Messe du jour (25 décembre 2022)
Isaïe 52, 7-10 (La bonne
nouvelle)
Les
lectures de cette nuit nous guidaient vers l’Enfant, celles du
jour nous tournent vers « Dieu qui s'est rendu visible à
nos yeux » (Préface I de Noël). Notre première
lecture appartient au Livre de la Consolation d’Israël,
c’est-à-dire aux pages écrites par un prophète
du 6e siècle (le « Deuxième
Isaïe ») et incorporées au livre d’Isaïe.
Le
peuple d’Israël et son roi sont en exil et Jérusalem
est en ruines. Mais voici un « porteur d’évangiles »,
dont on salue *la course. Ainsi appelait-on le messager qui
courait annoncer une victoire dans la bataille ou l’avènement
d’un roi et qui recevait pour cela une gratification (lire 2
Samuel 18, 19-23). Ici, le messager imaginaire annonce ceci :
Dieu revient à Jérusalem, avec les Exilés. Il va
s’y établir en roi de paix, et toutes les nations
naguère ennemies seront témoins de la revanche de Dieu,
du salut de son peuple.
Quand
Jésus prendra la parole pour la première fois, il
s’inspirera de ce passage d’Isaïe et s'identifiera
au Messager promis : « Le règne de Dieu est tout
proche », dira-t-il ; « convertissez-vous
et croyez à la Bonne Nouvelle » (Marc 1, 14-15).
Par le Christ, les non Juifs verront le salut de Dieu, non plus en
témoins extérieurs de la résurrection des
Israélites exilés, mais en bénéficiaires
d’un Évangile de salut destiné à toutes
les nations.
*La course de l’Évangile.
Littéralement, l’ouverture de cette 1ère
lecture se traduit ainsi : « Qu’ils sont beaux,
sur les montagnes, les pieds de celui qui annonce la bonne nouvelle »
Ce verset, à partir du 19e siécle, a inspiré
un rite. Les fidèles venaient déposer un baiser sur les
souliers des jeunes missionnaires partant en Asie ou en Afrique,
souvent pour ne plus revenir dans leur patrie d’origine.
Hébreux 1, 1-6
(Le Fils, révélation définitive de Dieu)
Long
sermon anonyme, la Lettre aux Hébreux s’ouvre par un
prologue étonnant que nous lisons en ce jour de Noël :
1)
Le Christ est le dernier mot, la parole ultime que Dieu adresse au
monde. Dieu s’exprime en lui, comme un père se reflète
en un fils.
2)
Par ce Fils, Dieu « a créé les
mondes », les réalités visibles et
invisibles, et par lui, l’univers garde sa cohésion.
L’humanité a toujours voulu comprendre comment Dieu se
communique aux hommes sans trahir sa nature inaccessible. Les
philosophes grecs stoïciens disaient que c’est par la
Raison (en grec, le Logos) que Dieu crée et anime le
monde. Les penseurs juifs, eux, évoquaient la Sagesse
éternelle : « Elle est un reflet de la lumière
éternelle, un miroir sans tache de l’activité de
Dieu, une image de sa bonté » (Sagesse 7, 26). Pour
l’auteur de la lettre aux Hébreux, le Christ seul
incarne cette sagesse et nous met en relation avec Dieu.
3)
Toute autre médiation est exclue, même celle des anges.
Car, par l’Ascension, Dieu a dit au Christ : « Tu
es mon Fils », c’est-à-dire qu’il a
fait de lui le roi de l’univers et « du monde à
venir ».
Ce
prologue déconcertant, parallèle au *Prologue de
Jean (évangile), embrasse le mystère d’un Christ
présent depuis la création et seul garant de l’avenir
du monde. Chercher en dehors de lui le sens de la vie serait une
erreur néfaste.
*Prologue. Les premiers chrétiens ont
fondé leur foi sur la Résurrection du Crucifié,
résurrection établissant le Christ comme Fils de Dieu
royal, siégeant à la droite du Père. Puis, les
auteurs du Nouveau Testament ont approfondi leur foi en Jésus,
Fils de Dieu. Par leurs évangiles de l’enfance, Matthieu
(1 – 2) et Luc (1 – 2) montrent que Jésus apparaît
comme Fils de Dieu dès sa conception miraculeuse en Marie.
Jean remonte « au commencement » : Jésus
est Fils de Dieu dès avant la création. L’ouverture
de la lettre aux Hébreux (2e lecture) adopte la
même perspective.
Jean 1,
1-18 (Le Verbe s’est fait chair)
Peut-être
l’Évangile de Jean s’ouvrait-il primitivement par
des comparaisons entre Jésus et Jean Baptiste. Ces
comparaisons sont devenues à présent des parenthèses
(cf. lecture brève l’évangile). Car l’évangéliste
a voulu préfacer son œuvre par un Hymne au Verbe de
Dieu, un poème liturgique alors en vogue dans sa communauté.
Le sens du texte est proche de celui du prologue de la Lettre aux
Hébreux (2e
lecture).
« Au
commencement »
Ces
premiers mots de Jean sont les premiers mots de la Bible, quand Dieu
crée le monde par sa parole (Genèse 1, 1). Ce mot « au
commencement » était si sacré que les
scribes juifs anciens n’avaient pas le droit d’ouvrir
leurs écrits par cette expression. Jean enfreint consciemment
la règle et, pour lui, cette Parole, ce Verbe, est une
présence personnelle de Dieu en notre monde, en Jésus.
Cette présence est la Sagesse, artisane de la création
(Proverbes 8, 22-31 ; Sagesse 8, 6). Il y a pourtant une
différence : dans le livre des Proverbes, la Sagesse a
été créée avant tout, alors que, pour
Jean, le Verbe était
éternellement en Dieu, non créé.
Le Verbe, vraie lumière
Quand
Dieu disait « Que la lumière soit »
(Genèse 1, 3), il parlait non de Jean Baptiste, mais de son
Verbe qu’il enverrait pour éclairer le monde. Telle est
l’idée de l’évangéliste Jean. Selon
Ben Sirac 24, 10-12, la Sagesse divine a pris Jérusalem pour
résidence. *Le Verbe, « vraie lumière »,
lui aussi, a « planté sa tente » (il a
« habité ») en Israël, mais en se
faisant chair, en se faisant parole humaine fragile et contestée.
Il s’affronte aux « ténèbres »,
à ceux qui n’aiment pas la lumière, parce que
celle-ci débusque leur vie faussée. Mais, pour ceux qui
accueillent sa lumière, c’est une nouvelle création,
la naissance à une vie nouvelle qui n’a rien à
voir avec l’engendrement par « la chair et le
sang » : ils deviennent « enfants de
Dieu ».
Révélateur de Dieu
Au
Fils qui nous fait enfants de Dieu, Jean Baptiste rendait témoignage.
Contre les Baptistes non chrétiens de son temps, l’évangéliste
insiste sur cette hiérarchie, la soumission du Baptiste à
Jésus. Vient l’audacieuse conclusion : la personne
humaine de Jésus est le seul visage par lequel nous puissions
voir Dieu. Jésus dira à Philippe : « Celui
qui m’a vu a vu le Père » (Jean 14, 9).
Le
sens de Noël ne s’arrête pas à la
contemplation de la crèche. Noël met au grand jour le
mystère de la Parole : avant même la création,
Dieu était Parole. Il projetait de communiquer, de Se
communiquer, pour mettre de la vie et de la lumière là
où il n’y avait rien. Cette communication est cet homme
qui, dans les évangiles, parle et agit, vit et meurt. Nous
comprenons ce mystère quand nous réfléchissons
sur la force et la faiblesse de notre propre parole : on peut
dire de quelqu’un qu’il est « verbeux » ;
mais le verbe, la parole, au sens grammatical, est bien la colonne
vertébrale de toute communication, la première manière
de nous engager envers les autres.
*Le Verbe. Ce mot correspond, dans les anciennes
synagogues, au terme memra (parole, en araméen). Pour
elles, ce Memra du Seigneur était Dieu lui-même
quand il agit en faveur des hommes. Elles traduisaient ainsi le début
de la Bible : « Dès le commencement, le Memra
du Seigneur, avec sagesse, créa et acheva le ciel et la
terre. » Et dans cette sagesse créatrice, les
chrétiens d’origine juive voyaient le Christ, Sagesse de
Dieu. Les synagogues avaient trois titres principaux pour éviter
de nommer Dieu : la Parole, la Gloire, la Demeure (ou présence).
Le Prologue de Jean attribue à Jésus ces titres divins
: “ La Parole s’est faite chair; elle a
Demeuré parmi nous et nous avons vu sa Gloire. ”
Là encore, les synagogues ont été une matrice
pour l’expression de notre foi chrétienne.