La Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph A
(30 décembre 2022)
Ben Sirac 3, 2-6.12-14
(Les vertus familiales)
Ben
Sirac donnait des cours de sagesse à Jérusalem au début
du 2e siècle avant notre ère. Son livre
réunit des maximes traitant de divers sujets concrets. Il
développe ici ce commandement : « Glorifie ton père
et ta mère. » Dans la Bible, glorifier quelqu’un,
c’est lui donner toute l’importance qui lui est due. Mais
le Sage renverse d’abord le précepte en un principe :
c’est Dieu qui veut que les parents aient gloire et autorité.
Le respect exprimé par les fils est donc un acte de justice à
l’égard de Dieu lui-même. Puis le sage insiste sur
trois aspects :
1)
Tel tu auras été pour tes parents, tels seront tes
enfants pour toi.
2)
Le respect dû aux parents consistant en un respect envers Dieu,
celui-ci écoutera volontiers celui qui observe ce commandement
et il lui pardonnera bien des péchés.
3)
Trait peu fréquent dans la Bible, Ben Sirac relève le
devoir d'assistance envers les parents vieillis voire séniles.
Il écrit à une époque où la jeune
bourgeoisie juive est séduite par la culture grecque et le
monde nouveau des affaires commerciales. Cette jeunesse risque de
trouver les parents « vieux jeu ». Voilà
pourquoi le Sage rappelle les valeurs traditionnelles inscrites dans
les commandements. Les Apôtres (2e lecture), eux,
souligneront la réciprocité des devoirs dans toute
famille se réclamant du Christ.
Colossiens 3, 12-21
(Vivre ensemble dans le Christ)
La
fin de la Lettre aux Colosssiens aligne des conseils propres à
surmonter les désunions. On cultivera donc « la
tendresse, la bonté » et – parce que les
conflits abondent au quotidien, « la patience »
qui permet de pardonner. Bref, « qu’il y ait
l’amour », ce « lien de la perfection ».
Le but n'est pas d’acquérir une morale exceptionnelle,
mais de « former un seul corps » dans le
Christ.
Voilà
pourquoi, dit l’auteur de la lettre, « vivez dans
l'action de grâce ». Par des conseils mutuels et une
intense vie de prière, agissez selon le Christ, conformez-vous
à ce que Dieu fait en vous et à ce qu'il attend de
vous.
Tout
cela s’applique à la vie familiale, selon les codes
domestiques des sages grecs. Que l’épouse soit donc
soumise à son époux, puisque la société
d’alors l’entendait ainsi et que, « dans le
Seigneur », du point de vue chrétien, le croyant
appartient à la société telle qu’elle est
et non telle qu’il la rêve. Mais, en revanche, que le
mari montre à sa femme une affection pleine de délicatesse,
un conseil fort rare dans la société méditerranéenne
d’alors. La même réciprocité vaut pour la
relation parents/enfants – et pour la relation maîtres/esclaves
domestiques (en Colossiens 3, 22 – 4, 1). L’Apôtre
injecte dans ces « codes » socioculturels la
valeur évangélique de l’amour réciproque.
*Les codes domestiques. Ces codes de l’Antiquité,
fréquents sous la plume des philosophes d’alors,
rappellent la hiérarchie familiale qui règle la bonne
marche de la maison. Ils entrent dans les écrits apostoliques
de la fin du 1er siècle (Colossiens 3, 18 –
4, 1 ; Éphésiens 5, 21 – 6, 9 ; 1
Pierre 2, 13 – 3, 7). Cette nouveauté signifie que les
Églises ne sont plus de petites cellules discrètes.
Elles doivent témoigner désormais des valeurs morales
prônées par la société, mais en y ajoutant
les valeurs d’un amour réciproque qui l’emporte
sur les structures d’autorité.
Matthieu
2, 13-15.19-23 (La Sainte Famille en Égypte et à
Nazareth)
« Après
le départ des mages », l’Ange du Seigneur
intervient. Et, par l’obéissance de Joseph à son
ordre, l’enfant Jésus devient l’Exilé. Un
nouvel ordre de l’Ange, et Jésus devient le Nazaréen.
Entre les deux épisodes, la liturgie omet le récit du
massacre des Innocents (Matthieu 2, 16-18) rappelant le meurtre des
bébés hébreux lors de la naissance de Moïse
(Exode 1 – 2).
Jésus l’Exilé
Pharaon
« cherchait à faire périr Moïse »
(Exode 2, 15). Hérode, lui, « recherche l’enfant
pour le faire périr ». Nouveau Moïse, selopn
la symbolique de Matthieu, Jésus connaît déjà
la persécution annonçant sa passion. Mais si Moïse
fuyait l’Égypte hostile, c’est le pays d'Israël
qui menace ici l’enfant. Car, au temps où Matthieu
rédige son évangile, l’hostilité contre
son Église vient davantage de la Judée que des régions
païennes. Il reste que, dans la Bible, l’Égypte
symbolise l'oppression. Elle est le point de départ du chemin
de liberté vers la Terre promise. Jésus devient
solidaire de son peuple, assumant l’histoire de ses épreuves,
comme le souligne *la citation d’Osée :
« D’Égypte, j'ai appelé mon fils. »
Jésus le Nazaréen
L’épisode
du retour vers Nazareth s’organise comme le premier. C’est
d'abord l’ordre de l’Ange, un parallèle limpide
avec l’histoire de Moïse en Exode 4, 19-20 : « Va,
retourne en Égypte, car ils sont morts, tous ceux qui
cherchaient à te faire périr... Moïse prit sa
femme et son fils, les fit monter sur un âne et s’en
retourna au pays d’Égypte. » Ainsi, l’âne
des tableaux de la fuite en Égypte vient de l’histoire
de Moïse, et non de l’évangile qui ne parle
nullement de cette monture.
Puis
c’est l’exécution de l’ordre de l’Ange.
De fait, Arkélaüs fut aussi cruel que son père
Hérode le grand. L’évangéliste joue sur ce
trait de l’histoire juive. Ainsi, selon Matthieu, la Judée,
terre de David, rejette son Messie. Celui-ci se retire dans la
Galilée que Matthieu 4, 15 définira comme le
« carrefour des païens ». Par là,
voici Jésus à pied d’œuvre pour sa mission
universelle.
C’est
enfin une nouvelle citation biblique : « Il sera appelé
nazôréen », comme on devrait traduire.
L’adjectif, jeu de mots avec « nazaréen »,
ne se trouve nulle part dans l’Ancien Testament. Matthieu, qui
aime les énigmes, l’attribue aux prophètes en
général, à aucun en particulier. On songe alors
au mot « naziréen », c’est-à-dire
consacré, voué à Dieu, comme le furent Samson
(Juges 13, 5-7) et d’autres, persécutés pour leur
fidélité (cf. Amos 2, 11-12). Mais, à l’époque
de l’évangéliste, les « nazôréens »
ou « observants » semblent aussi un surnom des
Baptistes. Et Jésus, dans le chapitre suivant, se fera
solidaire de Jean le Baptiste.
Ces
scènes, surchargées de symboles bibliques, disent peu
de chose sur ce qui s’est passé. Elles présentent
surtout un Messie qui se fait solidaire de la vocation et des
épreuves du Peuple de Dieu et, par là, solidaire de
toutes les familles humaines qui vivent dans l’épreuve
leur vocation chrétienne.
*La citation d’Osée. Si quelqu’un
dit : « Les souris dansent », on restitue
spontanément le début du proverbe : « Le
chat parti ». De même, les lecteurs juifs de
Matthieu complétaient de mémoire le verset d’Osée
11, 1 : « Quand Israël était enfant, je
l’aimai, et d’Égypte, j’ai appelé mon
fils. » Matthieu suggère ceci : l’enfant
Jésus est l’enfant Israël et résume en sa
personne la vocation et le destin du Peuple élu, ce peuple
dont Dieu disait à Pharaon : « Mon fils
premier-né, c’est Israël » (Exode 4,
22).