3e
dimanche ordinaire C (23 janvier 2022)
Néhémie
8, 1-4a.5-6.8-10 (Le peuple de Dieu
redécouvre la Parole)
Grandiose
scène de la proclamation du Livre ! C’est la fête
des Tentes, au septième mois, celui du nouvel an religieux.
Tout Jérusalem s’assemble près d’un portail
du palais royal pour entendre la Parole. Mais c’est une fête
exceptionnelle, résultat d’une longue histoire.
À
partir de 538, certains exilés de Babylone revinrent en Judée.
Mais leur élan religieux fit long feu. Aussi, entre 445 et 398
(la chronologie est en fait confuse), deux réformateurs
vinrent de Babylone : Esdras, un prêtre versé dans les
écrits mosaïques, et Néhémie, un gouverneur
laïc, un peha,
terme hébreu d’où vient le mot pacha.
On ignore si les deux personnages travaillèrent jamais
ensemble. Mais leur réforme réussit en partie. Elle
visait, avec l’aval du gouvernement perse, à régler
la vie de la Judée sous l’égide de la Loi de
Moïse comme constitution religieuse et politique. La scène
présente solennise cet engagement : on y sent quelque
tristesse, celle d’avoir été infidèle aux
commandements, et en même temps la joie de repartir à
neuf avec Dieu. La
joie du Seigneur est notre rempart,
dit le texte : Jérusalem a encore une muraille bien
fragile et le Temple reconstruit, telles chez nous les églises
reconstruites après la Guerre, n’a plus la splendeur de
celui de Salomon, mais la fidélité du Seigneur envers
son peuple, quels que soient les constructions et autres minarets,
est la meilleure des protections et des remparts.
Dans
cette scène gandiose se profile déjà *l’office
synagogal du temps de
Jésus. C’est, selon saint Luc, lors d’un office de
la synagogue de Nazareth (évangile), un jour de sabbat, que
Jésus proposera à son peuple une route nouvelle.
*L'office synagogal. Dans la scène de Néhémie
8, l’auteur a en tête le scénario d’un
office à la synagogue, le matin du sabbat. Le lecteur (Esdras)
lit la Loi sur cette estrade qu’on appellera la chaire de
Moïse (Matthieu 23, 2-3). On commence par des
bénédictions et des prières (Quand il ouvrit
le livre...). Puis vient la lecture. Esdras lisait un
passage..., c’est-à-dire le texte hébreu; les
lévites traduisaient, en araméen, qui était
devenue la langue du peuple – et cette traduction s’appelait
le targoum; et ils donnaient le sens : c’est
l’homélie.
1 Corinthiens 12, 12-30
(Diversité des membres dans l’unité
du corps du Christ
)
Nous
avons vu dimanche dernier à quel problème Paul répond
en 1 Corinthiens 12. Pour conjurer les divisions dans l’Église
de Corinthe, il recourt à présent à l’image
du corps
:
1.
Notre corps est la figure qui unifie nos membres ; de
même le Christ :
lui seul unifie en lui les chrétiens de toute condition
sociale, grâce à l’Esprit reçu dans le
baptême et dans l’eucharistie.
2.
Le corps n'est pas un
seul membre... Paul
insiste sur la nécessaire diversité des *membres
et leur interdépendance. Puis il souligne ceci (Bien
plus, les parties du corps ...) :
si nous vêtons décemment nos membres dits « honteux »
(les parties génitales), honorons aussi les membres les plus
fragiles de la communauté et vivons un soutien mutuel qui
manifeste l'unité du corps du Christ.
3.
Concrètement, parmi
ceux que Dieu a placé dans l’Église
au service de ses membres, il y a les trois ministères de la
Parole (apôtre, prophète, enseignant), puis divers
services. En queue, Paul met à dessein le « parler
en langues » (en langage mystérieux ; voir 1
Corinthiens 14, 2.23), parce que les Corinthiens ont une admiration
exagérée pour ce phénomène.
Tout le monde ne fait pas
tout ! Pour Paul, l’unité ne réside pas dans
l’uniformité, mais dans la reconnaissance mutuelle des
dons de Dieu à son Église. Une lecture détaillée
de la liste des ministères montre que ceux-ci répondent
aux besoins fondamentaux de tout groupe humain : le sens de
l’unité, le souci de l’objectif visé et
l’attention aux faibles.
*Le
corps et les membres.
Au 5e
siècle avant notre ère, la plèbe de Rome se
révolta contre le Sénat jugé improductif et
nuisible pour les basses couches du peuple. Le consul Ménénius
Agrippa résolut le conflit en racontant la fable des
membres et de l’estomac,
reprise souvent depuis (cf. La Fontaine), à savoir, sans le
gouvernement (le cerveau, dirait-on aujourd’hui !), les
pauvres seraient encore plus pauvres. Paul connaît cet
apologue. Mais, pour lui et contre l’interprétation
politique de la fable, les chrétiens sont membres les uns des
autres parce qu'ils sont ensemble corps du
Christ : leur
unité ne vient pas d’une complémentarité
sociale, mais du fait que tous et chacun, quelles que soient leurs
classes sociales, appartiennent au Christ, à égalité.
Luc 1, 1-4 ;
4, 14-21 (Prologue de saint Luc –
« Aujourd’hui s’accomplit la Parole »)
Nous
entendons d’abord *le
Prologue de Luc (Luc
1, 1-4) ; car aujourd’hui commence la lecture suivie de
cet évangéliste (avant l’entrée en
Carême). On saute ensuite au discours inaugural de Jésus
dans la synagogue de Nazareth (Luc 4), le jour du sabbat. Mais nous
ne lisons que la première partie de la scène : la suite
viendra dimanche prochain.
1.
Selon le prélude
à ce sabbat,
Jésus entreprend en Galilée une brillante tournée
et sa tribune favorite, celle de certains apôtres plus tard,
est la synagogue, lieu central de la vie juive. C’est « avec
la puissance de l’Esprit » que Jésus inaugure
sa mission, l’Esprit qui s’est emparé de lui au
baptême (Luc 3, 22) et l’a conduit au désert pour
y être mis à l’épreuve, au seuil de sa
mission (4, 1). Quel est cet Esprit qui marque tant les débuts
de Jésus ? À cette question répond la scène
de la synagogue de Nazareth.
2.
La mise en scène.
À la synagogue, on lisait d'abord un passage de la Loi de
Moïse et sa traduction en araméen, la targoum, puis un
petit texte tiré des prophètes éclairant le
passage de la Loi. On passait alors à l’homélie.
Au temps de Jésus, n’importe qui pouvait, à
l’invitation du chef de la synagogue, faire la lecture et
l’homélie (comparer Actes 13, 14-16) et le choix des
textes bibliques était assez libre. Ici, Jésus s’arrête
à Isaïe 61, 1-2. Il aurait donc déroulé
presque tout le rouleau d'Isaïe qui comporte 66 chapitres :
c’est donc bien un choix. Ensuite, il prononcera l’homélie
(cf. dimanche prochain).
3.
Le texte d’Isaïe
61, 1-2 (« l’Esprit du Seigneur est sur moi »)
présentait la vocation d’un prophète qui
recevrait l’onction de l’Esprit pour proclamer une Bonne
Nouvelle (un « évangile ») de libération
en faveur des pauvres et de tous ceux qui considèrent leur vie
comme un cachot sans lumière. Bien sûr, c'est
l’évangéliste qui reconstruit cette scène
pour nous expliquer quelle est la mission de Jésus. C’est
aussi pourquoi il n’hésite pas à supprimer la
promesse « du jour de vengeance » que l’on
trouve en Isaïe 61, 2. « L’annonce d'une
année de bienfaits accordée par le Seigneur »
est une allusion à l’institution juive de l’année
jubilaire (tous les 49 ans, voir Lévitique 25, 10-13) en
laquelle les dettes étaient remises, les esclaves libérés,
les captifs amnistiés. Jésus vient inaugurer une sorte
d’année jubilaire définitive.
Dans
l’Ancien Testament, trois personnages peuvent être
appelés « messies », c’est-à-dire
oints, consacrés par l’Esprit en vue d’une
fonction et d’une mission : le roi d’Israël, le
grand prêtre, ou le prophète. Pour saint Luc, Jésus
sera consacré comme messie royal par son Ascension auprès
du Père (voir Actes 2, 36). Durant sa vie terrestre, il est
messie en tant que prophète envoyé aux pauvres, à
ceux qui sont opprimés par la société ou par
leur propre conduite de pécheurs. Nous savons à présent
que l’Esprit apparu au Jourdain pour investir Jésus est
celui qui anime les prophètes. Oui, « aujourd’hui »,
jusque dans notre aujourd’hui, avec les actes et les paroles à
venir de Jésus, la prophétie d’Isaïe 61,1-2
« s’accomplit », trouve sa pleine
réalité. Dimanche prochain, en effet, nous découvrirons
que la mission de ce prophète-messie déborde les
frontières d’Israël.
*Le Prologue de l’Évangile de Luc 1, 1-4. En
rédigeant ses quatre premiers versets à la manière
des prologues ouvrant les traités scientifiques ou historiques
des auteurs de son temps, Luc fait entrer l’Évangile
dans la grande littérature. Comme dans ces prologues, il
s’adresse à un destinataire, Théophile, un païen
devenu chrétien, qui a peut-être une place en vue dans
l’Empire, à moins qu’il ne s’agisse, comme
il arrivait dans cette manière d’écrire, d’un
personnage fictif représentant tous les lecteurs (vous et
moi !). Luc, il le précise lui-même, ne fait pas
partie des « témoins oculaires », les
apôtres, qui devinrent ensuite des prédicateurs,
« serviteurs de la Parole », comme le
raconteront les Actes des Apôtres. Il appartient à la
seconde génération chrétienne. Il travaille sur
les traditions qu’ont « transmises » les
premiers témoins « dès le début »,
c’est-à-dire, selon la pensée de Luc, depuis le
baptême de Jésus par Jean, véritable commencement
de l’Évangile (voir Actes 10, 37 – les récits
de l’enfance de Jésus sont, pour Luc, une préface).
L’évangéliste se propose d’écrire
« un exposé suivi », non point tant
chronologique que théologique, pour montrer comment, avec le
Christ, Dieu est intervenu dans notre histoire. L’Évangile
n’est pas un reportage, mais un murissement de la foi des
premières générations chrétiennes.