Épiphanie du Seigneur (8 janvier 2023)
Isaïe 60, 1-6
(Les nations païennes marchent vers la lumière de
Jérusalem)
Le
poète a peut-être gravi très tôt le mont
des Oliviers pour saisir les premiers rayons du soleil happant la
hauteur du Temple, tandis que dans la vallée encore noyée
d’ombre se devine le mouvement des caravanes arrivant pour le
marché. Mais quand le poète se double d’un
prophète, une telle scène subit une certaine
transfiguration. C’est le cas ici, avec celui qu’on
appelle le Troisième Isaïe. En son temps, vers 520 avant
notre ère, le retour des exilés de Babylone n’a
pas eu l’ampleur espérée et Jérusalem n’a
retrouvé ni sa splendeur, ni sa place dans le concert des
nations.
Selon
la tradition biblique, un jour tous les peuples convergeraient en
pèlerinage à Jérusalem. Pour le prophète,
ce n’est pas le soleil qui se lève, mais la présence
du Seigneur. Alors tout bouge, de partout, d’au-delà des
mers et du désert. Les nations qui avaient traîné
en captivité les fils et les filles de Jérusalem les
ramènent dans leurs bras ; elles avaient pillé la
Ville, voilà qu’elles apportent leurs propres richesses
pour orner le Temple, attirées par l’éclat du
Seigneur.
Pour
plus de clarté, le lectionnaire ouvre ce chapitre par cette
expression « Debout, Jérusalem ».
En fait, ménageant un suspense, le poète n’évoquera
que plus loin « Jérusalem », dans les
termes suivants : « Ville du Seigneur, Sion du Saint
d’Israël » (Isaïe 60, 14). Toutefois, pour
Matthieu, c’est non vers Jérusalem, mais vers l’humble
Bethléem que se dirigeront les mages, représentants des
nations et « apporteront des présents »
(Psaume 72 [71]) ; et s'il y a une ville-lumière
attirante, ce doit être la personne du Christ (cf. Matthieu 4,
12-16) et la communauté de ses disciples (cf. Matthieu 5,
14-16).
Éphésiens
3, 2-3a.5-6 (L’appel au salut est universel)
Le
Mystère, le plan de Dieu sur l’histoire du monde, c’est
qu’il n’y a plus de mystère, de secret redoutable,
comme l’explique l’auteur de cette épître.
Son rôle d’apôtre, consiste à dévoiler
aux chrétiens le Mystère qu’ils expérimentent
sans peu-être le savoir.
1)
Ce Mystère, conçu par Dieu depuis toujours, est un
projet resté caché aux peuples païens aussi bien
qu’à Israël. Mais il est maintenant dévoilé
dans une Église bâtie sur le travail des apôtres
et des prophètes (lire Éphésiens 2, 11-22).
3)
Le Mystère se révèle en ceci : jusque
maintenant, le choix d’Israël par Dieu avait comme barré
la route aux autres nations qui ignoraient à la fois le vrai
Dieu et l’espérance du Messie. Or il existe à
présent une Église qui unit les contraires en son
sein : les Juifs et les païens à égalité,
sans discrimination.
Voilà
le Mystère dévoilé : malgré ses
insuffisances, l’Église est capable d’unir sous
une seule Tête, le Christ, les ennemis d’hier. Construire
cette unité est sa mission même. Elle annonce au monde
que l’unité est possible.
*L’Épiphanie
de Dieu se profilait dans le pèlerinage final des peuples à
Jérusalem (1ère lecture) ; mais, pour
l’évangile de la visite des mages, c’est vers le
Christ lui-même que viennent les nations. Et désormais,
c'est l’Église universelle qui est l’Épiphanie
du Christ (2e lecture).
*L’Épiphanie. Dans les épopées
de l’Antiquité, le mot « épiphanie »
désignait tantôt l’apparition soudaine de l’armée
ennemie, tantôt l’intervention miraculeuse d’un
dieu donnant à ses protégés le salut et la
victoire dans les batailles. Au sens religieux, l’épiphanie
était l’incursion et la présence bénéfique
des êtres divins dans l’histoire. Le roi Antiochus IV de
Syrie portait le titre d’« Épiphane »,
« (dieu) manifesté ». Mais, selopn notre
foi, c’est dans l’humilité de l’Enfant de
Bethléem que surgit l’épiphanie décisive
de Dieu en notre monde.
Matthieu
2, 1-12 (Les mages païens viennent se prosterner devant
Jésus)
Sous
le vernis d’une belle histoire, la visite des *mages,
Matthieu embrasse toute la destinée de Jésus dans cet
épisode. C’est un résumé de l’Évangile.
Déjà Jérusalem rejette son Messie ; déjà
les païens viennent adorer celui qui dira un jour à ses
disciples : « De toutes les nations faites des
disciples » (Matthieu 28, 19) À partir du rôle
de *l’Étoile,
l’épisode se divise en deux parties.
Le
drame se noue.
Dans
la Bible, les mages, mi-savants, mi-astrologues, sont des personnages
équivoques (cf. Actes 13, 6 ss.). Ici, les mages ont vu
se lever l’Étoile annonciatrice de l’avènement
du « roi des Juifs ». Ce titre reviendra lors
de la Passion en Matthieu 27, 11, dans la bouche de Pilate, païen
lui aussi. Selon le livre des Nombres 24, 17, se lèverait un
jour « l’Étoile de Jacob » ;
et les Juifs comprenaient que, sous ce symbole, il s’agissait
du Messie. Le texte ne dit pas que l’astre a guidé la
route des mages. Ils l’ont vu « à son
lever », à son apparition. Simplement, ils viennent
se renseigner à Jérusalem : où trouver ce
roi ?
D’emblée,
Hérode, selon une réputation bien établie par
les historiens, craint un rival. Voici réunis « les
grands prêtres et les scribes » qui plus tard
condamneront Jésus. Ces experts de l’Écriture
Sainte citent spontanément la prophétie de Michée
5, 1 situant la naissance du Messie à Bethléem. Plus
que l’Étoile, la Parole de Dieu est donc le guide
déterminant des mages. Les autorités juives
interprètent correctement l’Écriture, mais ne
bougent pas. Pire, d’après la suite du récit,
Hérode cherche bien le Messie, mais pour le supprimer. Il
incarne par là le mauvais pharaon qui fit périr les
enfants des Hébreux – parce que, disait une légende
juive, il voulait supprimer le Sauveur hébreu (Moïse)
qu’il avait vu en songe. Dès sa naissance, Jésus
apparaît comme le nouveau Moïse persécuté.
Le
drame se dénoue.
« Ils
partirent. » Réorientés par l’Écriture
entendue à Jérusalem, les mages retrouvent l’Étoile
qui, cette fois, les conduit jusqu’au Messie. Deux autres fois,
Matthieu évoquera la joie, celle de l’homme qui découvre
le trésor du royaume des Cieux (Matthieu 13, 44) et la
« grande joie » des femmes apprenant de l’Ange
la résurrection de Jésus.
En
vrais disciples, les mages « se prosternent ».
Leurs **dons symbolisent les offrandes qui, dans l’Ancien
Testament, sont apportées par les nations et les rois au
Temple ou au Messie (cf. 1ère lecture et Psaume
71). Puis le projet homicide d’Hérode échoue,
grâce à l’intervention divine. Les mages s’en
retournent « par une autre voie », par une
nouvelle manière de vivre.
Chez
Matthieu, qui n’a pas de récit de la Nativité, la
première manifestation du Christ est pour les païens,
mais des païens qui le reconnaissent comme « le roi
des Juifs ». Pour Matthieu, nul n’accède au
Christ s’il ne reconnaît pas que Jésus fut d’abord
et reste le Messie de cet Israël auquel il a consacré
tout son ministère terrestre (cf. Matthieu 15, 24). Au seuil
de l’évangile, voici donc l’avant-garde de païens
qui découvrent le Christ par leur science équivoque,
plus ou moins magique, mais dans l’obéissance aux
Saintes Écritures : c’est la première leçon
missionnaire de l’évangéliste.
*Les mages et l’étoile. Matthieu
s’étonnerait des hypothèses astronomiques qui
courent sur son étoile. Celle-ci n’est pas sur la voûte
céleste, mais dans la Bible : selon Nombres 24, 17, se
lèverait un jour « l’Étoile de
Jacob » ; et les Juifs comprenaient qu’il
s’agissait du Messie. Le symbole convient bien à
l’histoire des mages, puisque la prophétie de l’Étoile
avait été faite par Balaam, un païen que la
tradition juive considérait comme un « mage ».
**Les dons des mages. « Aujourd’hui,
les mages considèrent avec une profonde stupeur ce qu’ils
voient ici : le ciel sur la terre, la terre dans le ciel ;
l’homme en Dieu, Dieu dans l’homme ; et celui que le
monde entier ne peut contenir, enfermé dans le corps d’un
tout-petit. (…) Et dès qu’ils voient, ils
proclament qu’ils croient sans discuter, en offrant leurs dons
symboliques : par l’encens, ils confessent Dieu ; par
l’or, le roi ; par la myrrhe, sa mort future »
(St. Pierre Chrysologue [vers 380-450], Homélie pour
l’Épiphanie).