, anonyme, fait
parler Paul à la première personne. L’Apôtre,
à présent disparu, devient ainsi le modèle des
responsables chrétiens, personnifiés par Timothée.
Les versets précédant notre texte rappellent que toute
responsabilité implique un lot d’épreuves, que
l'on soit soldat, athlète ou cultivateur (2 Timothée 2,
3-6). L’exhortation se poursuit à présent en deux
temps :
1)
*« Souviens-toi de Jésus Christ »...
L’auteur cite là un credo ancien (comparer Romains 1,
3-4) résumant l’Évangile. Cet Évangile
intègre désormais l’expérience
missionnaire de Paul. Celui-ci a supporté les chaînes et
le martyre pour que la parole de Dieu, que l’on ne peut
enchaîner, parvienne jusqu’à nous, pour notre
salut. Les ministres de l’Église témoigneront de
l’Évangile en acceptant, eux aussi, les épreuves
liées à leur fonction, par exemple les oppositions de
ceux qui veulent édulcorer les exigences de l’Évangile.
2)
Le responsable chrétien, prédicateur de l’Évangile,
doit s’encourager en se rappelant l’hymne que, peut-être,
il a lui-même chanté lors de son baptême et qui
s'inspire de la théologie de Paul : « Si nous
sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. » Comparons
ce que Paul déclarait, à propos du baptême :
« Si nous sommes passés par la mort avec le Christ,
nous croyons que nous vivrons aussi avec lui » (Romains 6,
8). Voir aussi Romains 3, 3, sur la fidélité divine, et
Apocalypse 20, 4-6, sur le règne final des sauvés avec
le Christ.
* Souviens-toi de Jésus Christ.
Quel chrétien n'a pas chanté cet hymne ? L’auteur
de 2 Timothée l’a tirée du fichier des
chants de son Église. Lucien Deiss, dans son œuvre
musicale et avec ce cantique traduit même en chinois, n’a
jamais voulu faire que ceci : permettre aux Églises
d'aujourd'hui de mémoriser ces paroles fortes de notre foi,
bien plus importantes que les credo ultérieurs élaborés
par les conciles. Peut-être doit-on ajouter que l’auteur
de 2 Timothée songe moins ici à la vie chrétienne
en général qu’au statut de ceux qui se consacrent
à l'apostolat.
Luc 17, 11-19 (
Guéri de sa lèpre, un
Samaritain rend gloire à Dieu)
La mention de « Jésus,
marchant vers Jérusalem », ouvre la troisième
étape du voyage pascal qui s’achèera avec
l’entrée de Jésus dans le Temple de Jérusalem.
En cette nouvelle section, l'intérêt se porte volontiers
sur le Royaume de Dieu et sur ceux qu’a priori,
on pourrait estimer exclus de ce Royaume. C'est le cas dans cette
scène qui fait passer Jésus aux confins de la Samarie
et de la Galilée, en sorte de rendre plausible la présence
d’un Samaritain dans la troupe des dix lépreux.
Ceux-ci « s'arrêtent
à distance », comme leur état d'impureté
le requiert (Lévitique 13, 46). Ils se signalent ici par leur
confiance – première étape dans la foi – en
celui qu’ils appellent « maître »,
en vrais disciples. Ils s’adressent à lui comme des
chrétiens familiers de la liturgie : « Prends
pitié de nous », clament-ils. Jésus leur
enjoint d'aller se montrer aux prêtres, comme le prévoit
la Loi de Moïse en cas de guérison du lépreux (cf.
Lévitique 14, 1-32). Le lecteur ne s’étonne guère
du scénario, puisqu'il connaît déjà un
miracle analogue en Luc 5, 12-14. Le trait nouveau consiste ici en ce
que les malades obéissent en confiance à l'ordre que
leur donne Jésus, sans les réticences que manifestait
Naaman à l’égard d’Élisée
(cf. 2 Rois 5, 9-12). Notons, dans l’activité de Jésus,
Luc aime relever la réédition des grands miracles
d’Élie et d’Élisée.
« En cours de
route, ils furent purifiés. » Le récit
bascule à cet endroit. Un des miraculés rebrousse
chemin, « glorifiant Dieu à pleine voix ».
Plutôt que d'obéir à la Loi (aller se montrer aux
prêtres), il laisse parler sa foi, sa gratitude. Lui seul a
compris que, par Jésus, Dieu a agi envers lui avec bonté.
Il « se jette contre terre » devant le
bienfaiteur. On attendait plutôt ce geste dans la première
scène, empreinte de supplication (comparer Luc 5, 12). Il
devient ici un signe de reconnaissance sans limites. Nous apprenons
soudain que le personnage est samaritain, un « étranger »
que les Juifs estimaient, par principe, exclus du salut. Le récit
propose deux leçons :
1)
Saint Luc distingue deux plans, *la guérison et le salut.
Il l’a déjà montré dans l’épisode
de la femme « atteinte d'un flux de sang » (Luc
8, 43-48). Dieu donne à Jésus une « force »
qui guérit les affligés. Mais le salut est autre
chose ; c’est le lien personnel qui se tisse entre Jésus
et celui qui, guéri, découvre qu’au-delà
d’une guérison physique, il y a un Dieu qui s’intéresse
à lui et veut son bonheur, son salut. Ce lien nouveau relève
l’homme, le remet sur le chemin. C’est à Dieu seul
que l’on rend grâce ; c’est à Jésus
que l’homme rend grâce : il a compris qu’en
Jésus, c’est Dieu qui avait agi pour lui.
2)
Selon saint Luc, Jésus a refusé de châtier un
village samaritain inhospitalier (13e dimanche, 9, 52-55)
et il a cité en exemple de charité ‘le bon
Samaritain » (15e dimanche, 10, 25-37).
L’Évangéliste songe par avance au succès
que l’Évangile rencontrera en Samarie (Actes des
Apôtres, chap. 8). Nous avons en tête certaines
catégories toutes faites par lesquelles nous décidons
inconsciemment qui peut et qui ne peut pas accéder au Royaume
de Dieu. Luc, par ses exemples, nous rend plus prudent dans nos
jugements.
* Guérison et salut. « Ayant,
comme toujours, Dieu au cœur de ses préoccupations,
Jésus fait grief aux neuf autres lépreux de n’avoir
pas “rendu gloire à Dieu”. Mais c’est dans
la parole sur la foi [“Relève-toi et va : ta foi t’a
sauvé”] que culmine le récit. Dix lépreux
ont été guéris, mais seul le Samaritain
reconnaissant est déclaré avoir été
sauvé. Le salut est donc bien plus que la guérison
physique. Et la foi plénière de celui qui revient est
bien plus que la foi-confiance qui avait poussé les dix à
aller se montrer aux prêtres avant même d’être
purifiés. La guérison ne débouche sur le salut
complet de l’être humain que si ce dernier reconnaît
l’initiative gratuite de Dieu à son égard et s’il
y répond en s’engageant dans une vraie relation avec
Jésus : telle est la foi plénière »
(H. Cousin, L’Évangile de Luc, p. 228-229).