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Missionnaires spiritains : Logo Le reportage  
Paraguay  
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  Un accompagnateur spirituel devenu Ă©vĂŞque


Le P. Pierre Jubinville, spiritain, a été ordonné évêque de San Pedro, le 21 décembre 2013. Sa nomination par le pape François a mis un terme à la vacance du siège survenue en mars 2012. Nous l’avons rencontré, trois semaines avant son ordination.
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Le besoin d’atterrir
« Pedro Pucù » (le grand Pierre) : c’est le surnom que lui ont donné – en langue guarani – tous ses amis paraguayens en raison de sa haute taille. Pierre Jubinville a travaillé au Paraguay pendant plus de 21 ans. Il parle parfaitement le guarani, la deuxième langue officielle du pays, qui lui donne toute son identité et sa saveur. Dès son arrivée à Asunción, depuis Rome où il était, depuis plus d’un an, membre de l’équipe d’animation de la Congrégation auprès du supérieur général, Pierre Jubinville a pris soin de renouer avec ses anciennes habitudes en arpentant la ville d’Asunción à pied ou en autobus, sac au dos, ou de revoir ses amis de Gotas de amor, comme pour mieux reprendre pied sur cette terre qu’il aime tant, et reprendre souffle avant de commencer sa nouvelle mission d’évêque. Il est encore saisi par l’étrange étonnement que sa nomination a fait naître en lui : « Je n’ai pas vraiment saisi ce qui m’arrivait. […] J’ai l’impression que le chemin de disciple du Christ qui, un jour, m’a été adressé, devait m’amener jusque-là. » déclare-t-il de sa voix douce, avant de reconnaître qu’il n’a vraiment aucune idée sur ce qui l’attend…
 
En terre connue, des situations inconnues
Le diocèse de San Pedro ne lui est pas inconnu : il y a consacré ses premières années de vie missionnaire, mais il a conscience que le pays est en pleine mutation et que le travail d’évangélisation doit s’adapter aux nouvelles réalités.
Lui-même est arrivé après les années de résistance de l’Église catholique face à la dictature d’Alfred Stroessner (1957-1989). En ce temps-là, le diocèse de San Pedro organisait tout. Les spiritains de l’époque appuyaient l’organisation pastorale décidée par l’évêque d’alors. Ceux-ci ont aidé à la création et à l’animation des communautés ecclésiales de base et formé des laïcs en charge de ces communautés. En vingt ans, le pays s’est transformé. L’autarcie traditionnelle paysanne d’autrefois n’existe plus. La culture s’est urbanisée, même dans les campagnes qui reçoivent les plus modernes moyens de communication. Ciudad del Este, une ville située à l’est du Paraguay, est l’une des plus en pointe au monde en matière de nouveautés technologiques. Elles passent toutes d’abord par elle avant d’atteindre les autres villes du continent. Les gens reçoivent des informations de toutes parts. L’Église n’a plus le monopole de la formation.
 
Les spiritains du Paraguay, un groupe intergénérationnel
Difficile pour les anciennes générations de spiritains de faire le deuil de cette époque révolue. Les spiritains de la jeune génération, arrivés au début des années 2000, ont dû se débrouiller. Ils se sont intéressés aux mouvements d’apostolat des laïcs qui existaient alors. Des mouvements qui, certes, aident les fidèles laïcs à vivre leur foi ou à trouver leur place dans l’Église, mais ne peuvent résoudre toutes les difficultés qu’ils rencontrent dans la vie.
 
Des propositions spirituelles plus profondes
Le P. Jubinville insiste sur la nécessité d’une vie spirituelle profonde que les mouvements de laïcs n’arrivent pas toujours à nourrir. Son expérience a forgé en lui la conviction que la vie spirituelle consiste à savoir se « connecter » avec les autres et avec soi-même. On peut fuir la réalité d’avec nous-mêmes ou de nos relations avec notre entourage, dans des actions politiques ou sociales, des dévotions religieuses démonstratives, dans la recherche du surnaturel ou des derniers gadgets à la mode. La véritable rencontre personnelle avec soi-même reste le seul défi. Il faut aller au-delà des traumatismes vécus pour édifier « morceau par morceau » la personne. Dans toutes les familles paraguayennes qu’il connaît, il y a eu des morts, victimes de la violence provoquée par des invasions de terrain (ou des occupations, selon la position où l’on se trouve), les répressions, les intimidations, les conflits familiaux. Lorsqu’il était curé à Lima, il y avait un assassinat chaque semaine, pour des raisons parfois futiles. La pauvreté vécue par une partie de la population est également cause de traumatisme : avoir manqué du nécessaire est une expérience blessante. L’accompagnateur spirituel doit faire preuve de beaucoup d’écoute et d’observation.
 
Le département de San Pedro, réputé conflictuel
Le diocèse se situe dans le département de San Pedro, un territoire essentiellement rural (8 personnes sur 10 vivent à la campagne), pour une population de 320 000 habitants. La région est connue pour ses conflits sociaux, le trafic de drogue et la présence d’un groupe paramilitaire (EPP). « Au début, j’ai refusé le poste d’évêque, puis après avoir réfléchi et médité, j’ai accepté le défi », reconnaît-il. La tâche est immense : auprès des divers secteurs de la société, être l’apôtre des plus pauvres, de la non-violence et de la réconciliation…
 

Un peuple en fête pour l’ordination de son évêque

> San Pedro de Ycuamandyyú, la capitale du département et siège du diocèse était en fête, ce 21 décembre 2013. La joie des habitants et des délégations des paroisses de la région était palpable dès l’entrée de la ville jusqu’à la cathédrale où s’est déroulée la cérémonie d’ordination.
Tous les évêques du Paraguay, tous les prêtres du diocèse, de nombreux religieux et religieuses du pays ainsi, bien sûr, que les spiritains, étaient présents. « Je ne parle pas de programme, le principal étant celui de travailler avec tous les secteurs. Ensemble, nous allons chercher comment vivre en harmonie et en compagnie de Dieu, pour aller de l’avant », a déclaré Mgr Pierre Jubinville, après avoir reconnu qu’il était immensément heureux et remercié chacun de la confiance qui lui était accordée. Auparavant, Mgr Adalberto Martinez, l’évêque consécrateur, durant son homélie, a rappelé « que la mission de l’Église est d’être avec les pauvres et les exclus qui ont besoin de protection et de refuge. L’Église doit, à mains pleines, être messagère de l’Évangile pour calmer la faim spirituelle et convoquer les forces vives de tous les acteurs sociaux et religieux ». En fin de messe, les fidèles ont entonné un chant qu’ils avaient composé en guarani. Au milieu des applaudissements, Mgr Pierre Jubinville les a remerciés puis, dans une langue guarani vraiment fluide, il leur a rappelé que ce sont eux qui doivent enseigner à l’évêque et prier pour lui. « Une chose est d’écouter la chanson de bienvenue, une autre celle de sentir, dans sa propre chair, l’acceptation chaleureuse et familière des gens, a-t-il ajouté. Je l’ai toujours sentie et je la ressens plus forte encore avec cette nouvelle mission qui commence. »
 
D’après des sources fournies par le P. Mietek Ropinski

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