Après les 2 guerres (1997 et 1999), les gens s’enfoncent
dans la misère, vivant dans des maisons sans toit, sans
lit, sans rien. Le Congo n’est pas un pays pauvre : il y a des
possibilités en agriculture, dans le bois et le
pétrole. Et le prix du baril de pétrole a
doublé en quelques années. Mais pour la
population, aucun changement ! Plantations abandonnées,
écoles fermées, rares sont les entreprises qui ont
redémarré et qui embauchent. Quel message
d’espérance transmettre alors aux étudiants qui
savent qu’ils n’auront pas de boulot ? Autrefois les parents
disaient : " On va avoir beaucoup d’enfants, comme cela
notre avenir sera assuré, nos enfants pourront nous
soutenir. " En fait, ce sont les grands-mères qui
élèvent les petits-enfants et aident leurs
enfants. Chez ces gens-là, il y a une force de vie. Cette
force, nous devons la dynamiser. Ainsi tous ces retraités
qui vont en ville chercher leur rente attendent des heures. On
leur dit : " Il faut revenir demain ! " Ils reviennent
le lendemain. Et cela peut durer 15 jours. Ils subissent sans se
décourager. Ils sont des milliers, mais la peur les
paralyse. La société civile ne s’est pas encore
éveillée. Des évêques sentent les
choses et réagissent. Mais nos églises sont
très orientées vers tout ce qui est appelé
" fraternités ". En soi, c’est bien puisque
cela correspond au tempérament africain, mais ces
fraternités, sous le patronage d’un saint, d’une sainte
ou d’un vieux missionnaire, ne sont pas des lieux de
réflexion, ni de formation. Dans une paroisse, des
quantités de fraternités peuvent coexister,
souvent de type régionaliste. Elles fonctionnent comme
les tontines (voir encadré), avec tous leurs
problèmes de cotisations, réunions, discipline et
beaucoup de temps passé à régler des
questions internes. Les chrétiens ne s’engagent que dans
leur fraternité, sans ouverture ni esprit missionnaire.
On ne visite que les malades de son groupe. On fonctionne, et
cela s’arrête là. Avec parfois des concurrences
entre fraternités (chacune avec ses fêtes, ses
pagnes, ses œuvres). Il y a donc une dérive du mot "
fraternité ". Du moins c’est ce que j’ai ressenti
à Brazzaville. La démarche des communautés
de base, comme nous le vivions à Pointe-Noire,
était différente : les gens se connaissaient
mieux, s’engageaient et agissaient ensemble dans leur
quartier. Je souhaite vraiment que les jeunes prêtres
se consacrent non seulement à tout ce qui est festif ou
fonctionnement interne de l’église, mais aussi et surtout
à la formation : qu’ils voient et analysent la situation
du pays et travaillent à un renouvellement de la
catéchèse, à une réflexion avec les
jeunes, en profondeur. Cette formation chrétienne
elle-même doit s’épanouir dans des engagements de
foi concrets et précis. Cela permet de puiser des forces,
de développer et renforcer sa foi. Un engagement de foi
qui, bien sûr, ne se résume pas seulement à
l’église. Je ne crois pas que l’on vive une foi profonde
sans cela : une pratique ou une croyance, mais pas la foi.
Actuellement je pense que l’on s’oriente plus vers la pratique
d’une croyance que vers la foi qui nous invite à aller
plus loin. C’est ce que je dis aux jeunes : " La foi, cela
change ta vie ! Changement de vie qui doit amener à un
engagement, lequel renforcera ta foi, te motivera, te fera
prendre conscience des problèmes et suscitera ton besoin
de formation. "
|
La foi ça change la vie !
À travers toutes ces fraternités, des milliers de
jeunes pourraient être un levier pour l’avenir, mais la
politique ne les intéresse pas. Le mot politique signifie
pour eux mentir ou se placer pour avoir de l’argent. Ces
fraternités, ces mouvements charismatiques, brassent
beaucoup de monde. Après Pâques, les mouvements
du renouveau se préparent à vivre 7 semaines de
prière, de pénitence pour se préparer
à " l’effusion de l’Esprit ". Les gens sont
courageux car tous les jours ils viennent aux réunions de
prière. à la 5e semaine, ils se confessent. Ainsi,
pour la paroisse de Kisito, il y avait 2 000 personnes.
impressionnant ! Ces mouvements remuent des masses. Mais tous
ces moments forts devraient être l’occasion d’une parole
d’espérance et d’engagements. Pourtant, tout semble
orienté vers " l’effusion de l’Esprit ", comme
un but final en soi, avec un aspect un peu fétichiste :
recevoir l’Esprit… sans que cela change ma vie. Des brebis sans
véritable berger...
Le débat est lancé : Comment faire
évoluer ces fraternités pour passer de la
dévotion à la confession, de l’émotion
à la conviction, de la soumission à l’action ? Si
les tontines remettent aujourd’hui en question le secteur
officiel bancaire, comment, dans l’Église, tenir compte
de l’originalité de ces fraternités
adaptées aux mentalités locales ? Comment aussi
aider ces groupes privilégiant des relations sociales
sélectives, à s’auto-évangéliser et
à devenir missionnaires ?
Propos recueillis par Vincent Chopart
C’est quoi, la tontine africaine ?
Association de personnes (unies par des liens familiaux,
amitiés, profession, clan ou de région, donc
adhésion souvent sélective) qui se retrouvent
régulièrement et mettent en commun leur
épargne pour solutionner des problèmes. Sorte de
caisse de prévoyance à laquelle chacun des membres
adhère en prévision de difficultés
soudaines. Système de crédit, réseau
d’influence sociale, groupe de soutien pour les moments
difficiles, comme les deuils. La tontine est tout cela
à la fois.Chaque membre y trouve des avantages. Les
participants paient régulièrement des cotisations
d’un montant fixe à un fond commun qui est
distribué tour à tour à chacun des membres.
Quand chaque membre a reçu le fond une 1re fois, le cycle
recommence normalement. L’épargne et le crédit
sont gratuits. Il n’y a pas d’intermédiaire. Les
créances et les dettes se compensent tout au long du
cycle et s’annulent au dernier tour. L’accumulation n’est ici
que temporaire. La tontine privilégie le groupe par
rapport à l’individu. Et la logique sociale prime souvent
sur la logique financière. Mais il semble que pour les
jeunes, la tontine est d’abord un instrument économique,
alors que pour les plus anciens, elle permet avant tout la
solidarité collective. Les tontines correspondent
bien aux mentalités africaines. Elles innovent face aux
contraintes du secteur officiel bancaire. Si les tontines
constituaient, au départ, un moyen de contourner les
inconvénients du système financier officiel, ce
même système officiel tente aujourd’hui de
s’inspirer des règles et des méthodes de ces
circuits informels. Après quelques améliorations,
ils deviendront peut-être les futures institutions
financières des pays en développement.
|