3e dimanche de l’Avent A (11
décembre 2022)
Isaïe 35, 1-6a.10 (Les
merveilles du salut à venir)
Combien
de prisonniers de guerre renoncent, au dernier moment, à
l’évasion ! Car la captivité assure une
relative sécurité. Se libérer exige toujours de
traverser « le désert et la terre de la soif ».
Et certains flanchent, tels les Israélites exilés à
Babylone, alors qu’il devenait évident que Babylone
allait être écrasée par Cyrus le Mède et
que, selon la politique de ce dernier, les déportés
allaient pouvoir rentrer chez eux.
Un
prophète anonyme, dont le poème s’est glissé
dans le livre d'Isaïe, analyse cette situation. Oui, Dieu va
libérer son peuple, en *roi vainqueur prenant la tête
du retour. Le désert à traverser ne sera pas l’enfer
: il fleurira, aussi fertile que le Liban, le vignoble du Carmel ou
la plaine de Sarône. Une seule chose manque : la
confiance. Les mains des déportés défaillent,
leurs genoux fléchissent. Leurs yeux sont aveugles, leurs
oreilles sourdes et leur bouche muette face au salut que, pourtant,
Dieu prépare en affaiblissant Babylone.
Quand les adeptes de Jean
Baptiste se demandent si Jésus est bien celui que leur maître
a patronné, les évangiles invoquent ce poème
d’Isaïe annonçant en Jésus le guérisseur
des aveugles, des sourds, des muets, des estropiés (voir
Matthieu 11, 2-6). Le tout est de savoir quel Messie nous attendons :
un juge implacable ou un sauveur ?
*Le Roi. Comme roi, Dieu se doit de libérer
ses sujets emmenés en captivité. Car l’Orient
ancien attribuait au roi la mission de défendre le pauvre, le
faible, contre le puissant et l’oppresseur. Le souverain idéal
sera l’œil de l’aveugle, le soutien des accablés,
le protecteur de l'étranger. Le Psaume 145 qui prolonge la
1ère lecture chante ainsi la royauté de
Dieu ; il annonce les signes de libération que Jésus
accomplira; il nous invite à partager l'amour du Christ pour
les petits.
Jacques 5, 7-10 (« Ayez
de la patience : la venue du Seigneur est proche »)
La
communauté chrétienne à laquelle s’adresse
Jacques, « le frère du Seigneur » (cf.
Galates 1, 19), connaît bien des troubles :
médisances entre frères (Jacques 4, 11-12), rapacité
dans les affaires (4, 13-17), injustice envers les ouvriers agricoles
(5, 1-5). Ceux qui vivent en justes dans cette ambiance risquent de
*s’impatienter et de se faire justice eux-mêmes.
L’auteur replace alors
la vie chrétienne sous l’horizon de « la
venue du Seigneur ». Il évoque d’abord
l’expérience du cultivateur et il appelle à la
patience, à l’endurance, à la fermeté, ces
vertus typiques de l’attente, de l’époque
liturgique de l’Avent.
On en vient au point
sensible : inutile de « gémir » en
accusations « les uns contre les autres ». dans
les conflits sociaux. Agir ainsi, c'est s’ériger en
juge, c’est-à-dire pendre la place de Dieu et par
conséquent s’exposer à être jugé par
lui (comparer Matthieu 7, 1-2). Or « le Juge est à
notre porte », prêt à intervenir, comme en
Marc 13, 29.
L’auteur ajoute un
autre modèle d’endurance, celui des prophètes qui
avaient payé de leur vie, selon les légendes juives
anciennes, leur fidélité à la parole de Dieu.
Matthieu 23, 29-31 fait écho à cette tradition. Cet
exemple vise surtout les justes qui s’impatientent parce que
leur rectitude ne leur crée que des ennuis. Jésus avait
prévu de telles épreuves (cf. Matthieu 5, 11-12).
*Patience
et impatience. « Savez-vous ce que c’est que
d’attendre un ami, d’attendre qu’il vienne, et de
la voir tarder ? Savez-vous ce que c’est que d’être
dans une compagnie qui vous déplaît, et de désirer
que le temps passe et que l’heure sonne où vous pourrez
reprendre votre liberté ? (…) Savez-vous ce que
c’est que d’avoir un ami au loin, d’attendre de ses
nouvelles et de vous demander jour après jour ce qu’il
fait en ce moment, et s’il est bien portant ? (…)
Veiller dans l’attente du Christ est un sentiment qui ressemble
à ceux-là, autant que des sentiments de ce monde sont
capables de figurer ceux d’un autre monde. Il veille avec le
Christ, celui qui, tout en regardant l’avenir, ne perd pas de
vue le passé, et tout en contemplant ce que son Sauveur a
acheté pour lui, n’oublie pas ce qu’il a souffert
pour lui » (Cardinal Newman [1801-1890]).
Matthieu
11, 2-11 (Jean Baptiste et Jésus)
Les actes de Jésus
correspondaient mal aux sévères avertissements lancés
par Jean Baptiste dans l'évangile de dimanche dernier. D’où
la perplexité du Précurseur au sujet de celui qui avait
été son disciple, et sa question : « Es-tu
celui qui vient », une désignation du Messie
inspirée par le psaume 118 [117], 26. Dans le passage ici
retenu, la réponse s’organise en deux parties. Jésus
renvoie d’abord Jean aux prophéties ; il situe
ensuite la mission du Baptiste.
Jésus et les
prophéties
Jean
a « appris les œuvres du Christ ».
L’énumération qui suit veut donc montrer quelles
actions Jésus a choisi d’accomplir pour se révéler
comme le Christ, le Messie. La liste est d’abord un dossier de
citations du prophète Isaïe. Avec, dans l’ordre,
les aveugles, les boiteux et les sourds et les boiteux, on trouve
d’abord un écho d’Isaïe 35 (1ère
lecture). La mention des résurrections vient d’Isaïe
26, 19 et l’annonce de la Bonne Nouvelle aux pauvres correspond
à Isaïe 61, 1. La purification des lépreux
n’appartient pas aux prophéties d’Isaïe. En
revanche, Élisée a opéré un tel miracle
(cf. 2 Rois 5), de même que, comme Élie, il fut l’agent
d’une résurrection (1 Roi 17, 17-24 et 2 Rois 4, 18-37).
Or, précisément, et c’est important dans le débat
présenté par cette page d’évangile, les
prophètes du mouvement baptiste tels que Jean se présentaient
comme les héritiers d’Élie et d’Élisée.
Le sommet des œuvres
du Christ n’est pas le miracle des résurrections, mais
le fait que les petits, les pauvres, sont privilégiés
dans l’annonce de la Bonne Nouvelle. S’ajoute un
avertissement : « Heureux celui qui », au vu de
ces signes, reconnaîtra le Messie et « ne tombera
pas » dans un refus coupable de sa mission. Au premier
chef, cette mise en garde vise Jean lui-même et, à sa
suite, de toutes ceux et celles qui rêvent d’un Messie
s’imposant par la force et la puissance.
La mission du Baptiste
« Tandis
que les envoyés de Jean se retirent », Jésus
définit pour les foules la mission de Jean par rapport à
la sienne. Qui est Jean ? En courant à lui, dit le Maître,
vous n’alliez pas voir un roseau des rives du Jourdain, une
chose inconsistante ployant à tous les vents. Vous ne
cherchiez pas non plus un personnage mondain. Vous pensiez trouver un
prophète, et vous aviez raison. Il est même plus qu’un
prophète qui déjà proclamait la venue du règne
de Dieu (Matthieu 3, 2), même s’il avait de ce règne
une conception sévère que Jésus corrigera. À
Jean s’applique la prophétie de « l’Ange »
ou « Messager » annoncé par Malachie 3,
1, une prophétie combinée avec celle de l’Ange
ouvrant la route de la Terre promise (Exode 23, 20). À la fin
des livres prophétiques, Malachie 3, 23-24 identifie ce
« Messager » (c’est le sens du nom de
« Malachie » en hébreu) à Élie
qui, selon les espérances juives, reviendra au terme de
l’histoire (comparer Matthieu 11, 13-14).
De Jean Baptiste aux
chrétiens
Comment
situer Jean ? Selon l’histoire humaine, il n’y a pas plus
grand personnage que lui qui vient couronner la lignée de ceux
annonçaient la venue du règne de Dieu et du Messie.
Mais le moindre des chrétiens le dépasse en dignité,
car il appartient à ce Royaume nouveau qui renverse les
critères humains de réussite et privilégie les
petits.
En reprenant ces traditions
évangéliques, Matthieu s’adresse aux Baptistes
qui existent encore dans les années 80, l’époque
où il écrit : « les œuvres »
réalisées par Jésus les invitent à
reconnaître en lui le Messie. Le Christ a estimé à
sa valeur la mission de Jean, mais il offre à ses adeptes
d’accéder à la dignité supérieure
de membres du *Royaume des cieux, de cette nouvelle manière
de vivre ensemble annoncée par le Christ et qui devient pour
ses disciples une mission au bénéfice de tous les
laissés pour compte.
*Le Royaume des cieux. « Voici que
Jésus proclame que le moment est arrivé, qu’au
royaume des hommes, au royaume des choses, au royaume de Satan, doit
succéder le royaume de Dieu. L’attente des prophètes
doit être enfin comblée, dans le peuple élu, dans
toute l’humanité. La puissance divine approche et veut
prendre le pouvoir, elle veut pardonner, sanctifier, illuminer,
diriger et renouveler toute chose par la grâce divine. Mais
sans violence, en ne faisant appel qu’à la foi et au
libre don des hommes » (R. Guardini).