Parole de Vie..   
Commentaires bibliques

7e dimanche ordinaire C (20 février 2022)



Jérémie 17, 5-8 David épargne Saül venu en ennemi

Dieu avait choisi Saül que Samuel avait sacré roi par l’onction d’huile. Mais c’est David qui vainquit Goliath. Sa popularité ne cessait de grandir, et le roi voyait en lui un rival à éliminer. Le jeune héros devient alors un fugitif, accompagné d’une poignée de partisans, tandis que Saül mène une série d’opérations militaires pour s’emparer de lui. Il y avait là de quoi nourrir les savoureux talents du chroniqueur biblique.  

Un épisode croustillant
  Saül et ses trois mille hommes tous endormis ! Invraisemblable ! Le narrateur s’en tire par une poeise pirouette : le camp entier subit un « sommeil mystérieux » envoyé par le Seigneur. Dieu veut-il tester ainsi la réaction de David ? En tout cas, voilà l’occasion rêvée d’en finir avec l’ennemi, Saül. C’est l’avis d’Abishaï, dont l’impulsivité ne se démentira pas quand il deviendra un pilier de l’armée du roi David. Pour l’heure, David refuse d’exploiter l’opportunité offerte. Pourtant en brandissant du haut de la montagne la lance dérobée à Saül endormi, il montre qu’il aurait pu le supprimer.      Un récit plus cocasse encore (1 S 24) précédait celui-ci : Saül s’isole un moment de sa troupe pour aller « se couvrir les pieds », se soulager, dans une grotte. Mais, il l’ignore, David et sa bande s’y cachent au fond, dans le noir. Occasion rêvée d’occire l’ennemi ! David, s’y refusant, se contente de couper furtivement un pan de l’habit du roi accroupi. Et quand celui-ci s’éloigne, David ne manque pas de le héler de loin et d’exhiber le trophée vestimentaire, signe à la fois de victoire et de clémence.  

Une double leçon théologique
  Dans l’humour des deux épisodes, le narrateur met sa propre théologie sur les lèvres de David. Il lui fait dire : Je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur (1 S 26, 23). Je ne porterai pas la main sur monseigneur le roi qui a reçu l’onction du Seigneur (1 S 24, 11). Le souverain d’Israël dévoie-t-il la fonction royale ? Dieu l’avait choisi par l’onction : c’est donc à Dieu qu’il revient de le juger, non à des humains prenant sa place.
     Une saine pensée politique peut contester cette théologie royale et ses conséquences, mais non point l’expérience spirituelle qui inspire le récit : le pardon accordé à l’ennemi, signe de foi en Dieu à qui revient l’ultime jugement des conflits. La liturgie retient l’anecdote sur David et Saül pour préparer le discours de Jésus dans l’évangile. La leçon peut aussi se résumer par la consigne de l’Apôtre : « Ne vous faites pas justice vous-mêmes, mais laissez agir la Colère [de Dieu] » (Rm 12, 19).  


Psaume 102 (Le Seigneur « pardonne toutes tes offenses »)

  Ce psaume, l’un des plus aisés d’accès, célèbre la tendresse paternelle de Dieu. La liturgie livre la première strophe du poème en laquelle l’auteur s’invite lui-même à louer les bienfaits du Seigneur. Puis elle passe aux versets qui chantent le pardon divin, avec ce résumé : Comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint !
     Ce psaume fait-il vraiment écho à l’histoire de Davis épargnant Saül ? Plus qu’il ne semble ! En effet, depuis l’Ancien Testament, le pardon accordé à l’ennemi ne relève pas de la vertu ou de l’héroïsme du croyant. En pardonnant à son offenseur, le croyant reconnaît qu’il vit lui-même du pardon divin, et, en des temps de violence, il témoigne ainsi du vrai visage du Dieu à qui il dit : Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi…


1 Corinthiens 15, 45-48 ( Le premier Adam et le Christ, dernier Adam)

Sans lien direct avec les deux autres lectures, la liturgie offre, depuis le 5e dimanche, le discours de Paul sur la résurrection, une idée que les chrétiens grecs de Corinthe ont du mal à intégrer. Peut-être voient-ils dans la résurrection un simple retour à la vie terrestre, comme ce fut le cas dans les évangiles pour Lazare ou la fille de Jaïre, L’Apôtre corrige le tir à l’aide d’un parallèle entre Adam et le Christ.  

Le point de départ de l’argumentation
  L’Apôtre part du récit de la création et résume le verset qui, en grec, dit ceci : Dieu façonna l’homme de la poussière pris de la terre et il insuffla à sa face le souffle de vie et l’homme devint un être vivant [littéralementvint une âme (en grec : psychè) vivante] (Gn 2,7).
     Au temps des épîtres, le mot « poussière » était compris comme l’argile qui sert au potier et la psychè s’entendait comme une « personne » en génal, comme lorsqu’on dit : « Ce hameau compte soixante-quinze âmes. » Dans des synagogues de langue araméenne, on lisait « Adam devint un être vivant doué de parole. » Paul surenchérit sur ces belles relectures : avec Adam paraît l’homme « physique » – ainsi l’Apôtre comprend-il la psychè. avec le Christ ressuscité advient l’humanité « spirituelle » – adjectif grec pneumatikos.

  « Adam » ou « l’adam » ?
  Le premier homme s’appelle « Homme ». Car, en hébreu, adam est un nom commun désignant l’homme issu de la terre, de l’adamah. Ainsi, Paul considère Adam comme un être singulier, l’ancêtre commun, et, en même temps, comme l’entière humanité qui, mortelle, retourne à la poussière, à l’adamah (cf. Gn 3,19). Mais une vieille tradition juive ajoutait cette annonce divine : Adam – c’est-à-dire l’humanité – se lèvera de la poussière, au jour de la résurrection et du jugement. L’Apôtre joue sur ces deux registres :
1) Il voit en Adam l’ancêtre du monde ancien voué à la mort, tandis que le Christ, dernier Adam, ouvre le monde nouveau de la vie. Mais, si l’humanité hérite d’une ancestralité mortifère, le monde nouveau ne relève pas de la fatalité : on y accède par la foi au Christ, premier ressuscité.
2) Ainsi se dessine l’opposition entre le premier et le dernier Adam, entre deux formes d’humanité : l’une est physique, l’autre spirituelle ; l’une vient de la terre, l’autre du ciel ; Adam reçoit la vie, le Christ donne la vie.  

Une « opération théologique »
  Paul ne prétend pas que le récit biblique de la création d’Adam dit ce qu’il en tire. Il procède plutôt à ce que la chimie appelle une « manipulation » et que l’on désignera comme une « opération théologique » : voilà, dit l’Apôtrel, comment lire la figure d’Adam, quand on porte les lunettes de la foi chrétienne.


Luc 6, 27-38 (« Comme votre Père est miséricordieux » )

Depuis dimanche dernier, nous lisons le Sermon dans la plaine. Aujourd’hui, cette consigne ouvre le passage : « Aimez vos ennemis. » Un premier paragraphe trace un profil de l’inimitié. Puis Jésus tient des propos radicaux (À celui qui…), avant de passer à des comparaisons concrètes (Si vous…). Le dernier paragraphe (Soyez miséricordieux…) livre la clé du pardon.  

Désarmer l’inimitié
  L’ennemi visé pointe sur toi non une épée, mais le poignard haineux de la malveillance, de la calomnie. Toi, tu lui souhaiteras et lui feras du bien. Tu désarmeras ainsi son penchant belliqueux. Une telle réplique peut mener loin.  

« À celui qui te frappe… »
  Te prend-on ta veste ? Cède aussi ta chemise ! Te gifle-t-on ? Tends l’autre joue ! Jésus, giflé en sa passion, tendra-t-il l’autre joue ? Son sermon n’édicte pas un ordre ; il recourt à une « hyperbole », comme dans le proverbe « qui vole un œuf vole un bœuf » : le tribunal n’inflige à qui dérobe un œuf l’amende taxant le vol d’un bœuf ! Pourtant, en maniant l’exagération, l’hyperbole énonce une vérité.
     De même, la métaphore de la joue tendue reflète une expérience : parfois le refus affiche de se rebiffer surprend l’adversaire au point de le désarmer. L’hyperbole de Jésus veut enrayer l’engrenage sans fin de la revanche et de la violence. Elle joint une dimension inattendue à la fameuse « règle d’or » : Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux (comparer Tb 4, 15 et Mt 7, 12).  

« Si vous aimez ceux qui aiment… »
  Ce paragraphe ajoute le motif de la gratuité. En général, l’être humain, même pécheur, fait du bien à qui lui est sympathique et sur qui il peut compter. En particulier, même pécheur, il se plie aux lois du prêt, s’il a la garantie de la du remboursement. L’amour selon Jésus se risque au désintéressement. Les disciples, en effet, n’agissent pas par calcul. Ils font confiance à Dieu qui donne sans calcul ; ils veulent être fils du Très-Haut. Or, « tel père, tel fils » !  

« Comme votre Père est miséricordieux »
  D’où les consignes finales. La première adapte une tradition juive ancienne qui prêtait à Dieu ces mots : « Mon peuple, enfants d’Israël ! Comme je suis miséricordieux dans les cieux, ainsi vous serez miséricordieux sur la terre. »  Trois ordres illustrent cette maxime, avant une conclusion de ton proverbial :
1) Ne jugez pas, ne condamnez pas… Les deux impératifs s’équivalent. Il ne s’agit pas de s’interdire un discernement correct sur les situations injustes, mais de ne pas porter sur les personnes un jugement définitif qui n’appartient qu’à Dieu 2) Au contraire, pardonnez. Alors, Dieu, qui seul peut juger, vous pardonnera. 3) De manière bien plus large, donnez. Alors, on vous donnera. Ce « on » ne désigne las les gens en général, mais Dieu lui-même, comme dans les verbes au passif des maximes précédentes.
     « Je vous en mets un peu plus », dit l’épicier généreux. L’image conclusive du tablier bien rempli prépare la reprise, par Jésus, d’un vieil adage juif : « De la mesure dont l’homme mesure, on mesurera pour lui, soit une bonne mesure, soit une mauvaise mesure. » À largesse humaine, largesse divine !


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