Actes et Impacts

retour Sommaire

Entendre   Décrypter   Découvrir    Comprendre   Réagir   Agir   Rencontrer     Grandir    S'ouvrir


Algérie : trois générations d'amitié...
et bien plus !


Partant de l’histoire de la relation islamo-chrétienne vécue en Algérie, René You , spiritain, perçoit des signes positifs d’un islam plus religieux que politique et plus ouvert au dialogue interreligieux.
Annonce humble d’un printemps discret.

 


L’essentiel de notre témoignage consiste à respecter celui qui est " autre ", base de l’amour, au cœur de la Bonne Nouvelle. Ce n’est pas une tâche facile pour tout chrétien amené à vivre en Algérie. Je pense aux étudiants chrétiens d’Afrique sub-saharienne qui doivent évoluer dans un milieu si différent de leur race, culture ou religion. Je pense aussi à ces nouveaux coopérants venus participer au développement économique et culturel d’une Algérie qui veut mettre les bouchées doubles après les années noires de la terreur islamiste. Je pense surtout aux épouses chrétiennes de foyers " mixtes " qui se sont construits dans l’émigration.
À Sidi-Bel-Abbès, la soixantaine d’étudiants sub-sahariens, venant d’une douzaine de pays, constitue l’essentiel de la communauté chrétienne. Ils se réunissent le vendredi (ici, c’est le week-end hebdomadaire, le dimanche étant un jour de travail) pour un temps de catéchèse en prise directe avec les questions que leur pose la vie dans un milieu si étranger. C’est aussi le temps de l’eucharistie hebdomadaire. Par leur immersion totale au milieu des jeunes Algériens, ils sont aux avant-postes de la rencontre islamo-chrétienne, tâche essentielle de l’Église d’Algérie. Notre Église est si petite, dans un pays à 99 % musulman, qu’il n’y a pas d’échappatoire possible. Nos journées sont faites de rencontres, du dialogue permanent de la vie.
" Vous aurez toujours des pauvres parmi vous ", nous a dit Jésus. Ce sont Naïma et Mohamed, atteints d’une maladie rare qui les handicape très gravement et avec qui je viens de passer un peu de temps. C’est Réda, 30 ans, qui vient chaque matin me raconter ses hallucinations nocturnes: il me dit que sa journée est belle après notre rencontre. C’est aussi la vieille mendiante professionnelle qui a toujours un malheur à raconter pour soutirer quelques dinars, ou Mohamed qui crie bien fort qu’il est mon ami jusqu’à ce que je cède une pièce qui le fera taire. Nombreux sont les oubliés du développement.
Les moyens de notre Église sont extrêmement limités et il faut à tout moment ménager la susceptibilité d’un peuple qui veut se prendre en main, qui en a les moyens, sans que des étrangers ne viennent leur donner des leçons, sans oublier le risque d’être accusés de prosélytisme à travers nos œuvres sociales. Notre position d’hôte nous oblige à la discrétion. Ce n’est pas sans souffrance parfois devant les injustices criantes de la corruption de plus en plus envahissante. La prière est bien souvent le seul lieu d’expression de cette souffrance ou de cette colère qui nous fait communier à celles tout aussi silencieuses des petites gens.
Cette communion intense aux souffrances du peuple pendant les années noires du terrorisme a quelque chose à voir avec le mystère pascal. Les paroles ou gestes de reconnaissance reçus par la suite furent des signes qui ne trompent pas sur l’approfondissement des relations mutuelles au cours de ces années. Cela se ressent davantage encore avec les familles où nous avons tissé de solides liens d’amitié malgré nos différences. Peut-on d’ailleurs parler seulement d’amitié quand on en est à une 3e génération de fréquentation, dans le respect mutuel ?
Mais tout cela nous paraîtrait fragile si nous n’avions pas une raison sociale, des lieux largement ouverts à la rencontre et susceptibles de permettre aux nouveaux arrivants (hélas trop peu nombreux) de se situer dans ce pays comme dans l’Église pour devenir à leur tour " constructeurs de ponts ou de passerelles ". Depuis l’indépendance, l’Église d’Algérie a fait preuve d’une étonnante capacité d’adaptation aux situations nouvelles, et ce n’est pas fini ! Historiquement, elle a commencé par mettre ses institutions (écoles, dispensaires…) et son personnel au service du peuple.
Ce furent pour nous, spiritains, les glorieuses années de notre Centre technique et agricole de Misserghin, près d’Oran. Après les nationalisations de 1975-1976, prêtres, religieux et religieuses deviennent instituteurs, professeurs, ingénieurs, médecins ou infirmiers et même secrétaires dans des ministères avec des contrats de coopération ou de droit commun: cela m’a valu 7 ans d’enseignement dans un lycée. Mais est venu, en 1987, le temps où il a fallu céder la place aux Algériens qualifiés.
Que faire alors pour maintenir le dialogue de la vie ? Il nous fallait créer, là où nous le pouvions encore, des lieux de rencontre entre chrétiens et musulmans ; ce que notre évêque d’alors, le P. Claverie, appelait des plates-formes de rencontre (bibliothèque, cours de soutien en anglais ou en français, cours de couture, tricot, macramé ou broderie, selon les capacités de chacun et les locaux encore disponibles). Toutes choses utiles certes, mais combien minuscules dans cet immense pays. Autant de lieux cependant où se rencontrent et où nous rencontrons dans le respect et l’amitié des adultes, des jeunes et des enfants. Cela a peut-être quelque chose à voir avec les rencontres de Jésus qui nous sont rapportées par les Évangiles.
 

" A l’envahissement d’un islam politique, recherchant plus la confrontation que le dialogue,
Semble se substituer un islam traditionnel plus religieux,
Populaire ou mystique et souvent très ouvert
A la rencontre paisible avec les chrétiens. "
Cette histoire nous invite à maintenir toutes nos antennes déployées pour comprendre les messages d’une société qui nous a déjà réservé bien des surprises. L’Algérie, grâce au gaz et au pétrole (photo), redevient un vaste chantier. Arrivent des coopérants d’un nouveau type qui voudront peut-être des repères pour aller plus loin dans la compréhension de la rencontre interculturelle ou interreligieuse.
À l’envahissement d’un islam politique, recherchant plus la confrontation que le dialogue, semble se substituer un islam traditionnel plus religieux, populaire ou mystique et souvent très ouvert à la rencontre paisible avec les chrétiens. Certains enfin, encore en très petit nombre, découvrent " les nouveaux penseurs de l’islam " qui tentent de mettre leurs qualifications en sciences humaines au service de la réconciliation entre religion et modernité. N’est-ce pas là une préoccupation qui tenaille aussi l’Église ? Ce pourrait être l’ouverture d’un vaste chantier de dialogue interreligieux.
Cette année, consacrée à l’eucharistie, nous rappelle la place qu’elle tient chez ceux et celles qui, à la suite du P. de Foucauld, consacrent leur vie entière à la rencontre interreligieuse. Tous ceux et celles que nous rencontrons quotidiennement sont au cœur de notre prière individuelle et communautaire, et plus particulièrement dans l’eucharistie, surtout quand ils se recommandent eux-mêmes à cette prière.
Les années de violence semblent avoir tari la source de nouvelles forces et vocations. Malgré les quelques nouveaux arrivants, l’Église d’Algérie offre l’image de serviteurs et de servantes qui ont largement dépassé l’âge légal de la retraite. Et notre groupe spiritain ne fait pas exception. Tous ces projets de rencontre, de dialogue et d’amitié au nom de l’Évangile seraient réduits à néant si ne se levaient de nouveaux acteurs, des laïcs surtout, mais aussi des prêtres, des religieux et des religieuses, pour prendre la relève dans le champ de cette moisson, difficile certes, mais source de tant de joie.
René You