Parole de Vie..   
Commentaires du Père Claude Tassin

30e dimanche ordinaire C (23 octobre 2022)




Ben Sirac le Sage 35, 12-14.16-18 (Dieu écoute la prière du pauvre)



Au début du 2e siècle avant notre ère, Ben Sirac tient une école de sagesse qui éduque les jeunes de la nouvelle bourgeoisie commerciale de Jérusalem. Dans ce passage de son recueil de sentences, il plaide pour une religion qui, certes, soit fidèle au culte du Temple, mais qui s’inspire d’un sens affirmé de la justice sociale : « C’est présenter un sacrifice de louange, écrit-il, que de faire l’aumône » (35, 2). Dans ses réflexions pointe le thème de *la justice royale de Dieu. Celui-ci « ne fait pas de différence » entre les classes sociales (comparer Deutéronome 10, 17-18). Bien plus, il aime particulièrement l’opprimé, l’orphelin et la veuve, parce qu’ils sont pauvres et ne trouvent pas d’avocats de leur cause dans la société. On devine en quoi « le Seigneur est un juge » : en sévissant contre les riches exploiteurs. Dieu, au moins, « espère » que, lorsque la société implose, ces derniers comprendront leur responsabilité et reviendront à la raison.

En ce sens, le Seigneur prête une oreille attentive à la prière du pauvre. Il la considère comme un appel à la justice, et il la prend en compte, « jusqu'à ce qu’il ait brisé les reins des hommes sans pitié » (35, 22). Au pauvre, Ben Sirac joint « celui qui sert Dieu de tout son cœur » et « les justes ». Car le vrai juste se présente devant Dieu avec un cœur humble, confiant, et sans se prévaloir d'aucun mérite. Voici donc amorcé le message de la parabole du pharisien et du publicain. Car ce dernier n’est pas du tout un pauvre, du point de vue social.


La justice royale. Dans l’Orient ancien, c’est aux souverains qu’il revenait de prendre la défense des catégories sociales défavorisées. S’il tenait à son honneur royal, il devait tout faire qu'il n’y ait pas de pauvres dans son pays ; sinon, c’était la honte pour lui, dans son peuple et du point de vue international. On comprend que Dieu, dans la Loi mosaïque, ait repris en quelque sorte cet idéal à son propre compte : « Vous n’accablerez pas la veuve et l'orphelin. Si tu les accables et qu’ils crient vers moi, j’écouterai leur cri. Ma colère s’enflammera et je vous ferai périr par l’épée : vos femmes deviendront veuves, et vos fils, orphelins » (Exode 22, 21-23).

Il ne s’agit pas d’une justice d’équité, mais d’une justice qui privilégie et sauve ceux qui sont victimes de l’injustice. En ce sens doit se comprendre la béatitude prononcée par Jésus : « Heureux, vous les pauvres : le Règne de Dieu est pour vous » (Luc 6, 20). Heureux, oui, parce que Dieu est lassé de vous voir pauvres. Il a décidé d'intervenir comme Roi en votre faveur. Prendre le parti du pauvre, c’est défendre l’honneur de Dieu.




2 Timothée 4, 6-8.16-18



Dans ce testament, l’auteur qui fait parler Paul s’inspire de la lettre aux Philippiens. L’Apôtre écrivait alors, depuis sa prison : « Je suis répandu en libation » (Philippiens 2, 17), mais il avait bon espoir de sortir de prison. L’expression voulait dire ceci : comme, dans le Temple de Jérusalem, la libation de vin donne au sacrifice sa validité rituelle, de même, mes épreuves de captif sont la libation qui s’unit votre sacrifice quotidien, c’est-à-dire votre fidélité à la foi chrétienne malgré les oppositions

Ici, au contraire, le disciple qui relit Paul et dont la plume prend sa place fait écho au martyre du héros (« je suis déjà répandu en libation », expression ainsi retraduite par la liturgie : Me voici déjà offert en sacrifice). C'est l’ensemble de la carrière de Paul qui devient à présent un modèle et une source d’espérance pour les chrétiens à venir. Il a combattu le bon combat de la foi, au service de l’Évangile. Aux chrétiens des générations suivantes de lutter avec courage pour la foi, dans l’espérance de recevoir « la récompense du vainqueur », octroyée, au terme de la compétition sportive, par « le juge impartial », Dieu. Elle revient à ceux qui désirent vraiment « la manifestation » du Seigneur Jésus, son intervention au terme de notre histoire.

Comme Paul devant ses juges, ses enfants spirituels ne s’étonnent pas de rencontrer parfois la solitude dans leur témoignage, et ils ne tiennent pas rigueur à ceux qui auraient dû les soutenir. Avec Paul, ils comptent avant tout sur l'assistance du Seigneur. Comme le jeune Daniel dans sa fosse (cf. Daniel 6, 20-23), l’Apôtre a été libéré de la gueule du lion, non point en sortant de de sa geôle romaine, mais par son entrée « au ciel, dans son Royaume », là où conduit le combat de tout croyant.


Luc 18, 9-14 (Parabole du pharisien et du publicain)



La fable, sans parallèle dans les autres évangiles, oppose deux personnages de théâtre. Rendons-nous au Temple de Jérusalem. En haut de la scène, le pharisien, souvent de condition sociale moyenne, pieux, soucieux de la Loi divine et voulant aider, par sa conduite personnelle, ses frères juifs à mener une vie fidèle à Dieu – mais comme il est difficile de distinguer entre donner l’exemple et se donner en exemple ! En bas, le publicain, un collecteur d’impôts, souvent extorqueur, parce que les autorités romaines et les rois juifs, qui mettaient le poste de publicain aux enchères, fermaient les yeux sur la manière dont ces fonctionnaires obtenaient le maximum d’argent pour les caisses de l’État, tout en « se sucrant » eux-mêmes. Pour l’auditoire juif de Jésus, c’est le pharisien qui est a le beau rôle. Or, dans cette pièce en un acte, Luc, metteur en scène de la parabole de Jésus, révèle son art théatral. Il a dénoncé les pharisiens comme ceux « qui se présentent comme des justes aux yeux des hommes » (Luc 16, 15). Mais ce rappel visait un monde plus large : « ceux qui sont convaincus d’être justes », donc aussi bien des chrétiens, et tous ceux qui montrent une attitude de mépris pour les autres. Ainsi, Luc livre d'emblée sa clé d’interprétation de la parabole. Le sens paraît cependant, en son origine, dans la bouche de Jésus, plus complexe. Et ce n’est pas sans intérêt

Le pharisien prononce une authentique prière d'action de grâce : il dit qu’il doit à Dieu d’être ce qu'il est. Sans l'aide divine, sans doute ferait-il partie des « voleurs, injustes, adultères ». Il remercie Dieu de lui donner un zèle qui dépasse la simple obéissance aux commandements et qui se traduit par les jeûnes et les dîmes volontaires. Peut-être pourrait-il s’abstenir d’établir des comparaisons : « comme les autres hommes..., ou encore comme ce publicain. »

Par contraste, *la prière du publicain se signale par son laconisme. Le personnage, représentatif de ceux que l’on tenait pour des pécheurs publics, se tient dans une humble réserve. Il n'a d’ailleurs rien à son actif dont il pourrait rendre grâce. Dans sa lucidité, il ne peut qu’implorer la pitié de Dieu. « Le repentir du publicain rappelle celui du fils perdu et retrouvé en 15, 11-32 ; celui-ci avoue : “j’ai péché” (15, 18.21, celui-là se nomme lui-même “pécheur” » (S. Beaubœuf, La montée à Jérusalem, p. 105).

Les synagogues du temps de Jésus aimaient les prières d'action de grâce. La conclusion de Jésus devait donc étonner beaucoup les auditeurs : Dieu a estimé juste l'attitude du publicain qui, à la différence du publicain Zachée (31e dimanche, Luc 19, 1-10), ne parle même pas de réparer ses torts. Simplement, il croit en la miséricorde d’un Dieu qui, seul, peut changer son existence. Et c'est cette attitude que le Seigneur considère comme le point de départ juste et vrai.

Le pharisien n’a pas rencontré ce Dieu « qui a le pouvoir de réaliser en nous par sa puissance infiniment plus que nous ne pouvons demander ou même imaginer » (Ephésiens 3, 20). Il apparaît comme « un juste sphérique » : de quelque côté qu’on le tourne, on ne trouve qu’un juste ! Il n’y a aucune faille par laquelle Dieu puisse entrer et faire quelque chose pour lui. Il n’a d'ailleurs rien demandé. Or, l’action de grâce qui ne débouche pas sur la prière de demande est menacée de l’autosatisfaction.

Plus que le mépris dénoncé par Luc en introduction, c’est en fait ce type de « suffisance » qui nous rend imperméables à l’action de Dieu en nous. On notera que, lorsque Jésus donne un enseignement sur la prière, il parle toujours de la prière de demande (par exemple Luc 11, 5-13) parce que celle-ci nous situe en fils disponibles aux dons du Père. Agrafée sur l’action de grâce qui reconnaît les bienfaits déjà reçus, la demande confesse que Dieu, tout-puissant, ne nous a pas encore montré tout ce qu’il peut faire pour nous.

Le proverbe final, « Qui s'élève sera abaissé (par Dieu !)... », déjà utilisé en Luc 14, 1, ne s’ajuste pas parfaitement à la parabole. Il la prolonge, en évoquant notre salut final et en nous mettant en garde contre tout orgueil devant un Dieu qui attend de nous une relation désintéressée.


La prière du publicain. « La prière faite avec ardeur et dans la détresse, voilà la prière qui monte jusqu’au ciel. Tu manques d’assurance ? C’est au contraire une grande sécurité et un grand avantage de croire que l’on manque de motif d'assurance : comme c’est une honte et une condamnation de croire que l’on a toute raison d’être sûr de soi. Quand bien même tu aurais accompli beaucoup de bonnes actions, et même si ta conscience ne te reproche rien, si tu crois avoir toute raison d’être sûr de toi, tu perds tout bénéfice de la prière. Par contre, même si ta conscience est chargée du fardeau de millions de péchés, pour peu que tu sois convaincu d’être le dernier des hommes, tu pourras t’adresser à Dieu en toute assurance. Représente-toi par la pensée deux chars : attelle à l’un la vertu et l’orgueil, à l’autre le péché et l’humilité, et tu verras le char traîné par le péché devancer celui de la vertu, non certes par sa force propre, mais par celle de l’humilité qui y est jointe » (Jean Chrysostome, 4e s., évêque de Constantinople).



Page précédente           Sommaire Paroles pour prier           Accueil site