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RD Congo
Déplacés réinsérés


Noël Perrot, spiritain, avait choisi d’accompagner dans la durée et la fidélité des déplacés de guerre (réfugiés internes), à Lubumbashi (région des Grands Lacs), en lien avec le JRS (service des jésuites auprès des réfugiés et déplacés). Les accompagnateurs en sont transformés, et les déplacés transfigurés.
Il en témoigne avec Sœurs Marie-Hélène et Marcelline

Noël Perrot :
Les gens de l’Est-Congo fuient les combats se déroulant le long du lac Tanganyika. Après des mois ou des années d’errances, ils arrivent à Lubumbashi dans des camps de fortune. 8 000 déplacés répartis sur 6 camps, " sites pour déplacés de guerre ". La ville s’étend sur 15 km de diamètre. Tous les sites pour déplacés se trouvent dans la ville de Lubumbashi. Surprenant !
De nouveaux quartiers se créent ou s’agrandissent suite à l’installation des déplacés (ancienne boucherie, école désaffectée, ruines ou vieux entrepôts abandonnés après des pillages). Les gens s’entassent par centaines et construisent de petits baraquements avec des bâches. Médecins sans frontières a installé tentes et sanitaires, et s’est retiré au bout de six mois. Tout est très bien organisé, mais ensuite ils " laissent le bébé à d’autres ". JRS, en revanche, travaille dans la fidélité, la continuité, esprit missionnaire où l’on chemine avec les gens dans la durée. C’est parfois très éprouvant. Les réfugiés viennent d’un autre pays. Les déplacés le sont dans leur propre pays. Ils ont moins de droits que les réfugiés, n’étant pas pris en compte par les organismes. Selon l’ONU, ils dépendent de leur gouvernement. Mais ici, le gouvernement est quasi inexistant. C’est le paradoxe : le Congo possède un des plus riches sous-sols mais demeure un des plus pauvres pays au monde.

Sœur Marie-Hélène Gerault :
Je suis arrivée au Congo il y a un an et demi, à la demande de Noël. J’ai découvert ces camps. L’un d’eux est réservé aux veuves et orphelins des militaires. Il fait peur à tous, tant il est misérable.

Noël :
Violence et prostitution sont vécues au quotidien : les enfants en sont les 1res victimes. J’ai voulu redonner la dignité aux femmes, souvent veuves, en leur proposant un travail accessible. Nous avons construit un 1er abri avec des bâches. Puis 6 petites maisons avec chacune 3 pièces où cohabitent 6 familles. Avec Marcelline Maleba et Marie-Hélène (carmélites de Saint-Joseph), nous avons développé le projet Case Brottier : 27 terrains achetés en 2004, 27 maisons à 2 pièces construites avec les mamans.

Marie-Hélène :
En tout, 80 familles ont construit une maison et ont quitté les sites grâce à Case Brottier. Un petit crédit soutient leurs activités génératrices de revenus. Nous avons créé un groupement associatif pour que déplacés et non-déplacés travaillent ensemble à la saison des pluies : champs de manioc, maïs, patates douces, haricots.

Noël :
Certains voulaient trouver des terrains pour cultiver et se nourrir. Nous avons obtenu 125 ha, à 18 km de la ville. Près de 320 familles ont reçu un lopin de terre pour se nourrir honnêtement, au lieu d’attendre des dons improbables ou de se prostituer. Tôt le matin, des files de gens partent à pied pour aller cultiver leurs champs, et reviennent le soir.

Marie-Hélène :
Comme je suis médecin généraliste (médecine tropicale), nous avons fait, dans tous les sites, une animation pour la prévention du sida : sensibiliser pour regarder en face la maladie et avoir des comportements responsables. Nous n’avons pas accès aux traitements anti-rétroviraux car ils coûtent 40 $ par mois. Un maître d’école ne touche que 5 $ par mois ! On espère, à partir d’octobre 2005, proposer ces traitements.

Noël :
Ceux qui restent ici sont les plus démunis, les plus malades. Les autres réussissent à se réinsérer, sachant mieux se débrouiller (fabriquant du pain, rendant de petits services). Des déplacés attendent la fin de l’année scolaire de leurs enfants pour partir. Nous scolarisons 600 enfants. Quelques jeunes apprennent à conduire, d’autres suivent des stages de menuiserie, etc. Grâce au projet agricole, les familles acquièrent des compétences : creuser des étangs, nourrir des alevins. Depuis 2002, nous avons creusé 40 petits étangs familiaux, 1 étang commun de 50 m, et 5 autres de 20-30 m. Les 1res pêches faisaient plaisir à voir !

Marie-Hélène :
Les voyageurs font savoir qu’ils sont bien arrivés et installés. Certains ont retrouvé de la famille. D’autres doivent revenir car ils se sont embarqués dans un voyage malgré eux, sans être prêts au départ.

Noël :
Quelques-uns ont fait plus de 1 000 km et sont revenus ! Car une partie importante de leur vie est maintenant ici. Dans leurs malheurs, ils ont acquis un certain esprit de débrouillardise, mais aussi le goût de la liberté. Ils ont parfois du mal à vivre comme auparavant.

Marie-Hélène :
Ensemble nous avons traversé de très grandes épreuves. La misère pousse parfois à la prostitution. Les conditions de logement aussi : vivre à plusieurs familles dans un hangar, séparées seulement par quelques sacs ou tissus, crée une grande promiscuité. Chaque famille vit dans 4 m². La mortalité infantile est très forte. Rester en vie, marcher ensemble au même pas, cela crée des liens profonds, avec peu de mots. Je ne connaissais pratiquement pas le swahili, mais nous pouvions compter les uns sur les autres.

Noël :
On reçoit beaucoup de confidences, des liens d’amitié se créent. Vivre dans la joie avec des gens qui manquent de tout est une expérience qui transforme. On est tout de suite surpris par leur accueil, leur humour, leur joie de vivre. La fondation spiritaine continue de s’engager sur ce chemin, partenaire de JRS sur 3 projets, pour réhabiliter l’enseignement primaire dans
des zones très défavorisées.

Marie-Hélène :
Partager la vie d’un peuple qui souffre, rencontrer les plus pauvres, c’est rencontrer le Christ pauvre. Je me souviens de cette belle célébration lors du départ de Noël. Des malades se sont habillées comme des reines pour apporter les offrandes et danser. Pour moi c’était une transfiguration : j’ai vu ces personnes transfigurées par la joie et la reconnaissance !

Propos recueillis par V. Chopart