TOUS LES SAINTS (1er novembre 2022)
Apocalypse 7, 2-4.9-14
(
La foule immense des rachetés)
En
un temps de rude persécution, l’auteur veut encourager
les chrétiens par la bonne nouvelle de sa vision. Dans la
première scène, le jugement du monde se prépare,
mais non pas un jugement aveugle, puisque « les serviteurs
de Dieu » sont marqués d'un « sceau »,
un signe signifiant leur appartenance au Seigneur et les distinguant
des condamnés. Déjà en Ezéchiel 9,4,
l'ange avait marqué au front ceux qui étaient restés
fidèles au milieu d'une Jérusalem pervertie. Le nombre
des sauvés est considérable, puisque le symbole des 144
000 indique non pas une limitation, mais au contraire, une plénitude.
C’est 12 fois 12 000, symbolique reflétant la plénitude
des douze tribus d’Israël.
La
seconde scène présente ce même peuple comme une
foule innombrable, de toutes origines. Ces gens portent des palmes,
car ils célèbrent dans le ciel la fête des
Tentes, fête de la royauté de Dieu et du Messie. Ils
rendent gloire à Dieu de leur avoir donné le salut ;
ils le font en reprenant des bribes d’hymne qui se chantaient
dans l’Église de l’auteur de l’Apocalypse.
Ils ont vécu « la grande épreuve »
de la fin des temps qui s’est traduite pour eux par la
persécution et le martyre : littéralement, « Ils
ont blanchi leurs vêtements dans le sang de l’Agneau ».
Notre Église de la
terre et celle du ciel célèbrent à l’unisson
un Dieu qui nous sauve en nous purifiant, par son Fils. La sainteté
n’est donc pas l’affaire d’une élite :
c'est une promesse de bonheur qui nous donne du courage.
* Blanchis par le sang.
L’Auteur aime juxtaposer, empiler, des images qui ne vont pas
ensemble, et ce procédé donne à l’Apocalypse
sa poétique étrangeté. Il faut alors décoder
chaque symbole : 1) les élus portent des vêtements
blancs, signe de la sainteté et de la condition céleste.
2) Mais cette sainteté, ils l’ont acquise par le
martyre, c’est-à-dire en partageant la passion du
Christ, Agneau immolé. Tous les chrétiens n’acquièrent
pas la sainteté par le martyre, mais toute sainteté est
participation au don de soi total du Christ, à son sang.
1 Jean 3, 1-3
(
Nous sommes enfants de Dieu et nous lui serons semblables)
Les membres de la communauté
de Jean se définissent comme « enfants de Dieu ».
C’est le grand amour du Père qui, pour nous, a fait de
cette dignité une vocation (« appelés »)
et une réalité (« nous le sommes »),
et c’est pour cette mission que Jésus est venu : « Ceux
qui croient en son nom, il leur a donné de pouvoir devenir
enfants de Dieu » (Jean 1, 12).
Mais
*le monde ne nous comprend pas, puisqu’il n'a pas
découvert en Jésus le Dieu qui veut faire de nous ses
enfants. Il reste qu’en cherchant à agir selon notre
vocation filiale, nous étonnons « le monde ».
En outre, les vrais croyants ne saisissent pas eux-mêmes
combien ils ressemblent au Fils de Dieu animant leur vie, puisqu’ils
ne l'ont pas encore vu de leurs yeux.
Notre vocation comporte donc
une seconde et ultime étape, « lorsque paraîtra
le Fils de Dieu ». Nous serons alors transfigurés
en sorte de le connaître, à un juste niveau, tel qu’il
est. En attendant, si nous avons cette espérance, il existe un
moyen de le connaître : imiter sa pureté de vie en
nous purifiant de toute compromission indigne de notre vocation et de
l’amour que Dieu nous porte. Tel est le prix et l’honneur
de la sainteté chrétienne.
Le monde.
« Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné
son Fils unique » (Jean 3, 16). Nous partageons donc son
amour pour le monde, pour tous les hommes. Cependant, chez Jean, le
terme « monde » a souvent un sens négatif,
comme représentant de groupes qui refusent le Fils de Dieu. Au
départ, il s’agit de ceux des Juifs qui refusent Jésus.
Dans la Première Lettre de Jean, « le monde »
inclut en outre des chrétiens qui s’égarent, ne
partageant plus la foi de la majorité. La foi ne fait pas
l'unanimité, rappelle Jean, et nous devons être lucides
sur nos complicités possibles avec l’incrédulité.
Matthieu 5, 1-12a (
Les Béatitudes)
La
béatitude est une forme d’expression biblique
félicitant celui qui met à profit les dons que Dieu lui
fait. Et si elle inclut le futur, elle promet aussi une joie à
venir. Ainsi le Christ avait promis le bonheur au pauvres :
"Heureux, vous les pauvres, le règne de Dieu est pour
vous", et Luc (6, 20-23) rapporte trois béatitudes sur ce
thème : Dieu est lassé de vous voir pauvres ;
il vient régner en votre faveur.
Or Jésus nous a
quittés, et il y a toujours des pauvres. A-t-il donc échoué
? Matthieu ne le pense pas. Si un groupe de disciples, d’accord
entre eux, s’éduquent mutuellement en frères à
suivre l’exemple et l’enseignement de Jésus, alors
ils feront l’expérience de la réalité du
Royaume annoncé par le Christ. En d’autres termes, le
message de bonheur proclamé par Jésus devient, chez
Matthieu, un programme de vie. C’est en ce sens que
l’Évangéliste refaçonne entièrement,
et avec un grand art, les béatitudes que lui lègue la
tradition.
À cet égard,
son arrangement des deux premières béatitudes est
révélateur : « Heureux les pauvres de
cœur (ou : par l’esprit) ». La sentence
ne vise plus les pauvres de la société, mais une
attitude intérieure d’humilité, déjà
vantée par les prophètes (Sophonie 3, 11-12) et opposée
à tout orgueil. Dans les conflits, le pauvre de coeur fait
simplement confiance à Dieu pour juger de son bon droit
(Psaume 69 [70], 6). Renforçant ce sens, Matthieu compose une
seconde béatitude, inspirée du Psaume 36 [37], 11.22 :
ceux à qui Dieu promet le Royaume, « la terre
(promise) », ces pauvres de cœur, ce sont aussi
« les doux », les non-violents qui refusent de
s’imposer, de se rebiffer. Ainsi, pourra-t-on constituer une
communauté qui fasse le bonheur des petits et des malheureux,
si chaque membre prend sur lui-même et se situe dans une
attitude d’humilité et de douceur vis-à-vis de
Dieu et de ses frères. Bref, on incarnera le comportement de
Jésus « doux et humble de cœur »
(Matthieu 11, 29).
Huit béatitudes sont
encadrées par une même expression : « le
Royaume des cieux est à eux » ; elle indique
le but recherché. Elles se subdivisent eu deux groupes de
quatre béatitudes conclus chacun par le mot « justice ».
Le premier groupe s'intéresse aux dispositions intérieures.
Il chante le bonheur de ceux qui s’ouvrent à Dieu dans
une humilité confiante, de ceux qui, « affligés »,
comptent sur la consolation de Dieu, de ceux qui n’ont faim que
de voir Dieu faire triompher ses droits, sa « justice ».
Le
second groupe s’oriente davantage vers un comportement :
la miséricorde, *la pureté de cœur, la
paix, l’acceptation même de la persécution pour
rester fidèle à la justice de Dieu, à ce que
Dieu attend des croyants. Une neuvième béatitude sert
de transition avec la suite du Sermon sur la montagne. De quelque
manière, être persécuté signifie que l’on
est sur la bonne voie, car le Royaume de justice est inacceptable
pour les tenants du pouvoir et de la domination.
* Les cœurs purs. Aux « purs par
le cœur », la 6e béatitude promet
qu’ils verront Dieu. Le texte s’inspire du Psaume 23
[24], 3-6 disant que peut seul entrer dans le Temple « l'innocent
de mains et le pur de cœur » ; telle est bien,
ajoute-t-on, « la race de ceux qui cherchent (à
voir) la face de Dieu ». Sur cet arrière-fond, la
pureté n’est pas mise en lien direct ici avec la
sexualité ; elle prône plutôt la droiture,
l’absence de duplicité, la cohérence entre l’agir
(« les mains ») et les motivations profondes
(« le cœur »). Matthieu (15, 18-19; 23,
26) reviendra sur ce motif.
Dans l’Orient ancien, « voir la face »
du roi, C’est avoir ses entrées auprès de lui.
Par analogie, « voir la face de Dieu »
signifiait être admis dans le Sanctuaire. À partir de
là, l’expression devint facilement le symbole de
l’admission des croyants auprès de Dieu à la fin
des temps (cf. Apocalypse 22, 3-4). Bref, heureux celui qui garde la
droiture intérieure en tous ses actes : celui-là
goûtera un jour avec Dieu une intimité sans pareille.