Parole de Vie..   
Commentaires du Père Claude Tassin

5e dimanche ordinaire C (6 février 2022)




Isaïe 6, 1-2a.3-8 (Révélation du Dieu Saint et vocation d’Isaïe)


La première lecture de dimanche dernier présentait la vocation de l’humble Jérémie, tout en omettant l’objection du prophète : « Je ne sais pas parler, je ne suis qu’un gamin » (Jérémie 1, 6). Ce récit voulait annoncer la mission de Jésus comme prophète des nations. Aujourd’hui nous lisons la vocation d’Isaïe, un noble d’Israël, qui, sans timidité aucune, déclare au Seigneur : « Moi, je serai ton messager : envoie-moi. » Dieu appelle chacun de nous à son service selon son tempérament personnel.

La noblesse suprême d’Isaïe s’exprime dans son aveu vis-à-vis de la majesté divine : « Je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures… » L’expression annonce celle de Simon-Pierre appelé par Jésus : « Seigneur, éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur » (évangile). Tout appelé du Dieu saint devient digne de sa vocation lorsque, quel que soit son rang social, il prend conscience de son indignité.

La vocation d’Isaïe a pour cadre le culte du Temple, avec ses portes monumentales pivotant sur leurs gonds au rythme des célébrations. Les « séraphins » n’ont rien à voir avec les angelots de nos peintures. Il s’agit peut-être de figures (en forme de serpents ?) ornant le Saint (pièce centrale du Sanctuaire de Jérusalem). Leur nom signifie « les brûlants » et l’on comprend que ce soient eux qui brûlent les lèvres d’Isaïe pour rendre pur son message. N’est-ce pas dans l’émotion du culte, à l’instar d’Isaïe, que maint chrétien a découvert sa vocation ?


Saint, saint, saint, le Seigneur ! Cette triple acclamation du Saint, c’est-à-dire du « Tout Autre », entra très tôt dans la liturgie chrétienne, comme elle entra dans le Shemoné Esré (les Dix-Huit Bénédictions) du service synagogal : « Tu es saint, et ton Nom est saint. (…) Nous sanctifierons ton Nom dans le monde, comme on le sanctifie dans les hauteurs célestes, ainsi qu’il est écrit par ton prophète : Saint ! Saint ! Saint est le Seigneur des armées, sa gloire remplit toute la terre. (…) D’âge en âge nous dirons ta grandeur et d’éternité en éternité nous proclamerons ta sainteté. Ta louange, ô notre Dieu, ne quittera jamais notre bouche car tu es Dieu, Roi grand et saint. – Béni es-Tu, Seigneur, le Dieu saint ! »




1 Corinthiens 15, 1-11 (La tradition de la foi au Christ mort et ressuscité)


L’avant-dernier chapitre de l’épître pénètre au cœur de la foi, à savoir la résurrection du Christ, promesse de notre propre résurrection. Paul ramène les Corinthiens à ce fondement du christianisme en recourant au « kérygme (= message en forme de résumé) pascal ».

Le Christ mourut « pour nos péchés »,c’est-à-dire à la fois à cause de nos péchés et en faveur des pécheurs que nous sommes, et cet événement est conforme à l’Ancien Testament, par exemple au poème du Serviteur souffrant (Isaïe 52, 13 – 53, 12). Le Christ est réellement mort, puisqu’il fut « mis au tombeau » (cf. Isaïe 53, 9). Mais il est le « réveillé » (par Dieu), *le troisième jour, conformément aux psaumes annonçant le triomphe du Messie (par exemple Psaume 110 [109]). « Il se fit voir », comme Dieu autrefois à Abraham (Genèse 17, 1) ou à Moïse (Exode 3, 2). Il s’est montré pour confier la mission chrétienne d’abord au groupe central de Pierre et des Douze, puis au cercle plus large des « apôtres » qui avait pour chef de file Jacques, appelé « le frère du Seigneur » (Galates 1, 19). Dans ce cercle s’inscrit « l’avorton » (ou, meilleure interprétation : « fils posthume »), dernier bénéficiaire d’un envoi pascal. Entre ces deux groupes, Paul situe une « apparition » à cinq cents frères qui, eux, ne sont pas envoyés. Le rappel de leur expérience veut prouver le caractère massif et indubitable de la manifestation du Ressuscité.


* Le troisième jour conformément aux Écritures. Cette expression du « kérygme » s’intègre dans notre Credo. Elle est moins une indication chronologique des apparitions du Christ qu’une allusion à la tradition juive ancienne selon laquelle, selon une interprétation d’Osée 6, 2, ce « troisième jour » désigne la résurrection des croyants à la fin des temps. La résurrection de Jésus inaugure notre propre résurrection à venir.



Luc 5, 1-11 (La pêche miraculeuse. La vocation des Apôtres)


Selon la mise en scène de saint Luc et après le discours dans la synagogue de Nazareth, Jésus s’est rendu à Capharnaüm, au bord du lac de Galilée. Là, il a libéré un possédé et guéri « la belle-mère de Simon » (Luc 4, 38) – Simon qui n’est pas encore nommé Pierre. Et, « au coucher du soleil » (4, 40), la foule présente à Jésus une multitude de malades et de possédés. Le Nazaréen devient désormais célèbre. On se presse autour de lui pour « écouter la parole de Dieu » qui est, selon ce qui précède, « la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu » (Luc 4, 43). Mais le héraut de cet Évangile ne suffira pas à la tâche.


Le cadre


Dans le présent épisode, Jésus constitue sa garde rapprochée en recrutant trois disciples : Simon et les deux frères, Jacques et Jean. Le trio sera témoin de la Transfiguration du Seigneur (Luc 9, 28). Pour l’heure, les trois pêcheurs ne se voient pas encore appelés « apôtres ». Ils ne recevront ce titre que lors de la composition de l’équipe des Douze (Luc 6, 13). Mais ici la scène de leur vocation jette par avance les fondements de leur future mission apostolique et, à la différence des autres évangiles, Luc met déjà l’accent sur « Simon-Pierre », ce Pierre qui deviendra le premier héros des Actes Apôtres.

Nos évangélistes ne sont pas de simples copistes, mais des scénaristes théologiens, chacun d’eux organisant sa documentation en fonction de sa propre compréhension de Jésus, le Maître, le Seigneur ressuscité, et de l’Église. Luc, en cet épisode, construit une scène dans laquelle le lecteur doit reconnaître l’envoi en mission par le Christ ressuscité. Relevons quatre clés d’interprétation de sa manière d’écrire.


Clés de lecture


1. Jésus bat en retraite sur une barque pour échapper à la pression d’une foule venue pour écouter la parole de Dieu. L’évangéliste a puisé cette mise en scène chez Marc (4, 1), dans l’introduction du discours en paraboles. Luc souligne ainsi le succès de l’Évangile et, par là, la nécessité pour le Christ (ressuscité ?) de s’adjoindre des envoyés.

2. Dans les premières Églises, au temps de Luc, circulaient diverses traditions sur Pierre, dont celle de la pêche miraculeuse. Jean (21, 1-8) situe le prodige après la résurrection de Jésus et il reflète vraisemblablement le cadre originel du récit. Sans grande crainte d’erreur, on peut rebâtir ainsi l’affaire : après la disparition de Jésus et lors d’une pêche incroyable, les disciples auront saisi la présence active du Seigneur ressuscité.

3. Quoi qu’il en soit, l’épisode vaut comme une parabole sur la mission chrétienne, parabole que Luc décode en ces termes : « Désormais ce sont des hommes que tu prendras. » Tout apôtre, tout serviteur de la Parole, peut peiner des nuits et de nuits, des jours et des jours, sans succès. Puis vient une pêche miraculeuse, l’œuvre du Seigneur.

Dans l’Ancien Testament, la pêche ou la chasse (on chassait « au filet ») évoque le jugement de Dieu capturant celui qui croyait pouvoir lui échapper (Habacuc 1, 14-15 ; Jérémie 16, 16). Les évangiles ont « positivé » cette image : Dieu veut attraper les humains dans les filets de la Bonne Nouvelle qui, à la fois, propose le bonheur et oblige à se séparer du mal (cf. la parabole du filet en Matthieu 13, 47-50).

  1. Alors, devant toute réussite inattendue de la Parole, l’Appelé, tel saint Pierre, ressentira un *effroi sacré, signe d’une juste humilité devant la mission qui nous est confiée. C’était déjà l’expérience du prophète Isaïe (1ère lecture).

* L’effroi. Ce mot (en grec thambos) n’apparaît que trois fois dans le Nouveau Testament et seulement sous la plume de saint Luc. Il traduit d’abord la réaction de l’assemblée, à la synagogue de Capharnaüm, quand Jésus chasse un démon (Luc 4, 36). Ce sera aussi la réaction des gens de Jérusalem quand Pierre guérira un impotent (Actes 3, 10). Bref, c’est le frisson qu’inspire une manifestation du miraculeux, du sacré. Mais si Jésus incarne un Dieu Amour (cf. 1 Jean 4, 8.18), pourquoi avoir peur ? Il y a crainte et crainte. Tout amour vrai, même dans les relations humaines, suscite la peur « sacrée » de n’être pas à la hauteur de l’amour qui m’est offert, un sentiment juste, noble et profond, d’indignité.



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