Baptême du Seigneur (9 janvier 2022)
Isaïe 40, 1-11
(« La gloire du Seigneur se révélera »)
« Consolez
mon peuple ». À partir de cette expression, on
appelle Livre de la
consolation d’Israël
les chapitres 40 à 55 du livre d’Isaïe dans
lesquels un prophète anonyme, vers l’an 540 avant notre
ère, annonce que l’exil des Israélites à
Babylone touche à sa fin. Ils vont revenir. Mieux, Dieu va
revenir en triomphe à la tête des rapatriés.
Ce
début du Livre de la consolation se déploie en trois
parties. Voici d’abord un décret d’amnistie :
le peuple de Dieu est absous des fautes pour lesquelles il a connu la
déportation. Puis surgit « la voix » du
héraut, en une proclamation que reprendra plus tard Jean
Baptiste (Luc 3, 4-6) : le retour se fera à travers le
désert dans lequel, comme une route préparée
pour un souverain, tout escarpement incommode sera aplani, nivelé.
Avec raison, les commentaires spirituels lisent ici une dimension
morale : pour préparer la venue du Seigneur, c’est
en nous qu’il faut aplanir tout excès et redresser ce
qui est tortueux. La troisième partie proclame enfin
*l’Évangile, la Bonne Nouvelle : Dieu, à la
tête des rapatriés, revient en vainqueur pour régner
sur Jérusalem. Il s’avance en roi
et en berger
attentif aux faibles, ces deux titres étant liés dans
la culture antique. Autrefois, Israël libéré de
l’Égypte avait traversé le désert.
Maintenant s’ouvre un nouvel exode, de Babylone à Sion.
Tout
chemin spirituel est un exode, des ténèbres à la
lumière, de la servitude à la liberté. Selon
saint Luc, Jésus est venu pour nous ouvrir un nouvel Exode,
nous seulement par l’enseignement qui jalonne sa route vers
Jérusalem (Luc 9, 51 – 19, 45), mais par son Ascension
(Luc 9, 31) qui fait basculer notre vie terrestre en un exode
« vertical », vers la gloire du Père. Le
passage du Jourdain avait marqué l’entrée en
Terre promise (Josué 3, 14-17) ; de même le baptême
de Jésus dans le Jourdain inaugure une ère de liberté
et de « consolation ».
*L’évangile.
Ce mot décalque un vocable grec signifiant « bonne
nouvelle ». À l’origine, c’était
un terme profane, la joyeuse annonce d’une victoire militaire
ou de l’avènement d’un souverain. C’est
l’auteur d’Isaïe 40 – 55 qui a fait passer le
mot dans le domaine théologique. Telle est la Bonne Nouvelle :
Dieu en personne vient régner au sein de son peuple. Au début
de son ministère, Jésus s’est inspiré de
ce prophète pour résumer sa propre mission : « Le
Règne de Dieu a fini son approche. Convertissez-vous et croyez
à l’Évangile » (Marc 1, 15).
Tite 2, 11-14 ;
3, 4-7 (« Par le bain du baptême, Dieu nous a
fait renaître »)
La
première partie du texte se lit la nuit de Noël.
L’adjonction liturgique de la seconde partie est quelque peu
artificielle, mais on en sait le sens : établir un lien
entre le baptême de Jésus par Jean et le sacrement du
baptême chrétien.
La
première section a pour centre une double « manifestation »
(en grec, une épiphanie).
Celle d’abord de « la grâce de Dieu »
visant « notre salut ». Elle correspond à
la mission terrestre du Christ et à son « enseignement »
(littéralement, une éducation)
résumé en termes simples et forts : renier le
péché et les passions pour vivre dans la justice et la
piété. De fait, en se soumettant au baptême,
Jésus signifiait qu’il se ralliait aux appels du
Baptiste à la conversion (Luc 3, 7-18). La seconde épiphanie
sera celle du Christ glorieux quand il paraîtra, à la
fin, comme « notre grand Dieu et notre Sauveur »,
après qu’il se soit manifesté dans l’humiliation
de la croix (« il s’est donné pour nous »).
À
cette double manifestation, début et terme de notre histoire,
l’auteur de l’épître adosse l’expérience
du *baptême chrétien conçu comme une renaissance
et un renouvellement dû à l’Esprit Saint, but
décisif du sacrement et signe d’une troisième
« manifestation », celle, aujourd’hui, de
la bonté et de la tendresse d’un Dieu Sauveur qui fait
des baptisés des « justes », ajustés
à son projet et qui suscite en eux l’espérance de
l’inouï, « l’héritage de la vie
éternelle ».
*Le baptême.
Les rites se transmettent, leur sens se modifie. De leurs racines
baptistes, les premières Églises ont reçu ce
rite, mais elles ont dû en « christianiser le sens.
Pour Paul, le baptême nous plonge dans la mort du Christ pour
accéder à une vie nouvelle (Romains 6, 1-4). Pour Luc,
le baptême vise le don de l’Esprit Saint qui fait des
baptisés un peuple de prophètes (Actes 2, 38). Pour
Matthieu, le rite signe l’appartenance des disciples au Dieu
Trinité (Matthieu 28, 19). Richesses de perspectives qui
alimentent aujourd’hui encore la catéchèse
baptismale !
Luc 3, 15-16.21-22
(L’Esprit Saint et le Père au Baptême de Jésus)
Le
découpage liturgique de la Bible a ses facéties. Entre
l’annonce par Jean du baptême « dans l’Esprit
Saint et le feu » (1er
paragraphe) et le baptême de Jésus (2e
paragraphe), le lectionnaire supprime une transition capitale :
l’arrestation du Baptiste et sa disparition (Luc 3, 19-20),
c’est-à-dire une mise « hors jeu »
de ce dernier avant… le baptême de Jésus. Certes,
cette manière de raconter ne trompait personne, mais elle
permettait de souligner la venue de l’Esprit en Jésus et
de minimiser l’apparente soumission du Christ au baptême
de Jean, cette immersion qui resta longtemps le rite d’initiation
pour certains groupes chrétiens (lire Actes 19, 1-7). En tout
cas, le « trucage » littéraire de Luc,
selon lequel le baptême de Jésus se réduit à
une parenthèse (« après avoir été
baptisé lui aussi »), met en relief, répétons-le,
la venue de l’Esprit sur Jésus.
Jean
Baptiste émet cette prophétie : « Lui
vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. » Au
sens originel de la tradition évangélique, l’expression
reste quelque peu énigmatique. Mais, sous la plume de Luc, il
n’y a pas à hésiter : il s’agit de
l’Esprit de la Pentecôte, répandu dans les langues
de feu (Actes 2, 3-4). L’évangéliste établit
d’ailleurs un parallèle entre le baptême de Jésus
et la Pentecôte : c’est tandis que Jésus
« priait » que descend sur lui l’Esprit
Saint ; c’est sur l’Église en prière
que viendra l’Esprit (Actes 1, 14). Dans la synagogue de
Nazareth, Jésus interprète le don de l’Esprit
qu’il a reçu (Luc 4, 16-27). Au jour de la Pentecôte,
Pierre commentera le sens de l’irruption de l’Esprit
(Actes 2, 14-36) ?
Les
auditeurs du Baptiste se demandaient s’il « n’était
pas le Messie
[= le Christ] ».
Dans la tradition juive, le messie,
celui qui est oint,
consacré par l’Esprit de Dieu peut être un roi, un
prophète ou un prêtre (cf. 1 Rois 19, 15-16). Saint Luc
semble tenir la position suivante : durant sa mission terrestre,
Jésus est Messie en tant que prophète. Par sa
résurrection et son Ascension, Jésus devient le Messie
royal : « Dieu l’a fait Seigneur et Christ,
ce Jésus que vous, vous avez crucifié »
(Actes 2, 36).
Selon
la perspective de Luc, le baptême de Jésus, ou plutôt
la venue sur lui de l’Esprit, constitue une scène de
vocation prophétique. En ce sens, Jésus interprétera
son baptême, lors de sa visite à la synagogue de
Nazareth : « L’Esprit du Seigneur est sur moi.
Il m’a oint pour porter l’Évangile aux pauvres… »
(Luc 4, 18). Jésus s’identifie aux prophètes Élie
et Élisée (Luc 4, 25-27) et, lors de la résurrection
du fils de la veuve de Naïn, réédition d’un
miracle d’Élie (1 Rois 17, 17-24), la foule s’écrie :
« Un grand prophète s’est levé parmi
nous et Dieu a visité son peuple » (Luc 7, 16).
Certes,
Jésus est aux yeux de Luc « un grand prophète »,
supérieur à tous les autres. À preuve, la venue
de l’Esprit « sous
forme corporelle
[insistance propre à Luc], comme une *colombe. »
Dans
la déclaration de la voix céleste lors du Baptême,
les manuscrits de l’évangile selon Luc hésitent
entre deux textes. Celui retenu par la liturgie est celle-ci :
« C’est toi mon Fils : moi, aujourd’hui,
je t’ai engendré », c’est-à-dire
une citation du Psaume 2, 7. Mais, avec honnêteté, le
lectionnaire propose en note la version alternative : « C’est
toi mon Fils bien-aimé ; en toi j’ai mis tout mon
amour. » Nous retenons cette seconde recension, parce que,
chez Luc, la citation du Psaume 2 est réservée à
la résurrection du Christ (Ac 13, 33), ce jour d’engendrement
signifiant, dans le psaume, une intronisation royale. Mais,
avouons-le, cette discussion peut durer à l’infini.
Le
baptême de Jésus par Jean apparaissait comme un fait
embarrassant pour les premiers chrétiens, parce qu’il
plaçait le premier en soumission au second (cf. Jean 3,
22-26). Luc, par les contorsions de son récit, saisit bien ce
problème. Mais on lui doit une réinterprétation
qui réchauffe le cœur des baptisés chrétiens.
Selon l’évangéliste, le baptême de Jésus
annonce le baptême de l’Église dans l’Esprit
Saint, à la Pentecôte. L’Esprit consacra Jésus
comme prophète ; la Pentecôte fait des baptisés
un peuple de prophètes, des femmes et des hommes qui
s’efforcent de voir, spécialement par la prière,
le monde et les événements comme Dieu lui-même
les voit.
*La colombe
du baptême de Jésus reste une énigme. Certains
commentateurs songent à l’Esprit de la création
« voletant » sur les eaux primordiales (Gn 1,
2). En ce cas, le baptême de Jésus inaugure une nouvelle
création. D’autres voient dans la colombe la bien-aimée
du Cantique des Cantiques (4, 1). Il s’agit alors d’un
renouvellement de l’Alliance entre Dieu et son peuple. Autre
interprétation : « C’est ainsi que, bien
des siècles auparavant, une colombe est venue annoncer la
bonne nouvelle de la fin du déluge » (Grégoire
de Nazianze, 329-389). La liste des
interprétations n’est pas close. Au reste, comme il
arrive pour d’autres symboles, la tradition évangélique
a fort bien pu vouloir titiller l’imagination des premiers
lecteurs en les invitant à s’interroger sur les diverses
mentions d’une colombe dans l’Ancien Testament.