LE MYSTERE PASCAL A GUIDE MON MINISTERE


P. Kammerer
 
En juin 2000, il y aura 57 ans que je suis prêtre. Ce grand demi-siècle s'est réparti en des formes très diverses de ministère: d'abord dans le diocèse de Besançon : vicaire à Montbéliard , aumônier de lycée à Besançon, aumônier diocésain de la Paroisse universitaire et en même temps directeur diocésain des aumôneries de l'Enseignement public, ensuite à Paris (1967) aumônier national à la Paroisse universitaire, puis, dans le diocèse de Paris, vicaire à la paroisse St-Jacques du Haut-Pas, à la Communauté St-Bernard et enfin aumônier d'hôpital à l'Institut Montsouris
 
Au Séminaire, quelques signes précurseurs
Quelques événements marquants pendant mes années de Séminaire m'ont préparé à toujours centrer ma vie spirituelle et ma vie de prêtre sur le mystère pascal. Au Séminaire des Carmes, à l’Institut catholique de Paris, comme à Lyon, au Séminaire universitaire, la célébration pascale était très soulignée surtout par les ordinations. J’ai pu participer à la célèbre paroisse St-Alban à une première : la Vigile pascale célébrée en 1942 par l'abbé Rémilleux, vrai précurseur du report en soirée de cette vigile avec des baptêmes de catéchumènes adultes.
A la Faculté de théologie, le seul professeur de théologie dogmatique qui ait laissé un grand souvenir, le P. Louis Richard avait renouvelé la doctrine de la rédemption et publié un ouvrage "Dieu est Amour" . Au coeur de l'ouvrage: Jésus, poussé par l'Esprit Saint révèle cet Amour par toute sa vie jusqu'à mourir sur la croix, et, ressuscité par le Père, envoie le même Esprit d'amour, Esprit de Pentecôte, sur son Eglise..

Temps de la guerre et Mystère pascal
De Montbéliard à Dachau
Ordonné prêtre à Fourvière le 24 juin 1943 au service du diocèse de Besançon (quoique Alsacien d'origine), je suis nommé vicaire à Montbéliard auprès de Jean Flory qui fut dans ce "Pays" en majorité protestant à l'époque, un curé remarquable par son intelligence, sa culture et son ouverture pastorale et oecuménique exceptionnelle et, de plus, résistant de la première heure. Avec lui et les trois autres vicaires, nous formions une équipe solide, fraternelle, sans faille, face aux événements de plus en plus difficiles qui se précipitaient à partir de 1944: débarquement des Alliés en Normandie puis en Provence, libération de Paris, montée foudroyante de la Première Armée à la rencontre des maquis formés à la hâte et non sans nombreux accrochages, cruauté grandissante de la Gestapo. Edmond Fesselat et moi-même avons été arrêtés au presbytère à trois semaines d'intervalle et déportés à Dachau en septembre/octobre 44.
Espoir de libération, espérance pascale
A considérer à distance ces six mois de vie concentrationnaire, épreuve de déshumanisation nazie systématique dans les plus petits détails de la vie quotidienne, n'était-ce pas globalement et collectivement le mystère de la croix et l'espérance de la Résurrection que nous étions invités à vivre? Mais il y a eu aussi Auschwitz que nous ignorions et le philosophe juif Hans Jonas s'est posé la question "Peut-on encore parler de Dieu après Auschwitz ?". La même question m'a été posée dernièrement après un témoignage que j'ai eu l'occasion de donner à une soixantaine d'élèves de troisième dans un collège de banlieue: "Comment avez-vous pu encore croire en Dieu en sortant de ce camp ?"°
A Dachau, qui n'était pas un camp d'extermination, mais un camp de "travail" ("Arbeit macht frei!") tous les prêtres déportés dans d'autres camps furent peu à peu rassemblés dans deux baraques sur la demande curieuse du Vatican, une pour les prêtres polonais, l'autre, où j'étais, pour ceux de l'Europe de l'Ouest, y compris près de deux-cents prêtres allemands. Entre prêtres, nous parlions beaucoup de notre foi, de théologie, de l'avenir de l'Eglise dans nos différents pays. Entre prêtres, et avec quelques laïcs, nous accordions beaucoup de temps à la prière . Et cette prière d'espérance montait chaque jour à la messe célébrée avant le réveil officiel dans ce camp de la mort (typhus et maltraitance: 200 morts par jour sur 30.000 personnes), dont les survivants attendaient avec impatience la libération comme une "résurrection". La longue fin de cette guerre n'était-elle pas comme une énorme parabole en actes de la victoire de Dieu sur le mal et la mort? Ou, pour les Français, comme le nouvel Exode attendu vers la "terre promise", la France qui nous accueillit, de fait, avec de grands panneaux à la frontière: "Ici commence le pays de la liberté"?
Prêtres, serviteurs du Christ crucifié-ressuscité
Certes, chaque célébration eucharistique replaçait toutes ces réalités à leur niveau… pas trop d'amalgame historico-biblique! De même, par rapport aux événements, nos conversations entre prêtres français et allemands (certes antinazis, mais allemands patriotes) n'étaient pas toujours faciles, par exemple au moment des bombardements terrifiants opérés par deux mille avions alliés sur Munich à 20 km du camp: longues et bruyantes vagues successives, immenses flammes des incendies dans la nuit. Et combien de victimes civiles? Nous Français pensions que cela pouvait hâter la fin de la guerre. Etait-ce vraiment nécessaire? Les Allemands en étaient profondément choqués. Beaucoup avaient à Munich des parents ou des amis. Le présent comme l'avenir étaient pleins d'ambiguités.

Mais deux événements religieux nous marquèrent profondément:
- peu avant Noël, Mgr Piguet, évêque de Clermont-Ferrand, seul évêque parmi nous ordonna prêtre un diacre allemand, gravement malade de tuberculose, Karl Leisner. Il attendait cette joie depuis quatre ans de captivité (il s'était occupé de jeunes, clandestinement, pendant un séjour en sanatorium. Très affaibli, il célébra sa première messe qui fut probablement la dernière, offrant ainsi sa vie comme prêtre de l'Eglise devant la grande assemblée que nous formions, très émus. Conduit à la Libération dans un sana autrichien, il y mourut en juillet 45. Jean-Paul II l'a béatifié comme martyr lors de son voyage à Berlin en 1996

- Quelques semaines avant la Libération, fin mars, de sobres célébrations nous réunirent le Jeudi et le Vendredi saints dans une grande ferveur. Et la fête de Pâques (1er avril) nous donne l'occasion d'un grand moment de vie spirituelle intense: la messe solennelle est célébrée par le P. Abbé de l'abbaye bénédictine de Belloc (Pays basque). Il prononça un sermon d'une demi-heure dans un beau latin simple et très pacifiant pour tous. Le dimanche 29 avril, le camp fut libéré par les Américains..

De la Libération au Concile Vatican II

Effervescence dans l'Eglise
En 1945 et les années suivantes, l'effervescence d'idées et d'initiatives prépare l'Eglise de France aux renouveaux apportés officiellement à l'Eglise universelle par le Concile.  Les Eglises vivent un temps que l'on peut dire euphorique et dont je garde un grand souvenir comme d'un "temps pascal" , un temps de passage qui s'épanouira ensuite pendant le pontificat de Jean XXIII et le Concile qu'il a convoqué en 1963.

Aumônier de lycée
Aumônier de lycée à Besançon (1947 à 1958), je me suis efforcé de faire entrer les jeunes dans ce recentrement de notre foi et dans ses diverses manifestations liturgiques: insistance sur Pâques comme fête principale de l'année liturgique et non Noël, insistance pour faire découvrir la vigile pascale restaurée par Pie XII (1950), et célébrée dans la nuit, mais encore peu fréquentée.
Chaque année, je fus invité chez l'un ou l'autre ami, curé de paroisse pour animer l'ensemble du triduum pascal, belle occasion d'approfondir d'année en année la pédagogie du peuple chrétien dans ce domaine si essentiel.
" La paix soit avec vous! " : c'est ainsi que le Christ ressuscité salue ses disciples à chacune de ses apparitions. Comment ne pas lier Pâques à l'esprit de paix entre les hommes, aux efforts de réconciliation entre les peuples et particulièrement entre Français et Allemands débarrassés du nazisme? C'est à ce moment là que le mouvement "Pax Christi" me parut un engagement nécessaire et on me demanda d'en être l'aumônier diocésain, avec comme principaux animateurs des professeurs d'allemand, d’italien et de philosophie. C'est dans cet esprit que je décidais en 1949 d'intéresser une trentaine de lycéens à participer à un grand camp de 4.000 jeunes, Français et Allemands, organisé à la Lorelei, magnifique plateau qui domine la vallée du Rhin, en Rhénanie.
La Paroisse universitaire
La Paroisse universitaire (mouvement national proposé aux enseignants de l'Enseignement public) m'a amené pendant les années 60 et 70, à préparer, avec une équipe liturgique de prêtres et de laïcs, les liturgies des " Journées universitaires " , rassemblant selon les circonstances et le lieu, de 1.200 à 2.000 personnes de tous les ordres de l'enseignement, aux vacances de Pâques.

Travail d'autant plus passionnant que c'est au cours de ces années que se mit en place la réforme liturgique postconciliaire. Le triduum pascal avec le Carême qui le prépare et le temps pascal jusqu'à la Pentecôte qui le prolonge sont tout à fait privilégiés dans cette réforme. Or, selon les dates choisies pour ces "Journées", les célébrations se situaient soit autour du dimanche des Rameaux, soit dans l'octave de Pâques. Et, en1970, en collaboration avec le CEP (aumônerie des étudiants de Paris), nos Journées se sont transformées en pèlerinage sur les pas de Jésus: pour la Semaine sainte. Le Cardinal Marty nous a rejoints pour présider la célébration de la Vigile pascale et partager notre foi renouvelée: "Christ est ressuscité, - oui, il est vraiment ressuscité!".
Toutes ces célébrations laissent un souvenir profond de grande qualité spirituelle et communautaire:. Nous avons vécu ensemble le renouveau des chants liturgiques: c'est à Grenoble en 1968, que Jo Akepsimas dont un ami jésuite m'avait donné le nom, anima pour la première fois une grande assemblée de 2.000 personnes et se fit vraiment connaître, de même qu'à Metz, l'année suivante ce fut le P. Deiss, spiritain, qui nous apporta son concours et combien nous avons apprécié sa finesse toute biblique pour animer une répétition de chants..

Prêtre en communautés chrétiennes à Paris
Retour au ministère paroissial: dix ans à la paroisse Saint-Jacques du Haut-Pas, quatre ans à la communauté de la chapelle Saint-Bernard (gare de Montparnasse). Dans ces deux communautés la liturgie a pris beaucoup d'importance et des laïcs de plus en plus intéressés et expérimentés. Les textes bibliques exigent une remise en place dans leur contexte historique et littéraire, les Evangiles sont l'objet d'un partage en vue de l'homélie. Ces échanges en partie gratuits, en partie productifs, montrent que prêtres et laïcs sont ensemble "chercheurs du Christ" comme se sont appelés les évêques eux-mêmes avec les prêtres qu'ils avaient invités à leur dernière Assemblée de Lourdes en novembre 1999. Le mystère pascal - et c'est normal - revient sans cesse dans ces échanges et à travers les temps liturgiques de l'année. La pauvreté de Jésus dans la crèche de Béthléem n'est-elle pas souvent rappelée en parallèle avec le dénuement du Christ mourant sur la croix du Golgotha.

Le mal, la souffrance et le mystère pascal
Que de fois aussi, dans les conversations avec les personnes qui viennent voir un prêtre, revient à propos de telle ou telle épreuve personnelle ou familiale, maladie, deuil ou conflits, l'inévitable problème du mal. Il faut donc sans cesse répéter que la Révélation ne nous apporte aucune réponse d'ordre métaphysique, que le livre de Job nous laisse sur une perspective décevante, qu'on résumer ainsi:..."Le mal te met à l'épreuve, soit, mais admire quand même la beauté de l'ensemble de l'univers que j'ai créé pour les hommes et tais-toi!"
La réponse de Jésus est d'un autre ordre. Le mystère de l'Incarnation le fait plonger dans notre humanité pécheresse. Il est solidaire de ses frères les hommes en tout sauf le péché; et donne toute sa vie au service de Dieu son Père et de ses frères humains. En tout et jusqu'au bout, jusqu'à donner sa vie : "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis"(Jn 15, 13). C'est par cet amour qu'il est " l'image parfaite du Dieu invisible " (Col 1, 15) et nous sauve de tout mal (péché et mort) en pleine communion avec son Père et totalement habité par l'Esprit-saint. Ressuscité d'entre les morts, il est le Premier des vivants et nous entraîne tous dans la plénitude de sa gloire, pour "tout réconcilier par lui et en lui (...), ayant établi la paix par le sang de sa croix". (. Col 1, 20)

" Signes par milliers "
Mais les nombreux "signes" (miracles) qui jalonnent la vie de Jésus parmi les siens sont déjà le signes du Royaume qui vient, du "salut" qu'il apporte au monde pour le délivrer de tout mal. Jésus nous invite ainsi à continuer ses signes, à nous donner au service de nos frères pour faire advenir ce Royaume déjà là et pas encore là et donc de nous engager à notre place, là où nous sommes, selon les appels reçus, toujours à travers les événements de la vie quotidienne.
<
Signes par milliers, Traces de ta gloire,
Signes par milliers, Dieu dans notre histoire
(K 226)

Accompagnement des malades
Ce fut mon dernier ministère pendant onze années d'aumônerie d'hôpital à l'Institut Montsouris (ancien Hôpital universitaire), où a été fondée en 1987 la première Unité de Soins palliatifs par le Dr Abiven. Dans ce service, comme dans le service ordinaire de médecine, ont défilé un nombre impressionnant de malades du cancer et beaucoup aussi de malades du sida, pendant les "années terribles" de cette maladie.
Il faut que règne une grande confiance mutuelle pour que l'on parvienne, après quelques conversations banales, à des entretiens en profondeur qui touchent à la foi personnelle d'un patient hospitalisé. Les membres laïcs de l'équipe d'aumônerie et le prêtre doivent être d'abord et essentiellement à l'écoute des grands malades et peu "interventionnistes"... Mais il faut aussi savoir guetter les occasions, les questions posées, comprendre les besoins spirituels à leur niveau réel, pour avancer avec respect et discrétion vers les enjeux essentiels d'une fin de vie qui approche. Et de même avec la famille et les proches.
Sur ce fond de tableau, il devient possible de prier, de proposer le sacrement des malades qui ne sera pas l'Extrême-Onction d'avant le Concile, mais le sacrement du temps de la maladie, le sacrement de l'espérance chrétienne liée au Mystère pascal. L'espoir d'une guérison éventuelle ou d'un prolongement de la vie sera comme un symbole lié à l'espérance de la vie éternelle dans la pleine lumière de la gloire du Christ. Avec la Réconciliation et l'Eucharistie reçue en viatique, voici donc trois sacrements qui, au nom du Crucifié ressuscité signifient sa présence invisible: Il est là comme il l'était auprès des blessés de la vie, du temps de sa vie terrestre, toujours source de vie. C'est l'initiation à la vie dans sa gloire, comme baptême, confirmation et eucharistie sont l'initiation à la vie avec le Christ lors de l'entrée dans l'Eglise.. Bien entendu ce chemin idéal n'est pas toujours possible. A nous de croire à l'infinie miséricorde du Père pour tous que Jésus nous a révélée tout au long de l'Evangile.

La lumière du mystère pascal m’a ainsi rendu attentif, dans chaque circonstance de mon ministère, à chercher les gestes les plus appropriés pour traduire quelque chose du mystère du Christ. Elle peut aider chacun de nous à le vivre dans les relations avec le prochain le plus proche et à choisir une ou plusieurs associations pour l'immense univers du prochain plus lointain (Tiers-monde, Quart-Monde, Droits de l'homme, secours aux pays en guerre, pauvretés nouvelles etc.). Les propositions, en cette année jubilaire ne manquent pas .Qu'est-ce que le jubilé célébré en cette année 2000, sinon vivre avec joie le rayonnement du mystère pascal dans des actions concrètes; de justice, de paix, de réconciliation, en les nourrissant davantage de notre prière?..