Parole de Vie.   
Des témoins.

Frère Christian et le Foyer Caris

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Un Foyer de Charité : une année de service au milieu de troubles et de guerres

La Famille du Foyer de Charité de Bangui exprime ses réflexions face au vécu de l'année 2003 en Centrafrique
Une étoile a brillé un soir d'hiver,
répandant sa clarté sur notre terre
Et depuis ce temps-là,
Dans nos coeurs, un espoir est né
Que l'enfant de Noël nous a donné...
La PAIX entre les hommes de bonne volonté. "

Quoi de plus mystérieux qu'une étoile ? d'où vient-elle ? que transmet-elle ? et pourtant elle est là, elle brille quelque soit la couleur du ciel et l'humeur du temps... En ce temps de l'Avent, nous y sommes particulièrement attentifs mais c'est tout au cours de l’année que nous avons senti sa présence et nous sommes heureux de vous partager dans cette lettre quelques reflets de sa lumière, non pas
comme des informations distillées par les médias mais comme des éclats de vie qui nous font croire et espérer envers et contre tout.
Pour situer notre réflexion, nous vous partageons une petite anecdote vécue au début de l’année lors de la
visite au centre nutritionnel d'un organisme international. Il nous demandait : 
: " Quels sont vos objectifs à court, moyen et long termes ? ". Nous lui parlons de la prise en charge de la malnutrition avec tout ce que cela sous-tend de pathologies associées (tuberculose, SIDA, paludisme, anémies ... ) ou de problèmes économiques ou sociaux. Mais nous sentons qu'il attend des chiffres, des statistiques, des projets,
des plans d’action.
Aujourd'hui à la fin de cette année, encore une fois chargée de conflits, de guerres, de destructions et de pillages, nous pourrions répondre à cette question selon nos critères:

nos objectifs
  • à court terme : etre présence et accueil au quotidien
  • à moyen terme : tenir en famille
  • à long terme : suivre l'étoile

A la lumière de l'étoile, nous voulons aujourd'hui vous " transmettre de la vie " : vie de notre pays, vie de notre famille de Foyer, vie de tous ceux qui croient que l'amour est plus fort que la haine et qui osent ne pas se laisser écraser par la fatalité.

L'année dernière s'est terminée dans la confusion après l'arrivée des rebelles centrafricano-tchadiens fin octobre, les combats et exactions dans la ville pendant une semaine puis le repli des rebelles dans le nord du pays (le long de la frontière tchadienne). Un tiers du pays était alors occupé par ces militaires et a subi de graves destructions. Les Eglises sont très touchées : destruction de l'évêché de Bossangoa, de centres de santé, véhicules " réquisitionnés " qui sont revendus sur les marchés des villes du sud du Tchad. Quand les gens réagissent et s'opposent aux militaires, les villages sont brûlés comme dans la région de M'Brès. L'occupant se nourrissant " sur le dos " de la population, au bout de quelques semaines, il n'y avait plus une poule, plus un cabri dans les villages. A cause de l'insécurité sur les routes, les paysans ne peuvent se rendre à leurs plantations et les cultures sont à l'abandon. La peur est partout et beaucoup sont obligés de fuir. Avec la population, les religieuses et prêtres les plus menacés quittent leurs missions en faisant jusqu'à 60 Km à pied à travers la brousse. Parfois, ils peuvent rester autour de l'évêque et cela diminue les destructions.

En plus de leur installation dans le nord, les rebelles bloquent la route qui mène vers l'est (un tiers de la RCA). Dans toute, cette partie du pays, il n'y aura pas (ou peu) de combats et de destructions, mais une asphyxie totale par absence de communication. La route, le fleuve sont contrôlés par les rebelles. Cinq mois sans aucun ravitaillement: les prix flambent ou les denrées sont introuvables. Même une bougie ou une boite d'allumettes deviennent des trésors !
Les forces " loyalistes " contrôlent le troisième tiers du pays mais elles ne pourront jamais reprendre du terrain malgré le soutien des mercenaires congolais (venant de RDC). La route de Bangui vers le Cameroun, seule liaison avec l'extérieur, sera parfois menacée et surtout envahie de " contrôles " où il faut verser un droit de passage. Les camionneurs venant de Douala ne veulent plus apporter de marchandises à Bangui, d'où l'inquiétude de pénuries dans la capitale.

Etre présence, être veilleurs et reconnaître les signes de l'étoile
Pour nous, une préoccupation majeure en ce mois de février faire arriver deux containers de médicaments venant d'Europe et bloqués à Bouar (450 Km à l'ouest de Bangui) ! Le PNUD (organisme des Nations Unies) nous propose son concours mais après deux semaines de réunions et de discussions, c'est toujours au point mort et la pression des rebelles devient de plus en plus forte dans l'ouest du pays avec risque de fermeture de cet axe routier. Notre manière d'être présents est de tenter l'impossible et d'oser donner le feu vert aux camionneurs pour prendre la route. Quelques jours après, les deux camions arrivent au Foyer intacts et nous pouvons distribuer ces médicaments aux centres de santé privés qui les ont commandés.
Le 15 mars, alors que débute une récollection, des bruits de coups de feu et d'armes lourdes nous arrivent de l’aéroport proche. En même temps, les petites soeurs du Coeur de Jésus viennent demander refuge. Elles habitent à l'entrée nord de la ville et fuient, comme la population, à l'arrivée des rebelles venant du nord. Profitant de l'absence du Président parti en voyage au Niger, les rebelles pénètrent dans la ville et investissent les lieux stratégiques : aéroport, radio, palais présidentiel... Les loyalistes ne résistent pas et la prise de la ville est facile. Le Général Bozizé (général centrafricain en rupture avec le Président depuis novembre 2001) prend la direction du pays. Ces " assaillants " deviennent une " armée de libération " et une manifestation aura lieu dans Bangui en faveur de cet événement. Cependant, le changement ne se fait pas sans heurts et dans la capitale, on assiste pendant deux semaines à des vagues de pillages, de destructions par toutes les parties en présence. Les mercenaires congolais qui repartent dans leur pays essaient de ne pas fuir les mains vides, les milices de l'ancien président brûlent les archives dans les administrations (certains ministères seront détruits de cette manière), des hommes armés apparaissent partout et cherchent véhicules, téléphones portables, argent...

Tenir en famille malgré la peur et les menaces
Les 16 et 17 mars, des groupes armées arrivent dans notre quartier et foncent à toute allure sur la route devant le Foyer. La maison de notre voisine, Madame le Maire de Bangui, est pilonnée (riposte politique ?), les maisons de formation de soeurs qui nous entourent sont visitées et il leur faut donner voiture, téléphone, argent. Et le Foyer ? épargné, les pillards n'ont pas essayé de rentrer... et avec les 25 soeurs réfugiées, nous en sommes encore étonnés. Les soeurs resteront parmi nous 3 semaines et le stock de nourriture que nous avions pu faire juste avant les troubles a, du coup, subi une rude attaque !
Ces troubles continueront jusqu'à ce que le nouveau président prenne des mesures fortes face à ces " militaires " incontrôlés. Ils seront abattus sur place dès qu’ ils seront pris en train de piller.
Le calme revient peu à peu et l'heure est au bilan : dans tout le centre ville, de nombreuses destructions ont eu lieu, des magasins ont été pillés, des administrations sont vides de tout. Partout, les dégâts sont énormes et beaucoup d'expatriés, délestés de tous leurs biens, préfèrent quitter le pays. Impossible de communiquer avec l'étranger, le relais avec l'international est détruit, le serveur intemet saccagé. Chez nous, plus aucun téléphone fixe ne fonctionne, il ne reste que les portables et les lignes sont tellement saturées que c'est un
exploit de pouvoir obtenir un numéro en France.

Etre accueil et présence et tenir dans la fidélité à notre mission
C'est pour nous une priorité et même dans les jours de grande insécurité, nous avons toujours ouvert le centre nutritionnel et accueilli les malades qui se présentaient (venant surtout du quartier proche). Mais une fois la situation plus calme, c'est de nouveau l'affluence de tous les quartiers et le nombre de visites quotidiennes dépasse souvent les 150 enfants.

Suivre l’étoile pour agir en fidélité à l’Evangile
Les Eglises réagissent, les évêques adressent des lettres aux gouvernants pour dénoncer les exactions, les violences et encourager à la réconciliation et à la reconstruction. L'Assomesca, (association des Eglises catholiques et protestantes pour la santé), une des rares ONG encore présentes, accepte avec plusieurs partenaires internationaux de mettre en oeuvre un projet pour la reprise des activités sanitaires dans l'est. C'est le projet " Talita Kum " (Lève-toi) qui va doter les centres de santé privés et publics en médicaments essentiels afin de permettre la réouverture de ces centres et les soins efficaces des malades. Une grande innovation: proposer pour tous les centres un prix forfaitaire fixe qui donne droit aux médicaments et évite les " frais divers " à payer à tous les niveaux de soins ! Du coup, tous les centres ont vu leur fréquentation augmenter, les malades ayant enfin accès à des soins à leur portée. Nous avons participé à cette vaste opération en préparant les kits de médicaments et une de nos salles de réunions s'est transformée en centre de tri de médicaments.

Suivre l'étoile donne de l'imagination pour être présents
La conjoncture déplorable créée par les événements n'a fait que durcir les problèmes notamment au niveau santé. Difficulté de trouver du sang pour les transfusions, les donneurs sont rares car les gens fatigués et peu nourris hésitent à donner leur sang. Le Centre de Transfusion Sanguine est souvent en rupture de stock pour les poches à prélèvement ou les réactifs ou... Nous les dépannons à l'occasion mais nos moyens sont faibles. Robert fait un gros travail de sensibilisation pour créer des groupes de donneurs bénévoles dans les quartiers proches. Recrudescence de la tuberculose liée à une alimentation trop minimale dans la plupart des familles, augmentation du nombre de cas de malnutrition grave (Kwashiorkor notamment: 220 en 2002 pour 3 90 dans les 11 premiers mois de 2003). A ce jour, nous avons accueilli plus de 5.000 nouveaux enfants dans notre centre dont plus de la moitié souffrent de malnutrition grave.
L'UNICEF a lancé un programme pour l'aide " aux orphelins et aux enfants vulnérables " et nous demande d'y participer. Cependant, les conditions sont telles que cela met en péril notre mode de fonctionnement habituel. Leurs critères, même bien intentionnés, ne tiennent pas compte de l'organisation des centres avec lesquels ils veulent travailler. Aucune part n'est prévue dans ces projets pour compenser le surcroît de travail. Il nous faut beaucoup discuter pour arriver à un compromis et à un respect de notre identité.

Suivre l’étoile aide à tenir à notre identité propre.
Le domaine de l'éducation est aussi durement touché. Certaines écoles n'ont fonctionné que deux mois. Malgré l'absence de cours, les examens ont été programmés à des dates différentes selon les régions: juillet à Bangui, octobre dans les zones La rentrée scolaire est reportée au 17 novembre. C'est une préoccupation majeure des familles de donner une éducation à leurs enfants et parfois, vu le manque d'argent, un seul sera inscrit et pourra profiter de cette formation. Le gouvernement demande aux Eglises de rouvrir des écoles.
Un des premiers travaux du nouveau gouvernement a été la recherche de la réconciliation par la mise en place d'un " Dialogue national " réunissant partis politiques, Eglises, sociétés civiles... Beaucoup de choses
ont pu y être exprimées, les réalisations sont à suivre.

Tenir en famille et dans la confiance
Face à toutes ces perturbations, ce qui nous a soutenu, c'est la vie en famille. Se serrer les coudes et faire face ensemble. Communauté peu nombreuse puisque Marie-Louise est toujours au Sénégal, Annick était en France pour quelques mois.
Au sein de la communauté, les épreuves n'ont pas manqué avec, en particulier, le décès d'Agathe, notre
Doyenne centrafricaine (environ 79 ans) suite à une aggravation de l'hypertension et du diabète. ,Agathe était
venue au Foyer en 1974. Elle habitait alors la paroisse de Lakouanga au centre ville dont le Père Godart était le curé. Elle s'occupait de l'accueil et préparait la cuisine africaine pour les retraitants. Tout le monde appréciait son " ngounza " (feuilles de manioc pilées avec oignons et pâte d'arachide). Elle était toujours de bons conseils sur les choses courantes de la vie. Elle repose au cimetière de St Paul près du Père Godart.
L' artisanat de papillons et la correspondance ont souffert de retards du fait du congé prolongé de Marizabeth qui a du subir une intervention chirurgicale en France. Son retour, début novembre, a été une grande joie de tous. Le travail au centre nutritionnel a cependant continué, bien assumé par Robert, Marie-Ange et toute l'équipe de Centrafricains.

Suivre l'étoile et mettre ses pas dans ceux du Seigneur
Heureusement, la famille s'étoffe avec l'arrivée de Nadège après un séjour au Foyer de Roquefort-les-Pins. Les deux années passées parmi nous comme coopérante lui avaient fait découvrir l'appel du Seigneur à se donner tout entière. Elle désire vivre la vie de membre de Foyers dans notre famille de Bangui. Elle est arrivée avec une cithare (cadeau du Foyer de Roquefort) qui va nous aider à améliorer les chants liturgiques. Cette cithare aura bel effet dans nos " nouvelles " chapelles. En effet, malgré le manque endémique de matériaux, nous avons réussi à changer les toits de chaume des deux chapelles, un en janvier et l'autre en septembre. Des tuiles de tôle posées sur des contre-plaqués leur apportent une nouvelle jeunesse. Un petit chapeau permet une bonne circulation de l'air: grande clarté intérieure, meilleure sonorité, éclairage plus adapté. Un peu de beauté qui nous aide à la prière.

Etre présents, demeurer dans la confiance, tenir ensemble dans la prière
L' importance de la prière a été pour nous une évidence au coeur de la tourmente : sentir que même dans les
moments où la communication n'est pas possible, toute une chaine d'amis est proche et porte avec nous nos difficultés. La prière est alors force de paix mais aussi ouverture vers un à-venir meilleur. Elle aide à " tenir malgré tout ".
C'est cette ambiance de calme, de prière, de paix que les chrétiens viennent chercher au cours d'un WE, d'une retraite ou pour un temps de formation spirituelle, que ce soit les chrétiens des paroisses ou les membres de communautés religieuses. Et là aussi, la demande est grande. Pour nous aider à cet accueil, Nicole et Mado, deux femmes du quartier, font équipe avec Rosine de la communauté pour faire la cuisine. Même quand il est difficile aux participants de trouver le montant modique des frais, ils délèguent un membre de leur groupe qui, à son retour, transmettra la "Bonne Nouvelle" entendue.

C'est l'étoile que chacun emporte dans son coeur et qui le guidera dans les moments de détresse,
c'est l'étoile qui lui permettra de témoigner de sa foi au coeur des troubles
.

L'Eglise a en effet à répondre à des défis, elle doit affirmer sa foi face à l'Islam qui s'infiltre, envahit les économiques et politiques sans crier gare. C'est une des tâches de notre nouvel archevêque,
Paulin POMODIMO, qui vient de remplacer Monseigneur Joachim N'Dayen gravement
L'Eglise, peuple de Dieu, c'est aussi les jeunes qui s'engagent à la suite de Jésus. Les premiers " petits frères du Coeur de Jésus " (communauté centrafricaine et camerounaise) ont fait leurs premiers voeux au Cameroun en avril et sont venus fonder une fraternité près du Foyer. Il a fallu pousser les murs de la maison du postulat. Cela a pu se faire grâce à l'aide des Capucins Suisses et maintenant, en plein quartier Kokoro, ils donnent l'exemple d'une vie simple et fraternelle. L'évêque de Maroua-Mokolo (diocèse du nord Cameroun) nous a rendu visite ainsi que le Père Pascal MICHEL, maîitre des novices. Le Père Nicolas assurait en effet le suivi des postulants, logeant près du Foyer.

Etre présence, tenir en famille, suivre l'étoile...
Il semble que cette année encore, nous avons réussi à remplir nos objectifs ! mais pas tout seuls. Il est évident, palpable que nous sommes accompagnés, gardés, aimés par le Seigneur et que c'est à Sa Vigne que nous travaillons. Et pour accomplir tout cela, il nous envoie des amis, des compagnons de route, VOUS, qui d'une manière ou d'une autre, participez à cette mission. Nous vous remercions très vivement pour l'aide apportée et aussi pour votre fidélité à toutes épreuves. Nous avons confiance en vous et c'est pourquoi nous pouvons accueillir cette parole du Seigneur: " Que votre coeur cesse de se troubler, gardez courage, j'ai vaincu la mort ".
Et si nos meilleurs voeux pour cette année pouvaient se formuler ainsi
Que chacun de vous découvre l'essentiel qui est de suivre l'étoile.
Bon temps de l’Avent, bon Noël, bonne année 2004

La famille du Foyer de BANGUI
BP 335 / BANGUI / RCA
Tél. (236) 61 Il 05 Fax (236) 61 32 35
Email papigod@intnet.cf (de préférence) ou foyerb@yahoo.fr

Un grand merci au Carmel de Dijon qui assure une fois encore l'envoi de cette lettre. C'est pour nous un service très précieux pour garder le contact avec vous.


Renseignements pratiques pour un soutien financier:
Attention : le courrier fonctionne très mal avec Bangui. Nous vous demandons donc d'adresser vos dons uniquement selon les deux modalités suivantes:
  • -par chèque à l'ordre de " Foyer de Charité de Bangui" à

    Michelle-Marie HUARD
    Foyer de Charité Maria Mater
    BP 17 - F 06330 Roquefort-les-Pins / France

  • -par virement sur le compte du Foyer de Charité de Bangui
    CCP 560-55 K Paris
    (RIP n° 30041 00001 0056055KO20 04)

Un reçu fiscal vous sera adressé vous permettant de déduire ces dons du revenu imposable.



Vie de prière et vie spirituelle

Témoignage d’un spiritain, (55 ans) missionnaire à Madagascar pendant 25 ans

Situation

Je suis à Madagascar depuis 1976, sur la côte Est, dans le diocèse de Fénérive-Est, actuellement en poste à S/Ivongo avec Roger, un jeune prêtre diocésain malgache et Barthélémy, diacre diocésain malgache qui sera ordonné en septembre prochain.
S/Ivongo est ce qu’on appelle habituellement un poste de brousse, une petite ville ou plutôt un gros village de 3000 à 4000 habitants, mais une grosse Mission (superficie : 6 500 km2) avec 120 petites communautés chrétiennes souvent difficiles d’accès, dont les plus éloignées sont à 4 jours de marche à pied.
Un territoire de 1ère évangélisation, même si les Spiritains sont dans le diocèse depuis une centaine d’années : 96 000 habitants dont 7 à 8 000 catholiques. La grosse partie suit encore la religion traditionnelle.

Mon emploi du temps

L’essentiel de mon travail est consacré à la visite et à l’animation de ces 120 communautés de brousse. La moitié du temps : marche à pied sur les postes à la rencontre de ces communautés. L’autre moitié au centre pour récupérer et bien sûr pour l’animation de la Mission.

Ma prière personnelle ( ?)

C’est d’abord sur LA ROUTE (à pied). J’ai calculé une fois que sur 15 jours de tournée, je passais plus de temps à marcher à pied qu’à réunir les gens ou prier avec eux.
La plupart du temps ce sont des étapes de 10,15,20 kilomètres. Quelquefois 35 et même 40 kilomètres.
SUR LA ROUTE (sur les pistes)
C’est d’abord une prière d’action de grâce. Je ne me lasse pas, depuis 25 ans, d’admirer la beauté des paysages, même sous la pluie (ce qui arrive souvent), même avec de la boue jusqu’aux genoux.
J’aime marcher en silence, tout en pensant, en priant pour la communauté que je viens de quitter et qui n’aura plus de visites d’ici plusieurs mois, ni d’eucharistie pendant 6 mois, 1 an – et en pensant déjà à la communauté qui m’attend et que je vais rencontrer.
Je repense à tout ce qu’ils m’ont dit, ce qu’on m’a confié : les catéchumènes, les malades, le couple qui se prépare au mariage, le couple qui est sur le point de se séparer.

Ma prière, c’est aussi DES VISAGES, les visages de tous ceux et celles que je rencontre en chemin (il y a toujours beaucoup de monde sur la route...) :

  • les enfants qui reviennent de l’école (5 à 10 kms à pied).
  • Les enfants qui gardent les bœufs, ceux qui sont dans les rizières (plus de 50 %).
  • Les gens qui sont au travail, qui bêchent, repiquent, cueillent le riz ou le girofle.
  • La maman avec le bébé sur le dos qui marche depuis plusieurs heures pour rejoindre le dispensaire le plus proche afin de faire vacciner son bébé.
  • Le malade qu’on transporte sur un brancard avec toute la suite de ceux et celles qui l’accompagnent pour porter les bagages ou tout simplement par amitié.

Un sourire – quelques mots échangés – un verre d’eau – un fruit. Les visages rencontrés (connus ou inconnus) nourrisent ma prière qui est bien souvent action de grâce ou prière de demande.

SUR LA ROUTE, il y a aussi les moments de fatigue, la pluie, la boue, les ponts en bambous difficiles à passer, les rivières en crue, la soif, le découragement.
Alors je prie en pensant à tous ceux et celles, les amis de France et d’ailleurs, à tous ceux qui prient pour la mission, pour les missionnaires.
Je pense souvent à Ste Thérèse de l’Enfant Jésus qui, dans son carmel, marchait pour les missionnaires et aussi à la carmélite de Luçon qui, à l’occasion d’une journée missionnaire en Vendée, m’a donné son chapelet, toujours dans ma poche quand je suis sur la route.
Je pense aussi bien souvent aux lectures, aux chants choisis pour mon ordination le 27 juin 1976.
Isaïe 43, 2 : "si tu passes à travers les eaux, je serai avec toi ; à travers les fleuves, ne crains pas : ils ne te submergeront pas car, moi le Seigneur, je suis ton Dieu. – Tu vaux cher à mes yeux – Ne crains pas, je suis avec toi."
Le Psaume 15 : "Tu es ma part d’héritage…tu as choisi la meilleure part…Je n’ai pas de plus grand bonheur que toi." - "Je sais en qui j’ai mis mon espérance…" - "Sans moi, vous ne pouvez rien faire…"
Un verset d’évangile, un refrain que je laisse trotter dans ma tête pendant les kms m’aident souvent à reprendre des forces, à oublier la fatigue.
Et puis, bien sûr, il y a à l’arrivée, l’accueil au village, l’Eucharistie partagée et célébrée avec la communauté qui attend ça depuis si longtemps : c’est toujours le point fort de la tournée.

Un autre temps fort de ma prière : LE SOIR. Le soir, quand le village est endormi et que je me retrouve seul dans ma petite case :

  • Sur le cahier de tournée, j’inscris le compte-rendu de la journée,
  • La préparation de la messe du lendemain, lecture des textes et préparation de l’homélie.
  • Le Bréviaire ? J’avoue qu’il ne m’accompagne pas à chaque tournée, spécialement quand la tournée et longue et fatigante, j’allège le sac au maximum. Et puis, il est bien difficile à lire le soir à la lumière d’une bougie ou d’une petite lampe à pétrole. En plus, il m’arrive de prier souvent en malgache avec la famille qui me loge.
  • Par contre j’ai toujours avec moi la revue "Signes" qui souvent nourrit ma prière personnelle durant toute la tournée. J’aime découvrir les lectures du dimanche une semaine à l’avance et de les laisser trotter dans ma tête pendant toute la semaine. Revue "Esprit-Saint" aussi.
  • Le soir, j’ouvre le "cahier des catéchumènes" : je contrôle discrètement om ils en sont dans leur préparation et je lis souvent avec admiration les paroles du Christ qu’ils ont découvertes et recopiées dans leur cahier et aussi la prière personnelle qu’ils écrivent chaque semaine dans leur cahier. Je lis aussi avec intérêt les efforts de conversion qu’ils ont faits.

C’est toujours la prière de louange avant de m’endormir en constatant le travail de l’Esprit dans le cœur de ces catéchumènes.

Le soir, je n’oublie jamais d’écouter les nouvelles du monde (R.F.I.). ma prière est aussi nourrie par les nouvelles du monde que je partage souvent le lendemain avec les gens à l’occasion de la prière universelle.

Et pour finir la journée, le chapelet (celui de la carmélite) dans la main pour m’endormir. Je n’arrive pas souvent jusqu’au bout.

Mes convictions :

  • Ma prière personnelle est nourrie par la vie des gens qui m’entourent, de ceux et celles que je croise à chaque pas, qui m’accueillent.
  • Elle est souvent nourrie par un verset d’Ecriture, un psaume ou un refrain
  • Ça me semble plus facile à vivre (tenir) en tournée, quand je suis plongé 2 ou 3 semaines au milieu de la vie des malgaches.
  • Je ne garde pas beaucoup de souvenir de mon noviciat ; je ne me rappelle jamais l’année. La seule chose que je me rappelle c’est "l’union pratique" du Père Libermann, ça m’a toujours aidé.

Mes difficultés

  • Difficulté de retrouver mon rythme quand je retrouve ma vie plus monotone du centre.
  • Difficulté d’en parler avec mes confrères (d’autant plus qu’ils ne sont pas spiritains).
  • Difficile de m’asseoir une demi-heure gratuitement devant le St Sacrement. Je me sens "seul" dans une église trop grande.
  • Difficile de savoir fermer la porte de mon bureau pour prendre un temps de lecture personnelle, d’autant plus que nos voisins sont souvent très bruyants (musique à fond du matin au soir).
  • Difficile d’être régulier…de durer. Je laisse souvent la place à l’improvisation, peut-être en me contentant du minimum (conscience des moments ratés. Ex : le soir quand je monte fermer la porte de l’église, visite trop courte : une génuflexion, une pensée alors que je pourrais prendre le temps de m’asseoir.)

En conclusion

  • J’ai conscience d’avoir besoin des autres, besoin de modèles.
  • Il m’arrive d’envier les confrères qui semblent y réussir mieux que moi.
  • J’ai besoin des autres pour être fidèle. En brousse, ça me paraît plus facile, plus simple. En ville j’ai besoin des confrères de la communauté pour me stimuler (je voudrais faire aussi bien qu’eux).
  • J’ai besoin de modèles et j’ai conscience que je ne suis pas un modèle pour les autres
Juillet 2003



Missionnaire, une vie banale ?

Né à Sainte Marie-aux-Mines en 1922, le P. Joseph Balthasar est parti en 1948, jeune Spiritain, au Cameroun. Il y a laissé la "casba", le lieu d'accueil spiritain où son sourire ne s’iest pas encore effacé. Mais il a fait et vécu bien d'autres choses qu'il nous raconte en quelques flashs pleins de cet humour que nous lui connaissons bien.

"Adieu, frères, adieu"

Le 22 août 1948 nous étions 27 spiritains alsaciens-lorrains au mont Sainte Odile... Face à la plaine d'Alsace nous avons renouvelé notre Consécration à l'Apostolat. Nous avons aussi chanté "Soldats du Christ, l'Eglise nous appelle" et "Adieu, frères adieu". Nous sommes partis dans l'enthousiasme. Nous sommes encore on ze : nous n'avons plus l'air de soldats, mais nous restons des serviteurs de plus en plus inutiles. L’Echo me demande un témoignage de ma vie. C'est dangereux car un vieillard a tantôt un regard enjoliveur, tantôt un regard culpabilisateur sur sa vie et risque ainsi de ne pas être vrai.

"Vivant" encore ?

1987, j'ai 65 ans et il faut présenter un acte de naissance à la mairie pour obtenir la petite retraite. La secrétaire lit l'acte et écrit en marge "non décédé". je lui fais re marquer qu'elle pourrait marquer "vivant", ce serait plus gai. Les gens sou riaient autour de moi, mais la dame m'a assuré qu'elle devait se tenr à la formule consacrée (une formule consacrée ?). Si je suis encore vivant aujourd'hui c'est, que j'ai rencontré des personnes et vécu des événements qui ont embelli mon existencece. Voici simplement quelques flashs.

"L'oecuménisme- dès l'enfance

Je suis né à Sainte Marie-aux-Mines le 7 octobre 1 922 et pendant plusieurs an nées ma famille était locataire d'un appartement d'une famille israélite. Au rez-de- chaussée on était catholique, au premier étage on était juif, au deuxième protes tant, et dans une chambre de bonne logeait une demoiselle baptiste. Sans le sa voir nous vivions l'oecuménisme. Il n'y a jamais eu de heurts entre nous. En 1955 on m'avait demandé d'aller prêcher des retraites en Grèce en remplacement d'un prédicateur tombé malade. Les Soeurs de Saint Joseph de l'Apparition m'envoient dans l'ile de Chios où elles avaient une communauté. La Soeur Supérieure me suggère d'aller saluer l'archevêque orthodoxe. Après un entretien vraiment frater nel le prélat me fixe d'un regard plein de tendresse et me dit "Vous savez ce qui nous sépare ? mon orgueil et votre orgueil". Que de fois j'ai pensé à cette rencontre. En 1978 j'ai dû animer une retraite du Conseil Général de notre Congrégation. Cela se passait à Assise. Un matin le Père Timmermans, Supérieur général, me dit : "Ce soir je réunis le conseil pour voir ensemble ce qui a été fait de travers depuis un an". je lui dis en riant "Bon courage". Il me répond "Joseph, tu seras avec nous, tu seras le frère-témoin". J'avoue que je n'ai jamais participé à une réunion de communauté si humble et si vraie.

Apprendre à prier

Ce sont les pauvres, les malades, les lépreux qui m'ont appris à prier. Une dame africaine condamnée à mort en 1984 pour assassinat voit sa peine commuée en détention perpétuelle. Dans sa dernière lettre de novembre 2002, je lis "J'ai toujours espoir en la miséricorde de Dieu tout puissant, son plan sur chacun de ses enfants est merveilleux". Que de gens se plaignent de ne pas savoir prier. J'essaie de vivre ce que Libermann encore séminariste en 1 838 écrivait à un autre séminariste : "Ne désirez rien, ne veuillez rien, ne cherchez rien, mais tenez vous comme un imbécile devant Dieu. Laissez faire le divin Maître, voilà tout. Ne vous rappelez pas les temps passés et ne vous occupez pas de l'avenir. Occupez-vous d'une seule et unique chose, de vous reposer, de vous calmer, de vous abandonner et de vous oublier. jésus a fait de vous, il fait de vous en ce moment et il fera de vous à jamais ce qui lui plaira. Cela ne vous regarde pas, c'est son affaire à lui seul." (lettre 141 - 1938). Le 22 mars 1845 le Père Libermann écrivait à son neveu François qui deviendra spiritain et qui à 16 ans a tendance au scrupule "Eussiez-vous commis tous les péchés du monde, une minute d'amour les effacerait tous". Où est la différence avec ce qu'écrivent Thérèse de Lisieux et la prisonnière africaine ?

Cinquante ans d'Afrique

Le 18 mars 2000 j'ai assisté à une conférence du Cardinal Toumi à Notre-Dame de Paris. L’évêque de Douala a commencé par remercier tous les missionnaires ayant évangélisé le Cameroun. Je ne m'attendais pas du tout à tous ces compliments alors que beaucoup ne voient que le négatif de notre travail missionnaire. J'avoue, qu'ayant été au Cameroun durant plus de 25 ans, je me suis mis à rêver. En 1948 il n'y avait aucun évêque originaire du pays, aujourd'hui ils sont 25... et, ce soir l'un deux est applaudi frénétiquement à Paris. A côté de moi une jeune dame africaine. Elle est camerounaise et fait du Droit Canon à l'Institut Catholique. Je lui avoue que j'avais moi-même fait du Droit Canon à Rome en 1954 mais qu'alors il était impensable d'imaginer une femme parmi les étudiants en Droit Canon. S'il y a une vérité bien ancrée en moi c'est que les gens se comportent envers vous comme vous vous comportez envers eux. Peu importe où, Cameroun, Guadeloupe, Paris, rue Lhomond, Auteuil, Nogent et maintenant St Léon de Wolxheim. Je n'ai jamais regretté d'avoir été bon, d'avoir été roulé, mais j'ai toujours regretté d'avoir été parfois trop sévère. J'ai eu l'immense chance de travailler sous la direction d'évêques camerounais, en particulier Monseigneur Mongo (Douala) et Monseigneur Zoa (Yaoundé). Ils ont toujours été d'une délicatesse extrême. Ils ont vraiment été des pères pour leurs églises et c'était un plaisir d'être à leur service. J'entends encore Monseigneur Zoa nous dire avec un grand sourire : "Vous européens, vous avez fait tellement de bêtises au cours des siècles, laissez-nous aussi faire quelques bêtises, svp".

Ce sont ces flashs et combien d'autres qui me permettent d'être vivant (beaucoup plus que mon pacemaker) et d'essayer de faire mienne une maxime de Bernanos : "la grâce des grâces serait de s'aimer humblement soi-même."

Archives de "l'Echo de la Mission"

Illustrations:
1- Foyer de Charité à Bangui : la chapelle
2- id: vue intérieure
3- Le P. Balthasar
4- Ordination à, Mbalmayo par Mgr Nkou, de Marc Ella envoyé au séminaire en 1949 par le P. Balthazar.
5- En 1963 au petit séminaire d'Akono, autour de Mgr Zoa, les PP. Balthasar, Delaville, Lefranc, François et Bala. Au premier rang, à droite, le P. Ferdinand Azegue

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