4e dimanche de l’Avent A (18
décembre 2022)
Isaïe 7, 10-16 (Dieu
promet un sauveur)
« Les
deux rois », celui de Damas et celui de Samarie, vont
assiéger Jérusalem pour forcer Acaz à se
coaliser avec eux contre l’Assyrie. S’il refuse, ils le
déposeront, voire pire, et ce sera la fin de l’alliance
de Dieu avec la « maison de David ». Acaz a
choisi de se soumettre à l’Assyrie. Dans la culture de
l’époque, cela signifie que ce traité de
vassalité à cette super-puissance soumet le Dieu
d’Israël aux dieux assyriens.
En
l’affaire, la position d’Isaïe est claire : Pas
d’alliance avec l’Assyrie ! Il faut tenir bon dans la
seule confiance envers le Dieu qui a juré fidélité
à David. Et si Acaz doute, qu’il demande à Dieu
un signe extraordinaire, propose le prophète. Mais le roi ne
veut pas faire marche arrière ; il se dérobe par
un argument pieux : il ne faut pas tenter le Seigneur, dit-il.
Ce qui une fausse raison, puisque c’est Dieu lui-même qui
prose de donner un signe. Face à cette dérobade, Dieu
fournira son propre signe d’espérance aux incrédules :
« la jeune femme », la reine, est enceinte. Le
fils qui naîtra s’appellera *Emmanuel, car on
verra que « Dieu est avec nous », selon le sens
du mot hébreu Emmanuel. Sa nourriture sera le lait et le miel,
signe d’abondance et de paix pastorale. Il aura le discernement
politique et religieux qui manque à Acaz, son père. Et
avant même qu’il ait atteint l’âge de raison,
l’Assyrie aura châtié Damas et Samarie.
En
cela, Isaïe aura vu juste. En revanche, Ézékias,
le fils promis à Acaz, décevra le prophète qui
ne pourrra pas voir en lui l’Emmanuel espéré.
Pour les chrétiens, la promesse de l’Emmanuel trouvera
tout son sens dans la venue de Jésus., « né
de la race de David » (2e lecture).
*L’Emmanuel. La Bible conserva l’oracle
de l’Emmanuel. Si aucun roi, à commencer par Ézékias,
ne réalisait l’idéal annoncé, on devait
encore attendre avec confiance celui qui serait le vrai Messie. Puis
les Juifs d’Alexandrie traduisirent Isaïe en grec. « Voici
que la jeune femme conçoit », lisait-on en hébreu.
Ce qui devient, en grec : « Voici que la vierge
concevra. » Cette vierge est l’Israël idéal
qui donnera le Messie au monde. La Bible grecque offrait aux
évangélistes un dernier chaînon pour rendre
compte de la conception virginale de Jésus (cf. Matthieu 1,
22-23 ; Luc 1, 31).
Romains 1, 1-7
(L’Apôtre annonce le salut en Jésus
Christ)
Sept versets ouvrent
la Lettre aux Romains et forment une seule phrase dans l’original
grec. Paul montre aux chrétiens de Rome, qu’il n’a
encore jamais visité, qu’il partage avec eux la même
foi. Il explore ici et déploie en quatre phases les richesses
du mot *« évangile »,
ou Bonne Nouvelle :
1) L’Évangile a
pour racines premières les prophètes de la Bible qui
ont annoncé le Messie.
2)
L’Évangile proclame que Jésus est « Fils
de Dieu ». Il l’est, parce que cette expression est,
dans le judaïsme, un titre royal ; or Jésus est de
la race du roi David. Mais il est Fils de Dieu surtout par sa
résurrection qui lui donne de partager la puissance royale de
Dieu.
3) L’Évangile
prend son ampleur et se concrétise dans les apôtres
(dont Paul !) qui, appelés par Dieu, conduisent les peuples
vers la foi. Cette foi est une « obéissance » :
le croyant se soumet à Jésus comme au Seigneur
universel, et la vie s’en trouve changée.
4)
Enfin, l’Évangile, c’est vous, chrétiens de
Rome, dit Paul. Obéissant à votre foi, vous êtes
une page vivante de l’Évangile. Comparer ce que Paul
écrit au sujet des chrétiens de Corinthe : 2
Corinthiens 3, 2-3.
Les chrétiens de
Rome, très liés au judaïsme, ont entendu dire que
Paul reniait les racines juives de l’Évangile. L’Apôtre
rétablit ici la vérité et, seul exemple sous sa
plume, il situe le Christ dans la lignée de David, comme les
autres lectures de ce dimanche.
*Évangile ou Bonne Nouvelle ?
Les traductions modernes tendent à rendre le mot grec
euaggélion par « Bonne Nouvelle ».
Certes, c’est le sens fondamental du mot « Évangile ».
Mais, on risque d’oublier que cette bonne nouvelle venue de
Dieu est… l’Évangile. Il faut aussi distinguer
entre Évangile et évangile. L’Évangile,
avec la majuscule, est l’annonce du salut de Dieu qui nous
sauve et dont, en cette 1ère lecture, Paul déploie
l’ampleur à travers l’histoire. Les évangiles,
lus chaque dimanche, sont le dépôt écrit de cette
Bonne Nouvelle divine. Lorsque Paul s’adresse aux Romains, il
n’existe encore aucun évangile écrit.
Matthieu
1, 18-24 (La venue de l’Emmanuel annoncée à
Joseph)
Cette
page de Matthieu veut montrer comment Jésus peut être le
Messie, fils de David, alors que Marie, semble-t-il, n’appartient
pas à la famille davidique. Le récit emploie les
ingrédients et les règles de composition des écrits
de l’Ancien Testament appelés Annonciations.
Une situation
Une Annonciation
expose d’abord au lecteur une situation. Ainsi apprenons-nous,
avant le Joseph de ce récit, que la grossesse irrégulière
de Marie vient de l’Esprit Saint. Celui-ci ne remplace pas
l’élément masculin de la génération.
Mais Dieu intervient directement et substitue un acte de création
au processus biologique habituel. Or, quand Dieu crée, c’est
par son Esprit (cf. Psaume 33[32], 6b). Joseph n’est pas « un
homme juste » du point de vue légal, puisque la
répudiation constituait un acte officiel devant se passer
devant témoins. De ce point de vue, une répudiation
« en secret » va contre la Loi mosaïque.
C’est aux yeux de l’évangéliste que Joseph
est juste, parce qu’il refuse, d’une part, d’endosser
une paternité qui n’est point la sienne, mais que,
d’autre part, il va obéir à Dieu lui demandant
d’assumer cette paternité.
L’intervention du
messager de Dieu
Un récit
d’Annonciation doit ensuite présenter cette intervention
angélique. Ici, les choses se passent en songe. Le patriarche
Joseph était « l’homme aux songes »
(Genèse 37, 19) : la transposition s’impose à
l’évangéliste pour l’homonyme du
patriarche. En outre, d’après une légende juive,
c’est durant son sommeil que Dieu avait annoncé à
Amram la naissance d’un fils, Moïse, qui sauverait son
peuple de l’esclavage en Égypte. Il serait puéril
de vouloir faire concorder l’Annonciation à Marie en Luc
1, 26-38 et celle accordée à Joseph selon Matthieu,
sauf à faire du roman. Les récits d’Annonciation
sont des interprétations du mystère de Dieu par des
auteurs sacrés qui ont chacun leur point de vue du
mystère et mettent au défi les outils des historiens.
Le message
Puis,
comme en tout récit d’Annonciation, vient le message.
C’est une révélation pour le lecteur et une
mission pour Joseph qui se voit sollicité en tant que « fils
de David ». En donnant à l’enfant son nom,
rôle réservé au père (comparer Luc 1,
59-63), Joseph l’adoptera. Notons que, dans la société
patriarcale antique, toute filiation légale est un acte
d’adoption. C’est le père qui décide de
reconnaître si le bébé est réellement son
héritier ou si ce dernier n’est qu’un enfant « de
la maison », né de domestiques. Ainsi,
l’authentique filiation davidique de Jésus dépend
de l’obéissance de Joseph aux projets de Dieu. Mais le
nom « Jésus » dit plus que cette
filiation, puisqu’il signifie « le Seigneur sauve ».
D’autres l’ont porté avant lui, tel « Josué »
(c’est le même nom), le successeur de Moïse. Mais,
en Jésus, le nom devient réalité, « car
c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ».
Un signe probant :
l’Écriture. Vers la fin de l’évangile
D’ordinaire,
un récit d’Annonciation fournit un signe authentifiant
le message (comparer Luc 1, 36, ou Exode 4, 1-5). Ici, l’évangéliste
substitue à ce signe la citation de l’oracle de
l’Emmanuel (cf. 1ère lecture). Prenons la
mesure de la manière dont s’expriment les écrivains
sacrés : qu’il s’agisse d’un ange, d’un
songe, ou d’une citation de l’Écriture (l’Ancien
Testament), ces procédés convergent dans cet acte de
foi qui nous est demandé : Dieu parle réellement
dans l’histoire des humains par divers moyens et requiert notre
collaboration à ses projets. L’évangéliste
Matthieu tient son rôle dans la transmission de *la
nomination de l’Emmanuel, une transmission qui annonce
l’ampleur de la mission chrétienne. Car, dans ses récits
de l’enfance de Jésus, Matthieu ne fait rien d’autre
que de préparer la dimension universelle de la mission
chrétienne.
* La nomination de l’Emmanuel.
Matthieu cite l’oracle d’Isaïe 7, 14 (cf. 1ère
lecture) sur la naissance de l’Emmanuel. Le texte hébreu
de la prophétie dit, littéralement : « Et
elle [= la jeune femme] appellera son nom Emmanuel. »
La Bible grecque traduit : « Et tu [= le roi
Acaz] appellera son nom Emmanuel. » Matthieu présente
un autre choix. Notre lectionnaire traduit : « auquel
on donnera le nom d’Emmanuel. » Mais la traduction
littérale de l’évangéliste est celle-ci :
« et ils appelleront son nom Emmanuel. »
Ce que, par un jeu de mots possible en en grec, on peut comprendre
ainsi : « Ils invoqueront son nom comme Emmanuel. »
Ce « ils », représente les païens
qui croiront au Christ. Car, à la fin de l’Évangile,
le Ressuscité tournera ses disciples vers toutes les nations.
Dans leur mission universelle, ils découvriront que, dit
Jésus, « Avec vous Je Suis » (Matthieu
28, 20), ultime portée de la prophétie de l’Emmanuel.
L’annonce à Joseph dessine par avance toute la mission
universelle du Christ.