Christ
Roi C (20 novembre 2022)
2
Samuel 5, 1-3 (David
reçoit l’onction royale)
Les
tribus patriarcales aimaient leur autonomie et le roi David, établi
à Hébron, ne s’imposa d’abord qu’aux
clans du Sud. Mais, sous la menace des voisins philistins, l’ensemble
des tribus d’Israël, du Sud au Nord, souhaita une
confédération défensive sous l'égide de
David. Le récit juxtapose deux notices, dont il vaut mieux
inverser l’ordre pour percevoir l’évolution dans
la conception du Messie.
1)
La seconde, la plus ancienne, évoque l’intervention des
notables, « les anciens d'Israël ». Fort
de leur requête et prenant Dieu pour témoin, David
établit avec eux une alliance fraternelle qui l’institue
comme leur suzerain. Alors, on lui confère démocratiquement
l’onction d'huile qui le consacre à Dieu et à sa
mission.
2)
Plus tardive, la première notice donne à la royauté
de David une portée plus large. Elle montre « toutes
les tribus » recourant à lui. D’une part,
disent les tribus, tous l’appréciaient déjà,
sous le roi Saül (cf. 1 Samuel 18,16), quand,littéralement,
« il faisait sortir et rentrer Israël »,
expression militaire désignant les mouvements des troupes.
D’autre part, le peuple proclame que Dieu, seul Berger-Roi
d’Israël, a élu David pour le représenter
comme berger.
Animés
d'une telle confiance, les tribus confessent – ou imaginent par
opportunité politique – leur intime parenté avec
David. Ils déclarent, littéralement : « nous
sommes *
tes os et ta
chair. »
Dès l’origine, « l’Oint » ou
Messie tient son pouvoir de ceux qui le choisissent comme Sauveur.
C’est par notre foi que le Christ exerce en notre faveur la
royauté fraternelle que Dieu lui a conférée.
* Les
os et la chair. Dans
la Bible, « la chair » représente la
nature humaine physique, créée. « L’os »
désigne « le noyau dur », la substance
même des êtres et des choses. C’est par ces mots
qu’Adam, lors de la création d’ève,
chante l’union intime de l’homme et de la femme :
« Voici l’os de mes os et la chair de ma chair »
(Genèse 2, 23). En reprenant ces termes, les tribus d’Israël
soulignent la richesse des liens qu’ils tissent avec David.
« Mais celui qui s’unit au Seigneur est avec lui un
seul esprit », écrira saint Paul (1 Corinthiens
6,17).
Colossiens
1, 12-20 (Dieu
nous a fait entrer dans le Royaume de son Fils)
Cette
hymne à la souveraineté universelle du Fils de Dieu,
Paul l’emprunte dans doute, avec quelques retouches, au
répertoire liturgique des premières Églises.
L’introduction
rend grâce au Père. Celui-ci nous « donne
part à l’héritage du peuple saint »,
non plus en nous conduisant de l’Égypte à la
Terre promise, mais des ténèbres à la lumière ;
il nous transfère dans le Royaume de son Fils, dans sa sphère
d’influence bénéfique. Il nous libère
ainsi de l’esclavage du péché. Selon les deux
strophes qui suivent, l’œuvre de son Christ couvre tous
les temps et le cosmos entier.
1)
« Image du Dieu invisible », le Fils est le
miroir humain qui nous rend Dieu visible. Préexistant à
tous les êtres, « premier-né », il
est l’artisan de la création (« par lui »).
Il remplit donc par là la mission que l’Ancien Testament
assignait à la Sagesse. Mais il est supérieur à
celle-ci, puisque, non seulement tout a été créé
par lui, mais aussi « pour lui », même
les anges, ces « puissances invisibles ». Son
autorité donne sa cohésion à tout l’univers
l’univers : tout subsiste en lui.
2)
Le Fils bien-aimé de Dieu est aussi le premier dans le monde
nouveau des ressuscités, comme Tête du Corps, chef de
l’Église. Il est l’agent et le centre d’une
réconciliation universelle d’un monde divisé à
cause du péché des humains. Par *
le
sang de sa croix, il
unit les hommes entre eux et avec Dieu. L’unité du
cosmos sous un unique Roi se paie par le don de soi du Crucifié.
* Le
sang de la croix.
« Quel homme pourra se racheter par son propre sang, alors
que le Christ versa son sang pour le rachat de tous ? Est-il un seul
homme dont le sang soit comparable à celui du Christ ? Est-il
un homme assez puissant pour fournir son expiation en plus de celle
qui fut offerte en sa propre personne par le Christ qui, à lui
seul, réconcilia le monde avec Dieu par son sang ? (...) Il
n’y a pas à chercher une rédemption individuelle,
puisque le sang versé en rançon pour tous est celui du
Christ » (saint Ambroise
br>
Luc
23, 35-43 (Le
Roi crucifié)
Le
pouvoir royal de Jésus, si bien souligné lors de
l’entrée solennelle à Jérusalem (Luc 19,
38) se solde-t-il par un échec ? Chez Luc, la scène du
Calvaire éclaire ce point. Dans le passage retenu par la
liturgie, nous pouvons distinguer sept interventions des témoins,
la dernière amenant enfin la déclaration royale de
Jésus adressée au « bon larron ».
1.
Le peuple « regarde », muet, sans réaction
particulière, à la différence des autorités
juives et des soldats qui vont multiplier les moqueries. Ce peuple a
suivi le chemin vers le Calvaire, avec les femmes de Jérusalem
se lamentant sur Jésus. Celui-ci leur a enjoint de pleurer
plutôt le péché qui a conduit à sa
condamnation (Luc 23, 27-31). Bientôt, après la mort de
Jésus, ces gens qui « regardaient »
« s’en retournent en se frappant la poitrine »
(Luc 23, 47), tel naguère le publicain conscient de son péché
(Luc 18, 13). Ainsi s’exerce le pouvoir du Crucifié :
il conduit à la conversion ceux qui reconnaissent en lui le
Juste, leur modèle.
2.
Les ricanements des chefs juifs, tels que les comprennent les
évangiles, accomplissent la prophétie du Psaume 21, 8
dans lequel les persécuteurs du Juste s’écriaient :
« Il a espéré dans le Seigneur : qu’il
le sauve ! » Ici, au Calvaire, les rieurs
surenchérissent : Jésus a sauvé des gens,
mais peut-il se sauver de leurs mains ? N’est-il pas « le
Messie de Dieu, l’Élu », comme le disent
l’Écriture et la voix du Père lors de la
Transfiguration (Luc 9, 35) ? Les chefs juifs, puis les soldats
et le malfaiteur reprennent en substance et inconsciemment les
tentations de Satan au désert : que Jésus utilise
à son profit son pouvoir politique et religieux !
3.
Les soldats étrangers se joignent aux moqueries. En offrant un
peu de leur piquette militaire au condamné, comme cela se
faisait, ils rappellent sans le savoir la plainte du psalmiste :
« Pour ma soif, ils m’ont fait boire du vinaigre »
(Psaume 68, 22).
Dans
tous les récits évangéliques de la Passion, une
distinction est constante : les païens insultent Jésus
comme « roi des Juifs », un malheureux et
dérisoire prétendant au pouvoir politique ; les
Juifs eux, raillent « le Messie », le Messie de
Dieu, oint, consacré comme roi par Dieu ; et, dans la
déchéance de ce dernier, ils ne voient rien de tel.
4.
Pourtant, l’inscription est là. Le titre de *
roi
des Juifs, sous sa
forme simple en Marc 15, 26, reflète l’ironie de
Pilate : voilà bien le roi que méritent les Juifs.
Mais, chez Luc et par la bouche de leur centurion, les soldats
reconnaîtront en lui dans un instant le Juste noble et
innocent.
5.
Jésus est entouré de deux « malfaiteurs »,
selon la prophétie du Serviteur souffrant : « Il
a été compté parmi les pécheurs »
(Isaïe 53,12). « Sauve-toi, et nous avec »,
dit l’arrogance de l’un des malfaiteurs. Mais si Jésus
opérait ce double sauvetage, ce serait par un coup d’éclat
qu’il refuse.
6.
Le second malfaiteur, lui, reconnaît son péché et
l’innocence de Jésus. Il s’est converti et espère
le bonheur pour la fin des temps, quand Jésus paraîtra
comme Roi de l’univers.
7.
Jésus rectifie son espérance. La Passion est le passage
qui fait entrer le Messie dans sa gloire royale. C’est donc
« aujourd’hui » que le pécheur
repenti sera « avec » le Christ, dans le
bonheur du Paradis des justes où l’on attend le jour de
la résurrection.
Contre
la violence des tyrants qui engendre la mort de l’innocent, la
royauté du Christ refuse de s’imposer. Cest *
en
suivant la Passion de
Jésus que nous pouvons nous convertir et nous confier au
pouvoir du seul Juste – et lui confier d’abord notre
mort : « Souviens-toi de moi. »
* « Celui-ci
est le roi des Juifs ». Relevons
cet extrait d’une œuvre de fiction (pub. gratuite !) :
« Pilate s’appuya au mur. Il restait en tête à
tête avec ce qui serait l’œuvre de sa nouvelle vie,
l’immortelle inscription. Pilate était le premier
rédacteur du premier évangile écrit, la brève
phrase qui donnait la clé des Écritures : Jésus
le Nazaréen est le roi des Juifs. Il avait fait hisser haut
comme un drapeau l’inscription trilingue. Au plus fort de sa
défaite il réussissait à maintenir brandi cet
étendard » (J. Grosjean,
Pilate,
Gallimard, 1983, p. 75).
* Suivre
la Passion.
« Priez pour ne pas entrer en tentation » (Luc
22, 40). Chez Luc, cette injonction éclaire tout son récit
de la Passion. L’évangéliste se garde de dire que
les disciples ont fui au jardin des Oliviers, ce qui découragerait
ses lecteurs. Au contraire, il nous invite à suivre en
disciples le chemin la croix. En Luc seul, Jésus dit « à
tous » qu’ils doivent prendre leur croix « chaque
jour » (Luc 9, 23). Soutenus par la prière,
nous nous repentons avec Pierre et avec la foule du Calvaire. Nous
prenons la croix avec Simon de Cyrène. Car la Passion
représente nos épreuves et nos tentations quotidiennes.
C’est en suivant les pas du Crucifié que nous
éprouverons sa puissance royale.