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Mauritanie :
Vivre et célébrer au pays d’Allah


Pourquoi Bernard Pelletier, missionnaire du Saint-Esprit, reste-t-il depuis 35 ans en Mauritanie, pays musulman à 100 %?
En cette " année de l’Eucharistie " qui s’achève, il se sent en fraternité avec tous ceux qui
dans leur coeur et dans leur corps, cherchent à faire la volonté de Dieu.


Quand je reviens en congé, bien des gens me disent : " Vous feriez mieux de rentrer en France où il manque de prêtres. Laissez les musulmans pratiquer leur religion, n’allez pas les perturber ! " Même si, en 35 ans, je n’ai fait aucun baptême, aucun mariage en Mauritanie, je crois que l’Église se doit d’être présente dans ce pays qui a droit à la Parole de Dieu. Sans être nombreuse notre petite Église est vivante. Elle se compose d’étrangers (surtout d’Afrique noire) venus chercher du travail dans ce pays, ou de passage pour continuer vers l’Europe (confrontés à bien des problèmes car les frontières sont fermées).
En Mauritanie, 1 seul diocèse avec 1 évêque, 11 prêtres et 35 religieuses. Nous sommes originaires d’une vingtaine de pays. La plupart des sœurs travaillent dans des structures d’État, mais sans être payées par le gouvernement. Sans véritable statut officiel, l’église est appréciée par beaucoup de Mauritaniens. L’activité des sœurs est centrée sur la promotion féminine et la santé (hôpital, dispensaires d’État, auprès des handicapés, et aussi dans des jardins d’enfants).
À Rosso, le " métier " des handicapés c’est de mendier. Mais ils ont leur dignité. Avec René Prévot, nous poursuivons ce que Pierre Veau avait lancé: nous voulons les aider à vivre de leur travail. Grâce à un atelier de grillages qu’ils vendent, ils peuvent vivre.

600 abonnés à la bibliothèque

D’autres ont appris à réparer des postes ou à recharger des batteries. À la demande de jeunes, nous avons développé notre bibliothèque. Plus de 600 abonnés. Entre 50 et 60 jeunes viennent chaque jour. René apprend aux élèves de 1re et terminale à chercher des documents ou à rédiger une dissertation. Nous rencontrons beaucoup de jeunes qui ont soif de connaître et qui interrogent beaucoup. La radio et la télévision les branchent sur le monde, alors ils sont avides de comprendre.
Le Mauritanien musulman est très tolérant. Aux fêtes chrétiennes, Noël et Pâques, les imams (chefs religieux) viennent nous souhaiter une bonne fête. Et nous, à chaque fête musulmane, nous faisons de même. À la mort de Jean-Paul II, un chef religieux, au nom de tous les chefs religieux de Rosso, est venu nous présenter ses condoléances en disant : " Nous avons prié dans les mosquées pour lui, et vendredi prochain, jour de son enterrement, nous prierons pour lui. " Je lui demandais ce que Jean-Paul II représentait pour lui : " C’est un homme de foi, de paix, qui a rapproché les religions. C’est un homme qui n’a pas eu peur de parler aux grands de ce monde et de leur dire la vérité. " Alors que j’allais en voiture vers Nouakchott, à un poste de police je salue un policier. Il me crie de loin : " Père, on a un nouveau Pape. Il se nomme Benoît XVI, un Allemand, un ami de Jean Paul II. " Dans la bouche d’un musulman, ce n’est pas banal !
Je n’ai jamais fait de baptême, et pourtant je suis venu au nom de ma foi en Jésus-Christ. Je ne suis pas venu faire du développement, même si j’en ai fait. Alors, quelle est ma mission dans ce pays ? Un jour, un ami musulman me demande : " Est-ce que tu es venu pour que je devienne chrétien ? Est-ce que tu veux me convertir ? " – " Ce que je désire, c’est que tu fasses la volonté de Dieu, et je prie Dieu pour cela. Je te demande à toi aussi de prier Dieu pour moi pour que je fasse sa volonté. "
Il faut nous rappeler que la mission n’est pas la nôtre mais celle de Jésus-Christ. Nous sommes seulement des témoins. Aucun homme n’en convertit un autre ; seul Dieu convertit. Qu’est-ce que Dieu attend de mon frère musulman, maintenant ? L’important, c’est qu’il fasse ce que Dieu veut pour lui. Au musulman, je dis souvent : " Je prie pour toi. " Ce que je lui demande c’est qu’il respecte ma foi comme je respecte la sienne. Ensemble, nous marchons vers le royaume : faire que des personnes de culture, de niveau social, de couleur, de religions différentes, s’entendent et travaillent ensemble. Et cela, c’est de l’évangélisation.

" La Mission n’est pas la nôtre, mais celle du Christ. "

À Nouakchott, près de la porte, je me retrouve autour d’une dizaine de jeunes Mauritaniens, et je serre la main à chacun d’eux. L’un hésite et demande : " Tu es chrétien ou musulman ? " – " Je suis chrétien. " – " Alors, je ne peux pas te serrer la main ! " – " Dieu ne regarde pas la longueur de ta barbe, ou de ton haoulis (turban), mais il regarde ton cœur. Si tu as un cœur bon, musulman ou chrétien, c’est cela qui est important pour Dieu. " Tous les jeunes étaient d’accord : " Hagg Allah ! Hagg Allah ! " (C’est vrai, par Dieu !)
Je sentais bien que ce jeune islamique n’était pas libre du tout, qu’il était conditionné ! Avec des intégristes chrétiens ou musulmans nous sommes devant un mur. Mais surtout ne rangeons pas tous les musulmans parmi les intégristes. Nous en rencontrons beaucoup qui désirent la paix et qui souffrent autant que nous de cette violence des islamistes.
C’est vrai que j’aimerais qu’un jour mes frères musulmans connaissent Jésus-Christ, non pas seulement comme un prophète, mais comme fils de Dieu. Mais cela c’est du domaine de Dieu. Pour nous, vivant en territoire entièrement musulman, le cœur de la mission, c’est l’eucharistie. Car l’eucharistie ce n’est pas simplement une communauté chrétienne qui se réunit pour vivre le mystère pascal, c’est beaucoup plus. Que dit le prêtre à l’offertoire ? " Tu es béni Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce pain, fruit de la Terre et du travail des hommes. " Il ne dit pas " travail des chrétiens ", mais " travail des hommes ". Cela veut dire que tout ce qui se fait de bien par mes frères musulmans, c’est cela que j’apporte à l’eucharistie et qui devient corps et sang de Jésus-Christ. Car l’eucharistie, ce n’est pas une dévotion personnelle, mais un acte missionnaire : nourri du pain de vie, nous repartons vers nos frères pour les aimer, et par là même leur apporter Jésus-Christ. Quand je suis seul dans le désert, je célèbre l’eucharistie, mais je ne suis pas seul car j’apporte tout ce que mes frères mauritaniens font de beau.
Bernard Pelletier

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