Dossier
Missions en zone de précarité
L’Évangile, sans paroles
Du 7e étage d’une HLM
de la cour des Maraîchers, à
La Courneuve,
3 spiritaines vivent leur mission
en lien avec les Fils de la
Charité
de la paroisse St-Lucien
et en contact permanent
avec les habitants du
quartier.
Sr Paule Mellet vit, depuis 4 ans, à La Courneuve.
TISF, technicienne d’intervention sociale familiale, elle fait vivre sa
communauté. Ses loisirs : visites de malades, aide aux devoirs à la cité des 4
000, formation des ACE, aumônerie. Suite logique de 22 ans de mission au
Brésil.
TISF, j’accompagne des mamans avec de jeunes enfants
lors de problèmes de naissance, de santé ou de relations sociales. J’accompagne
actuellement une famille avec 3 jeunes enfants dans un contexte de violences,
de sérieux problèmes éducatifs compliqués par alcool, prostitution, blessures.
Je travaille avec l’Aide aux mères de famille à
domicile (AMFD), une association privée apolitique et areligieuse. Elle a des
contrats avec des caisses d’allocation et l’aide sociale à l’enfance pour plus
de 60 % des heures de travail. Habituellement, une famille est suivie sur
plusieurs mois. Quelques fois jusqu’à 2 ans et demi.
Des rencontres pluriprofessionnelles régulières nous
permettent de faire le point. Sur 30 villes en région parisienne, nous touchons
900 familles par an, avec une équipe de 35 TISF et 20 auxiliaires de vie.
Je rencontre des gens en grande souffrance, avec
beaucoup de violence qui marque fortement les jeunes. Un vrai travail de
spiritaine ! J’aide ces gens démunis à mieux vivre. Mon action allège leurs
problèmes. « Avec vous, ma Sœur, j’ai ressuscité ! » me dit une
Malienne, les yeux en larmes.
Je rencontre souvent des femmes musulmanes. « Vous
êtes une femme qui nous équilibre », disent certaines. C’est vrai que j’entre
souvent dans leur vie privée. Je le fais avec discrétion et tact. Je crois que,
dans la mesure où j’aide ces gens à se sortir de leurs difficultés et à mieux
repartir dans la vie, je propose l’Évangile, sans paroles.
Je n’ai rien dit à mes collègues de ma vie de
religieuse. Au travail, je ne montre pas ma croix. Mais collègues et personnes
aidées ont vite fait de découvrir qui je suis. Dès qu’elles ont deviné, elles
n’hésitent pas à m’en parler. On me confie des secrets, des préoccupations de
foi très importantes, surtout pour celles venues du Maghreb. Une connivence qui
marque, même pour le travail.
Après une mission au Sénégal puis au Cap-Vert, son
pays d’origine, Sr Maria Mendes Teixeira arrive à La Courneuve fin août 2004.
Sa nouvelle mission : catéchèse des ados et grands jeunes et accueil au Secours
catholique.
Tous les jeudis, SDF et sans-papiers de toutes
races, Français, Africains de partout, Pakistanais, Indiens, tous domiciliés au
Secours catholique viennent chercher leur courrier. Exténués, assaillis de trop
de problèmes, certains deviennent agressifs. Quand je les écoute avec calme,
ils repartent apaisés.
Un monsieur, un jour, s’est mis très fort en colère
devant une simple demande de photo pour un papier. En l’écoutant, j’ai compris
qu’il n’avait pas de quoi se payer la photo. Depuis, tout se passe bien. Plus
de 60 personnes passent chaque jeudi.
L’an dernier, une session de pédagogie du Secours
catholique à Lourdes m’a permis d’améliorer mes relations de travail pour
aider, non pas des pauvres, mais des personnes. Nous sommes plusieurs
étrangères à servir à l’accueil. Mon rôle consiste souvent à voir si les
papiers ne sont pas périmés. Je constate que les visages se détendent dès
qu’ils me voient. Puis, j’écoute, en gardant mon sang-froid, et mon sourire,
quand les gens sont stressés.
À la paroisse, je prépare des ados de 5e
aux sacrements. En 2006, j’ai eu la joie d’accompagner à Taizé les 200 jeunes
du diocèse. Le silence du lieu et la prière de la grande foule de jeunes les
ont marqués. Dire que j’ai failli refuser de venir en mission en France en
cherchant toutes les raisons de ne pas quitter mon île de Boa Vista !
Sr Helena Van Moorsel (photo ci-dessus),
Néerlandaise, arrive à La Courneuve en 1999. Après 43 ans d’enseignement
technique pour le brevet professionnel de couture au Cameroun. Emploi du temps
: accueil, catéchuménat adultes, accompagnement des familles en deuil et
service des funérailles à la paroisse St-Lucien.
« Nous voulons des Sœurs ! » C’est le oui des
gens du quartier quand nous avons cherché un logement. Je crois pouvoir dire
que je suis entrée dans la vie du quartier en citoyenne. Dès que j’apprenais le
décès de quelqu’un, j’allais voir les gens. J’ai prié à genoux, même dans les
familles musulmanes, avant de repartir. C’est après que j’ai compris combien ce
geste d’humanité touchait les gens. Aujourd’hui, je suis mandatée par l’Église
pour célébrer les funérailles (70 par an !) à Saint-Lucien. Je tiens toujours
compte de l’histoire personnelle de chacun.
Peu à peu, les gens m’ont confié leurs problèmes.
Cela a commencé par le refus d’une jeune de 25 ans d’épouser l’homme qu’on lui
destinait. Elle a fui sa famille. Je suis intervenue pour que sa maman ne la
chasse pas à son retour. Quelques jours après, nouveau problème. Et drame !
Enfermée dans la salle de bains, la femme a tenté de se suicider en avalant des
médicaments. On défonce la porte. Police-secours. Hôpital. Sauvée. Quand elle
s’est mariée avec l’homme de son cœur, nous avons été invitées au milieu d’une
foule de jeunes qui nous connaissaient tous.
« Mon fils est en prison à Brest alors que je
croyais qu’il travaillait ! » J’ai lancé un mouvement de soutien dans le
quartier, avec signatures de cartes. Ce jeune a aujourd’hui un travail fixe.
Toutes les mamans continuent de m’apporter des cadeaux.
Musulmans du Maghreb, du Mali, des pays de l’Est, la
majorité des habitants du quartier ne parlent pas français. Des familles
roumaines arrivent à la paroisse, avec des Chinois, des Vietnamiens, des
Tamouls. La simple écoute d’une femme tamoul qui, je le suppose sur son visage,
me déverse toutes ses peines dans un flot interminable de paroles, fait
répandre la nouvelle : je comprends toutes les langues ! Je crois que c’est un
peu vrai. Les souffrances quittent les gens dès qu’on les écoute vraiment.
Avec, en même temps, un cœur qui prie pour eux.
« Helena, je voudrais prier dans ton église, mon
enfant est malade ! » D’accord ! Elle m’y accompagne, allume un cierge
devant la Vierge et prie. Depuis, elle revient avec un groupe d’amies prier
devant Marie. « J’aime beaucoup les psaumes. Ils m’aident à me calmer quand
j’ai des problèmes ! » La découverte de cette femme a fait naître la même
prière chez ses amies. Elles m’ont demandé de leur trouver des livres de
psaumes.
Je ne sais pas si notre communauté a permis d’éviter
des conflits. Mais je sais que l’office des HLM nous demande de prendre un
second appartement. Pour « marquer le quartier d’une certaine ambiance ».