Ascension
C (26 mai 2022)
Actes des Apôtres 1, 1-11
(L’Ascension du Seigneur)
Le
texte, qui ouvre le livre des Actes des Apôtres, se divise en trois
parties.
1) Le
prologue s’adresse à Théophile, qui était déjà le
destinataire, réel ou fictif, du « premier livre »,
l’évangile de Luc. Pour l’auteur, la mission du Christ va du
« commencement », c’est-à-dire le Baptême de Jésus
par Jean, jusqu'à l’Ascension, une autre manière de parler de
Pâques : Jésus le Crucifié est exalté par Dieu. Dans son
évangile, Luc place l’ascension au soir de Pâques (Luc 24,
50-52) ; au début des Actes, il la situe au bout de quarante
jours d’apparitions « pédagogiques ». Ce sont deux
manières de présenter, dans le temps, un mystère qui échappe au
temps.
2) L’ultime
dialogue s’articule ainsi : les Apôtres vont être baptisés
dans l’Esprit Saint, comme Jésus le fut au seuil de sa mission (Lc
3, 21-23). En bons lecteurs des prophètes, ils pensent que la fin
des temps arrive, puisque l’Esprit revient. Jésus va donc
restaurer l’État d’Israël. Qu’ils se détrompent! L’Esprit
les fera prophètes, témoins de Jésus, pour prolonger son message
« jusqu'aux extrémités de la terre ».
3) La scène
de l’ascension elle-même est sobre : « * ils le
virent s’élever »... L’accent porte sur l’intervention
des deux êtres « en vêtements blancs », des anges. Par
eux, le Ciel confirme notre espérance (Christ viendra), mais nous
interdit toute attente béate et stérile.
*
« Ils le virent s'élever »... « Ils le
virent »..., « à leurs yeux »..., « ils
fixaient le ciel »..., « pourquoi... regarder vers le
ciel »..., « de la même manière que vous l'avez vu »...
Cinq mentions de « vision » pour onze lignes du
lectionnaire ! Qui peut faire plus ? Pourquoi cette insistance ?
La clé se trouve dans la scène de l’ascension d’Élie en 2 Rois
2, 1-14, où se trouve la même insistance : Élisée
recevra la plénitude de l’Esprit prophétique d’Élie s’il
voit l’enlèvement céleste de son maître. Et il le voit ! Or,
pour saint Luc, Jésus est le nouvel Élie. Comme Élisée hérita de
l’Esprit prophétique d’Élie, de même les Apôtres vont
hériter, à la Pentecôte, de l’Esprit de Jésus. Ne coinçons pas
nos doigts entre l’arbre et l’écorce en prétendant trouver « ce
qui s’est passé » (l’écorce) dans le mystère indicible
de l’Ascension (l’arbre) ! Contentons-nous de comprendre ce que
Luc veut nous dire en recourant à l’icône de l’ascension d’Élie
: nous avons à continuer par le monde entier l’œuvre prophétique
de libération que Jésus a inaugurée en Palestine.
Lettre aux Hébreux 9,24-28 ;
10,19-23 (Le Christ est entré dans le sanctuaire du ciel)
L’Ascension
est l’entrée de Jésus, le grand prêtre, dans le sanctuaire du
ciel, et notre entrée à sa suite. La figure du grand prêtre juif
nous parle peut-être peu. Alors, dans le contexte de ce passage,
prenons l’image plus séculière d’un délégué, notre
représentant auprès de Dieu. Jésus, notre délégué, entre chez
Dieu, rouvre la porte, « le rideau du sanctuaire » et, à
nous qui sommes massés derrière lui, il reviendra dire qu’il a
gagné notre cause, que nous sommes admis auprès de Dieu.
Pourtant,
nous pourrions hésiter, à le suivre pour trois raisons : 1) Ce
délégué nous représente-t-il vraiment ? Ne défend-il pas ses
propres intérêts ? Non, dit la Lettre aux Hébreux : ce
médiateur a payé de son sang l’accès au Maître de l'univers. 2)
Admettons ! Mais sommes-nous sûrs qu’il est bien entré chez
Dieu, et non pas dans un de ces vestibules d’attente que sont les
temples et églises terrestres ? « Il est entré dans le ciel
même » et Dieu l’a même « établi » sur sa
« maison », affirme l'auteur. 3) Soit ! Mais une
foule de médiateurs prétendent faussement nous conduire à Dieu. Ce
n'est pas le cas, répond l’auteur, de celui qui se donne lui-même
totalement, « une fois pour toutes ».
L’Ascension
est un accouchement à l’envers : la Tête (le Christ) est sortie,
vers le Ciel : nous, le Corps, suivrons-nous la Tête ?
Luc
24, 46-53 (Les dernières paroles et l’ascension de Jésus)
Luc boucle son
évangile en une journée, celle de Pâques. Le soir, après
l’épisode des disciples d’Emmaüs, Jésus rejoint « les
onze apôtres et leurs compagnons ». Il leur livre son ultime
testament et les entraîne vers le lieu de son ascension.
Le testament de Jésus
Le testament de
Jésus est un envoi pour lequel d'abord « il leur ouvre
l'esprit à l'intelligence des Écritures » (verset 45) : nous
devons lire l’Ancien Testament avec des lunettes chrétiennes,
c'est-à-dire comme une carte tracée par Dieu pour nous conduire à
la révélation de son Fils. D’ailleurs la mission confiée à
l’Église par Jésus se branche sur le dernier prophète de
l'Ancien Testament, Jean Baptiste, qui « proclamait un baptême
de conversion pour le pardon des péchés » (Luc 3, 3).
Luc annonce aussi le plan des discours que prononceront les Apôtres
dans les synagogues juives. C’est d’ailleurs le schéma de toute
prédication chrétienne : la Passion, la résurrection du Christ,
l’appel à la conversion en vue du « pardon des péchés »,
nouveau départ dans la vie.
Ce
message concerne « toutes les nations, en commençant par
Jérusalem » : ce que Jésus a inauguré en Palestine,
« les témoins » l’exporteront par le monde entier. Ils
pourront le faire parce qu'ils vont recevoir la « force venue
d’en haut », c’est-à-dire l’Esprit Saint que Jésus
reçut à son baptême et qui anima sa mission de prophète. Que les
disciples doivent être « revêtus » de l’Esprit est
une expression étrange. Elle vient des légendes juives selon
lesquelles l’Esprit prophétique passa à Élisée par le biais du
vêtement de son maître Élie (2 Rois 2, 1-15). Or, pour Luc, Jésus
est le nouvel Elie.
L’Ascension
La
fin de l’évangile de Luc et le début des Actes des Apôtres se
« tuilent », selon un procédé littéraire cher à
l’évangéliste : mêmes derniers entretiens de Jésus avec
les siens, même programme d’une mission universelle, même scène
d'ascension (cf., ci-dessus, le commentaire de la 1ère
lecture). Mais les points de vue diffèrent. Les Actes situent
l’ascension sur le mont des Oliviers (Actes 1, 12 – comparer
Zacharie 14, 4), et l’icône est celle du nouvel Élie, le
prophète, qui revêtira ses disciples de son Esprit prophétique.
L’évangile situe l’ascension à Béthanie, là où les croyants
avaient proclamé la souveraineté de Jésus (voir Luc 19, 29-38),
et l'icône est celle d’un Elie *grand prêtre en qui le
culte nouveau se réalise. D’ailleurs, c’était le 1er
du mois de Nisan, peu avant la fête de la Pâque, que le nouveau
grand prêtre entrait en fonction.
L’évangile
de Luc commençait au Temple, avec la vision de Zacharie, père de
Jean Baptiste. Il s’achève au Temple, avec les disciples de Jésus
qui ont désormais un grand prêtre céleste (2e lecture).
Ils attendent la venue de l’Esprit qui fera d'eux – et de nous –
les témoins de la mission de Jésus par tout l’univers.
*Jésus,
grand prêtre. Selon Luc, Jésus avait annoncé « une année
de bienfaits », allusion à l’année jubilaire juive en
laquelle les dettes étaient remises et les esclaves libérés (cf.
Luc 4, 18). Or c’est le grand prêtre qui ouvrait officiellement
l’année jubilaire, à la fête du Grand Pardon (le Kippour).
Et nous lisons, au terme de l’évangile : « levant les
mains, il les bénit ». Jésus imite le grand prêtre qui, lors
du Grand Pardon, bénissait l’assemblée prosternée (voir la scène
en Siracide 50, 20-21).
Certains
cercles juifs d’alors spéculaient sur l’existence d’un grand
prêtre qui, monté au ciel, officiait devant Dieu et reviendrait à
la fin des temps libérer son peuple : pour les uns, c’était
Élie – or Luc voit en Jésus le nouvel Élie ; pour d’autres,
c'était le patriarche Hénoch, né sans père selon les légendes ;
pour les gens de Qumrân, c’était Melkisédeq (cf. Genèse
14, 17-20), figure du Christ selon la Lettre aux Hébreux. Le
Nouveau Testament exploite les figures légendaires susceptibles de
donner toute son ampleur à la mission du Christ.