Messe
de la nuit de Noël (24 décembre 2022)
Isaïe 9, 1-6 (Le
prince de la paix)
Aux
abords de Noël, les médias dressent le bilan de l’année
et les éditoriaux interrogent l’avenir. Déçu
par la politique du roi Ézékias, Isaïe, lui aussi,
pousse son espérance aux horizons ultimes de l’histoire
du Peuple élu. Son poème comprend trois parties :
1)
Ceux « qui marchaient dans les ténèbres »
sont les cantons d’Israël (le royaume de Samarie) asservis
par les terribles Assyriens. Or la lumière se lève :
voici la fête, la fin des brutalités de l’occupant
qui reçoit une raclée digne des exploits de Dieu contre
les Madianites par la main de Gédéon (« le
jour de Madiane », cf. Juges 7, 15-25). Au feu, les
équipements militaires désormais inutiles ! Mais
qu’est-ce qui déclenche tout cela ?
2)
*« Un enfant nous est né. » Ici,
Isaïe évoque moins un berceau que la cérémonie
de l’avènement du roi, la remise de ses insignes et la
proclamation de son nom de règne déployé ici en
quatre titres par lesquels ce « prince de la paix »
incarnera enfin la royauté de Dieu.
3)
« Ainsi le pouvoir s’étendra. »
Voici les conséquences : en cet avènement, la
lignée de David retrouvera sa vocation. La paix ne viendra par
magie, mais par notre mise en œuvre des dons que Dieu nous a
déjà faits en son Fils né à Noël :
« la justice et le droit ».
*Un enfant nous est né. En Israël, la
« naissance » du roi était en fait le
jour de son couronnement. Car ce jour-là, Dieu l’adoptait
comme son Fils. Ainsi, au Psaume 2, 7 : « Le Seigneur
(Dieu) m’a dit (à moi, le roi) : moi,
aujourd’hui (au jour du couronnement), je t’ai
engendré. » Pour les Apôtres, ce jour de
naissance est celui où Dieu fait siéger à sa
droite le Christ ressuscité (voir Actes 13, 33).
Tite 2, 10-14 (La
grâce de Dieu s’est manifestée)
Il
faut lire Tite 2, 1-10 où l’auteur s’adresse aux
membres de tous âges qui composaient alors, à la fin du
1er siècle, une maison chrétienne. Tite, le
collaborateur de Paul (voir Galates 2, 1-3), doit garder ces gens
dans « la saine doctrine », à savoir la
maîtrise de soi et la pondération en toutes choses.
Typique des lettres adressées à Timothée et à
Tite, cette morale se fonde sur la situation du chrétien entre
deux pôles de l’histoire :
1)
« La grâce de Dieu ”, c’est-à-dire
son concours désintéressé à nos efforts,
« s’est manifestée » en Jésus
qui nous sauve en nous enseignant une vie morale et religieuse
exemplaire aux yeux du monde.
2)
Au terme, il y aura une autre « manifestation »,
le bonheur de notre rencontre avec le Christ, « notre
grand Dieu ». L’auteur fait allusion aux
manifestations ou « épiphanies » par
lesquelles l’Empereur se faisait acclamer comme un grand dieu.
Entre
ces deux pôles, nous nous souvenons de la Croix : le Christ
« s’est donné pour nous », payant
de sa vie « la doctrine » qui fait de nous un
peuple élu, un peuple « zélé pour de
belles actions ».
La
nuit de Noël ne nous donne pas à entendre le fougueux
saint Paul, mais son héritier, auteur des lettres à
Timothée et à Tite, un disciple soucieux d’un
témoignage exemplaire des vertus familiales. Mais l’Évangile
ne commence-t-il pas avec un *Enfant qui s’est nourri de
racines familiales ?
*L’Enfant Jésus. « La
majesté du Fils de Dieu n’avait pas dédaigné
l’état d’enfance ; mais l’enfant a
grandi avec l’âge, jusqu’à la statutre de
l’homme parfait ; puis, lorsqu’il a pleinement
accompli le triomphe de sa passion et de sa résurrection,
toutes les actions de la condition humiliée qu’il avait
adoptée pour l’amour de nous sont devenues du passé.
Pourtant, la fête d’aujourd’hui renouvelle pour
nous les premiers instants de Jésus, né de la Vierge
Marie. Et lorsque nous adorons la naissance de notre Sauveur, il se
trouve que nous célébrons notre propre origine »
(St Léon, pape [440-461], Homélie pour Noël).
Luc 2, 1-14 (Naissance de Jésus)
La naissance d’un pauvre
Issu
d’une famille nazaréenne, pourquoi Jésus naît-il
à Bethléem ? Luc l’explique vaille que vaille par
l’affaire du recensement du gouverneur Quirinius qu’il
anticipe de douze ans, mais qui lui permet d'opposer le Messie à
l’Empereur Auguste. Il fallait, selon les Saintes Écritures
(Michée 5, 1), que le Messie naisse à Bethléem,
« la ville de David », une information
prophétique que Matthieu traite à sa manière
(Matthieu 2, 1-6)
Chez
Luc, la scène de la naissance de Jésus, scène
ignorée de Matthieu, est sobre : Marie et Joseph se
retirent vers la cour où se trouvent les animaux, car la place
manque (à cause du recensement, selon le scénario de
l’évangéliste ?) dans « la salle
commune » de la famille qui les reçoit. La
mangeoire, berceau de fortune, met le Messie au rang des plus
pauvres.
L’annonce du Messie aux
pauvres
C’est
aux pauvres que le Ciel livre le sens de l’événement,
à ces bergers qui, selon les rabbis du temps de Jésus,
n’étaient pas des piliers de la synagogue et que les
pharisiens considéraient comme une des classes impures. Mais
Luc joue sur un double sens : les bergers sont aussi les
« pasteurs » et, selon lui, les modèles
anticipés des pasteurs chrétiens, puisque ce sont ces
bergers qui annoncent à Marie, figure de l’Église,
et à tous, le message du Sauveur, reçu du ciel (cf.
évangile de la messe de l’aurore).
Car
l’Annonciation des anges au bénéfice des bergers
est un « évangile », la bonne nouvelle
de la naissance d’un prince : le Messie d’Israël,
descendant de David et né, répétons-le, « dans
la ville de David ». C’est un « Sauveur »
et un « Seigneur ». Ces deux titres saluaient
l’Empereur romain. Mais ils résument aussi d’avance
la foi en la résurrection de Jésus et anticipentainsi
la prédication future des apôtres (voir Actes 2, 36 ;
5, 31 ; 13, 23). Or ce Seigneur n’apparaît pas dans
un palais, mais chez les petits. « Aujourd’hui vous
est né un Sauveur », dit l'Ange. Jésus dira
plus tard, à Nazareth : « La Bonne Nouvelle
est annoncée aux pauvres. » Cette parole de
l’Écriture, c’est aujourd'hui qu'elle
s’accomplit » (voir Luc 4, 18-21), et il mangera
avec les publicains et les pécheurs, les marginaux de la
société. Telle est la paix, la réconciliation
que Dieu offre, selon une traduction plus littérale, « sur
la terre, *paix parmi les hommes de son projet de
bienveillance ».
Le
Messie et l’Empereur
En
son temps, saint Luc aurait pu lire une inscription grecque gravée
en Asie mineure à la mémoire de l’Empereur
Auguste : « Le Destin a orné merveilleusement
la vie humaine en nous donnant Auguste pour en faire le bienfaiteur
des hommes (voir Luc 22, 24), notre Sauveur à tous. Le
jour de la naissance du dieu (= Auguste !) a été
le commencement des bonnes nouvelles (littéralement :
“des évangiles”) reçues grâce à
lui. »
Noël
signe à jamais un contraste : le Prince de la paix
annoncé par Isaïe (1ère lecture) a
choisi son camp : c’est par la solidarité avec les
pauvres et les exclus qu'il a décidé d’apporter
la paix au monde. Et c’est à nous, chaque année à
Noël, qu’est rappelé ce choix de Dieu pour que nous
sachions, nous aussi, dans quel camp nous situer.
*La paix de Noël. « Voici que la
paix n’est plus promise mais envoyée, non plus remise à
plus tard mais donnée, non plus prophétisée mais
proposée. C’est comme un couffin plein de sa miséricorde
que Dieu le Père a envoyé sur la terre ; oui,
dis-je, un couffin que la Passion devra déchirer pour laisser
se répandre ce qu’il contient : notre paix ;
un couffin, peut-être petit, mais rempli. Un petit enfant
nous a été donné, mais en lui habite toute la
plénitude de la divinité. Lorsqu’est venue la
plénitude des temps est venue aussi la plénitude de
la divinité. Elle est venue dans la chair, afin de se faire
voir même de ceux qui sont charnels, et que son humanité
ainsi manifestée permettre de reconnaître sa bonté.
En effet, dès que l’humanité de Dieu se fait
connaître, sa bonté ne peut plus rester cachée »
(St Bernard [1090-1153], Homélie pour l’Épiphanie).