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CONGO :
Fraternités à évangéliser, Renouveau à renouveler


Georges Laloux (48 ans au Congo - région Sud-Ouest), de passage à Paris pour un congé mérité, soucieux de l’avenir du pays et du témoignage de l’Église nous livre son questionnement. Belles fêtes et beaux pagnes ne font pas l’Église, ne créent pas un monde nouveau

Après les 2 guerres (1997 et 1999), les gens s’enfoncent dans la misère, vivant dans des maisons sans toit, sans lit, sans rien. Le Congo n’est pas un pays pauvre : il y a des possibilités en agriculture, dans le bois et le pétrole. Et le prix du baril de pétrole a doublé en quelques années. Mais pour la population, aucun changement ! Plantations abandonnées, écoles fermées, rares sont les entreprises qui ont redémarré et qui embauchent.
Quel message d’espérance transmettre alors aux étudiants qui savent qu’ils n’auront pas de boulot ? Autrefois les parents disaient : " On va avoir beaucoup d’enfants, comme cela notre avenir sera assuré, nos enfants pourront nous soutenir. " En fait, ce sont les grands-mères qui élèvent les petits-enfants et aident leurs enfants. Chez ces gens-là, il y a une force de vie. Cette force, nous devons la dynamiser. Ainsi tous ces retraités qui vont en ville chercher leur rente attendent des heures. On leur dit : " Il faut revenir demain ! " Ils reviennent le lendemain. Et cela peut durer 15 jours. Ils subissent sans se décourager. Ils sont des milliers, mais la peur les paralyse. La société civile ne s’est pas encore éveillée.
Des évêques sentent les choses et réagissent. Mais nos églises sont très orientées vers tout ce qui est appelé " fraternités ". En soi, c’est bien puisque cela correspond au tempérament africain, mais ces fraternités, sous le patronage d’un saint, d’une sainte ou d’un vieux missionnaire, ne sont pas des lieux de réflexion, ni de formation. Dans une paroisse, des quantités de fraternités peuvent coexister, souvent de type régionaliste. Elles fonctionnent comme les tontines (voir encadré), avec tous leurs problèmes de cotisations, réunions, discipline et beaucoup de temps passé à régler des questions internes. Les chrétiens ne s’engagent que dans leur fraternité, sans ouverture ni esprit missionnaire. On ne visite que les malades de son groupe. On fonctionne, et cela s’arrête là. Avec parfois des concurrences entre fraternités (chacune avec ses fêtes, ses pagnes, ses œuvres). Il y a donc une dérive du mot " fraternité ". Du moins c’est ce que j’ai ressenti à Brazzaville. La démarche des communautés de base, comme nous le vivions à Pointe-Noire, était différente : les gens se connaissaient mieux, s’engageaient et agissaient ensemble dans leur quartier.
Je souhaite vraiment que les jeunes prêtres se consacrent non seulement à tout ce qui est festif ou fonctionnement interne de l’église, mais aussi et surtout à la formation : qu’ils voient et analysent la situation du pays et travaillent à un renouvellement de la catéchèse, à une réflexion avec les jeunes, en profondeur. Cette formation chrétienne elle-même doit s’épanouir dans des engagements de foi concrets et précis. Cela permet de puiser des forces, de développer et renforcer sa foi. Un engagement de foi qui, bien sûr, ne se résume pas seulement à l’église. Je ne crois pas que l’on vive une foi profonde sans cela : une pratique ou une croyance, mais pas la foi.
Actuellement je pense que l’on s’oriente plus vers la pratique d’une croyance que vers la foi qui nous invite à aller plus loin. C’est ce que je dis aux jeunes : " La foi, cela change ta vie ! Changement de vie qui doit amener à un engagement, lequel renforcera ta foi, te motivera, te fera prendre conscience des problèmes et suscitera ton besoin de formation. "

La foi ça change la vie !

À travers toutes ces fraternités, des milliers de jeunes pourraient être un levier pour l’avenir, mais la politique ne les intéresse pas. Le mot politique signifie pour eux mentir ou se placer pour avoir de l’argent. Ces fraternités, ces mouvements charismatiques, brassent beaucoup de monde.
Après Pâques, les mouvements du renouveau se préparent à vivre 7 semaines de prière, de pénitence pour se préparer à " l’effusion de l’Esprit ". Les gens sont courageux car tous les jours ils viennent aux réunions de prière. à la 5e semaine, ils se confessent. Ainsi, pour la paroisse de Kisito, il y avait 2 000 personnes. impressionnant ! Ces mouvements remuent des masses. Mais tous ces moments forts devraient être l’occasion d’une parole d’espérance et d’engagements. Pourtant, tout semble orienté vers " l’effusion de l’Esprit ", comme un but final en soi, avec un aspect un peu fétichiste : recevoir l’Esprit… sans que cela change ma vie. Des brebis sans véritable berger...
Le débat est lancé : Comment faire évoluer ces fraternités pour passer de la dévotion à la confession, de l’émotion à la conviction, de la soumission à l’action ? Si les tontines remettent aujourd’hui en question le secteur officiel bancaire, comment, dans l’Église, tenir compte de l’originalité de ces fraternités adaptées aux mentalités locales ? Comment aussi aider ces groupes privilégiant des relations sociales sélectives, à s’auto-évangéliser et à devenir missionnaires ?

Propos recueillis par Vincent Chopart




C’est quoi, la tontine africaine ?
Association de personnes (unies par des liens familiaux, amitiés, profession, clan ou de région, donc adhésion souvent sélective) qui se retrouvent régulièrement et mettent en commun leur épargne pour solutionner des problèmes. Sorte de caisse de prévoyance à laquelle chacun des membres adhère en prévision de difficultés soudaines. Système de crédit, réseau d’influence sociale, groupe de soutien pour les moments difficiles, comme les deuils.
La tontine est tout cela à la fois.Chaque membre y trouve des avantages. Les participants paient régulièrement des cotisations d’un montant fixe à un fond commun qui est distribué tour à tour à chacun des membres. Quand chaque membre a reçu le fond une 1re fois, le cycle recommence normalement. L’épargne et le crédit sont gratuits. Il n’y a pas d’intermédiaire. Les créances et les dettes se compensent tout au long du cycle et s’annulent au dernier tour. L’accumulation n’est ici que temporaire. La tontine privilégie le groupe par rapport à l’individu. Et la logique sociale prime souvent sur la logique financière. Mais il semble que pour les jeunes, la tontine est d’abord un instrument économique, alors que pour les plus anciens, elle permet avant tout la solidarité collective.
Les tontines correspondent bien aux mentalités africaines. Elles innovent face aux contraintes
du secteur officiel bancaire. Si les tontines constituaient, au départ, un moyen de contourner les inconvénients du système financier officiel, ce même système officiel tente aujourd’hui de s’inspirer des règles et des méthodes de ces circuits informels. Après quelques améliorations, ils deviendront peut-être les futures institutions financières des pays en développement.



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