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Dossier En plein Sahel la Vie
Soeur Corrie

Sr Corrie

Infirmière, sage-femme, Sr Corrie Wassenberg travaille d’abord douze ans au Cameroun. Envoyée dans le nord du Sénégal, en 1982, elle distribue des vivres, soigne les réfugiés, initie des équipes de soignants, en relation constante avec les programmes de santé et de développement du pays. La " Madame " des débuts est devenue pour tous, sans distinction de race ou de religion, " Sorrie ". Sœur Corrie a vu renaître un coin de Sahel.



>Des musulmans m’appellent aujourd’hui " femme de Dieu " ! C’est vrai, j’ai perçu très tôt un appel. Mais je refusais d’y prêter attention. Mais plus je faisais la sourde oreille, plus la voix devenait insistante. A 25 ans, j’ai quitté mes parents, mes deux frères et mes deux sœurs pour entrer chez les spiritaines. Née en 1927, j’ai grandi à Gemert (Pays-Bas), dans une famille paysanne modeste. Après l’école primaire, j’ai aidé mes parents : ménage, travaux des champs et traite des vaches. Active dans le mouvement chrétien des jeunes paysannes, j’aimais le patinage et le vélo. J’ai été aussi aide familiale dans de grandes familles. Formation religieuse achevée, j’ai fait des études d’infirmière et de sage-femme et suivi un cours de médecine tropicale. Après quelques années en hôpital chez nous, j’ai passé douze ans au Cameroun dans une équipe de santé et de développement. Un an à la Maison-mère. Puis, avec Sr Louisa Nass, nous avons été envoyées dans le nord du Sénégal, fonder une mission à Podor.
Dans ce milieu presque à 100 %musulman, les chrétiens viennent de Dakar, de Casamance, de Thiès. Ils ne sont ni toucouleurs ni maures, ni wolofs comme les habitants du lieu, mais dioulas, mandjaques, sérères. L’église construite par les colons est acceptée par des gens qui, au départ, étaient contre ces chrétiens, ces étrangers qui les critiquaient dur. Aujourd’hui, nous avons de très bonnes relations avec les familles musulmanes. Les gens savent qui nous sommes. Le changement de mentalité s’accélère en février 1992. La visite de Jean Paul II coïncide avec la Coupe d’Afrique de football et la Conférence islamique. Beaucoup de gens achètent des téléviseurs, ils voient et apprécient le pape." Un grand Chef comme nous n’en avons pas " disent certains. Dans toute cette population croyante, je vois l’Église témoignant par l’ensemble de ses chrétiens se mettant au service de tous.
En 1982, la pluie se fait rare, le désert avance. Les enfants sont malnutris, les arbres secs, les bêtes malades ou mortes. Je fais appel à Caritas-Pays-Bas qui nous envoie des tonnes de vivres à distribuer. Jésus, lui aussi, a donné à manger. Mais je propose toujours un échange nourriture contre travail. Dans un village par exemple où n’existe aucune structure de santé, j’amène de la nourriture et demande aux gens de construire une case de santé. J’ajoute quand c’est possible : " Envoyez-moi un jeune homme et une femme pour qu’ils apprennent les gestes de santé élémentaires et puissent ensuite vous soigner chez vous. "

Une femme déclenche la bagarre

Près du fleuve, nous commençons des jardins; là où les arbres sont morts, nous en replantons. Ailleurs nous creusons des puits. Impensable d’arriver dans un village sans soigner. Les gens affamés et leurs enfants malnutris sont souvent atteints de toutes sortes de maladies. Je les soigne, mais en leur demandant toujours une " cotisation " pour les médicaments : 1F, ou nettoyer la cour ou assurer le service d’ordre. Les gens sont fiers de faire quelque chose pour " payer " nourriture et soins. Les agents de santé formés dans les villages peuvent aussi acheter des médicaments pour soigner ou les revendre avec un petit bénéfice. Comme je les refuse à ceux qui essaient de faire du trafic et que cela s’est su, les médicaments arrivent dans tous les postes de santé.
Quand les gens ont faim, il devient très difficile de maîtriser la situation. Dans les camps de réfugiés des militaires assistent toujours à la distribution de vivres. Chez nous, en général, les choses se passent bien. Mais un jour, dans un village, tout étant réglé et la cotisation faite, une des 70 femmes déplace les 1ères cuvettes de la ligne d’attente et déclenche une bagarre. Le chef du village décide d’évacuer les marchandises stockées dans le magasin. " Ma sœur, dit-il, pars, on s’occupe du reste. " Les hommes chargent, je démarre. On m’a dit ensuite : " Heureusement que tu as été rapide, sinon ils cassaient la voiture! " Chef, notables et responsables de mosquée viennent s’excuser plus tard. Je retourne là-bas avec un ex-chauffeur de médecin militaire français connu et distribue matin, midi et soir des biscuits à l’école primaire. Ils me remercient tellement pour ce geste en me qualifiant de " femme de Dieu ! " Des villageois continuent avec mon camion la distribution de vivres. Un comité gère sans aucun problème les déplacements dans 16 villages. De mon côté, je soigne les malades sur place. Impressionnant de voir comment les gens bougent .
En 1985, de grands projets mettent en valeur la vallée du Sénégal et initient les gens à la culture du riz dans des périmètres irrigués. Que de réunions il a fallu pour voir les villageois, assis sur la natte, comprendre qu’ensemble on peut creuser des puits, se soigner, réfléchir à la santé et au développement. Grande lutte, belle victoire ! Le jour où ils commencent à planter le riz, j’arrête la distribution de vivres. Ils m’avouent bien plus tard : " Ma sœur, on n’a pas oublié le jour où tu as refusé de continuer à nous nourrir. Nous étions fâchés. Aujourd’hui, on a compris! Autrefois, notre terre était riche. Des bêtes sauvages vivaient ici, milles pousses, haricots et fruits, sortaient de terre après la pluie. Aujourd’hui, tu nous as appris à mettre nos pieds dans l’eau ou dans la boue pour récolter le riz ! "
Seule religieuse infirmière catholique du département, je continue mes activités jusqu’en 1992. Avec l’aide de 2 ou 3 jeunes filles, je traite au dispensaire, sans distinction de race ou de religion, une foule de personnes atteintes de malnutrition, de tuberculose et de maladies infantiles. De " Madame " je deviens " Sœur " ou " Sorrie " (Sr Corrie).
De petits progrès se réalisent grâce aux périmètres irrigués et à l’Unicef. Je continue à créer des comités de responsables santé, jardins, puits que les gens eux-mêmes prennent en charge. Un village, par exemple, me sollicite pour un puits, je commence par demander : " Pourquoi voulez-vous un puits ? " C’est pour que les habitants comprennent qu’un puits doit être entretenu, qu’il faut faire la différence entre eau potable et non potable et connaître microbes, parasites et virus entraînant des maladies. J’en ai passé du temps pour équiper 60 villages d’un puits et 23, d’un second. Nous avons même ouvert un laboratoire.

Des médicaments pour 200 000 réfugiés

En 1982, Sr Louisa me libère de tout pour que je me consacre aux malades et aux activités déjà entreprises. Sr Marie lui succède pendant près de dix ans donnant des cours de couture et formant des monitrices. Un Mauritanien a permis la construction et l’aménagement d’un centre avec atelier de teinture, alphabétisation, moulin et décortiqueuse.
La guerre qui éclate entre Mauritaniens vivant au Sénégal et Sénégalais établis en Mauritanie jette dans nos bras 200 000 réfugiés. Je fonce à Dakar (500 km) chercher des médicaments pour quelques camps. Médecins du monde nous demande nos agents de santé déjà bien entraînés. Une case de santé s’ouvre dans chaque camp, le matériel est distribué par le président de la Croix Rouge de Podor. Je continue à soigner, à faire de la prévention, à former des agents, aidée par Caritas-Pays-Bas et Memisa, ainsi que par l’association très efficace (fondée par des religieuses) des dispensaires privés catholiques. L’Institut de technologie alimentaire (ITA) assure la formation nutritionnelle. Les réfugiés eux-mêmes nous aident beaucoup et quand l’initiative de Bamako prend forme, en 1991, des médicaments moins chers sont accessibles à tous. Commencée dans les camps, l’initiative s’étend ensuite à tout le département de santé publique.
En 1995, grâce aux sages-femmes et au médecin-chef, l’hygiène est respectée, les carnets bien tenus, les progrès sensibles. Je sors du Programme élargi de vaccinations (sur 12 villages).
Il est temps pour moi d’arrêter et de préparer les gens à la fermeture du dispensaire. Concernant le pré-natal, le médecin-chef me dit : " Sr Corrie, débraie progressivement sans brusquer les femmes ". Je continue donc les examens en disant aux femmes : " La prochaine fois, tu iras voir la sage-femme ". En passant mon stéthoscope pour leur faire comprendre qu’elles ont à se rendre auprès des sages-femmes, je suis à la fois heureuse et démunie, me sentant devenir moins importante ! Partir rend nostalgique, mais quand je vois des pauvres qui s’en sortent, des villages transformés, des gens heureux, pleins d’énergie, je pars en paix. Cela me suffit.
Je reconnais avoir beaucoup reçu. Chaque matin, je priais avec ma pauvreté: " Je ne sais pas quoi dire, je suis fatiguée... " Je constate aujourd’hui que j’ai toujours été encouragée par notre évêque et son diocèse, par mes Sœurs, par les groupes d’amitié des Pays-Bas et par tant d’amis qui n’ont jamais arrêté de m’envoyer lettres, vidéos, cassettes, nouvelles, journaux et petit matériel de santé. Magnifique.
J’en remercie Dieu chaque jour tout en lui demandant de m’entourer, aussi en Europe, de groupes " Mission, Développement et Paix ". Pour continuer ma vie de missionnaire avec eux.

" En passant mon stéthoscope, je suis à la fois heureuse et démunie. Mais quand des pauvres s’en sortent, pleins d’énergie, je pars en paix. "

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